Tous les levers du jour, sans toi ne se relèvent pas - Slavina

Je souris à mon tour "un petit peu oui..." mais on a tous les deux des progrès à faire. Je vais essayer de me faire plus attentif dans les choses qui pourraient être importantes pour elle. "non, c'était pas idiot, j'aurais du t'en parler avant moj andjeo." Je veux bien prendre ça sur mon ardoise, elle a raison sur ce point. J'aurais pu lui dire avant, ça aurait été mieux que la choquer avec la vue des hématomes. J'ai un petit rire désabusé "non pas du tout. Je ne pensais pas avoir tant perdu en trois semaines." Ce constat ne me fait pas plaisir du tout. Je ne suis pas encore remis de ma blessure et je dois attendre, mais je vais clairement morfler pour ma remise en forme. J'avais besoin de me tester, c'est chose faite.

Niché contre elle, on forme un cocon, c'est sans doute plus facile d'aborder la question comme ça. On est à l'abri et je crois qu'on est assez serein pour se parler malgré notre petit accrochage. "Je ne t'en aurais pas parlé si je n'avais pas envie Nina. Je sais bien qu'on plaisante pas sur ce sujet." J'ai longtemps apposé un non catégorique justement pour qu'elle ne se fasse pas de faux espoirs, parce que ça m'aurait semblé cruel. "Je dis pas que ça me fait pas peur... mais ouai, j'y pense alors qu'avant c'était évident que je voulais pas d'enfant. C'est pour ça que je veux en parler avec toi. Est-ce que tu me prends pour un dingue quand je dis ça ? J'ai l'impression que ça tourne pas rond chez moi..." Je ne sais pas si elle comprend ce que je veux dire mais même moi ce revirement de désir me trouble. A part Nina, je n'ai pas grand monde à qui me confier. Camenko, je peux parler nana, mais d'enfants, surement pas. Mon père on va carrément éviter le sujet, la seule personne à qui j'en ai un peu parlé, c'est Eliza, mais elle a un môme, son jugement est faussé. Et puis la personne directement concernée c'est Nina, et c'est aussi la seule personne en qui j'ai une confiance aveugle.

​J'ai une moue un peu dépitée, pour lui. Tu vas te remettre en forme en un rien de temps, tu verras... Les Tigrovi te laisseront pas te ramollir, tu sais bien, et moi non plus d'ailleurs. Dès que tu pourras reprendre le boulot, on ira à la salle ensemble. Tu m'avais dit que je pouvais venir mais j'en ai encore jamais eu l'occasion. On s'entraînera tous les deux, je mettrais un petit short ultra moulant et si tu t'entraînes bien, t'auras le droit de me peloter, ça devrait te motiver non ? Je plaisante parce que je ne veux pas trop dramatiser le sujet, il est évident que c'est toujours difficile de se remettre d'une telle blessure, mais c'est aussi plus dur à quarante balais qu'à vingt ans.

Je plisse le nez quand il me dit qu'il y pense. Si tu commences seulement à l'envisager ça veut bien dire que t'es pas sûr... Je ne suis pas en colère contre lui en disant ça, seulement très sceptique en fait. Je secoue la tête en embrassant sa tempe. Non, je te prends pas pour un dingue... Bien-sûr que non. Je glisse l'une de mes mains tout doucement le long de son dos, remonte et redescend en caresses lentes et tendres. Mais je ne comprends pas pourquoi... Est-ce que... J'ai peur de poser la question, qu'il se fâche mais je ne peux pas garder ce pour moi ce questionnement primordial. Est-ce que ce n'est pas seulement à cause de la conversation avec ton père ? La pression familiale qui devient trop forte ? Je veux pas... Je veux pas faire un enfant pour ces raisons-là, Slavo.​ Je ne dis pas que je veux faire un enfant, hein, j'émet juste mes doutes et mes craintes, en commençant par celle-ci mais je vous assure qu'il y en a des tas d'autres. Beaucoup trop en fait.

"J'espère bien que tu ne me laisseras jamais me ramollir !" une petit blague pour détendre l'atmosphère, ça mange pas de pain. J'acquiesce à sa proposition. "Bonne idée, j'aurais bien besoin d'une bonne dose de motivation et comme ça tu viendras avec moi au QG... Va bien falloir qu'on qu'y aille toi et moi, humm ? On va se remarier, tu fais partie des Tigrovi, tu vas devoir supporter ma famille pauvre zlato."

Je sais que j'en ai férocement envie mais c'est très compliqué de l'expliquer, de l'exprimer. Pourtant, j'essaye dans un flot de paroles pas forcément très cohérentes. J'ai envie qu'elle comprenne ou m'aide à comprendre. "Ça fait un moment que je l'envisage. Je voulais attendre d'être sur avant de t'en parler." Elle évoque mon père et je ne me fâche pas du tout parce que je me suis posé la même question "Non, non c'est pas ça. Je dis pas que ça joue pas du tout, mais c'est pas ça qui fait que j'en ai envie. Je dirais pas que c'est la raison principale. Je me moque de braquer mon père en ne lui faisant pas de descendant... c'est accessoire..." je secoue la tête ce qui m'enfonce dans sa chair comme un coussin. "C'est toi la raison... Toi, quand tu me parles de former une famille, et je vois ce bébé Nina quand tu en parles. Je sais que tu penses toi et moi, mais je peux pas m'empêcher d'ajouter ce ... troisième élément. Et peut-être aussi que c'est moi, peut-être que je vieillis, que j'ai peur de mourir sans rien laisser derrière moi. Est-ce que ça s'explique forcément pourquoi on a soudain envie d'avoir un môme ? Je suis pas sur de savoir exactement pourquoiC'est pas faute de m'interroger pourtant parce que très sincèrement, j'aimerais avoir les réponses pour étayer mes arguments.

