PUSO MO'Y SA INOSENTENG MANDIRIGMA | Nina

Qu'est-ce que je fous là? 
C'était une idée stupide. C'est ce que hurle mon cerveau, mais j'avais besoin de voir si elle vivait encore là. Elle aurait pu disparaître pendant que j'étais à New York, elle aurait pu s'installer ailleurs, elle aurait pu vivre seule. 
La réponse à toutes ces questions est non, et elle s'incarne sous mes yeux en la forme d'une maison dans laquelle je vois la lumière allumée. Le Serbe est probablement là, ou alors ne va pas tarder à rentrer du boulot, il vaudrait mieux que je dégage, que je retourne voir Leg, et que je lui demande ce qu'on a de prévu ce soir, s'il a besoin de moi. Car de toutes les manières il aura forcément plus besoin de moi que Nina, c'est une réalité à laquelle je dois m'habituer.

Je m'étire doucement, attrape mes écouteurs que je glisse de nouveau dans mes oreilles, et jette un dernier coup d'oeil à la maison. 
J'hésitais à rappeler Nina pour lui dire que j'étais de retour à Sarajevo, mais je crois que j'ai la certitude que ça ne rimerait à rien. Je me souviens des mots en hawaïen soufflés à son oreille, et je me dis qu'il est peut-être préférable que je disparaisse de son quotidien. 
Nina n'a plus besoin de moi.

Alors que je m'apprête à retourner vers l'hôtel en courant, je ne me rend pas compte qu'elle vient de passer la tête à la fenêtre, une clope à la bouche et qu'elle m'a vu. Non, tout de suite, tout ce qui compte, c'est de disparaître et de me démerder pour ne pas la recroiser, pour ne pas compliqué les choses plus qu'elles ne le sont déjà, et pour réussir à regarder vers l'avenir.

Je me demande si tout s'est passé comme elle voulait que ça se passe. Elle avait l'air de vouloir y croire à nouveau quand je l'ai laissé derrière moi, et quelque part, je l'envie beaucoup d'avoir réussi à pardonner, je l'envie presque autant que je ne lui en veux. En retrouvant le slave, Nina m'a effacé de sa vie, je n'ai plus de place dans son quotidien tant qu'il est là.
C'était vrai à New York, et ça doit forcément être vrai à Sarajevo. Alors je vais lui simplifier les choses et me démerder pour ne jamais graviter trop près d'elle, ainsi, elle n'aura pas à essayer de me ménager, ou d'arrondir les angles avec Slavenko. C'est moi qui vais disparaître. Elle ne sait même pas que je suis ici après tout, et même si je venais à croiser son mari auprès de Pussy, il me semble pouvoir affirmer qu'il ne parlera pas de ma présence à la jeune femme.
Pas en sachant ce qu'il y a eu entre elle et moi. Le sait-il seulement d'ailleurs?

Alors que je commence à courir, j'entends quelque chose sonner dans ma poche, je ne fais pas attention, le numéro est un numéro local, et pendant quelques secondes, je crois seulement à la réceptionniste de l'hôtel, ou même à Legence qui aurait besoin de quelque chose. - Oui allo? Je n'entends personne au bout du fil, mais coupé dans ma course, je reste à vue de la fenêtre, où elle a le téléphone collé à l'oreille. La fenêtre que je m'efforce de ne pas regarder.

J'entends sa voix au téléphone et mon cœur fait un raté. Je suppose qu'elle a dû me voir à travers la fenêtre, un truc comme ça ne peut pas être un hasard. J'aurais aimé qu'elle pense à m'appeler sans aucune raison, juste comme ça, mais ça n'est pas arrivé ces dernières semaines, et ça n'a aucune raison d'arriver aujourd'hui. - Salut... Elle me fait le reproche que j'attendais et j'ai un rire, presque nerveux, en l'entendant. Bien sûr que c'était con de venir jusqu'ici, et de prendre le risque qu'elle me voit. En même temps, le simple fait qu'elle semble avoir envie de me voir me fait plaisir.
J'inspire profondément, tourne sur moi-même, pour lui faire face, et la voit, toujours à la fenêtre. - J'ai pensé que ça ne ferait pas plaisir à ton mari de me voir sonner à la porte. Je me trompe? Parce que ce n'est pas chez elle, c'est chez eux, et rien que pour ça, et malgré tout ce qu'elle a pu me dire lors de ma dernière visite, je ne suis pas le bienvenu entre ces murs. - Tu veux lui expliquer pourquoi je viens te voir ou je le fais en sonnant à la porte? Mon ton est dur, tranchant.
Faudra faire avec, elle a ouvert des failles, et je compose avec.

