War, blood, love - Slavina

Je hausse les épaules, me force à esquisser un sourire. Non mais c'est pas une mauvaise idée... On a besoin d'argent après tout, je vais pas faire la fine bouche. Si on me propose de l'argent facile, ce serait idiot de refuser seulement parce que le challenge n'est pas à la hauteur de mes ambitions, non ? D'autant que mes ambitions sont assez basses en ce moment, dans cette ville et compte tenu du contexte. Alors pourquoi pas. Au moins ça m'occupera en son absence, et il est de plus en plus souvent absent depuis qu'il ne travaille plus pour Ymke. Je savais bien que ses horaires seraient plus compliquées, pour autant je n'imaginais pas qu'on se verrait si peu. J'étais encore trop naïve, je crois.

Je pose ma tasse de café à moitié vide, me tourne légèrement vers lui pour écouter ce qu'il me raconte. Je secoue la tête. Non, j'ai pas regardé la télé... Enfin même si je l'avais vu, j'aurais sans doute pas fait attention, tu ne m'en avais pas parlé. Je fronce le nez, tente de deviner la suite puisque de toute évidence, la mission n'est pas terminée. Donc tu restes à Sarajevo pour l'instant...?

Le on a besoin d'argent me blesse. C'est faux. De l'argent elle en a, c'est moi qui n'en ait pas assez. Je ne réponds rien du coup, préférant laisser mourir le sujet.

"oui, bien sur. Je reste à Sarajevo." J'ai demandé à revenir dans ce groupe ci expressément. Damir me l'a accordé parce qu'il savait que je m'entêterais et qu'il n'avait pas d'objection majeure à opposer à ce choix. "Je vais bosser ici dès demain..." Ce qui signifie pas de réel repos, mais c'est que la mission n'est pas finie. "On va essayer de rattraper la merde qu'a fait Filip." je ne sais pas pourquoi je lui parle de ça, parce que visiblement, elle n'a rien suivi à l'affaire et que de toute façon, elle n'y comprendra rien. Je crois que c'est une façon de me justifier, de justifier mon travail et donc mes absences. Pourtant, j'ai pu aller à NY, puis au chalet de mon cousin avec elle, cela devrait compter aussi mais ce n'est pas ce que je lis dans son regard.

Il y a de toute évidence une certaine tension entre nous, et je ne sais pas si elle est uniquement de mon fait ou si lui aussi se sent mal. Je ressens un certain soulagement de savoir qu'il va pouvoir rester à Sarajevo, mais la façon dont il énonce la phrase suivante me fait parfaitement comprendre que ça ne signifie pas qu'il va être libre pour autant. Si j'ai de la chance, on parviendra peut-être à se croiser deux ou trois heures le soir, ou le matin, entre deux sorties, je pense que c'est comme ça que ça va se passer. Filip ? Je répète en fronçant les sourcils, parce que je ne sais pas du tout ce dont il veut parler... Et pour être honnête, je ne suis même pas certaine de m'en soucier réellement, qu'est-ce que ça change au fond ? Anxieuse, je finis par demander malgré tout : Tu es en repos combien de temps, là...?

J'ai un geste vague, je sais qu'elle ne pose la question que comme ça, sans réelle curiosité. "Le type à l'origine de ce merdier qui dure depuis des mois... C'est le fils d'un gros ponte alors, c'est à nous d'essayer de lui garder le cul propre" Je hausse les épaules en essayant de ne pas prendre trop à cœur la tension dans la voix de Nina lorsqu'elle pose la question. "je dois passer au QG demain dans l'aprem, et demain soir, je mange avec on père chez un de ses amis. Après je sais pas...ça dépendra de ce qui se passe. J'espère que ça va se tasser...au moins à Sarajevo..." Je me retiens in extremis de m'excuser. Je n'ai rien fait de mal en fait. C'est juste mon boulot. Elle sait bien que je ne suis pas un fonctionnaire. Y a toujours eu un truc qui clochait à cause de mon boulot et Nina, ça n'a jamais réellement collé, mais ce que je déplore c'est que ce soit au point de la rendre malheureuse. Est-ce que ça avait pesé dans la balance quand j'étais parti ? Oui, je crois que oui et aujourd'hui le problème n'était pas résolu, loin de là. Je demande de ce ton hésitant que j'ai quand j'ouvre ma gueule alors que je devrais la fermer "Nina...tu m'en veux ?" Mais je crois que je préfère encore me faire engueuler que cette sourde tension teintée de fausse indifférence.