J'ai une légère grimace, comme si je n'avais pas vraiment pris en compte le fait qu'aller m'entraîner avec lui c'était remettre les pieds au QG où je sais pertinemment que personne ne veut de moi. Je dodeline de la tête. Moui pour ta famille on verra... Le sujet n'est pas clos. Mais je n'ai aucune envie d'en débattre maintenant, c'est bien trop sensible, trop susceptible de déclencher une dispute aussi et on est déjà en train de parler bébé, on va éviter de déclencher l'apocalypse ce matin, hein. Un problème à la fois, s'il vous plaît.

Il m'assure d'ailleurs que son père n'a rien à voir ou presque dans son soudain désir d'enfant et je n'en suis pas si sûre. Non pas que je le prenne pour un menteur, mais je sais les Drazavic doués en manipulation et je pense sincèrement que le travail de sape mené par Jelenko -et Mirko sans doute- a du porter ses fruits. Je lui concède cependant : Non, je comprends, c'est pas toujours... Raisonné comme envie. En fait ça l'est même rarement je crois. Par exemple quand je suis tombée enceinte, je n'aurais pas du avoir envie de le garder vu notre situation, vu la vie qu'on menait... Et pourtant s'il avait dit oui, je n'aurais pas hésité un seul instant. Je n'ai cherché tout de suite à avorter que parce que je craignais de le perdre. Et bien-sûr, c'est encore aujourd'hui là que se situe ma plus grande crainte. Mais Slavenko... Ne te met pas en colère s'il te plaît mais... Je ne sais pas si j'ai suffisamment confiance en toi pour ça... Je suis pas sûre que tu te rendes compte de ce que c'est, de ce que ça implique comme bouleversements d'avoir un bébé. Si tu pètes pas un plomb pendant la grossesse, à cause de moi ou parce que t'auras la trouille je sais pas... J'ai peur que tu t'en ailles, dès que ce sera dur, dès que tu te sentiras prisonnier... Et ça arrivera forcément.

Je n'insiste pas concernant les Tigrovi, et les Drazavic, je pense comme Nina, une chose à la fois. Ça va être assez compliqué comme ça. Trois semaines de félicité parait déjà incroyable nous concernant alors ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Ha ha, l'expression parfaite puisqu'elle nous amène au véritable sujet du moment.

Déjà c'est rassurant que cette envie ne soit pas raisonnée aussi pour les autres. Je me sens moins perdu de savoir que pour Nina aussi, ce n'est pas forcément réfléchi avec une liste d'arguments concrets. Son avertissement me crispe mais finalement ce n'est pas de la colère mais un sentiment de tristesse parce que je sais que sa méfiance est justifiée. Je ressens toujours cette amertume désagréable quand je suis face au conséquence de ma décision d'il y a presque deux ans. Cette amertume est uniquement tournée contre moi. Au fond elle pose les questions que je me pose. Je suis incapable de dire que je n'ai pas peur de cette envie, que je suis sur de ce qui va se passer quand elle sera enceinte. Je ne sais pas. Ça me peine d'être si bancal que je ne peux même pas dire d'un ton sur et affirmatif oui j'ai envie d'être père et un bon père. Même mon père qui n'a jamais été le père de l'année, a su faire ça quand je suis envahi de doutes. "Je sais...J'ai pas dit ça à la légère Nina, pas pour te faire plaisir ou à mon père, ou en pensant qu'on réglerait nos problèmes avec un bébé. Et je n'ai pas de réponses, et je sais bien que c'est terrifiant parce que moi ça me terrifie." Je l'avouerais que comme ça, caché contre elle, ses mains caressant mon dos dans ce geste apaisant qui signifie qu'elle m'accepte tout cassé que je suis et pas foutu de faire les choses bien sans doute. Je rumine quelques secondes avant de demander gravement "Tu crois vraiment que je me sentirais prisonnier de notre enfant ?"

Je ne sais pas s'il réalise à quel point l'effort que cette conversation me demande est considérable. C'est un sujet sensible, douloureux, pour lequel j'ai encore beaucoup de ressentiments envers lui, et le fait que je parvienne à en parler de façon calme et posée ne signifie pas que je n'ai pas de rancœur à son égard. En revanche je n'arrête pas de répéter que je veux qu'on puisse se parler, se confier l'un à l'autre, et ça veut dire tenter de ne pas me mettre en colère dans ce genre de situations. Mais c'est difficile. Tout comme il m'est difficile de ne pas me mettre à pleurer par exemple. Pas uniquement à cause de l'avortement, des tas de femmes avortent et font des enfants quelques années plus tard... Mais à cause des circonstances dans lesquelles il a eu lieu, et de tout ce qui en a suivi. Cet épisode qui aurait pu n'être qu'un passage douloureux dans ma vie est devenu un véritable trauma, et je ne parviens à en parler que parce que j'ai beaucoup, beaucoup travaillé dessus en thérapie.