Bien sûr que c’est chez elle autant que chez lui, le problème justement c’est que c’est aussi chez lui. J’ai aucune envie d’avoir sous les yeux les traces tangibles de cette relation. C’est égoïste, mais je suppose que j’ai le droit, c’est Mon tour cette fois. Nina l’a été été bien assez ces derniers mois. - Ça ne changerait rien hein? Alors pourquoi il ne le sait pas? Je sais très bien que le slave ne m’a jamais porté dans son cœur, et a vrai dire, il a bien raison.
La réciproque est toute aussi valable. Croyez moi.

Je la laisse répondre, ne quitte pas sa silhouette des yeux à travers la fenêtre. Ma gorge se noue douloureusement. La dernière fois qu’on s’est vus, je lui ai exactement donné les raisons qui font que j’ai pas la force de m’infliger le spectacle de leur petit bonheur à la con. Je suppose cependant que le fait de l’avoir dit en maori n’a pas aidé. - Je viens te voir parce que je suis inquiet pour toi. Et parce que je... parce que... laisse tomber. Écoute on a l’air de deux abrutis à se parler comme ça. Tu veux pas sortir? M’eviter d’entrer et de percuter la réalité de plein fouet.
J’ai encore envie de me voiler la face quelques temps. Ça n’est probablement pas un comportement à avoir mais j’ai déjà ben assez de choses à gérer sans me prendre un mur en pleine gueule.

Je serré la mâchoire douloureusement ce coup-ci. Je l’ai cherché, mais ça n’en est pas moins douloureux. Je ne sais pas bien ce que je fous là. À quel moment je me suis dit que ça pourrait me faire du bien de la revoir, exactement? Ça n’a aucun sens. Brutalement j’ai l’impression que les rôles se sont inversés, que c’est moi qui attends le retour de quelqu’un qui ne reviendra pas. Je ne réponds pas.
Y’a rien a dire.
Et ma voix refuse de formuler quoi que ce soit de toute façon. Faut croire que c’etait vraiment Une idée de con de me pointer ici. J’aurais mieux fait de rester à l’hotel à attendre sagement Legence et les prochains ordres de mission à accomplir pour sa protection

Je ne réponds rien non plus quand elle évoque la pitié, alors que le mot me brûle, parce que je pensais qu’elle me connaissait mieux que ça. Il faut croire que non, passer un an collés l’un à l’autre ne fait pas moins de nous des étrangers. Lorsqu’elle finit par sortir, par apparaître devant moi, je soupire: - Tu n’as pas cherché n’est ce pas? Je détourne les yeux. - Ce que je t’ai dit en Maori la dernière fois. T’as pas cherché ce que ça voulait dire pas vrai? C’est sans doute mieux ainsi.
Mes yeux remontent vers les siens et mon cœur se serre douloureusement cette fois. - Je suis désolé, j’arrive pas à être heureux pour toi. Je suis désolé. Et le pire, c’est que je suis on ne peut plus sincère.

Je fronce les sourcils à mon tour alors qu’elle s’agace. Je réalise que je n’aurais pas dû dire ça comme ça. Faut croire que je sais plus faire avec Nina, c’est comme si à chaque fois qu’on se retrouvait il fallait réapprendre à faire l’un avec l’autre, soit parce qu’elle va mal et qu’elle s’est remise à la drogue, soit parce que je vais mal et que je ne sais plus où j’en suis. C’est ridicule, on devrait avoir appris à se parler. Mais ça part en couille, comme toujours.