Demain après-midi, sachant que c'est déjà la nuit, ça ne nous laisse en effet pas beaucoup de temps. Je m'y attendais un peu quand il m'a dit qu'il allait continuer à bosser ici, que la mission n'était pas terminée. De toute façon, je ne m'attendais pas vraiment à le voir rentrer ce soir, ce n'est pas comme s'il m'avait prévenue. Je note, malgré tout, qu'il n'est pas non plus là demain soir, et que bien évidemment je ne suis pas exactement invitée au repas auquel il se rend. Je crois que je ne le serais pas même si on était mariés, pour le coup. Je ne dis rien, prenant seulement note, essayant d'imaginer les prochains jours pour pouvoir me projeter parce qu'être dans le flou m'angoisse profondément.

Sa question me prend au dépourvu parce qu'il n'est d'ordinaire pas du tout du genre à vouloir crever l'abcès, même quand il sent que quelque chose ne va pas. Et à dire vrai, je me rends compte que je ne sais même pas comment lui répondre ! Non, je t'en veux pas... Mais si je ne lui en veux pas, alors pourquoi est-ce que je suis... dans cet état-là ? C'était... Désagréable. La façon dont tu es parti, de ne pas pouvoir te joindre, de ne pas savoir quand est-ce que tu rentrais... Je hausse les épaules, comme si c'était rien alors que ce n'est de toute évidence pas le cas. Ne pas pouvoir le joindre, me heurter à sa messagerie. C'était ça le plus difficile.

Sa réponse me peine. J'ai pourtant essayé de faire au mieux parce que je savais que mon départ était abrupt - je ne peux pas nier ce fait. Je lâche mon assiette, quasiment toujours pleine vu que notre simili-conversation m'a stoppé dans mon élan et que je n'ai plus vraiment faim. Et puis ma préoccupation première c'est pas la bouffe, loin de là ! "Je ne savais pas moi-même quand j'allais rentré... On nous dit pas toujours tout, et en plus là ça dépendait vraiment des événements." Je tends la main vers elle pour finalement me lever et m'approcher jusqu'à pouvoir poser mes mains sur ses bras, un demi-pas suffit.

"Si tu m'en veux qu'est-ce qui va pas ? J'ai l'impression que .... que y a un problème, que j'ai fait quelque chose de mal ou..." Je soupire, je ne sais pas du tout comment faire pour ne plus lui voir ce regard triste et résigné tout à la fois. Je devrais me justifier de quelque chose ou m'excuser. Peut-être que c'est juste ça, je dois m'excuser même s'il n'y a rien. Je veux bien ravaler ma fierté et le faire si ça la fait se sentir mieux. Je me risque à dire sur un ton penaud "Je suis désolé zlato..." La vérité, c'est que je suis désolé de la rendre si malheureuse. Je crois que ça a toujours été notre drame mais je n'arrive visiblement pas à me faire une raison.

Je secoue la tête, la culpabilité me poignant, refoulant les larmes qui me montent aux yeux parce que merde, ça va bien cinq minutes d'être une putain de fontaine comme ça. Je tends les bras vers lui quand il se lève, ma rancœur fondant comme neige au soleil face à son air désemparé. Arrête je sais bien, je t'assure que je sais... Comme il s'est suffisamment approché, je passe mes bras autour de sa taille, pour le ramener plus près de moi encore. Je pose ma joue contre son ventre quand il s'excuse alors qu'il n'a objectivement aucune raison de le faire. T'as rien fait de mal, moja dusa, c'est moi qui suis désolée... Tu sais bien que je suis trop sensible et que je m'inquiète toujours trop... C'était difficile de ne pas réussir à te joindre... Je pose mon menton sur son ventre pour lever les yeux vers lui. J'ai eu peur en tombant sur ta messagerie... J'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose. Je sais bien que c'est ridicule et que tu peux pas vraiment te trimballer avec ton téléphone en mission, et je suis désolée, c'est juste... J'ai eu peur. Et là, la pression peine un peu à retomber. Je soupire, agacée par mes propres réactions. Je suis désolée... Ça doit être épuisant pour toi de devoir gérer ta mission et... Gérer mon stress en même temps...

Je renifle, hausse légèrement les épaules. C'est encore nouveau pour moi, le fait que tu partes plusieurs jours... Faut seulement que je m'habitue, je t'assure que ça va aller. Et je ne parle pas du manque, vraiment, je ne suis plus si immature, bien-sûr il me manque mais je peux survivre ! Je parle sincèrement de l'inquiétude de le savoir loin, en danger potentiel, de ne pas pouvoir veiller sur lui. Je fronce le nez, honteuse, embrasse sa peau pour me faire pardonner. Si j'avais su que tu rentrais j'aurais préparé a manger, j'aurais rangé l'appart... Pour tenter de détendre l'atmosphère j'ajoute dans un sourire : J'aurais mis une jolie nuisette...