J'ai encore une fois peur de lui faire de la peine en répondant mais je ne peux pas ne pas être honnête, pas sur un sujet si grave. Tu t'en sentiras forcément prisonnier par moments, Slavenko. Et moi aussi je me sentirais prisonnière, mais ce n'est pas un sentiment qui me fait peur parce que je suis sûre que j'arriverais à le dépasser. Je ne sais pas t'expliquer pourquoi... Parce que j'ai trop souffert d'avoir été abandonnée sans doute, parce qu'une mère ne devrait pas abandonner son enfant. On ne pourrait plus... Partir en vacances seuls tous les deux sur un coup de tête comme ça, on manquerait de sommeil, parfois un bébé ça passe des heures à pleurer sans qu'on parvienne à le calmer, tu serais... Tu serais responsable de quelqu'un, c'est terrifiant. Moi aussi c'est une idée qui me terrifie. C'est d'ailleurs ma troisième crainte mais on va déjà parler de la seconde, j'essaie de prendre les choses dans l'ordre, rester méthodique m'aide à mettre de la distance et à moins paniquer. C'est... Des sacrifices, énormément de patience, c'est presque... aliénant d'une certaine façon... Si tu réalises que c'est trop ? Si... Ma gorge se noue et ma voix tremble quand je finis ma phrase. Si je me retrouve seule avec ce bébé...

Elle a raison, plus je l'écoute et plus elle a raison. Je suis incapable d'être père, c'est une évidence quand elle énonce les raisons qui font que je ne peux pas l'être. Évidement que c'est trop dur pour moi, que je ne serais pas capable de m'investir de la bonne façon. J'ai mis un temps fou à réaliser que je pouvais réussir à avoir une relation longue et à peu près normale avec quelqu'un et j'ai quand même réussi à la foutre en l'air. Un bébé ne mérite pas un père comme moi, instable, en qui on ne peut pas avoir confiance, colérique, impatient, exclusif. Mais pourtant ça me coupe le souffle de douleur et je me demande si c'est ce que Nina a ressenti quand je lui refusais cet enfant. Bon Dieu, comment est-ce qu'elle peut encore être à mes cotés alors que je lui ai fait si mal ?

Je me crispe un bon moment parce que je déteste pleurer et que je ne vais surement pas céder à mes émotions pour chouiner. Je laisse refluer le coup de poignard, avant d'hocher la tête et de m'écarter. Mes cheveux qui ont repoussé sacrément, sont collés de sueur. Je ne suis pas franchement heureux, mais je comprends les réticences de Nina. Je prends ses mains dans les miennes, les embrasse une à une avant de conclure. "Je sais... je ne suis pas assez...fiable." C'est une rude constatation, mais elle est méritée. J'ai un vague mouvement d'épaules avant de venir m'asseoir à coté d'elle "Je ne sais pas quoi te dire."

Je m'attends à des protestations, à ce qu'il m'assure qu'il ne ferait jamais une chose pareille, qu'il serait incapable de m'abandonner une nouvelle fois. Et je crois que rien ne pourrait me blesser plus fort que ce silence, ce manque d'assurance de sa part. J'aurais voulu qu'il soit sûr de lui, qu'il puisse avoir cette certitude qu'on est ensemble pour toujours maintenant, quoiqu'il advienne. Mais il ne l'a pas et ça me tue. Je me doutais que cette conversation serait douloureuse mais je ne pensais pas qu'elle le serait pour ces raisons là, de cette façon là. C'était ma plus grande crainte à l'époque, et c'est toujours le cas aujourd'hui, je ne veux pas le perdre en ayant un enfant. Je peux renoncer à cet enfant tant qu'il n'existe pas, mais je ne peux pas renoncer à lui. Je n'ai jamais pu me résoudre à cette idée, et y songer aujourd'hui me fait terriblement mal. Je hausse les épaules en baissant les yeux quand il s'assied à côté de moi, de nouvelles larmes envahissent mon regard. Je croyais que tu étais sûr de toi...

"Je le suis Nina, mais pas toi et j'comprends. Enfin, je le suis autant que n'importe qui j'imagine. J'ai envie d'un enfant avec toi. Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ? Je ne lis pas dans l'avenir, je ne sais pas comment ça va se passer, ce qui sera difficile ou pas... Et je ne peux pas te promettre que tout ira bien parce que ce serait un mensonge, je ne crois pas que quiconque puisse faire cette promesse sans mentir. Je t'aime srce... Tu sais ce que je ressens. On n'est pas obligé de le concevoir aujourd'hui ce gamin, alors quoi... " J'ai un sourire désabusé, un peu ironique envers moi-même. "Je vais pas réussir à te convaincre avec des mots, tu sais bien comme je suis pas doué pour ça. "

Je pose les yeux sur elle, son regard embué et je reviens vers elle parce que je n'ai jamais supporté ses larmes. Je l'enveloppe de mes bras "srce, ça vaut vraiment pas le coup de pleurer. C'est pas définitif ... Je le vois pas comme ça. Un jour tu auras confiance en moi et moi je saurais que c'est le bon moment. Tu crois pas ? Toi et moi, on est déjà une famille, c'est bien ce que tu dis toujours ? J'ai pas envie de renoncer à toi, plus jamais srce moje. Ja volim te, plus que tout au monde." j'encadre son visage de mes mains pour l'embrasser plusieurs fois, des baisers fondants, consolateurs, amoureux aussi, parce que je l'aime chaque jour un peu plus.

Je secoue la tête. Tu aurais pu promettre de ne plus me laisser, de ne plus t'en aller.. . Je sais que ses promesses ne devraient rien valoir, que je ne devrais même plus vouloir en entendre, mais il faut croire que je suis plus romantique que j'ai toujours voulu l'admettre. Ou bien seulement plus naïve. Il n'est aucun couple pour lequel l'arrivée d'un enfant est facile. Il y a toujours des disputes, des difficultés, des moments de doute et de colère, de crainte aussi. C'est le lot normal non seulement de la parentalité j'imagine mais surtout de n'importe quel couplé au monde, même sans enfant. Avec lui je crains autre chose, parce qu'entre nous tout prend des proportions absolument dramatiques. Mêler un bébé à cette histoire, à celle des Tigrovi qui plus est, c'est dangereux... Mais je ne peux pas porter ce poids seule sur mes épaules, il faudrait qu'on soit soudés et on ne l'est pas.

