Nine months from now - Slavina

12 avril ; 09h07

L'état de fébrilité dans lequel je me trouve est légèrement démentiel. Qu'on ne vienne pas me dire que c'est un oxymore, parce que je ne suis vraiment pas d'humeur ! Je devrais être anxieuse parce que Slavenko, qui devait rentrer aux alentours de six heures, a finalement dû rester au QG pour je ne sais quelle obscure raison. Et au fond, c'est bien entendu le cas. Je crains une blessure, une mission qui aurait mal tourné, ou bien de nouvelles représailles de la part de son père. Je devrais également être enchantée, parce qu'on a décroché lundi un contrat hyper important pour l'agence, qui nous assure pour les semaines à venir une hausse de revenus assez conséquente. Je devrais aussi être soulagée que la mission dans laquelle je me suis lancée hier n'ait pas tourné au drame. Trois semaines seulement après avoir été blessée, organiser un cambriolage relevait du suicide, mais vu l'état dans lequel je me trouvais hier soir je n'étais pas vraiment en mesure de réfléchir. Je m'en suis tirée courbaturée mais sans blessures, avec un peu moins de 10 000$ dont il va falloir que j'explique la provenance à mon futur mari qui ne se doute pas un seul instant que je suis sortie. Oh et je pourrais, accessoirement, être angoissée parce qu'on fête, dans quelques heures, l'anniversaire de Slavenko chez son oncle, à Banja Luka, et que je préférerais me faire écorcher vive que d'y aller. Sans exagération aucune, évidemment. 

Et pourtant, non. La véritable raison de mon humeur très instable ce matin, de mon rythme cardiaque qui s'affole dangereusement, et des accès de panique qui m'agitent, se résume à un courrier, en PDF sur mon ordinateur en plus, qui indique une confirmation de grossesse. C'est déjà ce qu'affirmait le test de grossesse, fait il y a trois jours, mais je n'ai jamais accordé beaucoup de confiance à ces machins-là. La prise de sang devait venir démentir les résultats.  Sérieusement, on essaie depuis trois semaines à peine, c'est censé être bien plus long que ça ! J'aurais du m'en douter, pourtant, je suis morte de fatigue depuis une semaine, j'ai des nausées depuis deux jours (heureusement, Slavenko a toujours été absent lorsque c'est arrivé), et je suis presque certaine que ma poitrine a grossi. Mais non. Et surtout, mon Dieu, je pensais que je serais terrassée de bonheur en découvrant le test positif. Ou se cache la putain de joie censée me submerger ? Parce que tout ce que je ressens depuis que j'ai reçu les résultats, c'est une trouille monumentale, et l'envie de me barrer au Mexique pour changer de nom.

J'en suis là dans l'analyse des options qui s'offrent à moi quand la porte d'entrée s'ouvre, me faisant violemment sursauter. Je voudrais m'asperger le visage d'eau mais je suis déjà maquillée, alors je me contente de m'appuyer sur le lavabo pour respirer lentement, et tenter de reprendre mes esprits. Je ne sors de la salle de bain qu'une fois certaine -ou presque- que je ne vais pas tomber dans les pommes, et je rejoins Slavenko. Dehors, la pluie s'abat bruyamment sur les vitres du salon. C'est le déluge, exactement à l'image de ce que je ressens. Pourtant, malgré la trouille, j'ai un besoin infini de réconfort, et je me réfugie dans les bras du slave dès qu'il entre dans mon champ de vision.

