À défaut de vivre on peut mourir ensemble - Slavina

Sa dernière phrase me blesse énormément - je sais pertinemment que je suis en tort sur le fait d'être parti mais si vous voulez mon avis, me le rappeler à chaque conversation ne m'aide pas à nous projeter dans un avenir radieux avec une maison, un chien, un mariage. J'ai fait beaucoup d'efforts pour lui prouver que je veux vivre avec elle, oublier le passé (ou ne pas l'oublier, je n'ai pas encore saisi ce qu'elle veut, ça change toutes les deux heures), aller de l'avant même en divorçant et ne pas reproduire les erreurs du passé. Alors je me braque à mon tour. "ah ouai, je vois...t'as presque tourné la page" Le presque est bien ironique.

Je sors de ce pieu pour enfiler quelque chose, à force d'être à poil pour ce genre de conversations, j'en viens à haïr la nudité. J'enfile mon caleçon et j'attrape péniblement mon tee-shirt tombé au sol "Je n'arriverais pas à me rendormir, si tu veux, j'essaye de trouver un taxi pour rentrer." Ça ne changera rien au fait qu'on s'engueule mais au moins ce ne sera pas QG.

Bien-sûr, il le prend mal et se braque, comment pourrait-il en être autrement ? Et cette fois je ne cherche pas à protester. Aucune répartie acerbe ne me vient, aucune excuse, aucune autre conclusion non plus. Depuis que j'ai accepté de le rejoindre à Sarajevo, il parvient à faire en sorte que je me sente coupable de lui en vouloir, d'être en colère contre lui parfois. Et cette fois ne fait pas exception à la règle, pourtant je suis malgré tout fatiguée de culpabiliser. Il me doit plus d'un an de colère et de douleur. Je l'observe se rhabiller, prêt à partir, et je crois que si on était à l'appartement justement, il partirait quand même, mais sans moi. Je hoche la tête, ne proteste pas. Oui, appelle. Et pendant qu'il téléphone, j'écris à Dimitri, heureusement que Camenko a récupéré nos affaires dans la voiture. Quand c'est fait seulement je m'habille à mon tour, remettant mes escarpins malgré ma blessure parce que cette fois je ne le laisserais pas me porter.

Je peine, vraiment, à descendre les escaliers sur mes talons, mais je ne bronche pas, mâchoires crispées par l'effort. Je préfère attendre le taxi dehors que rester enfermée avec lui. Devant 'a boîte, le froid me transperce les os, et j'al beau trembler comme une feuille, je ne vais pas chercher la chaleur des bras de Slavenko. On s'engouffre dans le taxi dès que ce dernier arrive, et je garde le silence jusqu'à l'arrivée. Dieu bénisse les ascenseurs, je crois que monter d'autres marches m'aurait tuée. Mais en arrivant dans le couloir, la silhouette de Dimitri qui nous attend me fait un instant oublier la douleur sourde qui pulse pourtant dans ma jambe bandée. Ses yeux sont cernés, sa chemise froissée à moitié défaite, et il s'est de toute évidence habillé en vitesse, réveillé par mon sms. Je ne pensais pas qu'il se pointerait. J'ecarquille les yeux quand il s'avance, furieux. Une balle ?! Tu t'es pris une balle ?! Il se tourne vers le slave, le fusillant du regard. Je la ramène à New-York, elle est pas en sécurité ici. Faites le putain de ménage !

Une nouvelle fois, je ne comprends pas comment on a pu passer de l'instant où je la tiens dans mes bras en la couvrant de mots d'amour, encore secoué de vagues de plaisir, à cet instant où on se déchire. Il semble que ça devienne une sale habitude qu'on s'engueule après le sexe et non pas avant. C'est donc de mauvaise humeur et passablement déprimé que j'appelle le taxi qui nous ramène à la maison. C'est un silence tendu, Nina refusant mon aide même quand je m'approche alors je n'insiste pas.

Devant l'appartement, un silhouette masculine nous accueille. Comme Dimitri s'avance, je m'interpose d'instinct, me mettant entre Nina et lui. Mon visage n'a rien d'accueillant, fermé et dur. "Wo, Nina ira nulle part c'est clair ?" Je ne vois pas de quoi il se mêle celui là et je ne suis vraiment pas d'humeur à arrondir les angles ou à me justifier. Evidemment que les Tigrovi vont faire le ménage mais je ne vais certainement pas rendre des comptes à ce type.