Je lève les mains en signe de reddition, j’ai pas envie qu’elle le prenne mal, je n’ai pas dit ça pour l’énerver, c’était plutôt pour m’assurer qu’on en était toujours au même point. Je souffle longuement, j’essaie de reprendre contenance et de retrouver mon calme, pour qu’on réussisse à se parler calmement. - T’énerve pas. C’est pas c’que j’voulais dire Nina. C’est pas… Calme toi s’teuplait. Pardon d’accord? Je soupire, passe la main dans ma nuque et inspire profondèment: - Pardon. J’ai merdé en venant ici sans sonner à la porte, j’ai merdé en rentrant aux USA sans prévenir, j’ai merdé ok? J’ai merdé. Citez moi un truc que j’ai réussi à ne pas foirer ces derniers temps. Je suis paumé depuis que Lieven a dégagé sans laisser de trace. C’est comme si j’avais raté avec elle ce que j’ai raté avec ma soeur. Alors, oui, je suis bancal. Elle s’en est juste pas rendu compte avant parce qu’elle avait plus besoin de moi que le contraire. - J’étais amoureux de toi. C’est ça que ça voulait dire. J’ai pas eu la force de le dire. Pardon. Je balance nerveusement, en fuyant son regard. - J’sais pas où j’en suis. Je suis perdu. Et je crois que cette fois, c’est moi qui ais plus besoin d’elle.

J'ai agis comme un imbécile avec Nina.
A trop panser ses plaies, j'ai oublié de penser à moi. A chaque fois que j'ai essayé de faire quelque chose, à New York, c'était pour la protéger. Même quand je la repoussais de mes genoux, essayant en vain de lui résister, j'essayais de la protéger. D'elle même, de son désespoir, de ce qui la poussait à me vouloir moi alors qu'elle n'avait jamais voulu que lui.
Même quand j'ai oublié de lui dire que je quittais Sarajevo, j'ai voulu la protéger: de la blessure que j'allais provoqué en repartant aussi vite que je n'étais arrivé. J'ai merdé sur toute la ligne, et mon égo mis à part, j'arrive à le reconnaître. Parce que je déteste la mettre dans cet état.

Le silence retombe et puis je sors tout ce qui pèse sur mon coeur. Je ne sais même pas ce qu'il en est aujourd'hui, j'ai fini par me dire que de toute façon, ça n'avait aucune espèce d'importance puisque la situation n'était plus la même, et que même à l'époque, elle n'aurait pas réussi à oublier le slave avec moi. Sinon on en serait pas là. Pas ici.
Je soupire quand elle reprend la parole. - Il se passe que j'ai été con. J'ai été con avec toi, comme j'ai été con avec tout le monde. J'ai voulu la sauver, et j'ai oublié d'arrêter d'être un héros. Je suis pas un héros. Maui c'est du vent. - J'm'en suis rendu compte quand t'as quitté New York. Quand je suis venu la dernière fois... que tu m'as parlé de Slavenko... J'ai voulu te le dire, mais j'ai pas eu le courage. D'où l'usage de ma langue maternelle. - Je sais que ça change rien. C'est pas pour ça que je le dis. Je répète, le coeur battant, le regard fuyant: - Mais tu m'as dit d'arrêter de me cacher. Je t'ai pas aidé pour ça. Je... C'est venu après... Ca change rien. Je sais. Je soupire, et remonte enfin les yeux vers elle.

Je soupire. J'ai l'impression que le décalage horaire est en train de me tomber dessus d'un seul coup, et la fatigue accumulée ces derniers jours n'aide vraiment pas, mais je crois que je me mens à moi-même en prétextant que ça n'est que ça. Ca fait des mois que je garde ces trucs là pour moi, et forcément, les révéler à Nina, ça veut dire faire face à son rejet. Je ne sais pas ce que son mec sait de moi, mais je devine qu'il virera rouge s'il apprend qu'elle fréquente un type qui revendique être amoureux d'elle. Les sentiments passent, c'est déjà moins fort que la dernière fois, mais ça n'empêche que s'il sait que je l'ai envisagé, il voudra ma peau.
Je m'en branle, ça ne me fait pas peur. Je l'ai déjà affronté à main nue, et ce soir là, j'ai gagné. Mais là, il n'est pas question de faire du mal à Nina.