Il vient chercher ma bouche quand je n'ai pas vraiment envie de l'embrasser, en fait je préférerais de loin pleurer je crois. Mais c'est jamais le bon moment pour avoir un enfant Slavenko ! Il y aura toujours de bonnes raisons de ne pas en avoir. On trouvera toujours un moyen de se disputer, ou bien on manquera d'argent, ou de temps, ou que sais-je encore. Si tu me convaincs pas avec des mots, tu comptes me convaincre comment dis-moi ? Parce que ça me semble plutôt mal parti et je veux pas te faire peur mais t'as déjà quarante balais. Je ne dis pas que je veux à tout prix avoir un bébé et qu'il doit donc à tout prix réussir à me convaincre. Non, ce que je veux dire c'est que si c'est quelque chose qu'il veut vraiment, on ne peut pas exactement se permettre d'attendre dix piges pour prendre une décision.

"Parce que tu me croirais ? Ça suffirait ?" Je lui ai répété durant des mois quand on s'est retrouvé et il suffit que je m'absente une heure imprévue pour qu'elle imagine le pire. Pas que je suis mort notez bien, mais que je me suis barré à nouveau. Alors non je ne pense pas du tout la rassurer pas un oui chérie, je reste ça va bien se passer, faisons un gosse !

Ses lèvres restent froides sous les miennes et je me recule, blessé et surpris à la fois. Elle hausse le ton et je cille comme si elle m'avait frappé. Je suis resté calme, même sous la blessure d'orgueil quand elle a dit ne pas avoir confiance, quand elle m'a asséné sans pitié mes manquements que je connais déjà. mais cette fois, je m'écarte et réponds plus sèchement "Pour l'instant c'est toi qui a de bonnes raisons de ne pas en vouloir." Je pâlis quand elle évoque mon âge. J'ai toujours eu un peu peur de notre écart d'âge, peur qu'il soit source de désir contradictoire mais Nina m'a toujours certifié s'en foutre.

"Si je te convainc pas avant ma date de péremption - un an, deux ans, dix ? - on aura pas d'enfant, c'est tout. J'aimerais bien avoir un bébé avec toi mais j'en mourrais pas si on a pas de gosses." C'est bien ce qu'elle se disait aussi non ? Je devrais pouvoir survivre sans problème. Cette fois je me lève, juste pour aller ramasser mon futal où je récupère mes clopes. On avait bien commencé, mais je crois que cette fois le sujet est juste clos, à mon grand dam. Quel dommage, le paysage est splendide.

Non, ça ne suffirait pas. Mais ç'aurait été un bon début. Puisqu'il faut de toute façon commencer quelque part. Là je n'ai vraiment pas l'impression qu'il soit sûr de lui, et je le trouve presque cruel de m'infliger ça. Parce que ce désir d'enfant a toujours été ancré en moi, en sourdine avant l'avortement, mais très présent et douloureux depuis. J'ai l'impression que c'est un caprice pour lui, une envie passagère comme on peut avoir envie d'un voyage ou... J'en sais rien, d'une tarte aux fraises.

Il s'écarte de moi et je ne cherche même pas à nier ses mots parce qu'il a raison, c'est moi qui émet des réserves, mais elles sont toutes en rapport avec lui. Toutes ou presque. Disons que je ne suis tellement pas sûre de lui que je n'ai pas besoin de passer en revue mes propres angoisses, celles qui concernent mes manquements et mes failles. Il faudrait déjà que j'arrive à surmonter mon manque de confiance en lui avant de songer à analyser ce que moi je serais capable de faire. Pour l'instant les raisons que j'évoque, ce sont celles pour lesquelles lui ne devrait pas vouloir d'enfant. Je crois qu'il est inconscient. De ce qu'il fait, de ce qu'il dit, même de ce qu'il veut au fond.

Mon visage se ferme, mes muscles se raidissent quand il quitte le lit et s'éloigne de moi. Je suis blessée de ce que je perçois finalement presque comme de l'indifférence. Il parle d'avoir un enfant comme on parle d'adopter un chiot, ou quelque chose dans ce genre-là, quand c'est chez moi un désir profondément animal... Et contrairement à ce qu'il dit, j'ai cru que j'allais mourir lorsque j'ai du avorter. Même au bout du monde on arrive à se faire mal, dire que ce sont les autres qui nous heurtent... C'est des conneries finalement. Une chose est sûre, il ne m'a décidément pas convaincue, bien au contraire. Alors oui, j'imagine que le sujet est clos, et je lui en veux d'avoir rouvert cette blessure si douloureuse pour rien. C'est la troisième fois que je me retrouve à devoir faire le deuil de ce désir qui me hante. La première, c'était lorsque j'ai appris qu'il avait un enfant d'Ornella, et qu'il m'a dit ne pas en vouloir. La seconde, lorsque je suis tombée enceinte. Et cette fois c'est un peu trop pour que je parvienne encore à retenir mes larmes. Je me lève, ramasse ma robe échouée au sol pour couvrir ma nudité, et je sors de la chambre en quête d'un endroit isolé où me morfondre et pleurer.