​La scène devient complètement surréaliste, et je sais très bien comment on en arrive à se déchirer à chaque fois. C'est de ma faute, c'est moi qui cherche toujours à discuter, à parler, à crever l'abcès, dire ce que j'ai sur le cœur même quand je ne devrais pas. Slavenko n'a de toute façon jamais été un exemple d'empathie et de compassion, je n'ai jamais réellement pu compter sur lui pour me consoler. Il est là pour me rassurer quand j'ai peur, ça oui, pour prendre soin de moi quand je suis blessée, bref quand tout ce qui me heurte est extérieur et surtout physique. Mais quand je suis triste, déprimée, quand j'angoisse, mieux vaut me taire que d'espérer un quelconque soutien de sa part. Je devrais le savoir depuis le temps !

La présence de Dimitri, quand j'y pense, ne me surprend finalement qu'à moitié. De ça aussi, j'aurais dû m'en douter. Mais je pensais qu'il passerait demain matin pour s'assurer de mon état, pas qu'il débarquerait là, maintenant ! Slavenko se place entre nous, et ça en revanche, ça me surprend. Parce que vu l'état de nos relations, je m'attendrais presque à ce qu'il saute sur l'occasion de s'éloigner de moi. Si Dimitri est d'ordinaire discret, préférant éviter les conflits frontaux, il est trop en colère cette fois pour s'écraser. Je suis pas là pour avoir ta permission, je suis venu la chercher. Je secoue la tête, m'avance d'un pas, non sans une grimace de douleur. Slavenko non plus n'est pas en sécurité ici, je le laisserais pas.

Je ne vais certainement pas laisser un autre homme emmener Nina ! Je n'aime pas déjà pas Dimitri à la base, par pure jalousie j'en conviens, et si je me suis montré courtois et aussi aimable que possible jusqu'à présent pour le peu que je l'ai croisé, c'est uniquement pour Nina, parce que je sais que c'est son associé et un ami. Mais là associé ou ami, il me gonfle sérieusement !

A la nouvelle remarque de Dimitri je gronde un "Non" sec et rauque.Si je ne lui colle pas mon poing dans la gueule, c'est parce que Nina intervient et que ça me surprend. Je me tourne vers elle, juste un peu parce que je ne baisse pas ma garde vis à vis du russe. "Y a rien à craindre ici, srce. Je t'ai dit que le nécessaire serait fait, c'est le cas. Cam s'occupe de ça." Si elle ne me fait pas confiance, je pense qu'elle sera plus encline à faire confiance à mon frère après l'opération qu'il a mené pour nous sauver.

Qu'on ne s'y trompe pas, la proposition de Dimitri est tentante au vu des circonstances. Chaque fois que la situation est tendue entre nous, j'ai envie de fuir, m'éloigner quelques temps (pas définitivement contrairement à lui, notez bien), par besoin de réfléchir et de redescendre surtout. Et puis New-York me manque, Slavenko et moi passons notre temps à nous déchirer et ça me manque de me sentir chez moi quelque part, d'avoir l'impression d'être à ma place, de ne pas devoir sans cesse me battre ou être sur mes gardes. De ne pas me sentir comme l'ennemie partout où je mets les pieds, et bon sang, d'avoir l'impression que ma présence est vraiment désirée quelque part ! Alors oui, j'ai très envie d'accepter, mais je ne suis pas suffisamment idiote pour ne pas voir que si je choisis Dimitri maintenant, on est foutus. Je secoue la tête à l'intention de Slavenko. Je sais, Slavenko.

Dimitri, sentant qu'il n'obtiendra pas gain de cause auprès du slave, s'approche de moi pour prendre ma main dans les siennes. Grave, d'un ton moins coléreux cette fois, il reprend. S'il te plaît Nina, tu peux pas rester là, c'est de la folie. Une fusillade ? On n'est pas dans un film là. Viens avec moi, je reprends l'avion demain... Rien qu'un mois, ou deux semaines, le temps qu'ils fassent le ménage, que ce soit sûr pour toi ici. Butée moi aussi, je secoue la tête. Dimitri je t'assure que ça va, c'est rien, j'ai même pas eu besoin de points de sutures... Et je suis pas toute seule ici... Enfin, est-ce encore vrai ? Très bonne question...

Voir Dimitri prendre les mains de Nina dans les siennes fait rugir la jalousie primale en moi. Et la note interrogative dans la voix de Nina me blesse mais je ne veux certainement pas me mettre en retrait, je ne veux pas la perdre vous comprenez ? Je recule pour me placer juste derrière elle, collé à son corps. Ma main se pose dans un geste infiniment possessif sur son épaule. "Non, elle est pas toute seule." Je l'affirme d'un ton net et tranchant puisque Nina n'est pas sure. Moi je le suis. Je défie le russe du regard, la colère bouillonnant en moi, prête à exploser. "Lâche-la. tout de suite. Nina reste avec moi". Je suis capable de m'occuper d'elle et de la protéger, quoiqu'en pense cet homme bien trop proche de ma femme. "Dégage maintenant." Je crois que je peux difficilement être plus clair que j'ai atteint ma limite.

