Yulian

From the second that I was born it seems I had a loaded gun

Jamais je n’ai demandé à naître d’une mère soumise et d’un père violent. Pourtant, j’ai vu le jour entre quatre murs immaculés à Washington et dès ma plus tendre enfance résonnaient le claquement des doigts de mon père contre la peau frêle et déchirée de la femme qui m’a mis au monde. Déjà tout petit je détestais mon père, ce vieil alcoolique aux mains souillées, à la mentalité disparate et à l’allure d’un véritable psychopathe qui se foutait ouvertement de moi, de ma scolarité ou bien des déboires que je connaissais. Bien évidemment, cette situation a rendu ma relation avec ma mère extrêmement fusionnelle et bien que la voir tâchée de bleus m’a rendu fou, jamais je n’ai réussi à dissoudre ce mariage qui foutait notre vie en l’air.

Elle n’avait pas peur des coups, ni même des humiliations et rester enfermée à longueur de journée ne semblait pas la déranger. Sa seule crainte, nourrie par mes menaces et mes plaintes, était que je parte sans jamais revenir en la laissant seule avec l’homme dont elle était amoureuse mais qui était également son bourreau. J’ai fini par partir, un sac sur le dos et presque rien pour survivre mais cette vision était bien plus séductrice qu’entendre le bruit résonnant des claques que ma mère se prenait dans la gueule qui brisaient son âme et la mienne en même temps. Trouver chaque soir un nouvel endroit pour dormir sans jamais être sûr de ne pas crécher sous un pont le lendemain n’était pas ce qui me faisait le plus peur, d’ailleurs, je ne m’en suis jamais soucié, ce qui était plus effrayant pour moi était m’imaginer devoir supporter la vue de la photographie de ma maternelle dans la nécrologie et j’ai alimenté chaque jour de ma vie avec cette pensée insoutenable que j’essayais vainement d’embrumer en me droguant chaque seconde un peu plus.

J’ai finalement atterri au Bronx en 2014 où j’ai réussi à m’en sortir en dealant; parce qu’il n’y avait rien que je pouvais faire de mieux et j’ai sorti la tête de l’eau en rencontrant Eden deux ans plus tard.

Guts over fear

Au Bronx, il y a eu les bonnes personnes, puis les mauvaises. Celles qui m’ont élevées au dessus de ce que j’étais et celles qui m’ont mises plus bas que terre.
Il y a eu de belles histoires; celles qui méritaient d’avoir un souvenir dans mon crâne perturbé, celles qui mettaient mon cœur à mal et qui bordaient mes yeux du sang qui battait dans mes tempes.
Et parmi les plus laides, il y avait mon père, qui, à la force de ses poings, avait fait de la femme de ma vie une poupée de chiffon, inapte, handicapée à vie.
Je lui rendais visite un peu plus souvent, quand je savais qu'il n'était pas là et je pouvais attendre des heures entières devant la maison où j'ai grandi pour être sûr de ne pas croiser le chemin de l'homme que je détestais le plus au monde. J'avais mal et je me torturais de la voir dans cet état, me culpabilisais à vouloir ma propre mort mais dans son discours à elle, il n'y avait rien de plus beau que de vivre avec ce taré. J'étais sans cesse effrayé de la laisser, de la laisser entre ses mains sans jamais réellement savoir ce que je devais faire. J'aurais faits tout ce qui était en mon pouvoir pour changer cette situation dans laquelle j'étais fourré mais le géniteur était plus intelligent, plus fort et ancré depuis des années au sein de la Bratva qui m'aurait sans doute fait la peau si j'avais décidé d'agir aveuglément.

J'avais pourtant tout accordé, créé un plan qui aurait pu sortir ma mère de là et tout était prêt. J'avais fait un espace pour accueillir ma mère chez moi malgré l'étroitesse de mon appartement dans le Bronx, économisé assez d'argent pour payer ses soins, payer des femmes et des hommes qui auraient pu venir lui faire sa toilette, l'aider à réapprendre à marcher et lui donner ses médicaments.
La dernière fois que je l'ai vue, je lui avais annoncé la nouvelle dans un souffle, j'avais eu peur de sa réaction et j'avais eu raison d'en être effrayé. Même si elle ne parlait presque plus, j'avais pu lire dans ses yeux toute la colère que j'avais provoqué en elle. Je savais qu'elle ne voudrait pas partir, qu'elle aurait préféré se faire assassiner plutôt que de quitter la maison dans laquelle elle avait toujours vécu mais il m'a semblé l'avoir convaincue, quand j'avais passé le seuil de la porte d'entrée pour repartir.