Je n'ai pas du tout l'impression de n'avoir rien fait de mal - enfin si mais pas à ses yeux - et je n'ai pas l'impression non plus que tout va bien, qu'elle va bien, que notre couple là tout de suite va bien. C'est d'autant plus dur qu'après NY, ça allait beaucoup mieux et je suis désemparé devant son attitude. En plus je culpabilise en me disant que je suis sans doute trop insensible, trop égoïste pour comprendre. Je plonge mon regard dans le sien quand elle tente de m'expliquer et je secoue doucement la tête. "Mais srce...s'il m'arrivait quelque chose, vraiment quelque chose, on te préviendrait..." Humm ouai c'est pas vraiment le genre de phrase rassurant mais quand je lui dis qu'il ne m'arrivera rien, elle ne me croit pas. Je remonte mes bras autour de ses épaules, l'enlaçant d'un geste maladroit tout comme ce que je ressens. "C'est pas épuisant...c'est juste que je sais pas quoi faire...J'ai pas envie que tu stresses que t'aies peur ou que tu t'inquiètes. Ni que tu sois malheureuse..."

Ma peau frissonne sous son baiser et j'esquisse un sourire. "j'adore les œufs, et j'adore quand tu as ton vieux leggings ou que tu mets mes tee-shirts..." Je l'ai toujours trouvée hyper sexy en cambrioleuse et ça n'a pas changé. Je caresse l'ovale de sa joue dans des chatouilles tendres. Je ne suis pas totalement rassuré figurez-vous parce que je sais qu'en grande partie, elle donne le change. Je soupire légèrement, ça ne va de toute façon pas se résoudre en dix minutes. "tu reviens te coucher avec moi ou tu veux que j'allume la cheminée dans le salon ? On pourrait se vautrer dans le canapé tous les deux..."

Je lève sur lui un regard absolument effaré à l'idée qu'on vienne m'annoncer un jour qu'il est mort. Je crois bien que je me mets à trembler à cette seule pensée. Et une pensée, effrayante, me traverse soudain. Tu promets Slavo ? On n'est plus mariés, tu crois qu'on me préviendra quand même ? Tu as demandé à Camenko ? Je ne fais pas confiance à son oncle, ni à son père pour me tenir informée, ils me considèrent si peu qu'ils seraient capables de ne simplement pas y penser. Je le serre plus fort glisse mes jambes entre les siennes dans une position sans doute inconfortable pour lui. C'est pas vrai, je suis pas malheureuse... Je m'inquiète. Je m'inquiète beaucoup trop, je sais, et je suis désolée... Mais je suis pas malheureuse Slavo... Je l'ai sans doute été ces derniers jours, à cause de l'angoisse, mais je ne le suis pas au quotidien avec lui, bien au contraire. Depuis New-York ça va beaucoup mieux.

Sa main glisse sur mon visage et je soupire, secouant la tête. Non, t'embête pas à faire un feu, y a le chauffage à bloc dans la chambre... Tu veux pas finir ton assiette d'abord ? Je m'en voudrais trop de lui avoir coupé l'appétit ! Mais contrairement à moi, il est parfaitement capable de se forcer à manger et j'attends qu'il ait gobé les restes de son déjeuner de nuit. C'est seulement quand c'est fait que je me lève, et qu'on regagne la chambre ensemble, pour se blottir l'un contre l'autre sous les couvertures parce que devinez quoi ? J'ai froid. Je me glisse entre ses bras, frotte doucement mon nez à sa peau pour me repaître de son odeur. C'est ridicule... Tu t'en es tiré pendant quarante balais sans blessures vraiment vitale et chaque fois que tu pars je panique comme si t'allais jamais rentrer. J'ai un lourd soupir, désolé cette fois. Tu m'en veux...?

"Mais bien sur zlato, on vit ensemble... Camenko le sait bien, il fera le nécessaire. Je t'assure que t'as pas besoin de t'inquiéter comme ça." Je lui fait une place contre moi, en m'appuyant contre la table de cuisine pour garder l'équilibre. Je sais que j'ai souvent du mal à interpréter les sentiments, alors peut-être que c'est simplement de l'inquiétude, qu'elle n'est pas malheureuse, je ne sais pas... J'essaye d'avoir cette certitude dans on regard sombre, le puits de ses yeux me happant. Depuis que je la connais, ça a toujours été ma plus grosse crainte, ne pas être le bon, celui qui la rend heureuse, le pire c'est que je me suis rendu compte que c'était mon problème en fait ! Elle dit souvent que j'imagine ce qu'elle pense, ressent, et c'est vrai. Je panique total quand il s'agit de Nina. C'est très difficile pour moi d'avoir du recul mais je m'y efforce.