La tristesse et le désarroi se lisent dans mon regard, je suis déçue que les choses se passent ainsi, d'avoir l'impression de décevoir à la fois Slavenko et Dimitri. Et je ne peux pas prétendre que je ne comprends pas l'inquiétude de mon ami, il sait bien la façon dont Slavenko est parti, le simple fait que je sois ici avec lui l'angoisse. On ne peut pas vraiment lui demander de faire confiance aveuglément à mon ex-mari. Slavenko a l'air de penser que sa protection, son affection sont des évidences mais ce n'est vraiment plus le cas. Pour personne. Sa main sur mon épaule me fait tressaillir, ses affirmations aussi quand quelques instants plus tôt on était encore en train de se déchirer. Dimitri le foudroie du regard, et je pense qu'il sait bien au fond qu'il ne peut pas se permettre de menacer un Tigrovi impunément. Je ne voudrais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je me tourne vers Slavenko, secoue la tête quand il s'emporte contre le russe. Ça va, il va y aller.

Je m'écarte de Slavenko et pose la main sur le bras de Dimitri, que je tente d'éloigner de ma porte d'entrée. Merci d'être venu... Je suis désolée, je sais que tu t'inquiètes, mais je ne risque plus rien, je t'assure. Je t'appellerais demain, d'accord ? Et on se revoit bientôt, c'est promis. Il soupire, déjà vaincu je le sais, baisse les yeux sur le bandage qui ceint mon mollet d'un air désapprobateur. Fais attention à toi Nina... Et si t'as besoin, n'importe quand, tu m'appelles, ok ? Je souris en hochant la tête. Tu sais bien que oui. Il semble hésiter encore mais abdique rapidement, me serre brièvement dans ses bras avant de s'éloigner. Je soupire, tendue à l'extrême, ma jambe tremblant parce que je suis restée bien trop longtemps debout sur ces foutus talons. Blême, je m'appuie contre le mur, expire : J'ai besoin de m'asseoir.

Je suis fou de rage de voir Nina s'échapper de mes bras, poser ses mains sur le russe, le laisser la serrer dans ses bras. Mes mains se crispent de fureur avec l'envie sauvage de défoncer le crâne de celui que je perçois brutalement comme un rival. Le sang pulse dans mes tempes et je pense que je suis blême de fureur contenue.

Heureusement il part.

Mon poing heurte le mur violemment à m'en faire mal pour que la décharge de douleur me fasse reprendre contact avec la réalité. Nina qui est pâle contre le mur. Mon visage se décompose et s'adoucit dans le même temps "srce !" Je me précipite pour la soutenir et la serrer contre moi tout à la fois, comme un objet précieux. Je cherche les clefs dans ma poche pour ouvrir l'appartement, avant de la soulever pour la porter jusqu'au canapé. Derrière nous, j'ai reclaqué la porte d'entrée d'un coup de godasse en passant et je me retrouve agenouillé à coté de Nina posée sur le fauteuil rouge. Je lui ôte ses escarpins, lève un regard implorant, frémissant de passion.

Je ne saurais dire si la jalousie de Slavenko a lieu d'être ou non. En toute honnêteté, outre le fait que je n'ai jamais pu choisir un autre plutôt que lui, je crois que si j'avais dû avoir une relation quelconque avec Dimitri, elle aurait eu lieu depuis bien longtemps. J'ai toujours respecté une certaine distance entre nous, physique notamment, parce que je ne voulais pas prendre le risque de détruire notre business pour une histoire de cul. On n'a jamais couché ensemble du temps où j'étais libre et célibataire, ça arrivera encore moins maintenant que j'ai retrouvé le slave ! Je ne perçois pas l'inquiétude de Dimitri comme une envie de me mettre dans son lit, mais comme une affection réelle venant d'un ami qui craint pour moi. Mais je comprends aisément que ça ne plaise pas à Slavenko, d'autant que Dimitri s'est montré assez catégorique dans ses propos...