J'ai été retenu au travail - ou plus exactement j'ai du repasser au QG - mais c'est pour la bonne cause et je suis de bonne humeur en rentrant malgré la fatigue et le fait que j'appréhende la réunion de famille. Je presse le pas en arrivant à l'appartement, et le temps d'accrocher ma veste et Nina me rejoint. Je souris en la pressant contre moi, petit animal souvent si câlin que ça m'étonne encore souvent "Tu es déjà prête ? C'est génial parce qu'on est pas en avance figure-toi. On a trois heures et demi de route à tirer. J'ai du repasser au QG mais pour la bonne cause, ma mise à l'épreuve est finie, plus de garde à l'entrepôt. Humm j'dois prendre ça comme un cadeau d'anniversaire j'suppose... ha ha." L'idée m'amuse par sa féroce ironie moi qui déteste mon anniversaire, encore plus depuis la mort de ma mère il y a deux ans. Je l'ai appris le lendemain de mes 39 ans. Je garde encore des regrets de ne pas avoir pu revoir ma mère avant son décès mais c'est comme ça, on fait rarement ce qu'on veut dans la vie.

Je relève le menton de Nina pour un baiser fondant, chaud, qui fait vibrer cette chaleur dans mon ventre, cette corde de désir qui existe toujours entre nous. Mes mains se calent contre les courbes de son corps - ses seins lourds et brûlants sous ma paume - et je ne pense déjà plus qu'on est en retard quand mon corps se fait plus pressant contre le sien et que je cherche déjà un accès à sa peau.

​Les battements de mon coeur s'emballent, entre soulagement et trouille quand il me dit qu'il n'est plus de garde, ce qui signifie que sa punition est terminée mais aussi qu'il va pouvoir recommencer des missions plus dangereuses... Et ce n'est vraiment pas le moment pour ça. D'un autre côté, je n'en pouvais plus de cet emploi du temps qui nous empêchait de nous voir constamment. On n'a pu que se croiser ces derniers jours, j'ai enchaîné les longues journées de boulot, rentrant toujours un peu trop tard le soir, épuisée, et me levant toujours trop tôt le matin pour y retourner. J'ai vécu moi aussi ces horaires décalés comme une punition, de même que son interdiction formelle de quitter la ville. ​J'ai toujours trop de rancœur pour être réellement satisfaite, parce que je ne parviens pas à être reconnaissante. Je n'en démords pas malgré le temps, ce qu'ils ont qualifié d'insubordination n'était que de la colère d'un fils envers son père, il n'y aurait pas dû y avoir là de notion de hiérarchie, parce qu'ils m'ont mise en danger sans même le prévenir. Bref, on évite généralement d'aborder le sujet parce que sinon ça finit toujours mal.

Je me contente donc d'acquiescer en le serrant plus fort contre moi, et je réponds d'ailleurs : Bon anniversaire moja duša. Je suis déjà habillée, je n'ai plus qu'à mettre mes chaussures pour être prête à partir et je suis un peu surprise que ses mains glissent sur ma peau, dans une recherche évidente de plaisir. J'en geins contre sa bouche, mes doigts tirant sur son pull quand je l'attire plus fort à moi, la fébrilité reprenant le dessus. Il y a une petite voix dans mon crâne qui me souffle que ce sont nos derniers instants de paix, parce que je suis encore persuadée qu'il va prendre la fuite quand il saura que je suis enceinte. Il disait vouloir cet enfant mais c'était abstrait, lointain, je ne suis pas sûre de sa réaction quand il apprendra que c'est soudain très concret. Je passe mes mains sous son pull, cherche avidement la chaleur de sa peau, me cambrant naturellement pour offrir la mienne à ses caresses. Et finalement je m'écarte, juste assez pour ôter moi-même ma robe, sans doute pour ne pas lui laisser le temps de changer d'avis.

Je suis heureux qu'elle ne proteste pas, ne se fasse pas la voix de la raison parce que je n'ai nul envie d'être raisonnable. Nina me manque beaucoup trop ces derniers jours malgré tous nos efforts à faire coïncider nos agenda. Je sais que Nina ne serait surement pas d'accord avec mon raisonnement, mais je préfère de loin faire des missions sur deux ou trois jours, puis des pauses qui me permettent de rester en stand by à la maison.