Je termine sagement mon assiette en quelques grosses bouchées et nous regagnons la chambre. Elle se love contre moi, petit animal frileux et câlin et fonds d'amour. Comment est-ce que je pourrais lui en vouloir ? "Mais non zlato, bien sur que non... Mais tu devrais me faire confiance pour m'en sortir, tu sais bien que je tiens à ma peau. En plus je m'inquiète parce que tu t'inquiète et on va jamais s'en sortir ! C'est assez rare qu'on parte si longtemps ceci dit... la situation est exceptionnelle...ça devrait se tasser les prochains jours et je rentrerais tous les jours même si j'ai des gros horaires. Et dès que je peux, je prendrais des jours quand tu seras libre aussi. Tu sais... si je bosse beaucoup, on pourra acheter la maison plus vite. Ou au moins le terrain. C'est pas négligeable, non ? "

J'espère très sincèrement que son frère m'estime suffisamment pour me prévenir d'un tel drame. C'est ma hantise je crois, ne pas être considérée comme suffisamment importante. Est-ce que j'aurais le droit de prendre part à quoi que ce soit ? Pour la première fois, je crois que je regrette d'avoir demandé le divorce, parce que n'être plus officiellement sa femme me fait peur quand on sait à quel point son métier peut être dangereux au quotidien... Et je réalise également que j'ai tendance à toujours vouloir parler de lui comme étant mon mari, l'idée que ce ne soit plus le cas me fait bizarre et je ne suis pas vraiment sûre de l'assumer. D'ailleurs je n'ai pas vraiment parlé de notre divorce autour de moi si vous voulez tout savoir.

Eh, je te fais confiance. C'est les autres le problème. Et je ne parle pas des Tigrovi, non, mais de leurs ennemis. Je vois bien l'inquiétude dans ses yeux et je fronce les sourcils, désolée de le blesser. Non, c'est pas négligeable... Ca me dérange pas que tu doives bosser beaucoup, moi aussi j'ai du travail de toute façon. En ce qui concerne la maison, j'essaie de mettre ce projet de côté pour le moment, parce que je sais qu'il n'aura pas l'argent tout de suite, et je fais finir par être déçue... J'aurais voulu commencer à chercher dès maintenant mais j'ai toujours manqué de patience et il est temps que je me fasse une raison. Je veux pas que tu t'inquiètes pour moi, ce sera plus facile si tu es à Sarajevo. T'en fais pas, je gère, je t'assure.

J'étouffe un rire amusé quand elle dit que c'est les autres qu'elle n'a pas confiance. C'est ce que je dis quand je suis jaloux. Je sens qu'elle essaye de me rassurer en minimisant et je lui en suis reconnaissant même si je ne suis pas totalement idiot. "Je m'inquiète de toi, de ce que tu peux penser de moi, de nous... Écoute..." Je ne sais pas comment le dire et ça me chagrine, comment trouver les bons mots ? Je reste quelques secondes silencieux, comme si ça pouvait me permettre d'être soudain plus juste dans mes paroles, ce qui est rarement le cas. Mes doigts se promènent lentement sur sa peau tandis qu'on parle. Je crois que ça m'aide à réfléchir ou au moins à trouver les mots justes, peut-être bien que c'est une illusion, mais ça m'aide. "Je sais que t'as peur que je revienne pas, parce que... parce que j'ai déconné par le passé. Mais Nina, je ferais pas l'erreur deux fois, crois-moi. Je suis con mais pas à ce point... humm ? Tu sais, je me dis que c'est le Destin qui nous a réuni et on peut pas lutter contre ça, pas vrai ? Je vais essayer de mieux te rassurer ou te tenir au courant, mais je fais pas toujours comme je voudrais. J'aimerais que tu saches que je vais revenir - quand je pars en mission, quand je bosse, peu importe, je vais revenir Nina." J'ai accepté de rester même en divorçant, j'accepte de rester même si elle se montre distante ou si elle se fout en rogne contre moi, j'accepte de rester tant qu'elle ne me dit pas de me barrer, qu'elle ne m'aime plus ou qu'elle ne veut plus de moi. Et si un jour je ne reviens pas c'est que je serais mort cette fois, mais je crois qu'il vaut mieux ne pas insister sur ce détail. J'ai pas envie qu'elle hyperventile de stress.