Le coup de poing de Slavenko me fait sursauter, de surprise et d'un peu de peur aussi je crois. Cette fois pourtant je ravale ma fierté déplacée en le laissant me soulever dans ses bras pour m'emmener à l'intérieur, le simple fait de devoir rester debout me file le vertige et je réussirais sans doute à marcher jusqu'au canapé, mais je préfère éviter. Je n'ai plus ni l'envie, ni l'énergie de relancer la conversation, d'essayer de me faire comprendre ou de nous réconcilier. La fatigue s'abat sur moi avec violence, la douleur qui se réveille aussi, la sensation de manque qui se rappelle à moi et je ferme un instant les yeux pour tenter de faire passer la nausée qui me monte dans la poitrine. Je n'ai pas envie de l'inquiéter plus qu'il ne l'est déjà, notamment parce que je sais que ce n'est absolument rien de grave, mais je souffle quand même d'une voix rauque : Je suis désolée... Je me sens pas très bien...

Je me relève en silence pour aller chercher un seau que je pose près d'elle. Puis je vais fouiner dans la boite à pharmacie pour prendre des antalgiques. Je les ramène avec un verre de jus d'orange. J'approche la table basse de Nina pour poser tout dessus et je m'occupe de l'installer le plus confortablement possible avec un plaid sur elle. "ça va aller. Prends un médoc et repose-toi. Tu veux que j'appelle le médecin ? " Au moins agir, m'occuper, me permet d'occulter les derniers évènements, le coté trop émotionnel. Ca me permet de gérer un peu mieux.

Je m'occupe de faire du feu dans la cheminée. Je vais chercher de l'eau pour boire et poser le reste de bouteille sur la table. "Tu veux que je t'aide à mettre un pyjama ? Tu seras plus à l'aise mon ange."

Je le suis du regard, peinant à détacher mes yeux de lui, et je me demande comme toujours comment on peut s'aimer si fort et se faire tant de mal. Je vois bien son inquiétude, je sais qu'elle n'est pas feinte, comme la mienne à son égard ne l'est pas. Est-ce seulement une question d'ego ? Je refuse de croire qu'il ne s'agit que de ça. Mon regard s'adoucit malgré moi, parce qu'il s'occupe de moi en dépit de ses propres blessures. Il revient près de moi, quelques instants à peine, le temps de m'apporter un cachet, et je secoue la tête. Non, c'est rien, ça va passer... J'ai très envie de lui demander de m'apporter la kétamine, mais je crains trop de lire une autre déception dans son regard, ce n'est pas un risque que je me sens prête à prendre ce soir, pas après ce qu'il s'est déjà passé...

J'avais envie d'aller m'allonger dans le lit, mais c'était avant qu'il commence à allumer un feu dans la cheminée. Le fauteuil rouge est ultra confortable, et je n'ai pas non plus envie de me retrouver seule dans la chambre, parce que je pressens qu'il va rester dans le salon. C'est assez paradoxal, mais maintenant que la colère est retombée, je n'ai plus très envie de m'éloigner de lui. Je veux bien oui, s'il te plaît... Je me redresse dans le siège, prends le verre d'eau pour avaler l'antalgique qu'il m'a apporté. Quand il revient avec mon pyjama, j'ai comme toujours eu le temps de penser à quelque chose de complètement irrationnel et impulsif. On devrait partir. Tous les deux. Profiter d'être blessés pour aller se reposer... Je sais pas, ailleurs ? Deux ou trois jours, juste le temps que les Tigrovi règlent ça. On pourrait... Louer un truc ailleurs dans le pays, pas très loin, tu me ferais visiter ? À la campagne ? À la montagne... Vous avez des montagnes ici ?

J'obtempère et je vais chercher dans la chambre un de ses pyjamas que je trouve dans la commode et en revenant près d'elle dans le salon, j'ai une de ces bouffées d'amour qui me prennent souvent au dépourvu. Je suis malheureux de la blesser quand je ne le veux même pas. Tout à l'heure mes réponses étaient sincères avant que ça ne tourne à l'affrontement. Je ne saurais même plus dire pourquoi on s'est engueulé parce qu'il n'y avait objectivement aucune raison puisque je veux moi aussi construire quelque chose avec elle, comme elle le veut de moi. Alors ? Alors quoi ? Qu'est-ce qui nous pousse à nous déchirer ? Est-ce seulement la rancœur du passé ? Est-on vraiment incapable de tourner la page ? Je ne suis pas prêt à l'accepter.

"Oui, on a des montagnes. Au sud et à l'est de Sarajevo principalement. On a même des stations de ski. Et sinon on a aussi la mer. 15km de plage ! à Neum. " Je n'ai pas encore répondu à la question mais je réfléchis. Non pas au fait que j'ai envie ou pas d'y aller, j'ai envie de passer du temps seul avec elle, c'est une évidence. Non je réfléchis si c'est possible pour moi de m'éloigner d'ici dans la situation actuelle. Je ne suis pas blessé, pas dans le sens où un Tigrovi le dirait. J'aide donc Nina à se changer, à gestes doux et attentionnés, pour ne pas lui faire mal, pour lui montrer aussi que je l'aime sans aucun doute. Le temps de lui passer son haut, j'ai pris ma décision (surement que la vue de sa peau d'albâtre a ôté tout souci de ma réputation au sein des Tigrovi ) "J'ai un cousin éloigné qui a des chalets et des locations à une petite heure d'ici. J'y suis jamais allé mais il m'en a parlé, je peux l'appeler pour savoir si il en a un de libre..."

