BIG BAD WOLF | Maggy

Une odeur de tabac froid colle à ses fringues ce soir. La Feria a fait salle comble mais un abruti a mal digéré sa défaite à la roulette et a tiré une balle à blanc dans le plafond. Bien que l’incident ait été réglé en quelques minutes, ça a plombé l’ambiance, en même temps que la blancheur du plafond aux moulures d’une autre époque. C’est pour ça qu’il ne supporte pas les Serbes, incapable d’accepter qu’on ait été meilleur qu’eux. Et ce soir, celui la s’est retrouvé dans le pourcentage de défaite de Nikolaus, juste après lui avoir insufflé le bon nombre de victoire. Ainsi va la vie à la Feria.

Il allume une nouvelle clope, fouille dans sa poche pour en extraire un zippo dont la flamme vient rougeoyer contre le bâton de tabac. Un sourire sombre étire ses lippes alors qu’il voit une silhouette au fond de la rue. Ça fait longtemps qu’il n’a pas cogné, qu’il n’a pas laissé le loup l’emporter, qu’il n’a pas laissé la Bête gagné.
Et qui que ce soit, cette silhouette dans la nuit vient de devenir sa proie, et rien de bon ne pourra sortir de cette rencontre, c’est certain.
Il faut bien que quelqu’un paye pour la connerie du serbe qui a fait disparaître son sourire pour venir étirer de nouvelles rides sur son visage qui n’avait pas besoin de nouveaux ennuis. Lentement, il s’approche.
Lentement, il avale la distance.
Le silence est presque complet dans la rue ce soir. Il faut dire qu’à cette heure, les gens biens dorment déjà. - Bonsoir. Un écho caverneux qui vient frapper sur les murs des maisons, il ne veut pas que cette proie lui échappe.

Frêle, brune, de grands yeux, dans l'ombre de la nuit, elle a tout pour être la brebis que le loup veut se mettre sous la dent. Il est convaincu qu'il aura l'assurance, de toute façon, elles sont toutes pareilles. Ca joue les innocentes fleurs de printemps, et ça finit par sucer en pleine rue, contre quelques mots doux. Elles sont toutes pareilles, et elles ne méritent rien. 
Pas vrai? 

Plus depuis elle en tout cas.
Sa voix caverneuse frappe contre les murs et elle y répond, sans s'arrêter, d'une voix plus douce. Il esquisse un sourire en coin: elle ne s'arrête pas. C'est comme ça qu'elles sont les meilleures, quand elles pensent qu'elles peuvent encore s'échapper. Il fouille dans sa poche, en sort une cigarette trop forte qu'il fourre entre ses lèvres et l'allume d'un geste rapide. - Ben alors? On s'est perdue ma belle? Il n'a jamais été nécéssaire de respecter quelqu'un pour lui coller sa queue au fond de la gorge, il peut bien lui dire qu'elle est belle, il n'en pense pas moins que c'est une conne, une conne qui pense qu'elle est différente des autres, qu'elle est mieux sans doute.
Comme si quiconque avait déjà été meilleure qu'elle. - Sarajevo est une ville dangereuse tu sais? Il souffle, en se mettant à sa hauteur, plantant ses yeux trop clairs dans les siens.

Il a retenu son attention. Il savait que ça marcherait, oh bien sûr, ça n'est que le début, mais le poisson est ferré. Une seconde, Nikolaus laisse son regard glisser sur la jeune femme, il bouffe ses courbes du regard, désirant ses formes autant qu'il déteste son sexe. Les femmes sont des prisons, il a fait la sienne dans le coeur de la plus belle d'entre elle pour que la vie la lui arrache brutalement, et depuis, il crache sur chacune d'entre elles, ne prenant de plaisir qu'à les voir se donner, s'offrir, et perdre leur éclat au moment ou le sperme perle au coin de leurs lèvres. Les femmes n'auront plus raison de lui, sa perte l'a trop blessé pour qu'il se laisse reprendre au piège.

- Moi? Ma chérie, ne confonds pas les rôles. Son sourire est mauvais, tout crocs dehors, le Loup est prêt à mordre. Il n'a pas envie de faire dans la dentelle avec elle, il ne saurait dire pourquoi mais elle est de celles qu'il a envie de briser, sans doute parce que ses cheveux bruns la lui rappelle. Ou alors simplement parce qu'elle a l'air prêt à mordre, et que ça l'agace quand elles sont nerveuses. - Il serait dommage qu'il t'arrive quelque chose non? Il esquisse un sourire un peu plus sombre: - Je pourrais t'escorter, si tu fais un effort... Il papillonne, de ses grands yeux clairs, encore conscient de son charme malgré les années qui l'enferment dans sa solitude.