Je frémis d'anticipation en la sentant s'échapper de mes bras juste pour ôter sa robe. Avec sa lingerie sexy et ses bas, sa peau blanche comme de la nacre précieuse, Nina est plus belle que dans n'importe lequel de mes fantasmes et le désir rushe puissamment. Je reviens vers elle pour la soulever dans mes bras, la laissant s'accrocher à moi, ses jambes enroulées autour de moi. Mes doigts s'incrustent dans sa chair tandis que ma bouche trouve le renflement joli d'un sein. Après une tendre morsure, je lève le nez vers Nina espérant sa bouche. Un sourire éclaire mon visage "merci zlato, j'adore mon cadeau" C'est elle mon cadeau, ça a toujours été comme ça, anniversaire ou pas.

Je viens la poser sur l'îlot central de la cuisine pour pouvoir commencer à la dévorer tranquillement de la gorge à la poitrine marquant mon territoire de baisers mouillés et de morsures plus ou moins propriétaires.

C'est le même rituel chaque fois qu'on se retrouve, nos corps qui se parlent avant qu'on puisse songer à faire quoi que ce soit d'autre, et pourtant je ne m'en lasse jamais. Parce que ce n'est jamais suffisant. Mes rêves sont pleins des souvenirs de nos vacances à Bali, et de la mélancolie que je ressens à savoir qu'on n'aura sans doute plus jamais l'occasion de partir si longtemps ensemble, loin d'ici. Alors je me jette à corps perdu dans ces étreintes qui ont toujours un goût de trop peu, dans ces moments trop brefs que l'on parvient à passer ensemble. Et je sais déjà, pourtant, que j'aurais besoin de plus que ça, et que je vais très bientôt imploser si je ne parviens pas à l'obtenir.

Dieu merci, je sais à son regard qui s'assombrit en se posant sur moi que je ne suis pas la seule que le désir tourmente sans cesse, et je peux m'enrouler autour de lui pour le laisser m'emmener dans la cuisine. Nous n'atteignons jamais la chambre. Je prends ses lèvres dans un long baiser qui charrie le sang plus vite dans mes veines, plonge mes mains dans ses cheveux comme je le fais toujours quand j'ai besoin de sentir qu'il m'appartient. Il est encore à moi, tant qu'il ne sait pas, il est encore à moi. Je secoue la tête alors qu'il plonge sur mes seins, marquant ma chair comme j'ai rêvé qu'il le fasse toute la nuit. Ce ne sera pas ton seul cadeau, tu sais ça...? Je le débarrasse de sa ceinture, ouvre son treillis pour y plonger ma main et enrouler mes doigts autour de l'objet de toutes mes convoitises. Tu restes avec moi ce soir...?

Je ne l'emmène pas dans la chambre sinon je sais déjà qu'on ne la quittera jamais. Si je me retrouve nu contre elle dans le pieu, jamais on ne sortira d'ici avant plusieurs heures, or je rappelle qu'on est déjà techniquement en retard. Alors une heure de retard, ça passera, mais six ou huit, beaucoup moins bien. J'ai une sorte de statu quo avec mon père et je n'ai pas envie de le briser. Je me rattraperais avec Nina les jours prochains puisque je vais enfin pouvoir reprendre une activité plus diurne et passer mes nuits avec elle.

Je gronde de plaisir, de ce ton animal et impatient qui aujourd'hui pourtant se teinte souvent de tendresse au lieu de la fureur négative d'autrefois. Notre rupture et surtout l'avoir dépassé m'a fait grandir dans notre relation. La peur source de colère est beaucoup moins omniprésente, moins puissante aussi. Ces derniers mois, j'ai appris la confiance, en elle, en nous. Je soupire déjà entre ses doigts experts qui achèvent de me faire durcir "Humm je sais mais tu sais que je me fiche bien des autres cadeaux. C'est toi que je veux." Je joins l'idée à la parole en écartant impatiemment le tissu de sa culotte pour venir sans attendre en elle. Je n'ai jamais été très patient pour gérer la frustration. Ce qui revient à dire que je me jette avec passion dans cette étreinte, ma bouche sur sa bouche, mes mains sur ses hanches la ramène vers moi, pour me plonger plus profondément en elle. Dieu que j'aime ses mains dans mes cheveux, je geins de bonheur aux tiraillements des nœuds dans les mèches plus longues que je coupe pas pour elle.