​Je lui propose sans trop réfléchir, simplement parce que je sais que par le passé, nos escapades loin de chez nous ont souvent permis qu'on puisse se retrouver, se réparer, se pardonner aussi. Je sens que j'en ai besoin, en tout cas, de m'éloigner un peu de Sarajevo. Et puis c'est également une façon de ne pas fuir, de ne pas renoncer, d'essayer de se ré-apprivoiser. Je lui en veux, souvent, je suis également souvent en colère contre lui, principalement parce qu'il ne comprend pas ma douleur... Mais je ne veux pas renoncer à lui, à nous, et je suis terrifiée à l'idée qu'on se perde encore. Je crois que je n'y survivrais pas si je devais réapprendre à vivre sans lui.

Je vois bien qu'il ne répond pas de suite, et pour une fois j'essaie de ne pas le brusquer, et de ne pas me braquer non plus. Je l'aide à me déshabiller, principalement en me contentant de lever les bras ou les jambes d'ailleurs. J'enfile le short ample, hyper confortable, le débardeur qu'il m'aide à passer, sondant son regard, frémissant à ses gestes. Et puis sa décision tombe et un sourire fleurit sur mes lèvres, un soupir de soulagement me soulève la poitrine dans le même temps. Je referme mes jambes autour de sa taille, l'emprisonnant entre mes cuisses alors qu'il est toujours agenouillé devant le fauteuil. Appelle-le... Molim te.

Je souris quand elle m'emprisonne, pose mes mains sur les accoudoirs du fauteuils avant de me pencher vers elle. "Je vais l'appeler, il me doit un service alors... Tu penses que si tu te reposes aujourd'hui, on pourra rouler demain ? C'est juste à une heure, peut-être un peu plus s'il neige là-haut, faut que je me renseigne" Je me redresse suffisamment pour pouvoir prendre la main de Nina dans la mienne. J'en embrasse l'intérieur du poignet avant de poser sa paume sur ma joue d'un geste câlin. Dieu comme j'ai détesté la voir toucher Dimitri dans le couloir, la voir dans ses bras même par réconfort. Je ne suis pas convaincu qu'elle n'a jamais couché avec lui, je crois qu'elle ne me le dirait pas si c'était le cas, par crainte de mes réactions "excessives".

Cette fois c'est moi qui cherche son regard cherchant sans doute lire l'amour plutôt que la colère, l'apaisement. "Je te demande pardon srce, je n'aurais pas du m'emporter..." Je ne parle pas de Dimitri, mais bien avant, au QG, quand je me suis braqué face à ses reproches. Je devrais apprendre à m'exprimer un peu mieux, à ne pas me sentir blessé sans cesse et à cesser de surréagir. Le pire c'est qu'il n'y a que quand ça concerne Nina que je suis à ce point soupe au lait ! Je concède d'un air penaud "C'était bête en plus... parce que toutes ces choses que tu veux, je les veux aussi moj andjeo. Ja volim te."

Son sourire me réchauffe le ventre, adoucit mon regard et je raffermirais l'emprise de mes jambes autour de lui si ce n'était pas déjà si douloureux de les garder en l'air. Oui ça ira, une heure c'est pas loin... Ça ira pour moi dans la voiture. Et pour toi aussi, une heure c'est bien, s'il y a une urgence avec les Tigrovi tu n'es pas loin. Je sais bien que ses camarades comptent sur lui et que c'est toujours compliqué pour lui de s'éloigner ainsi, surtout à la dernière minute comme ce sera le cas. Je veux prendre le risque malgré tout, si j'ai droit à deux jours loin du monde avec lui, ça en vaudra la peine, j'en suis sûre. Je souris, émue en réalité, quand il guide mes doigts sur sa joue. J'effleure sa peau doucement​. J'aimerais bien qu'il neige... On sait bien comme je hais le froid, mais je me dis que dans un Chalet avec lui, devant la cheminée comme ici... Je pourrais aimer la neige. Et les chocolats chauds. Une escapade hors du temps, rien que lui et moi.