Quelques temps plus tard, accompagné d'un gars que j'avais payé pour m'aider, je m'étais rendu dans la maison de mon enfance dans le seul but de récupérer ma mère et de l'emmener loin d'ici, loin des coups et des blessures que mon géniteur aurait pu encore lui provoquer. Les images sont restées nettes dans mon esprit, le moment où nous sommes entrés agis toujours comme un slow-motion dans ma tête parce que bien évidemment, elle n'était plus là, tout était vide et silencieux. J'ai ordonné au mec qui m'accompagnait de partir et j'ai attendu des heures avant que la porte d'entrée ne s'agite sous le coup de mon père, alcoolisé comme je l'avais toujours vu.
Il a ricané quand je lui ai demandé où était ma mère, un rire rauque et gras qui sortait de sa bouche que j'aurais bien découpé de sa gueule pour ne plus jamais entendre sa putain de voix et elle était morte, elle n'avait pas eu le temps de connaître le Bronx, puis tout ce que j'avais préparé pour elle parce qu'elle avait succombé aux coups, à ses coups. J'étais devenu un fauve, je m'étais littéralement jeté sur lui et je n'avais jamais frappé si fort que ce jour-là, détruisant son visage à la force de mes poings. Je ne lui avais pas fait le plaisir de le tuer, je voulais le faire souffrir jusqu'à ce qu'il meure de sa propre vieillesse et j'avais décidé que je lui rendrais visite régulièrement pour faire de son portrait un véritable Picasso.

I won’t be afraid as long as you stand by me

Elle était là, belle, aimante et empathique, Eden. Eden c’était la vraie vie, celle qui avait les pieds sur terre, celle qui remettait sans cesse mes pendules à l’heure et qui avait fini par réussir à ouvrir mes vannes, ouvrir le semblant de palpitant qui me servait de cœur. J’ai jamais cru possible d’obtenir quelque chose d’elle parce que la vie à deux n’avait jamais été son truc et pourtant, elle l’avait fait pour moi. Pour tout avouer, j’étais tombé amoureux de sa façon d’être plus que de son corps et de son sourire encore davantage et ce dernier me poursuivait jusque dans mes rêves laissant planer sur ma vie quotidienne un goût moins amer.
Puis elle a fini par déguerpir aussi, comme toutes les filles que j’ai connu avant elle et après elle. La vie m’a rattrapée et m’a rappelé comme un boomerang que le bonheur c’était pas fait pour moi, que c’était surfait et que maintenant, c’était terminé. J’avais connu quelques mois d’apaisement mais cette période était juste une faveur que l’Autre d’en haut m’avait fait.

Fill my cup with endless ambition  

Je me suis retrouvé seul un peu plus de six mois. Bien sûr, je ne l’étais pas complètement puisque outre ma personnalité d'ours, j’ai toujours su me tenir en société et toujours réussi à me faire deux trois amis en un tour de main. Puis Nina était encore là, enfin, son corps était là, son esprit un peu moins. Je me suis efforcé de l’aider du mieux que je pouvais alors que son mari l’avait abandonnée en laissant derrière lui la carcasse dépressive qu’elle était devenue.
Elle est finalement partie le retrouver, l’amour semblant être plus fort que tout entre eux deux et me laissant définitivement bel et bien esseulé.
Pendant ce temps, j’ai délaissé mon passé en essayant d’arrêter la came, en oubliant le nom que mon père m’avait laissé sur la peau pour adopter le nom ukrainien de ma mère, essayant de le rattacher à ce que j’avais connu de meilleur dans ma vie. C’est seulement au début de l’année 2019 que je me suis décidé à quitter les Etats-Unis définitivement pour retrouver Maggy, la cousine qui m’a toujours épaulé. Maggy était celle avec laquelle on se cachait quand les noëls en famille partaient en bagarre générale, quand la vodka avait peut-être coulé un peu trop dans les veines de nos géniteurs au sang chaud ou quand on nous demandait de quitter la pièce pour pouvoir parler tranquillement d’affaires qui ne regarde pas les gamins.
Je m’étais lassé du Bronx et du peu qu’il avait à offrir et puis je ne pouvais pas dire que Maggy était la seule raison de ma présence à Sarajevo puisque évidemment, Nina avait toujours été une amie proche et que l’estime que j’avais pour elle était incommensurable.