Le vieux ne sait même plus pourquoi il a commencé à jouer, la vérité, c'est qu'il a besoin de se passer les nerfs, mais quelque part en lui, quelque chose n'a même pas l'excitation nécessaire pour mener la partie. Elle a de l’intérêt, indéniablement, et sa bouche autour de sa queue en aurait probablement, le temps d'une quinzaine de minutes, peut-être moins si elle est douée, mais elle ne réglera rien.
Il le sait.
Et après elle, il y'en aura d'autres, et encore d'autres, ce n'est pas comme si ces gonzesses avaient la moindre importance, il n'est déjà pas foutu de leur accorder son respect, alors comment pourrait-elle rendre les choses plus supportables? La décharge hormonale de l'orgasme l'apaisera peut-être une heure, et après?

- Mais c'est qu'elle mordrait dis donc. Tu sais quoi, on va jouer à mon jeu préféré. Sourire mauvais, geste d'une vivacité exemplaire, il pointe son revolver vers elle. - Je laisse une balle dedans. Ton accent. T'es russe non? Tu dois connaître ce petit jeu bien de chez nous, dorogoy. La flamme de l'adrénaline rougeoie doucement dans ses yeux.
Au pire, elle meurt, et alors? Ca ne surprendrait personne qu'il tue quelqu'un pas vrai? On l'accuse bien d'avoir tuer sa femme.

Nikolaus n’a pas l’âge d’aimer les poings, ce qu’il cherche ce soir, ça n’est même pas un cadavre à mettre sur le bitume, c’est juste un peu de peur dans ses yeux trop clairs. On raconte qu’il a tué sa femme. Peut-être qu’il cherche à devenir celui pour lequel on le fait passer finalement, ni de moins, ni de plus. Juste celui qu’on s’entête à dire qu’il est, alors qu’il n’a jamais tué personne. Et qu’il n’aurait jamais levé la main sur son épouse. S’il la butait, ici, sur le trottoir, il n’aurait plus à réfléchir à ces rumeurs, il n’aurait plus qu’à se dire qu’elles sont vraies. Ça pourrait peut-être être reposant après ces années passées à essayer de rétablir vainement la vérité.

Lorsqu’elle sort son arme, la partie devient interessante, enfin. Il sent fermement le canon contre son entrejambe mais ne bouge pas d’un pouce. - Mais c’est qu’elle mord. Ses dents à lui claquent à nouveau, il s’appuie un peu plus contre le canon, nonchalamment. - Tu sais, entre nous, avec ton flingue, comme ça, tu peux me faire exploser les couilles sans avoir à tirer. Les mots sont sortis en Russe, parce qu’il a remarqué cet accent léger qu’il partage avec elle. Il baisse délicatement son arme, avec un sourire rieur. - C’est quoi ton nom? Le jeu est terminé, mais la partie a été bonne. Il n’a jamais aimé le sang.

Un éclat de rire franc s'échappe de la poitrine du vieux Russe. Nikolaus n'en attend plus assez de la vie pour redouter ce qu'elle pourrait lui faire. C'est sans doute ce qui, à sa façon, fait de lui un homme dangereux, capable de souffler le froid pour ensuite provoquer le chaud. Il n'a aucun intêret à faire attention à lui: personne ne l'attend plus à la maison. Si ça avait encore été le cas, tout aurait été différent, c'est évident, mais plus maintenant. - Je n'en doute pas. C'est un truc que vous faites bien, vous les femmes. Nous casser les couilles. Il ne la connait pas le vieux, il ne sait rien d'elle, mais c'est elle comme toute les autres.
La seule qui était différente est envolée de toute façon.

Il roule des épaules, chasse ses mots d'un vague signe de la main: - Comme tu y vas Maggy. J'effraie pas les filles. Juste une de temps en temps. Nikolaus. Je suis le patron de la féria. Si elle connait le quartier, elle connait forcément le petit casino/cabaret. - Et toi Maggy, pour qui tu bosses? Fais pas semblant, elles sont pas armées d'habitude les petites filles dans ton genre. Qu'il précise, avec un brin d'amusement dans la voix, volontairement provocateur.