Ses excuses m'apaisent sans réellement me surprendre, il lui faut toujours un temps fou et un déchirement pour finalement redescendre, ne plus s'énerver. En revanche, son aveu me fait vibrer, et je l'attire plus près de moi. C'est vrai...? Je préfère m'assurer qu'on se comprend cette fois ! J'ai besoin d'être sûre que c'est réfléchi, qu'il ne le dit pas à la légère, simplement parce qu'à me voir là, blessée et évidemment vulnérable, il se laisse amadouer. ​

"Ok, je vais l'appeler et je préviendrais les Tigrovi. Et pendant que tu te reposes, je vais préparer les affaires. Je referais ton pansement avant de partir et t'inquiète pas, ça ira très bien avec le taf...On est assez nombreux pour qu'ils se passent de moi !" N'étant que simple homme de main parmi de nombreux autres, je n'ai pas le même niveau de responsabilité qu'à NY, ce qui a ses avantages.

J'ai cet air désolé et un peu atterré qu'elle soit obligée de me poser la question. Je ne pensais certainement pas être si distant que ça depuis la Noël serbe où tout c'était bien passé à mon sens. J'essaye pourtant de faire au mieux, d'être autant que je peux à la maison, de dégager du temps malgré les missions pour le passer avec elle. C'est vrai que je ne parle pas de grands projets, mais pas parce que je n'en ai pas dans le coin de ma tête. Je disais vrai en répondant que j'attendais le bon moment ou en tout cas, je ne pensais pas que c'était à présent le bon moment pour lui reparler d'une maison par exemple ! "Mais oui srce. bien sur que oui" Je me penche, lève un peu le nez pour l'embrasser dans la drôle de posture où je me trouve, fervent adorateur d'une déesse à la peau de nacre.

​Je suis rassurée de savoir que ça ne lui posera pas de problèmes vis-à-vis des Tigrovi, je n'ai vraiment pas envie de le mettre dans l'embarras. J'en veux beaucoup à son oncle, à son père également dans une moindre mesure, et je ne peux pas dire que son appartenance aux Tigrovi me réjouisse réellement. En revanche j'ai changé depuis New-York, sans doute parce qu'il est parti d'ailleurs, parce que je me suis fait une raison quant à mon importance pour lui en comparaison de la leur... Et je sais aujourd'hui que je ne peux pas être en opposition avec eux. Tout ce que je peux faire, c'est faire en sorte que ça se passe bien, de ne pas être perçue comme un obstacle ou une ennemie, me faire accepter suffisamment pour qu'il ne ressente pas un jour le besoin de m'évincer de sa vie pour pouvoir rester avec eux. Mmh, c'est moi qui prépare les affaires... J'emporterais des surprises comme ça.

Je mentirais en prétextant qu'il se montre distant avec moi depuis ces derniers jours, c'est faux, il ne l'est pas, et je suis également bien consciente du temps qu'il passe avec moi alors qu'il pourrait le passer avec ses camarades ou sa famille. Mais je ne mentais pas en disant avoir l'impression qu'il n'a plus l'intention de faire le moindre projet pour nous, et c'est de ça que je parle, c'est ça qui m'effraie. Si je suis tout à fait honnête envers moi-même, il a raison, le timing n'était vraiment pas le bon... Seulement j'ai peur d'avoir pris des décisions définitives, d'avoir trop soufflé le froid pour qu'il veuille encore de moi, d'avoir été trop loin dans mon besoin de tirer un trait sur son départ, aussi... Je prends son visage entre mes mains, tout doucement pour ne pas lui faire mal, répond à son baiser tendrement. Je suis désolée... D'avoir douté... De te mettre la pression ou de te donner le sentiment que tu n'en fais jamais assez... C'est pas le cas. J'ai seulement... J'ai la trouille à l'idée de te perdre, et j'ai... Je fronce le nez et baisse les yeux, avouant honteusement : J'ai vraiment eu l​a trouille aujourd'hui.

" Des surprises ? Tu sais que je suis jamais contre des surprises moj andjeo mais tu as surtout besoin de te reposer " Elle m'a fait peur avec ses malaises successifs et son air pâlichon et j'ai la ferme intention qu'elle se retape. Pour ça, je vais m'occuper d'elle, prendre soin d'elle si elle veut bien. Je caresse sa joue d'un geste tendre, inquiet aussi.