Un bon début ? Je hausse les épaules parce que je n'y crois pas, je crois qu'elle se ment à elle-même. J'ai été honnête avec elle, mais chaque fois que je le suis, ça ne va pas. Comme quoi j'avais raison en disant que j'étais taré, au fond c'est ce qu'elle pense, que je suis trop taré pour être père. Point à la ligne.

Elle s'éloigne tout à fait sans mot dire et je ne fais pas un geste pour la retenir malgré les larmes que je devine. Parfois je l'envie de pouvoir se réfugier dans les larmes. Moi je serre les dents et ici je n'ai de toute façon aucun exutoire. Je termine ma clope, l'écrase dans un cendrier (j'espère que c'est un cendrier ! ) avant d'aller prendre cette douche finalement. Je ramasse le gel douche et le range. J'aurais aimé m'en servir sur Nina.

Comme après m'être lavé je tourne en rond, je vais à la piscine. Pas celle pleines de fleurs, l'autre. Je me plonge dans l'eau et je fais des longueurs, à mon rythme mais en repoussant la douleur et la fatigue. Je n'arrête que quand je n'en peux plus - oh soyons lucide, ça va assez vite ! - Je m'accroche au bord en soufflant, je peine à reprendre ma respiration. Je suis tout au bord de la piscine et ça donne sur le vide, avec un petite sensation de vertige qui bizarrement n'est pas désagréable.

C'est bien, on devait découvrir le reste de la villa ensemble, mais c'est encore un truc qu'on a loupé, et j'ai cette impression très injuste que tout le voyage est gâché. Moi je n'ai pas envie de me baigner, et je trouve où m'isoler sous l'une des pergolas. Pas celle où il y a la table de massage, une autre où sont disposés deux gros fauteuils ainsi qu'une petite table ronde, sans doute pour pouvoir manger dehors. Je m'installe sur l'un des fauteuils qui tourne le dos à la maison et fait face à la jungle, et recroquevillée sur moi-même, je pleure tout mon saoul. J'ai appris avec le temps qu'il ne servait à rien de vouloir retenir mes larmes sans arrêt, parfois il faut juste que ça sorte, j'essaie seulement de ne plus le faire en face de lui... Sans doute parce que je n'ose plus chercher dans ses bras le réconfort que j'y trouvais autrefois. Je nous trouvais plus complices ces derniers temps mais force est de constater que tout un tas de choses nous manquent encore, y compris des choses qu'on avait avant.

Comme les sanglots s'intensifient, ils charrient avec eux leur lot d'idées noires que je ne parviens pas à faire refluer. Alors au bout d'un moment je me lève, chancelle un peu jusqu'à la chambre pour y trouver ma valise, et ma trousse de toilettes, le remède à tous mes maux. J'avale les pilules avec un verre d'eau et retourne me terrer sur mon perchoir, où je m'installe en tailleur. Il faut une quinzaine de minutes pour que les cachets commencent à faire effet. Lentement mes muscles se détendent tout à fait, jusqu'à ce que mon corps tout entier se fasse cotonneux. Mon rythme cardiaque enfin s'apaise, mon regard aux pupilles dilatées se trouble légèrement, et mes pensées s'évaporent, me fichant enfin la paix.

C'est presque une heure plus tard que - enroulé dans une serviette serré à la taille - je pars à la recherche de Nina. Je fais le tour e la maison et je la trouve sous la pergola, elle est si profondément partie que je crois qu'elle ne m'entend pas arriver. Son regard est vitreux, au loin. Je tique, parce que je sais qu'elle a du prendre des cachets. Ses derniers temps, je trouve qu'elle en prend bien trop et je ne sais pas comment aborder le problème. J'ai cru que c'était parce qu'elle avait eu peur à cause de l'accident, mais maintenant je n'en suis plus si sur. Je me suis simplement voilé la face. Nina est et a toujours été une junkie. Un père taré, une mère junkie, je crois que je devrais me faire une raison, on ne peut définitivement pas infliger ça à un enfant.

Je m'installe près d'elle sur un gros coussin. Je reste là en silence, de toute façon je n'ai rien de mieux à faire. Je trimballe mon paquet de clopes bien sur - moi aussi je suis accro - mais j'évite de fumer pour ne pas la déranger. Mais peut-être que ma simple présence la dérange, je ne sais pas. Ce voyage était censé être merveilleux et voilà qu'il tourne au drame, c'est incompréhensible.

Il y a toujours un éléments déclencheur à la prise de pilules plus fréquente, à l'augmentation des doses. Le problème, c'est que même si je les augmente pour une raison, une angoisse précise, je ne peux pas diminuer une fois celle-ci passée. C'est le problème du manque qui se fait plus présent, de l'accoutumance qui s'intensifie, et comme pour n'importe quelle drogue, il en faut finalement toujours plus pour obtenir les mêmes effets. Sans parler de cure de desintox, il me faudrait un sevrage, un vrai sevrage pour me débarrasser de cette addiction. J'ai remplacé l'héroïne par la ketamine et je n'ai jamais plus arrêté, sans doute parce que j'ai toujours eu bien trop peur de retomber dans les drogues dures. Mais plus le temps passe, plus je songe que je n'ai pas de réelle raison d'arrêter, même Slavenko ne m'a pas fait de remarque à ce sujet. C'est dingue parce que lorsque je suis tombée enceinte, alors même que je savais que je ne le garderais pas, j'ai arrêté toutes les substances quelles qu'elles soient jusqu'à l'avortement. Je ne voulais pas prendre le risque de blesser ce bébé, ce qui était ridicule puisque je ne lui ai laissé aucune chance de vivre.