Sa tirade me rassure autant qu'elle me peine, dans une ambivalence très étrange mais finalement habituelle pour moi, en ce qui concerne notre relation en tout cas. En tout cas il me perce à jour, parce qu'il est assez évident que la peur qu'il lui arrive quelque chose n'est pas la seule chose qui me fasse douloureusement angoisser. J'ai fini par comprendre qu'il ne se rendait pas compte, qu'il ne pourrait jamais se rendre compte de ce que j'avais traversé. Tout simplement parce qu'il n'est pas moi, parce que nos réactions sont terriblement différentes. Et si moi j'étais partie comme il l'a fait, je suis sûre qu'il n'aurait pas sombré si bas. Parce qu'il est résilient, qu'il a un instinct de survie que je n'ai pas. Comment pourrait-il comprendre dans ces conditions ? Quand la personne qu'on aime nous quitte, on déprime mais on s'en remet. Moi je suis devenue folle. Et ça, pour le coup, ce n'est pas de sa faute.

Son regard me happe sans que je puisse m'y soustraire et pourtant cette fois j'aimerais bien parce que je me sens mal à l'aise... Je sais qu'il faudrait que j'arrête de penser au passé sans cesse, d'analyser son comportement pour tenter de deviner s'il me déteste, s'il m'en veut, si notre relation l'épuise, s'il va finir par partir encore. Je fais la seule chose que je me sens capable de faire en cet instant, je hoche doucement la tête et je répète tout bas, comme un serment : Tu vas revenir...

Je hoche la tête doucement "oui c'est ça. Je vais revenir." Je la récompense d'un baiser, d'abord effleurement de mes lèvres sur les siennes, yeux dans les yeux, puis ma langue qui se fraye doucement un chemin pour un baiser plus voluptueux, infiniment amoureux et tendre aussi. Mon amour n'a jamais été en cause, seulement ma persévérance, ma capacité à encaisser, mais aujourd'hui je sais que c'est bien plus dur de la laisser en arrière que de rester. Le baiser se prolonge, j'aspire ses lèvres, les mordille gentiment. Je la relâche, mon nez collé au sien, les yeux clos "Je vais revenir et je vais rester et si un jour on n'est plus ensemble c'est parce que c'est toi qui ne voudra plus de moi. Je te le promets zlato." J'ai sans doute fait une multitudes de promesses que je n'ai pas tenues, sans m'en rendre compte, sans mauvaise volonté de ma part, mais celle-ci je suis très sérieux. Si elle ne me dit pas de me tirer, je reste même si un jour ça signe notre perte. J'accepterais tout d'elle. Je ne dis pas que je ne me mettrais jamais en colère, que je ne me révolterais pas mais au final je reste. J'ai accepté que c'était l'amour de ma vie, et même ma raison de vivre, que sans elle tout est trop gris, trop terne, qu'on a beau se faire souvent du mal, le pire c'est l'absence et l'indifférence. Aujourd'hui j'ai décidé de mettre la balle dans son camp, c'est la moindre des choses après ce que j'ai fait.

Je ne sais pas s'il réalise que je n'ai pas peur qu'on ne soit plus ensemble... Enfin, si, bien-sûr que l'idée d'être à nouveau séparée de lui me dévaste, mais je veux dire que ce n'est pas une chose qui m'angoisse au quotidien. Je ne passe pas mon temps à flipper qu'un jour il me dise que c'est terminé. Je ne dis pas que ça ne me ferait rien, bien au contraire, mais c'est loin d'être ma préoccupation première. Non, j'ai peur de l'abandon, de la disparition soudaine, de ne pas avoir le droit à des explications, de ne plus rien savoir, de me réveiller un matin et d'être toute seule sans comprendre pourquoi. C'est ça qui m'effraie. Et c'est ce que j'ai tant de mal à pardonner, ce pourquoi je peine à lui accorder ma confiance à nouveau. Mais de façon plus objective, je crois aussi qu'il ne me ferait pas un tel affront deux fois... En tout cas j'ose l'espérer, que cette fois s'il veut partir il aura le courage de me le dire en face.

