On my signal, unleash hell ! - Slavenko

10 février ; 18h13

A moitié allongée sur le lit, à moitié adossée au mur contre lequel elle a calé un coussin, elle récupère pour la énième fois le paquet de cigarettes, toujours vide, sur la table basse. Bah ouais, connasse, il s'est pas rempli tout seul en cinq minutes. Un lourd soupir d'agacement passe ses lèvres, et c'est en tentant de se redresser que la morsure de la blessure sur son flanc se rappelle à elle. Un coup de couteau malencontreux, dans le bide, rien de vital, rien de grave, mais ça fait chier et c'est douloureux. En plus de ça, le Doc' du Klan a insisté pour qu'elle reste ici la nuit dernière, et ça fait plusieurs heures qu'elle attend qu'il repasse pour lui donner l'autorisation de sortir. Théoriquement, elle devrait pouvoir faire ce qu'elle veut, non ? Elle se sent parfaitement en état d'être seule chez elle. Mais non, parce que Vadim a eu vent de sa blessure, qu'il est bien plus craint qu'elle, et qu'il a ordonné qu'on la surveille. Bordel de merde.

Un bruit dans le couloir, une silhouette connue et elle se redresse plus fort dans une grimace d'inconfort. Drazavic ! Elle reconnaît parfaitement Slavenko, ne se demande pas vraiment où il se rendait, dans tous les cas il l'entend et passe la tête par l'encadrement de la porte. Eh, pitié, dis-moi qu't'as une clope.

Je règle le soucis de deux putes qui viennent de se crêper le chignon - c'est fou comme on m'appelle toujours pour régler ce genre de cas sous prétexte que j'ai plus de vingt de proxénétisme dans les pattes, franchement deux paires de claques, et c'est vite réglé - avant de me hâter vers les piaules en espérant trouver Camenko. J’espère qu'il a pas oublié le dîner !

Je jette un coup d’œil en arrière. Personne dans les parages à part nous deux, je grogne d'un ton mi-figue mi-raisin "T'es sure que c'est ce Drazavic là que tu veux ?" Je tire mon paquet de clopes de ma poche latérale de treillis, j'en prends une que je cale entre mes lèvres avant de lui lancer le paquet. J'ai déjà dans l'idée qu'elle va l'annexer. Je m'appuie au chambranle de la porte d'un air amusé cette fois, parce que je la provoque sciemment "Qu'est-ce tu fous encore là ? Tu te fais dorloter ?" j'ai une relation très particulière avec Maggy. Contrairement à mon frère qui en est fou, je me méfie de la russe comme de la peste. Elle est prête à tout pour réussir et les femmes dans un monde d'hommes sont mille fois plus dangereuses.

Un rictus étire les lippes féminines, sans animosité pourtant, parce qu'elle est habituée à la méfiance du serbe qui, de toute évidence, ne la porte pas dans son cœur. C'est égal, elle n'est pas là pour se faire apprécier. Que veux-tu ? Je fais avec ce que j'ai sous la main. Elle ose espérer malgré tout que Slavenko est le seul auquel Camenko s'est confié, parce qu'il serait vraiment mauvais pour elle que les autres membres du Klan soient au courant de leur "relation". Ils parleraient, ça arriverait jusqu'aux oreilles de Vadim et très franchement, Camenko aurait de sacrées emmerdes.

Elle réceptionne habilement le paquet lancé, remercie le serbe d'un vague mouvement du menton et sort, enfin, une cigarette pour l'allumer. La première taffe lui fait pousser un soupir de soulagement et elle se laisse aller un peu mieux contre l'oreiller. Ouais, comme vous êtes pas doués pour vous démerder seul, le Doc' a ordre de soigner correctement ceux qui viennent sauver vos culs. Quoi ? C'est lui qui a commencé !

Je suis l'alibi de Camenko comme il est parfois le mien. C'est qu'avoir des secrets dans des organisations comme les nôtres n'est pas si simple. Heureusement que mon frère est un de nos agents de renseignements, il contrôle les rumeurs à la source, raison pour laquelle il ne traîne pas dans le coin à ce moment précis. J'étrécis le regard en me demandant ce qu'il trouve à la russe, perso je pense que c'est le danger et l'adrénaline qui l'attire si fort, mais p'tre que je me trompe...