Comme souvent, je ne cherche pas à faire durer ou à être dans une étreinte sensuelle et savante, rien de tout ça. C'est brusque, intense, passionnel, avec cette montée brutale du plaisir et son apogée rapide jusqu'à l'extase, puissante, merveilleuse, toujours aussi incroyable avec Nina.

Je profite avec délice de ces quelques secondes après l'orgasme durant lesquelles mon cerveau se deconnecte tout à fait, mes neurones cramés par la vague brûlante de plaisir qui m'a fauchée, de concert avec lui. Cet instant toujours trop bref durant lequel son corps et le mien ne font qu'un, au point que nos âmes me semblent liées. Les tremblements de mes membres s'apaisent peu à peu, jusqu'à disparaître tout à fait dans un long frisson qui me pousse à chercher la chaleur de ses bras. Dieu que je hais qu'il soit encore tout habillé quand je suis presque nue contre sa peau. La réalité se rappelle à moi à ce simple constat et je soupire dans un dernier baiser avant de desserrer mon étreinte. Je suis désormais habituée à cet arrière goût de pas assez qui me reste sur la langue, et dilue les bienfaits de l'orgasme dans la mélancolie. Ça m'est bien égal d'être en retard à cet anniversaire où personne ne veut me voir, je préférerais mille fois passer la journée sous les draps avec lui, le nez collé à sa peau. Mais je sais d'avance qu'il m'en voudrait ne serait-ce que d'oser proposer ça, alors je le libère et le laisse s'éloigner de moi.

Je descends de mon perchoir pour passer aux toilettes, et en me relevant je caresse du bout des doigts la marque des siens, incrustée sur mes hanches. J'ai également eu droit à deux suçons-morsures plus marqués sur la poitrine, et j'essaie de me convaincre que c'est la preuve qu'il me veut encore. On sait bien tous les deux que j'ai seulement l'impression de ne plus lui manquer, d'avoir besoin de choses de lui peut se passer. Ça me rappelle désagréablement le Bronx, et ça me plonge dans une drôle d'humeur morose dont je peine à m'extraire. De retour dans le salon, je remets ma robe pendant qu'il se prépare à son tour, je passe mes chaussures et m'occupe de vérifier que le chat a suffisamment à boire et à manger. Tigar roucoule contre ma jambe, trop heureux de m'avoir pour lui seul depuis deux semaines. On sort une fois que Slavenko est prêt, et comme Dimitri est à New-York cette semaine, on peut utiliser sa voiture pour aller à Banja Luka. Je laisse Slavenko au volant et m'enfonce dans mon siège, perdue dans des pensées qui tournent toutes autour du têtard qui doit se balader dans mon ventre à cet instant précis. Silencieuse, je retiens mon souffle, comme si j'allais pouvoir le sentir, ce qui est absolument ridicule.

Je prends le temps d'une douche de deux minutes top chrono et j'enfile des fringues propres en balançant les autres dans le panier à linge. Je renonce à ma raser ou à faire quoique ce soit de mes cheveux qui pendouillent en mèches humides sur mon visage. J'avale un énième café de la matinée avant qu'on ne prenne la voiture. C'est que j'ai trois heures et demi de bagnole à tirer et une nuit blanche dans les pattes. Malgré tout un sourire étire les traits de mon visage, comme souvent ces jours-ci. Si la situation parait difficile, j'ai pourtant trouvé un équilibre au milieu de ce fiasco qu'a été cette mise à l'épreuve mais uniquement grâce aux projets d'avenir que Nina et moi avons. Bientôt nous emménagerons dans notre maison, et je passe souvent dans l'après-midi pour vérifier l'avancement des travaux. C'est comme ça ici, si on ne met pas la pression rien ne se fait. Là je peux dire que nous sommes dans les temps, le rez de chaussée sera surement prêt entre début mai et mi-mai.