Il me faut quelques minutes pour réaliser que Slavenko s'est assis à côté de moi, et je ne sais même pas combien de temps il s'est écoulé depuis notre conversation. Je ne suis plus en colère et malgré mes yeux rouges, j'ai cessé de pleurer. Mais quand on est embourbés dans ce genre de malaises, il est toujours difficile d'en sortir et c'est généralement comme ça que ça dégénère d'ailleurs. Il faudrait désamorcer la situation, relancer une conversation sans doute pour tenter de passer à autre chose mais j'ai un peu de mal à réfléchir, anesthésiée. Je lève finalement sur lui un regard embué et murmure : Je voudrais dormir... Je suis épuisée de ce long voyage et du décalage horaire, assommée par les cachets aussi. La tête me tourne d'avoir trop pleuré et je suis surtout fatiguée de me battre, de toujours finir par être malheureuse à nouveau, qu'on ne se comprenne pas. Je suis dévastée devant cette évidence qui m'avait quittée, l'espace de quelques jours, celle qu'on n'aura jamais d'enfant, jamais de famille ensemble, que je ne construirais jamais rien, que je ne serais jamais personne. Tout se mélange dans ma tête et le désespoir qui s'abat sur moi est lourd à porter.

Je me tiens coi, immobile, dans la crainte de la déranger et qu'elle pète un plomb et m'incendie en faisant suite à notre conversation. Ça arrive parfois, moins à présent, mais très régulièrement les premières semaines où on s'est remis ensemble. J'en ai souvent pris pour mon grade si vous voulez savoir. Ça m'a appris la prudence avec la grenade dégoupillée qu'est Nina.

Mais elle est tellement stone que non, elle n'explose pas. Elle me demande simplement de dormir. Je hoche la tête, un sourire amer et peut-être un peu déçu sans doute aussi, mais est-ce elle qui me déçoit ou simplement moi-même ? Je me lève et je me penche pour la soulever "oui, c'est une bonne idée, on a fait un long voyage. Allez, viens là" Je la porte jusqu'au lit où je la dépose, je rabats seulement le drap fin sur elle et je vais baisser les stores et défaire les voilages avant de revenir près d'elle. Je m'assieds sur le bord du matelas et je caresse ses cheveux tendrement. Nina a beau avoir ses failles, je l'aime comme elle est. "Dors srce moje...je suis là" Je ne sais pas si ça a le moindre sens pour elle dans l'état dans lequel elle se trouve. Mais je veille sur elle.

Ses bras m'enveloppent, me soulèvent et je passe les miens autour de son cou pour rester accrochée à lui. Le lit m'accueille mais je ne reste pas dans cette position, j'ai bien trop peur qu'il s'éloigne de moi. Je me tourne pour venir poser ma tête sur ses cuisses, enfouir mon visage quelque part contre son ventre, mon corps recroquevillé autour du sien. Je suis épuisée, surtout psychologiquement il faut bien le dire, mais je ne comprends pas bien comment on en est arrivés là. Les yeux clos, mon nez contre sa peau, je ne m'endors pourtant pas tout de suite. Je souffles des incohérences, des fantasmes ou des aveux, la drogue délirant ma langue.

J'aurais voulu un bébé... Le notre aurait eu un an il ya quelques jours. Je crois... Je crois que c'était une fille... Ma voix est basse, ma bouche un peu pâteuse et je parle très lentement, marquant des pauses au milieu des phrases. J'aurais arrêté... Tu sais ? La drogue et les cachets... Je me serais occupée d'elle, elle aurait pu compter sur moi. Elle n'aurait pas eu cette enfance bancale, douloureuse qu'a été la mienne. J'ai jamais... Appelé personne "maman". Personne ne venait me bercer la nuit quand j'étais malade, me raconter une histoire pour m'endormir. Peut-être que je ne saurais pas bercer un bébé. Comment on fait pour être maman quand on n'en a pas eu ? Je serais en larmes si je n'étais pas stone. Au lieu de ça ma voix est imprégnée de tristesse mais ne tremble pas, seules mes mains me trahissent sans doute, accrochées aux flancs du slave comme s'il allait s'évaporer.

Ses paroles me poignent, creusent un gouffre dans ma poitrine. "Chuuut calme-toi moj andjeo. Tu seras une mère formidable." Je refuse de parler au passé ou au conditionnel. Ce n'est pas parce qu'on ne fait pas ce bébé maintenant qu'on ne le fera jamais, je refuse de penser ça. Il ne me reste pas beaucoup de souvenirs de ma mère, quelques uns de Subotica, et puis Sarajevo avant que je ne rejoigne mon père, et notre dernière conversation, une dispute violente. Pourtant, elle a été une bonne mère pour autant qu'on puisse juger de ce qu'est une bonne mère. "Le bébé dont tu seras la mère aura de la chance srce, et j'aimerais bien une fille qui te ressemble, aussi jolie et douce que toi. Moins rebelle et têtue par contre, si c'est possible parce que sinon on va en baver." Je souris, caresse le cou de Nina, entortille mes doigts dans ses cheveux pour les lisser et les dégager de sa peau afin de m'en livrer l'accès.

et puis je souffle ce qui m'inquiète depuis des jours "ce serait bien que tu réduises les cachets, que t'arrêtes...Je m'inquiète que t'en prenne autant duso. Peut-être qu'ici c'est le bon endroit..." J'ai un sourire mitigé "enfin...si j'arrête de te faire pleurer. " Ce n'était pas l'effet voulu. Je me suis confié à elle en toute sincérité mais j'avais oublié que ce n'est pas ce qu'elle attend de moi. Elle attend de moi que je fasse taire mes doutes, que je sois fort en toute circonstances. Elle attend ce que tout le monde attend de ma part, alors faudrait p'tre que tu arrêtes de t'apitoyer sur toi-même Slavo, et que tu sois un homme. "T'inquiète pas, tout va bien se passer. Dors moj andjeo, je suis là i ja volim te"