Sa main se pose sur mon bras et je ferme les yeux. J'inspire profondèment, attrape sa main pour la retirer de mon bras. Je met un temps fou à parvenir à lâcher sa main. Mais si elle me touche, ça va tout compliqué. Vous savez pas combien j'ai envie de la prendre dans mes bras, de la faire disparaître au monde, comme ces jours passés entre les portes de nos appartements. - Désolée? De quoi? D'être une femme qu'on a envie d'aimer? Un sourire doux étire mes lèvres.
Je ne peux pas lui en vouloir, pas à elle.
Même si je préférerais pouvoir hurler, c'est de lui que je suis jaloux, mais c'est elle qui l'a choisi. Il ne l'a pas forcé. Pas cette fois là en tout cas. - Qu'est-ce que ça aurait changé? J'ai cru... J'ai cru que à New York... Enfin, je sais que c'était bizarre mais on construisait quelque chose... un quotidien ensemble. Je peux pas te forcer à m'aimer Nina. J'adorerais ça. Mais j'peux pas. Je ferme les yeux, ravale l'émotion qui me saisit la gorge.
J'ai pas envie de passer mon temps à la fuir. A fuir son contact. A fuir son sourire. Ma main se tend doucement vers elle, mais je me retiens de la toucher, à la dernière seconde. - Tu me manques.

Ce rejet que j’impose à Nina, il est l’incarnation exact de ce que j’ai essayé de lui éviter pendant tout le temps où j’ai veillé sur elle. Je sais que ça lui fait mal, je sais que ça a forcément un effet mauvais sur elle, mais je ne peux pas supporter qu’elle me touche, là, maintenant. Pas alors que je suis en train de prendre en pleine gueule l’impossibilité évidente de l’histoire à laquelle j’ai eu la naïveté de croire en débarquant à Sarajevo il y a quelques mois. J’ai été tellement con. Toujours eu le chic pour m’enticher des mauvaises personnes de toute façon. Y’avait aucune raison pour que ça change, n’est-ce pas? J’aurais dû continuer à la repousser, à refuser de la toucher, à ne pas laisser nos sentiments l’emporter.

Un rire claque dans ma cage thoracique alors que je hausse les épaules avec une désinvolture tout à fait feinte cette fois. J’ai envie d’aller me planquer dans ma chambre d’hôtel, et de vider le mini bar, là, tout de suite. Mais je suppose qu’on fait pas ça après ce genre d’aveu. - Qu’est-ce que tu veux que je te dise? Pourquoi est-ce que tu crois que j’t’ai repoussé Nina? Si j’avais su. Si j’avais su, j’aurais fondu sur sa silhouette fine, je l’aurais couverte de mes baisers, et tenue éloignée de ce pays de merde. - Je savais que t’étais encore amoureuse de lui. J’l’ai toujours su. J’ai pas voulu te toucher parce que j’avais peur que tu penses à lui pendant que j’te touchais, pendant que… Ma voix se brise cette fois, et je ferme les yeux pour ravaler la douleur des sentiments qui me sautent à la gorge. - J’voulais te proposer qu’on vive ensemble, quand je suis venu la dernière fois. Alors quand tu m’as dit… Ben j’ai arrêté d’y croire. Et j’ai rangé ma proposition loin, loin, sur la liste des choses qui n’arriveront jamais. - On s’en fout. On s’en fout que ça me fasse mal. Me dégage pas Nina. S’il te plait. On s’en fout de moi, ça a toujours été le cas.
Je pense qu’on aurait pu construire quelque chose. Si tu savais comme j’ai eu envie de toi , toutes ces fois où je t’ai repoussé.