J'allume la radio dès qu'on est sur l'autoroute et ma main se perd sur la cuisse de Nina dans un besoin de contact irrésistible. Je sais que pour elle, ce repas de famille est une épreuve principalement parce qu'il se passe chez mon oncle. Mais c'est aussi l'occasion pour elle de rencontrer ma grand-mère (la belle-mère de mon père), ma tante (la demi-sœur de mon père), mes cousins et cousines au sens large du terme. Si on compte les enfants, on sera une bonne vingtaine pour ce diner en comité "restreint". Au bout d'un moment je fais remarquer "Tu es bien silencieuse moj andjeo, ça va ?"

La main qu'il pose sur ma jambe me fait sursauter un instant, et j'ai besoin de quelques secondes pour reprendre mes esprits. J'étais tellement perdue dans mes pensées que j'en avais presque oublié que nous sommes en voiture. D'ailleurs, je réalise seulement maintenant que la radio est allumée, et qu'entre deux chansons je suis absolument incapable de comprendre les publicités débitées en serbe, parce que les annonceurs parlent bien trop vite pour moi. Mon bébé va grandir dans un pays qui n'est pas le mien, et dont je parle à peine la langue. Plus tard, il ira à l'école apprendre une histoire que moi-même je ne connais pas, et aura des discussions dont je ne comprendrais pas le sens. Je n'ai plus eu le temps de retourner aux cours de langue depuis la mission qui a mal tourné, et comme je ne fréquente plus du tout les Tigrovi, je ne suis que rarement amenée à parler serbe. Il faut absolument que je m'y remette, et sérieusement.

Je tourne la tête vers lui lorsqu'il s'adresse à moi, hausse doucement les épaules. C'est rien, je suis fatiguée. Comme toujours ces derniers temps, mais aujourd'hui plus encore parce que moi non plus, je n'ai pas dormi de la nuit. Je soupire, anxieuse, fébrile également, et fais finalement remarquer : Je ne sais pas si c'était une bonne idée que je vienne... Tu es sûr que je suis invitée, au moins ? Non parce que je serais très étonnée que Mirko m'ait expressément invitée. Et puis ça me tue qu'on fête l'anniversaire de Slavenko chez lui, quand on devrait décemment le fêter chez nous.

Je hausse un sourcil à sa remarque un peu étrange mais si prévisible "Bien sur que oui zlato, tu sais bien que j'y serais pas allé sans toi" Je mets un soin extrême à inclure Nina. J'ai bien compris qu'elle m'a trop souvent reproché de faire un clivage entre mes bouts de vie, entre elle, les tigrovi, ma famille, et je tâche de remédier à ce travers naturel. J'ai bien trop peur de la perdre pour ne pas faire des efforts. De plus comme on va se marier, et que j'aimerais sincèrement que ça se fasse avec ma famille - comme un "vrai" mariage, à l'inverse de Las Vegas - j'essaye de faire de mon mieux pour réconcilier celle-ci et Nina. C'est pas une mince affaire !

Du pouce je caresse la soie de ses bas à hauteur du genou. "T'en fait donc pas srce, ça va bien se passer. Y aura assez de monde pour que tu ne sois pas assise à coté de mon oncle si c'est ça qui t'embête! Tiens, dis toi que tu vas pouvoir lui piquer les idées de déco pour la maison, d'ailleurs il faut choisir la couleur exacte du sol pour la semaine prochaine, ainsi que la peinture des murs...Tu sais que c'est un boulot pour toi ça !" Je suis une tanche en décoration.Avec le résultat sous les yeux je peux dire si j'aime ou non - n'importe quel débile sait faire ça - mais de là à pouvoir penser à des associations d'idées... ça ne tiendra qu'à moi je montrerais une image dans un catalogue en disant, faites ça. Ce n'est pas exactement comme ça que Nina procède, pauvre de moi ! Enfin, je ne me plains pas tant que ça, j'ai la compensation de la tenir dans mes bras et de pouvoir la peloter tandis qu'elle écume les sites internet en me demandant mon avis. J'ai un rire bas et espiègle en pensant que ma main s'est souvent perdue entre ses cuisses dans ces moments là et qu'au bout du compte, j'aime assez nos orgasmes-déco...