Je ne suis pas du tout d'accord avec lui, je ne vois pas quelle chance ce serait pour un enfant de m'avoir pour mère. C'est au fond ma plus grande crainte, bien au-delà de mes peurs le concernant, j'ai peur de ne pas être à la hauteur. Mais c'est très difficile de lui en faire part. Déjà parce qu'il a toujours dit qu'il ne voulait pas d'enfants, et j'ai toujours eu cette impression qu'il ne changerait jamais d'avis si moi-même je n'étais pas sûre de moi. Je n'ai pas le droit de douter ou d'avoir peur, c'est un sujet trop sensible entre nous, je devrais avoir les épaules solides pour nous deux, être confiante pour nous deux et supporter ses doutes mais je n'en suis pas capable. J'accepte toutes ses faiblesses, toutes ses peurs et ses angoisses... Mais je ne suis pas équipée pour apaiser celles qui concernent son éventuel désir de paternité. Parce que j'ai trop de blessures moi-même à ce sujet pour parvenir à panser les siennes. Doucement je secoue la tête, le serrant plus fort. Non, non je veux un garçon... C'est trop dangereux d'être une fille dans ce monde-là. Il ne fait pas bon être une femme quand on a eu la vie que j'ai eue, et c'est encore plus vrai si on fait un enfant à Sarajevo.

Je ne pleure pas... Je proteste d'un ton boudeur mais bien peu convaincant, mes yeux étaient encore gonflés de larmes lorsqu'il est venu me trouver. Paradoxalement, les cachets finissent par avoir l'effet inverse de celui recherché, ils me rendent encore plus émotive que je ne le suis déjà, ce qui n'est pas peu dire. Parce qu'ils annihilent les émotions et les sentiments trop forts, m'habituent à avoir besoin d'une béquille pour les supporter. Et dès que leurs effets se dissipent, je me prends le retour de bâton. Parce qu'ils ressurgissent plus fort, et parce que je ne sais plus les gérer sans l'aide d'un palliatif. C'est un cercle vicieux douloureux dont il est difficile de s'extraire et pourtant j'en ai envie moi aussi. Je vais arrêter, c'est promis... Je peux promettre n'importe quoi pour qu'il ne me laisse jamais. Je m'écarte de ses jambes pour demander : Allonge-toi près de moi, molim te... J'attends qu'il me rejoigne pour me couler entre ses bras, et refermer les yeux.

"Si tu veux...un garçon. Mais si on a une fille je t'assure qu'elle craindra rien." Je risque de me montrer bien plus protecteur avec elle qu'avec Nina, ce qui n'est pas peu dire. Je travaille avec des putes qui n'ont pas vraiment le choix de leur condition, je sais ce que c'est que de dériver. Mais ma fille saura se défendre comme un homme, comme une Drazavic. La pensée de Saskia me traverse, me prenant par surprise. Mon père ne s'est jamais occupé d'elle parce qu'elle était une fille mais je ne suis pas mon père !

C'est moche à dire mais je ne la crois pas vraiment quand Nina parle des médocs, elle est shootée, elle veut juste me faire plaisir ou que je la laisse tranquille. Promesse de junkie dit-on. L'avoir trouvée autrefois défoncée, au bord de l'overdose m'a rendu méfiant et surtout désabusé sur le sujet. Pourtant elle a parfois décrochée jusqu'à ce qu'un obstacle se présente, souvent généré par ma faute, je l'admets mais c'est une sacrée responsabilité qui m'incombe.

Je m'allonge près d'elle, la prend dans mes bras pour l'y caler confortablement. J'ai sommeil mais les pensées parasites et le décalage horaire m'empêchent de dormir. Je berce Nina contre moi, sa peau contre la mienne avec seulement sa robe légère entre nous. Mes mains s'égarent sur son corps, sur sa douceur. Je l'apprends par cœur du bout des doigts, en caresses microscopiques, en micro-pression, me promenant avec lenteur, l'effleurant de ci de là.

Je ne veux pas lui faire de peine en le disant, mais je sais bien au fond qu'il ne peut garantir la sécurité de personne, ni la mienne, ni la sienne, ni celle d'un éventuel enfant à venir. Pas par manque de moyens ou de volonté, loin de là, j'ai toujours placé Slavenko très haut -trop sans doute- dans mon estime de ce côté-là et je me sens toujours en sécurité absolue dans ses bras. Malheureusement il ne peut pas être là tout le temps, et il est des choses qu'on ne peut éviter. C'est le cas dans toutes les familles, tout peut arriver n'importe quand, on peut crever demain d'un accident de voiture, ça ne m'angoisse pas au quotidien, je n'y pense pas. Seulement avec la vie qu'on mène, les risques sont plus grands, c'est un fait.

Slavenko se trompe, je n'ai jamais complètement décroché, il y a toujours eu un palliatif. La kétamine, ou la méthadone, ou des somnifères. C'est pour ça que c'est si facile de retomber, il suffit d'augmenter les doses de ce que je prends déjà. Ce serait différent si je ne prenais plus rien, je crois que même moi je serais différente. Et je ne peux pas croire comme lui, que ça n'arrivera jamais, je ne peux pas avoir si peu d'estime ou de confiance en moi. Parce que je ne ferais jamais d'enfant sans être parfaitement clean. Je n'imposerais jamais mes dépendances à un bébé, et le fait de me sevrer est un pré-requis indispensable pour envisager l'idée de tomber enceinte un jour. Et malgré toutes les réticences que j'oppose, malgré toutes mes angoisses et mes peurs, j'en crève d'envie. C'est pour ça que ça me met dans de tels état d'ailleurs.