Mon visage s'éclaire, je crois que c'est assez rare qu'elle me dise ses mots là, que je fais tout de même bien. j'ai toujours le sentiment avec Nina que ce n'est pas que le cas, que ce n'est pas assez, que je suis trop maladroit, nul. Mon front contre le sien, frémissant entre ses mains, le cœur fondant d'amour infini, battant la chamade chaotiquement tant je l'aime, tant c'est à la fois bon et douloureux de l'aimer, je la dévisage avec adoration. "Je sais mon ange, je sais... Mais je m'en sors toujours tu sais bien... Je t'ai dit que je te reviendrais toujours. Il faut que tu me fasses confiance, que tu fasses confiance aux Tigrovi aussi. Camenko ne m'aurait pas laissé. Je te jure que c'est moins dangereux ici que dans le Bronx." Ce n'est pas qu'il y a moins de danger c'est juste que je suis mieux entouré et ici je connais les règles, les codes. j'ajoute, parce que ça m'ennuie vraiment ce qu'a dit Dimitri. "Nina, je t'aime mon amour. Tu sais...si tu as envie d'aller à NY, on peut y aller tous les deux."

​Je grogne mais ne le contredis pas, parce que je sais bien au fond qu'il a raison ! J'ai besoin de repos, et d'encaisser ce qu'il s'est passé, c'est surtout ça. Parce que je ne suis pas habituée à ce genre de violences, j'ai l'habitude d'être violentée physiquement, frappée notamment, malmenée, surtout par des hommes qui payaient pour avoir le droit de me faire mal... C'est gravé dans ma chair, bien malgré moi, et j'ai d'ailleurs pu analyser par la suite, en thérapie notamment... Je sais aujourd'hui que si je n'ai pas fui à nos débuts face à la violence de Slavenko, à la laverie ou bien après qu'il m'ait frappée, c'est parce qu'une partie de moi considérait comme normal qu'un homme me fasse du mal. Une femme sensée, sans mon passé, aurait prit ses jambes à son cou dès le premier jour. Je sais... Je vais me reposer, je te le promets... Mais je ne suis plus si fragile qu'avant, tu sais...? En revanche, ce que j'ai besoin d'encaisser parce que je n'y suis pas habituée, c'est la violence de la guerre, les balles qui fusent, l'accident de voiture, le kidnapping...

Je dodeline de la tête quand il me demande de faire confiance aux Tigrovi. Je sais bien qu'il ne t'aurait pas laissé... Mais j'étais pas là. Pendant un an et demi j'étais pas là pour veiller sur toi, pour panser tes blessures, pour prendre soin de toi... Je suis là maintenant... Tu comprends...? C'est lui qui s'en est allé mais c'est moi qui culpabilise, chaque fois que je vois les nouvelles cicatrices sur sa peau, d'avoir été absente. A la mention de New-York, mon cœur se serre et je secoue la tête. Tu n'as pas vraiment aimé New-York la dernière fois... Il faudra que j'y retourne bientôt...

"Tu n'as jamais été fragile. Ce qui ne m'empêche pas de vouloir prendre soin de toi, ti si moje zlato malo." Quand je l'ai connue, elle venait quand même d'échapper à une redoutable organisation et elle s'en sortait pas si mal si vous voulez mon avis. C'est plutôt moi qui lui attire des emmerdes, sinon elle s'en sortirait bien. Après tout, elle a surmonté mon départ, construit une autre vie avec un business florissant et l'arrêt de la dope dure - je passe sous silence la kétamine.

"Je sais que tu es là, moj andjeo et ça compte pour moi." Elle sait déjà que je n'ai pas l'habitude d'être couvé, surement pas ! - on assure mes arrières et je peux dire que mon frère ou mon père s'inquiètent de moi si je suis dans une situation borderline en mission ou si je suis grièvement blessé mais personne ne se soucie de moi comme Nina. "Tu prends soin de moi, scre."

Je passe mes bras sur sa taille, coincés entre elle et le fauteuil et j'appuie mon visage contre son giron, plus confortablement, parce que franchement ma posture craint niveau confort. "Boaf, ça peut pas être pire que la dernière fois et j'ai envie de venir avec toi. Ou je te rejoins deux jours sur les quatre ou la semaine...je sais pas combien de temps tu veux partir. J'ai pas envie que tu penses que ça m'est égal ton boulot ou ce que tu fais là-bas."

​Je dodeline de la tête, je trouve qu'on a quand même une conception bien différente de ce qu'est la fragilité, si vous voulez mon avis. J'ai beau ne jamais en parler, je n'oublie pas que je prends de la kétamine quotidiennement, que je pleure très facilement (même si moins qu'avant je crois ?) et que j'ai toujours un mal fou à dormir dans le noir, par exemple. Je lui concède pourtant dans un sourire. Non, c'est vrai... Et j'aime que tu prennes soin de moi... C'est pourtant quelque chose que j'ai eu beaucoup de mal à accepter lorsque je l'ai rencontré, il voulait à tout prix me protéger, me venger, veiller sur moi, et je refusais catégoriquement de me laisser faire. Il m'a mâtée, peu à peu, et ça a été long c'est vrai... Mais une fois que j'avais baissé ma garde, je n'ai jamais pu revenir en arrière. Et j'ai eu beaucoup de mal à me défaire de l'infantilisation dans laquelle il m'avait plongée. Aujourd'hui que je l'ai retrouvé, je suis toujours tentée de me laisser faire à nouveau.