"Mon cul va très bien, mon bide aussi" je tapote sur mon ventre l'endroit où elle a été blessée. J'ai un rire rocailleux, j'ai toujours apprécié les passes d'armes verbales "soit t'as bien fait ton taf, soit on n'avait pas besoin de toi." Je hausse les épaules à mon tour, tire sur ma clope que j'ai allumé dans une économie de geste. "Tu es de la suite ?" La mission consistait à retrouver ce mec qui fout le bordel en accusant les autorités de la mort de son fils. Le retrouver avant qu'il donne cette interview à la chaîne nationale. Raté. Maintenant, on va continuer à le chercher mais surtout surveiller le climat à Sarajevo et à Banja Luka. Je suis de l'équipe de Sarajevo, bien sur. J'imagine que Maggy aussi.

Sa répartie me tire un sourire franc, je ne suis pas mauvaise joueuse et j'aime avoir du répondant en face de moi. A quoi bon être sarcastique si la personne en face ne se donne pas la peine de répondre ? Tu parles, vous auriez été perdus sans moi. Ce qui est, en ce qui concerne cette mission précise, parfaitement faux. Elle était menée par les Tigrovi, et donc mon rang hiérarchique n'avait aucune espèce d'importance, j'étais sous les ordres de Damir, exactement comme les autres, un soldat parmi les autres. Non pas que ça me dérange, contrairement à ce que certains pensent je ne fais pas ce que je fais uniquement par besoin de reconnaissance.

Tirant une nouvelle fois sur ma clope, je hoche la tête. J'en suis, ouais. Enfin, si on m'laisse sortir de cette piaule. Je ne le crie pas sur les toits, je n'ai même pas spécialement envie d'en parler... Mais je ne suis pas idiote, je sais pertinemment que Cam se confie à son frère et je suis sûre que Slavenko sait parfaitement pourquoi je suis encore coincée ici alors que je devrais être sortie. Même quand il n'est pas à Sarajevo, l'ombre de mon mari plane sur moi, pèse sur mes épaules et m'empêche clairement de faire ce que je veux.

"Perdus ? Parce que t'avais le GPS ?" Ha ha que tu es drôle Slavo, humour à deux balles - perdues. Il y a quand même des choses que j'apprécie chez elle, sa capacité à suivre les ordres sans broncher, son coté bon soldat et son humour tranchant. Je trouve que c'est pas mal. Bon sans oublier qu'elle est plutôt pas mal, mais ça je m'en soucie moins pour deux raisons : Camenko la saute et je suis amoureux de la plus belle femme du monde.

"Quoi c'est si sérieux que ça ou Vadim fait de l'excès de zèle ?" Je sais bien que si ça tenait au Doc', ce serait réglé je crois, elle m'a l'air en assez bonne forme. C'est forcément que Vadim a donné quelques consignes pour son épouse. Quel drôle de couple que ces deux là. "Si tu restes à Sarajevo, on bossera ensemble. Humm écoute... je dois aller bouffer chez Markovic mais après tu veux que j'passe pour plaider ta cause ? On pourrait aller se faire un tour nocturne pour pêcher des infos sur le territoire des saranovic. Tu sais j'crois bien que le fils de Davor trainait dans ce coin là, ce serait pas étonnant que le père ait encore contact avec eux. Ce gars il est loin d'être blanc comme neige, j'suis sur qu'il fraye avec eux. David trempait dans la dope."

​A la réflexion du serbe, le visage de Maggy se ferme légèrement, elle fronce les sourcils. Tu connais très bien la réponse à cette question. L'excès de zèle de son mari, quelle jolie façon de formuler sa possessivité maladive et son manque absolu (et justifié pour le coup) de confiance en sa femme. C'est quelque chose qu'elle parvient plutôt bien à dissimuler au quotidien, en tout cas au moins aux Tigrovi avec lesquels elle ne traite pas forcément tous les jours. Mais Slavenko, c'est forcément différent, parce que son frère lui a fait part de toutes ces choses qui ne peuvent pas éternellement rester secrètes. ​

​Ce n'est pas dans sa nature de se languir, pourtant à cet instant Camenko lui manque vraiment, il aurait pu lui tenir compagnie de façon... agréable. Son regard s'éclaire un peu à l'éventualité de pouvoir sortir d'ici. Si tu dis que vous avez besoin de moi, ça devrait le faire. D'ordinaire, elle est pourtant assez persuasive, mais il s'avère que les gens ont majoritairement plus peur de la colère de Vadim que de celle de sa femme. Ce qui est ridicule, on ne devrait vraiment pas sous-estimer les femmes qui baignent dans ce milieu. J'te rendrais tes clopes quand tu reviens.