Dans ses bras je trouve enfin le sommeil, salvateur, réparateur. Je dors profondément et sans cauchemars, et je crois que j'aurais pu dormir encore si la sonnerie du téléphone de Slavenko ne m'avait pas réveillée. Je fronce les sourcils, me tourne vers lui pour lui faire face et rester enfouie contre sa peau pendant qu'il récupère son portable. Sur l'écran, je vois apparaître le nom de l'agent immobilier, et mon cœur s'emballe.

Je me suis endormi en cajolant Nina, vaincu par la fatigue, les doutes et les blessures cachées qui ne demandent qu'à suppurer à nouveau. Le téléphone me réveille en sursaut et je grogne en attrapant le téléphone. Je tâche de me réveiller tout à fait en décrochant. Je voudrais me lever pour épargner Nina mais elle se colle à moi. Je me redresse pour discuter sérieusement. La maison est libre et les propriétaires sont d'accord de baisser le prix si la vente se fait rapidement. Ils sont en instance de divorce et ils sont pressés de vendre. Je demande une minute à l'agent immobilier. "C'est pour la maison, c'est ok pour les proprio... C'est bon pour toi ?"

J'explique à l'agent immobilier que nous sommes à Bali mais qu'on peut s'arranger pour signer dès qu'on rentre. Il aimerait une signature avant ça, au moins une promesse de vente et/ou un acompte. Je lui dit que je m'en occupe et qu'il aura ça d'ici deux jours mais que je ne veux pas qu'il y ait des visites dans l'intervalle. Je veux qu'il nous réserve la maison. Une fois qu'on s'est mis d'accord, je raccroche et soupire intérieurement. "On va avoir cette maison, mais faut que j'appelle mon père." Je me penche pour embrasser Nina avant de me lever. Je ramasse mes clopes tombées au sol et je m'allume une cigarette. C'est pas que ça me réjouisse mais il a de l'argent et il est sur place. J'estime qu'il me doit bien ça.

Je suis anxieuse lorsqu'il décroche parce que la maison m'a tout de suite beaucoup plu, et comme on est tous les deux sous le charme, je n'ai pas envie de faire d'autres visites. Les maisons plus luxueuses que j'ai pu voir su internet ne m'auraient pas apporté la même satisfaction, je les trouve jolies mais dans celle-ci je nous imagine vivre, et j'imagine aisément en faire un cocon chaleureux pour notre famille, qu'on reste à deux ou non d'ailleurs. La conversation se fait en serbe et comme en plus je n'entends que la moitié, il m'est difficile de comprendre. Mais puisqu'elle dure un peu ce ne doit pas être si mauvais signe, autrement il se serait contenté de dire que c'était mort et il aurait raccroché. Je plisse le nez, hoche la tête rapidement quand Slavenko me demande mon avis, je suis encore plus sûre de moi que le jour de la visite qui s'est terminée un peu abruptement.

Il raccroche et je grimace qu'il doive demander de l'aide à son père, mais je prends sur moi parce que je ne veux pas passer à côté de la baraque et qu'on n'a pas vraiment le choix de là où on se trouve. J'ai suffisamment embêté Dimitri, je ne peux pas le déranger encore et en plus je crois qu'il décolle demain pour NY. Comme il se lève, je fais de même, m'écartant du lit pour aller boire et prendre l'air avant qu'il revienne près de moi. Je ne cherche pas à le coller pendant qu'il discute avec son père. Quand il est de retour dans la chambre, je demande prudemment : Il veut bien s'en occuper ? Je suis certaine que oui, Jelenko serait trop heureux qu'on lui soit redevables ! Je veux qu'on lui rembourse tout, Slavo, d'accord ? C'est une avance, même pas un emprunt, qu'on soit bien clairs. Mon visage s'éclaire un peu. On va avoir la maison, alors...?

La conversation avec mon père est un peu plus longue que celle avec l'agent immobilier et je suis surpris parce qu'il se montre presque ... gentil (enfin dans la mesure où ce qualificatif pourrait s'employer pour Jelenko ) Disons qu'avec la façon dont on s'est quitté la dernière fois, c'est un net progrès et il n'a plus l'air de m'en vouloir puisqu'il est d'accord pour nous aider. C'est pour ça que j'ai un air presque surpris quand je réponds à Nina après mon coup de fil. "oui, il va s'en occuper, il va donner l'acompte et faire la promesse d'achat, le reste se fera à notre retour. T'inquiète pas, il nous avance juste l'acompte..." Un sourire éclaire mon visage, je n'en reviens pas "Les proprio veulent vendre très vite alors on devrait pouvoir emménager vite aussi si tout se passe bien auprès des banques." Pour ça je ne me fais pas de soucis. Je suis un Tigrovi et ça a certains avantages à Sarajevo, on devrait pouvoir trouver un crédit sans problème, surtout que Nina est américaine auprès des banques, les investisseurs étrangers sont bienvenus, et leurs dollars avec.

Je ne réalise pas bien mais je laisse pourtant éclater ma joie et viens soulever Nina par la taille au dessus de moi "On a une maison à nous srce !!" Je la laisse glisser vers moi pour l'embrasser et la serrer dans mes bras. Tout va peut-être s'arranger finalement !