Je hoche doucement la tête. Oui, je veux prendre soin de toi... Et j'ai besoin que tu me laisses faire. Je sais pertinemment que ce n'est pas dans ses habitudes par exemple et qu'il n'en ressens pas vraiment le besoin, mais moi si ! Et c'est important pour moi, d'être son refuge, de m'occuper de lui d'une façon bien différente que ce que son frère peut faire par exemple. Et non, je ne parle pas de sexe !
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Je grimace légèrement. Je pense que je vais devoir y aller une semaine complète cette fois... J'ai des choses à régler sur place. Et tu peux venir aussi longtemps que tu veux, même toute la semaine si tu veux, tu sais bien que je te veux toujours près de moi... Seulement je ne veux pas que tu te sentes obligé, d'accord ? Quand je parle de choses à régler, je parle notamment de la vente de mon appartement, parce que moi je veux toujours qu'on ait une maison ensemble et même si ce n'est pas pour tout de suite, je pourrais au moins garder l'argent de côté pour quand il décidera que c'est le bon moment. Je remonte mes mains le long de son dos, passe mes doigts sur sa nuque puis dans ses cheveux dans un soupir. Je crois que j'ai besoin de dormir... Tu m'en veux si je vais me coucher une heure ou deux ?

Je sais que c'est malsain, on me l'a assez dit mais j'ai besoin qu'elle ait besoin de moi. Je déteste me sentir inutile, j'ai l'impression de ne pas exister sinon. Pourquoi m'aimerait-elle si je suis inutile ? Même si je sais ce raisonnement stupide, et que lorsque j'y réfléchis je sais bien que ce ne sera jamais pour ça qu'elle est avec moi, une part de moi ne peut se défendre de ce ressenti. Alors je comprends qu'elle ait ce même besoin. "Je sais moj andjeo, on est pareil toi et moi"

"Dis moi quand ce sera et je verrais ce que je peux faire srce. C'est long toute une semaine." C’est long pour être séparé même si parfois ça peut nous faire du bien. Je ne sais pas trop. L'idée même d'être éloigné d'elle trop longtemps me terrifie et me retourne les tripes, de jalousie bien sur, du manque par anticipation aussi.

"Bien sur que non mon cœur. Ce serait bien que tu te reposes pour qu'on puisse partir demain matin. Durant ce temps, je vais appeler mon cousin et organiser notre voyage, et je passerais au QG. Ça ira ? Tu laisses l'appartement bien fermé sans ouvrir à personne. Je te laisse un flingue pour te rassurer, mais le ménage a été fait, t'as pas de raison de t'inquiéter." Je reprends sciemment l'expression de Dimitri. Je ne lui aurais pas répondu, mais à Nina c'est bien sur différent. Je veux qu'elle sache que je fais le nécessaire, que je ne laisse pas les choses au hasard.

​Je ne comprends pas du tout sa phrase dans le même sens que lui, quand il me dit qu'une semaine c'est long, je pense au contraire qu'il fait référence aux Tigrovi et au fait qu'il aura du mal à s'absenter si longtemps. J'ai pas encore pris les billets, on peut se mettre d'accord ensemble, regarder les dates qui posent le moins problème pour toi. Si tu peux venir même quelques jours c'est bien... On choisira l'hôtel ensemble cette fois. Je me doute bien qu'il ne restera pas toute la semaine, mais j'avoue que moi aussi, l'idée de me séparer de lui si longtemps me déplaît. C'est fou comme mon humeur oscille, quand tout à l'heure au QG j'ai envisagé l'espace d'un instant de partir à NY pour de bon !

Je suis un peu déçue qu'il ne vienne pas se coucher avec moi, je l'admets, mais je comprends qu'il doive passer au QG si on veut pouvoir partir quelques jours tous les deux. Alors j'acquiesce, essaie de ne pas lui montrer que je flippe un peu à l'idée de rester toute seule. Un peu de courage Nina. Mais oui ça ira, t'en fais pas, je vais dormir comme un bébé, je réaliserais même pas que t'es parti. Je lui offre un sourire rassurant et me penche pour l'embrasser avant de lui faire signe qu'il peut se lever. Je vais surtout profiter de son absence pour prendre une pilule et ouais, je pense que ça m'aidera à dormir !​