Je m'amuse de son air renfrogné, je suis bien placé pour connaitre sa situation de merde et même j'vous jure, j'irais pas chercher des emmerdes à son mari ! Camenko est un dingue, une tête brûlée, c'est tout ce que j'ai à dire ! "Alors ça j'y crois pas Bukovski ! Je ramènerais un autre paquet de clopes, ce sera plus sure. Bon je file, mais tiens toi prête, je repasserais aux environs de minuit à mon avis..."

Quand je reviens, il est à peu près cette heure-là. J'ai un sac en papier craft que je lance à Maggy "Debout là dedans ! On y va !" Dans le sac il y a un paquet de clopes neuf, avec un briquet, et un Glock, je ne vais pas laisser la dame sortir nue, n'est-ce pas ? On va aller traîner dans un quartier qui n'est pas le notre et c'est assez excitant je dois dire. Je me suis changé avant de la rejoindre, enfilant un pantalon de treillis chaud, un pull, une veste doublée. J'ai pris un bonnet et des gants. "Si on commençait par aller à l'Euphoria ?" un pilier des bars vendant de la dope à Sarajevo, si le petit David trempait là dedans il fréquentait forcément ce bar, alors peut-être bien qu'on trouvera quelqu'un qui a des contacts avec son père...

Slavenko l'abandonne à son triste sort, duquel elle se console en fumant une autre cigarette, et en passant un coup de fil à l'autre Drazavic. Ils ont le temps de discuter un peu, et même si le sentimentalisme est loin d'être son fort et qu'elle ne l'exprime pas à voix haute, entendre la voix de Camenko lui fait du bien. Leur relation est loin d'être exclusive -en même temps elle est mariée alors à partir de là...- mais il a indéniablement su se faire une place dans sa vie. Les amants qu'elle revoit plus d'une fois sont rares, quant à ceux qu'elle appelle régulièrement... Et bien il est le seul, à vrai dire. Un soupir lui montre dans la poitrine, Slavenko lui ressemble un peu malgré tout, c'est sans doute pour ça qu'elle ne peut pas s'empêcher de le trouver sympathique bien que ce ne soit pas réciproque.

Elle somnole à moitié jusqu'à ce qu'il revienne, d'ailleurs, et s'éveille au premier bruit dans le couloir, se redressant dans son lit. Son visage s'illumine d'un sourire lorsqu'elle réceptionne le sac, lourd. Laisse-moi me couvrir, une minute. Repoussant la couverture militaire, elle se lève -non sans une grimace- pour récupérer les affaires propres qu'elle laisse toujours dans un casier ici. Elle enfile un pull elle aussi, se couvrant chaudement, et remet ses chaussures. Le fait de se baisser lui fait un mal de chien mais elle serre les dents sans rien dire, Drazavic ne manquera pas de se foutre de sa gueule si elle bronche. Je te suis.

Je me tourne quand elle émerge des couvertures. Dans ma tête, une part de Maggy est la meuf de mon frère. Elle n'est pas que ça et c'est une drôle de relation dont je ne connais pas réellement la teneur si c'est qu'ils baisent ensemble, mais du coup, je me verrais mal la mater à poil. Normalement, j'ai pas ce genre de considération avec les soldats (hommes ou femmes pour qui sait ce que je suis) mais là, j'avoue, quelque chose me gêne.

Quand elle est habillée, on sort du QG. Comme elle est avec moi, on ne l'interroge pas. l n'y a pas que des inconvénients à être le fils du commandant. En général c'est que des emmerdes et des devoirs en plus mais de loin en loin, j'ai une légitimité supplémentaire. Un peu plus qu'à mon retour d'exil en tout cas, durant ces deux ans, j'ai du faire deux fois plus mes preuves auprès de mes camarades. C’est surement mon seul point commun avec Maggy.