Son baiser si doux me liquéfie toute entière et je me redresse pour mieux glisser mes mains dans ses cheveux, encadrer son visage. Je soupire tout bas contre ses lèvres : Je ne veux pas t'enchaîner, Slavo... Bien-sûr que je veux que tu restes, je veux passer ma vie avec toi... Mais je ne veux pas qu'un jour tu restes avec moi par dépit, ou parce que... Parce que tu crois me devoir quelque chose... Ses paroles me font presque peur, on croirait qu'il a l'intention de se résigner, de passer le reste de sa vie à se forcer s'il le faut ! Je veux seulement plus que tu partes comme tu l'as fait... J'y survivrais pas deux fois... De mes pouces, je caresse doucement ses joues, frotte mon nez au sien dans un geste tendre. Mais j'aimerais surtout que tu n'aies plus envie de partir...

J'ai une moue de réflexion à ses paroles. Bien sur que je crois lui devoir quelque chose, c'est même profondément ancré. D'une part je dois mériter son pardon, d'autre part, je dirais qu'elle a comme un bon "droit à une connerie" écrit dessus. Est-ce que ça ne serait pas juste ? Équitable ? D'autant que je lui impose de vivre ici. Comme elle l'a dit, son premier choix ne serait pas de vivre à Sarajevo, plutôt Madrid ou Barcelone... Pour autant je ne me sens pas enchainé. "tu crois pas que dans ce cas - si on en arrivait à ce point là - là tu me rendrais ma liberté ?" Moi je le crois. "Et je partirais plus comme je l'ai fait, je partirais plus...je...j'ai réalisé certains trucs." Ce serait compliqué à expliquer mais c'est un fait.

"humhumm j'ai pas du tout envie de partir srce moje." Un sourire à la fois tendre et moqueur, teinté de cette ironie qui est la ligne conductrice de ma vie, j'ajoute "mais j'te jure que si tu me laisses pas dormir, je demande le divorce." Comment ça on a déjà divorcé ? Ah oui c'est vrai ! oups !

Ah, voilà, c'est donc comme ça que ça se passe. C'est un de ces moments où tout va bien, où on parvient à communiquer sans se détruire... Et soudain une phrase, un petit mot vient tout foutre en l'air. D'ordinaire je ne les vois pas arriver, ces moments-là, et c'est une fois au cœur de la tempête que je me demande comment on en est arrivés là. Mais cette fois, allez savoir pourquoi, je le vois venir, et je cille. Te rendre ta liberté ? Tic. Tac. Tic. Tac. Les battements de mon cœur sont soudain comme un minuteur, le décompte avant l'explosion. Explosion qu'on peut encore éviter, j'en suis sûre... Mais si, on y croit ! Parce que tu as le sentiment de ne pas être libre ? Je fronce les sourcils. Je suis justement en train de dire l'inverse... Que tu peux pas juste... Je sais pas, attendre que ce soit moi qui te laisses partir, que c'est à toi de le dire si tu veux t'en aller. Alors quoi, je dois guetter, voir s'il est mal, s'il ne sent pas bien, et si ça arrive ôter les menottes qu'il est persuadé d'avoir aux poignets ? Sa plaisanterie me passe complètement au-dessus de la tête, à tel point que je ne renchéris pas sur le divorce alors que ça irait pourtant très bien avec ce que je m'apprête à dire. C'est ça que tu penses ? C'est pour ça que t'es parti ? Parce que je te retenais contre ton gré ?

Je suis pris au dépourvu par sa question, sentant la tension soudaine de sa voix, de son corps contre le mien. J'en suis étonné, ne comprenant pas vraiment le sens de sa question. Je parlais de quelque chose d'hypothétique qui n'était même pas censé arriver. Est-ce qu'elle a compris autre chose ? Visiblement oui parce que la suite de ses questions me laisse pantois.

"Mais....c'est pas ce que j'ai dit!" Déjà la notion de liberté chez un mec qui appartient comme moi à une organisation paramilitaire et mafieuse et ça quasiment depuis son enfance reste très très mais alors très floue ! Autant dire que c'est pas ma priorité. En plus j'ai toujours aimé avoir ce sentiment d'appartenir à Nina, c'est même un des points essentiels. Je me ferme sous l'inquiétude et le malaise que provoque ça question "ça n'a rien à voir et j'ai jamais pensé ça."

Il se braque à son tour et on se retrouve subitement dans la même impasse qu'à chaque fois. Incapables de communiquer, ou plutôt de comprendre les ressentis de l'autre. Pas ce qu'il a dit ? Ça y ressemblait drôlement pourtant. Comme je le sens qui se tend, se crispe, je m'éloigne de sa peau, et c'est sans doute la pire chose à faire dans ces moments-là mais je ne voudrais pas en plus me sentir étouffante. Je bascule sur le dos, la gorge nouée parce qu'il à beau protester, ses mots ont suffi à distiller le doute dans mon esprit. C'était ce qu'il attendait, après l'avortement ? Que je lui rende sa liberté ? Et je n'ai pas su voir les signaux qu'il m'envoyait ? Je n'étais pas au courant que je la lui avais prise, pour être honnête, parce que malgré nos déchirements il a toujours fini par faire exactement ce qu'il voulait sans se soucier de mon avis. Je crois qu'il a la mémoire courte. Je finis par souffler, contrariée : Tu me laisserais un post-it, quand il sera temps d'ouvrir ta cage, hein, parce que visiblement je sais pas analyser les signaux que t'envoies.

