One day, people will call me Saskia again (IVANA)

Dans ses veines il y a eu la fierté...
Des parents et un frère, voilà ce qui compose la bulle familiale de Saskia à sa naissance même si son oncle, Mirko, n'est jamais loin. Dans les yeux d'enfant de Saskia, c'est sans surprise Jelenko Drazavic, son père, le héros. Un homme dur, qui inspire la crainte et l'admiration. Un homme fier de son sang, fier de sa nation. Elle n'est pas consciente, à l'époque, qu'elle ne pourra jamais être considérée comme son égal. Si son nom inspire le respect elle n'en demeure pas moins une fille et son héritage ne sera jamais celui de Slavenko. Mais Saskia est une enfant et Saskia s'en fiche. Malgré le déménagement des Drazavic à Pale et la guerre de Bosnie qui se déclenche alors qu'elle n'a que trois ans, Saskia vit dans une bulle où le mal n'existe pas, où les visages de Jelenko, d'Iren et de Slavenko sont synonymes d'un amour amplifiée par la vision subjective et irréaliste qui est celle des enfants.

... puis la peur.
La bulle a éclaté. La famille se sait en danger quand Jelenko est emprisonné mais le plus grand danger, c'est Saskia qu'il frappe. C'est l'unique fille du Serbe, elle n'a que dix ans, elle est une cible facile là où son frère s'est déjà affirmé. Les Kosovars voient en elle un moyen d'atteindre les Drazavic. Le chef de famille a pris vingt ans mais la punition ne sera réelle que si l'un des siens remplace toutes les âmes qu'il a lui-même arrachées durant la guerre. Personne ne voit le coup venir. En l'espace d'une heure, Saskia est enlevée, conduite sur ce territoire qu'on nommera République du Kosovo dix ans plus tard, en 2008. La bulle familière dans laquelle elle vivait n'est plus. A dix ans, elle se retrouve aux mains d'un groupe de Kosovars et la peur s'installe, grandit dans ses veines comme dans sa matière grise.

Saskia se souvient encore de ce sentiment, de ce mélange d'espoir, de crainte et d'incompréhension. L'espoir que Slavenko ou Mirko allaient venir à sa rescousse, allaient la débarrasser des démons qui l'assaillaient et la ramener à la maison. La peur d'être au milieu d'inconnus dont elle ne comprenait pas le dialecte, d'être violentée. Elles ne s'oublient pas, ces choses-là. Jamais.

Dans son esprit il y a eu la gangrène...
Ils ne sont jamais venus. Mirko, Slavenko, Jelenko... Ils n'ont envoyé personne à sa recherche et après une année, les Kosovars ont compris qu'ils n'avaient pas parié sur le bon cheval. Saskia est une jeune fille, Saskia n'est pas importante sur l'échelle des Drazavic, pas assez pour qu'on remue ciel et terre pour ses beaux yeux.

La peur, ancrée dans tous ses pores, se voit remplacer par l'abandon et une tristesse qu'elle gardera toujours en elle. Ils ne sont pas venus, ils ne viendront pas. Pour celle dont les caprices étaient légendaires à Subotica et à Pale, c'est la chute. Ses espoirs meurent. Ceux des Kosovars se voient réduits à néant et la gamine ne doit sa survie qu'à Artem Milosevic. Le cerveau du groupe comprend que Saskia n'est pas un poids, qu'elle peut devenir une bombe à retardement si elle est savamment manipulée. La tristesse et l'abandon ne sont-ils pas deux bons leviers pour faire naître une haine viscérale ?

Alors, Artem Milosevic la prend sous son aile, lui offre cette protection et cette tendresse paternelle qu'elle croyait ne plus jamais revoir. Il l'accueille chez lui, la traite comme sa propre fille et lui offre un nouveau nom. Saskia Drazavic devient Ivana Milosevic. Et la gamine grandit. Elle grandit avec les murmures d'Artem qui lui soufflent que Jelenko ne l'a jamais considérée comme son enfant, qu'il n'est plus sa famille, que les Milosevic sont désormais là pour elle. Et Saskia le croit. Si elle est encore en vie, c'est grâce à lui. Pourquoi lui mentirait-il ?

... puis la vengeance.
En grandissant, Saskia ne manque de rien et Artem veille à ce qu'elle ne s'éloigne pas de lui. Pas de grandes études pour elle, c'est la peinture qui lui plait et il fait en sorte qu'elle obtienne ce qu'elle veut en trouvant des acheteurs pour les toiles qu'elle crée. Si la jeune femme se satisfait de cette vie, elle n'en oublie pas moins cette famille dont elle n'a plus de nouvelle, cette famille qui l'a abandonnée entre les mains d'un groupe qui fait désormais partie de son cercle proche, bien qu'elle n'assiste à aucun des réunions de ces dissidents kosovars. Saskia reste dans l'ignorance mais Saskia reste leur plus bel outil. Car Artem le sait, il a fait du bon boulot. Sa protégée ne peut entendre parler de Jelenko sans ressentir une haine quasi viscérale envers celui qui est officiellement son père mais qui n'a jamais agi en sa faveur. Son pion, à qui il souffle subtilement et goutte par goutte des idées de revanche, croit être indépendant lorsqu'elle quitte Pristina pour Sarajevo avec la ferme intention de faire payer le chef des Tigrovi pour ses erreurs passées. Mais en réalité, c'est Milosevic, le maître de la partie. Reste à savoir qui criera "éhec et mat" le premier.