On prend une caisse pour se rendre à l'Euphoria. Pour une fois, je n'ai pas affiché mes couleurs, aucun écusson n'orne mon blouson noir. Le poids du holster contre les reins a ce coté rassurant et familier qui me fait me sentir bien même dans cette nasse ennemie. Le bar est obscur avec de la musique dance aux consonances allemandes. "On s'prend un verre ? tu veux quoi ?" Le but est de repérer les dealers pour pouvoir les interroger. Mais autant le faire en passant pour des clients. Je prends toujours de la vodka et je ne déroge pas à mon propre code. Les regards masculins glissent sur la silhouette avantageuse de Maggy et un sourire narquois étire mes lèvres quand je croise son regard.

Elle le voit bien qui se détourne, gêné, quand elle prend le temps de se rhabiller, et ça lui tire un sourire amusé parce qu'ils sont rares, les soldats qui se privent de la mater. C'est sans doute différent avec les femmes qui font partie des Tigrovi, mais elle n'est pas ici depuis si longtemps, elle n'est pas non plus présente tout le temps, aussi certains ont encore du mal à la considérer comme un soldat lambda. Heureusement, il y a suffisamment de putes dans ce bâtiment pour qu'ils aient de quoi se rincer l’œil sans avoir à attendre après elle. L'idée que sa gêne puisse être en rapport avec Camenko ne l'effleure pas vraiment.

Une fois debout, elle s'étire légèrement, histoire de jauger les mouvements qu'elle peut faire sans que ce soit trop douloureux. Sa blessure est gênante mais elle a connu pire, et elle pense à récupérer des antidouleurs avant de quitter le QG, ça peut être utile. Elle commande la même chose que lui une fois arrivée au bar, n'oublions pas qu'elle a été élevée par un russe, la vodka reste une religion pour eux aussi. J'crois qu'ici j'ai plus de chances de tirer des infos si j'me fonds dans la masse... Et étant donné qu'elle désigne l'un des types qui la mate ostensiblement, on voit bien à quoi elle fait allusion. Il est clairement dans le coin VIP du club, semble connaître tout le monde puisqu'il tape la bise à tous ceux qui entrent dans son champ de vision. Elle se lève, son verre à la main, abandonnant Slavenko auquel elle lance : T'éloigne pas trop.

"Te fonds pas, au contraire." que je rétorque parce que je sais déjà qu'elle va jouer de ses charmes. Tss c'est tellement plus facile pour une nana que je soupire intérieurement. A moins que le type ne soit gay, auquel cas, j'en rigolerais intérieurement. Enfin dans mon pays, j'vous jure que y a peu de risque et au pire, il fera semblant. "non j'reste là, je vais boire un verre. Y a bien assez qu'un de nous deux bosse."

Je la regarde faire, un sourire indulgent aux lèvres. Je commence à comprendre mon frère et son entichement de cette fille. Elle est exaspérante mais quand elle y met du sien, un certain charme aussi. Pour ma part, je ne pourrais pas être avec ce genre de fille, elle est trop...énervante ! Je l'observe plus ou moins discrètement, mater une belle fille n'attirera pas l'attention sur moi tout en buvant mon verre, que j'ai fait remplir à nouveau. Je ne peux assurer les arrières de Maggy qu'en étant attentif.. Une fille, une pute soyons clair, m'accoste pour avoir un verre mais je la chasse distraitement, m'attirant une moue dédaigneusement avant que le corps à vendre ne change de cible. En plein territoire Saranovic - et outre le fait que Nina m'arracherait les yeux -  je pense même pas à mater la marchandise ! Toutes les putes du coin sont leurs yeux et leurs oreilles mais ça m'étonnerait que ce soit réciproque, en tout cas pas au niveau qu'on cherche. Maggy a un meilleur coup à jouer que moi.

​Elle avance, féline, vers les banquettes d'où on lui fait clairement de l’œil, œillades qu'elle rend ​sans fausse pudeur, ce n'est clairement pas le but de la soirée. Dieu merci son serbe est parfait, et son accent russe inexistant puisqu'elle a été élevée en Italie. Un verre trouve sa place entre les mains féminines, et elle se pose sur la banquette à côté du grand brun qui semble être le meneur de la bande... Mais les apparences sont parfois trompeuses. L'idée n'est pas de terminer dans son pieu, il y a peu de chances pour qu'il lui livre ce genre de secrets sur l'oreiller, ils ne sont pas assez idiots pour ça. Non, l'idéal serait de choper des bribes de conversations, et éventuellement de poser un micro ou deux sans se faire choper, si possible. Sans perdre de vue Slavenko toujours accoudé au comptoir, elle entame la discussion l'air de rien, façon banale de faire connaissance.