Je tombe des nues - qu'est-ce qui s'est passé en fait ? - et la fatigue et l'incompréhension aidant, la colère fuse dans une exclamation gutturale "Mais putain mais j'ai jamais dit ça !" Je me bats furieusement pour sortir des draps qui eux m'emprisonnent et je me tire dans le salon ! Je suis soufflé et furieux d'une telle injustice à me tomber dessus alors que je disais des trucs ... bien. En tout cas c'était mon intention. Et on a dit qu'il fallait que j'essaye de communiquer pour désamorcer les conflit, ah ben bravo, c'est pas une réussite ! J'aurais surement mieux fait de dormir plutôt qu'essayer de savoir pourquoi elle allait mal.

Je m'allonge et j'attrape le plaid que j'enroule autour de moi. La cheminée est éteinte et nu comme je suis il fait un peu froid dans le salon, même pour moi. J'ai le sentiment amer qu'elle cherchait de toute façon une excuse pour qu'elle s'engueule et qu'elle puisse vider sa frustration et sa colère parce que je l'ai laissée pour partir en mission. Je trouve ça infiniment injuste ! Je bourre un coussin d'un coup de poing avant de le fourrer sous ma tête. Autant dormir !

Je ne cherche même pas à surenchérir parce qu'on ne sera de toute façon pas d'accord sur ce point. Si ce n'est pas ce qu'il a dit, je me demande bien de quoi il causait en me demandant de bien vouloir lui rendre sa liberté si d'aventure il finissait par rester avec moi par habitude. Putain mais même en y repensant, tout cloche dans sa réponse ! Il aurait pu, j'en sais rien moi, dire qu'il ne se forcerait jamais à rester avec moi. Mais non. Non, il se forcera et c'est à moi de bien faire gaffe à lui demander de partir le jour où ça arrive. Qu'il aille se faire foutre. Je le suis du regard en me demandant d'ailleurs si c'est ce qu'il a l'intention de faire quand il quitte la chambre. Immobile, muette, j'attends d'entendre claquer la porte d'entrée mais rien ne vient. Je ne sais pas s'il est seulement sorti fumer sur le toit pour décompresser ou s'il compte dormir dans le salon mais je ne vais pas vérifier.

De nouveau, je bascule sur le flanc, me recroqueville sur moi-même en récupérant son coussin que je cale entre mes jambes serrées. Longtemps, je reste ainsi à ruminer avant de finalement craquer pour pleurer un coup. Il fallait bien que ça sorte, ça menaçait depuis le début de la soirée de toute façon... Je finis par m'endormir, tombant de fatigue parce que je n'ai quasiment pas dormi les jours précédents.

 J'ai beau bouillir, avec le peu d'heures de sommeil que j'ai au compteur ces trois derniers jours, je finis par m'endormir comme une pierre. J'ai bien fait de quitter la chambre parce que je crois que je n'aurais pas pu dormir à coté de Nina faisant tout pour éviter de me toucher. C'est contre nature, alors autant dormir ailleurs. Comme j'ai promis de ne pas partir ailleurs quand on s'engueule, uniquement pour satisfaire à son besoin d'être rassurée, je dors donc dans le salon. Sinon j'aurais sans doute dormi au QG au risque d'alimenter la rumeur sournoise. Je sais que demain j'aurais une grosse journée, suivi d'une soirée et j'ai besoin de dormir, de récupérer un minimum pour être opérationnel. Là je sens que je suis parti pour dormir non stop jusqu'à midi au moins.

Je ne dors pas très longtemps, et d'un sommeil agité. C'est en me réveillant d'un cauchemar au beau milieu de la nuit que je réalise qu'à trop forcer les doses ces derniers jours, j'ai vidé ma boîte de kétamine. Privée de palliatifs pour m'aider à me rendormir, le sommeil me fuit jusqu'au lever du jour malgré la fatigue toujours présente. J'attends que la lumière filtre par la fenêtre pour me décider à me lever, et je m'aventure silencieusement dans le salon pour y trouver Slavenko encore profondément endormi. On ne s'est pas vus de plusieurs jours et nos retrouvailles ont été une véritable catastrophe, bon sang mais qu'est-ce qui cloche chez nous ? Difficile d'arranger les choses quand je sais qu'il va devoir repartir bientôt et que je ne le reverrais probablement pas avant demain... S'il rentre. Vu la tension entre nous il pourrait tout aussi bien décider de rester dormir au QG.

Il y a deux ans je serais sortie de l'appartement, mais je sais aujourd'hui que la fuite ne nous mène nulle part et je ne crois pas qu'il se soit passé quelque chose de grave... Alors je déserte seulement le salon pour ne pas le réveiller, et je m'isole dans la chambre qui me sert de bureau pour bosser. À défaut de pouvoir dormir, autant être productive.

 Je finis par me réveiller, l'appartement est sans doute trop calme et puis j'ai froid. Je me lève et vais dans la salle de bain chercher un pull et un caleçon pour pouvoir aller fumer dehors. J'essaye de ne pas faire de bruit, je ne sais pas où est Nina. Dort-elle ? Est-elle partie. Cette pensée m'assombrit. J'ai dormi comme une masse, féline comme elle l'est, elle aurait pu sortir sans que je m'en rende compte. Je lance une cafetière avant de grimper sur le toit. Tigar en profite pour se faufiler dans la maison et se jeter sur ses croquettes. Je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé hier soir et je suis toujours en colère contre les événements, même si cette dernière est plus sourde.

Je vérifie l'heure, j'ai le temps de me préparer et même de manger avant d'y aller, seulement je n'ai pas faim. Je rentre et referme la porte fenêtre en frissonnant. Je me sers une tasse de café que j'emporte avec moi dans la salle de bain où se trouve la douche. Je me crame en buvant une gorgée en chemin et un juron bas m'échappe. Je pose la tasse sur le rebord du lavabo avant de me déshabiller pour prendre une douche. C'est vraiment pas du luxe, je ne sais même pas comment Nina a supporté mon odeur hier ! A nouveau l'évoquer m'assombrit. Je soupire. Il y a vraiment quelque chose qui cloche chez nous, ça je pourrais le lui confirmer ! Et je ne peux même pas dire que ce soit à cause de ma disparition, déjà avant dans le Bronx, c'était la même chose, ces dérapages pour un rien. Je frictionne mes cheveux qui redeviennent trop longs en m'interrogeant inutilement puisque je ne trouve aucune réponse.

Concentrée sur mon écran et silencieuse au possible, j'entends parfaitement que l'appartement s'anime, le bruit de la machine à café qui se met en route, de la fenêtre qu'on ouvre. Je m'immobilise, me demandant un instant s'il va me rejoindre avant de réaliser qu'il n'a probablement aucune raison de le faire. Si j'essaye d'analyser calmement et objectivement la situation, je ne comprends pas ce qu'il s'est passé. Je me suis braquée et vexée, c'est vrai, mais je n'ai pas haussé le ton, je n'ai pas crié, je ne me suis pas mise à pleurer non plus... En fait je commence à comprendre notre fonctionnement. Moi je me vexe bien trop rapidement, j'interprète mal ses propos (il faut dire qu'il s'exprime comme un manche, hein, excusez-moi) et le manque de confiance -en moi mais aussi en lui- ne m'aide pas à relativiser. Ok, je suis fautive sur ce coup-là. Mais lui aussi, parce qu'il est tout bonnement incapable de m'apaiser, ou même de chercher à désamorcer la situation ! Sa réaction quand je suis blessée par ses propos, même si je ne devrais parfois pas l'être, c'est toujours de se fermer comme une huître, de se mettre en colère, et de finir par se barrer. Je ne dis pas que c'est de sa faute, mais je persiste à penser que s'il était capable de juste discuter sans s'énerver, ce genre de situation ne dégénérerait pas autant.

Je me surprends à rêvasser la façon dont les choses auraient pu se passer... "Mais non mon amour, ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire..." Quelques baisers un peu trop langoureux pour appuyer ses propos et hop, c'était oublié ! Voilà, le problème ce n'est pas moi, je suis une femme, j'y peux rien. C'est lui, il ne sait pas y faire avec la gente féminine. CQFD. Je soupire, agacée parce que la situation est ridicule, et je me lève. Allez Nina, comporte-toi comme l'adulte du couple, hein ? Je passe brièvement par la chambre pour me désaper, et je le rejoins dans la salle de bain, fermant la porte derrière moi en posant les yeux sur lui. Je peux venir...?