J'imagine déjà le conflit que ça a du créer, je suis prête à parier qu'ils ont tous essayé de le convaincre de venir sans moi. Et je suis honnêtement surprise qu'il ne se soit pas contenté d'accepter, comme il l'a toujours fait autrefois. Il cherche à éviter le conflit mais il compte vraiment beaucoup sur moi pour ça, or j'estime avoir déjà enduré plus que ma part pour tenter de me faire accepter par sa famille. En témoigne la cicatrice encore fraîche sur mon épaule. Je ne les ai plus vus depuis, aucun d'entre eux, et personne n'est évidemment passé voir comment j'allais, ni n'a appelé pour demander après moi. Non pas que je m'attendais à ce qu'ils le fassent.

Je fronce les sourcils, parce que je trouve qu'il prend tout ça bien trop à la légère et ça a le don de m'agacer prodigieusement. J'aimerais encore mieux aller vivre dans un squat que de piquer des idées de déco à ton oncle. Que les choses soient très claires, peu importe que ses goûts en la matière soient excellents, il est hors de question que je m'inspire de quoi que ce soit qui vienne de lui. C'est quand même assez incroyable qu'il ait seulement accepté de faire son anniversaire là-bas ! Très honnêtement, après ce que son oncle m'a fait subir durant la mission, je pensais que j'avais gagné le droit de ne plus avoir à le supporter. Jamais. Mais non. Slavenko a été agacé une heure ou deux avant de passer l'éponge, comme il le fait toujours, déformant la réalité pour finalement se convaincre que ce n'était pas si grave. La seule raison pour laquelle je ne crie pas au scandale, c'est parce que j'aimerais éviter que son anniversaire tourne au drame. Je m'autorise à bouder un peu malgré tout, et je m'enfonce dans mon siège. C'est moi qui aurait du organiser ton anniversaire...

Ce sera toujours le même débat, Nina me trouve trop laxiste avec ma famille, elle juge sévèrement notre fonctionnement. Je me suis toujours dit qu'ayant souffert de l'absence de famille, elle a une vision idéalisée de celle-ci. Pour avoir vécu vingt ans sans ma famille, je peux vous dire que je préfère quand elle est là, même avec tous ses travers et nos conflits. Alors oui, je passe l'éponge d'autant plus facilement que j'ai l'habitude d'obéir et de reléguer nos affrontements au rang de peccadilles parce que je sais que le jour où il faudra me tirer d'un mauvais pas, me sauver la vie, ils seront là. Alors je hausse les épaules face à la remarque acide de Nina, je peux supporter de faire le tampon entre elle et mon oncle, encore une fois.

Je vole la main de Nina pour l'embrasser avant de la reposer sur sa cuisse. "Humm à l'appartement ? Vingt personnes, ça rentrera jamais. L'année prochaine, on aura la maison, on fera comme tu veux srce... En plus on sera marié, tu disposera de moi comme tu veux ! Et tu sais... même si on ne fait rien, ça m'ira aussi très bien ! " Je ne l'ai pas dit explicitement à Nina mais c'est la première fois qu'on va faire mon anniversaire en famille depuis des siècles. la dernière fois, je devais avoir 18 ans ! L'année passée, pour mes 40 ans, j'étais en mission et on a simplement bu plus que de raison avec mes camarades. Du coup, même à moi ça parait surréaliste de se taper la route jusqu'à Banja Luka pour juste souffler des bougies. En plus je n'aime pas particulièrement fêter le fait que je prenne un an de plus et je ne peux pas m'empêcher de penser à ma mère. Je soupire avant de me laisser absorber par la route lancinante, les essuies-glaces battant au rythme de la pluie diluvienne qui s'abat sur le pays.

Je n'aurais jamais invité vingt personnes à l'appartement, parce que je ne comprends pas pourquoi il a besoin d'inviter autant de monde à son anniversaire. Ce sont des gens qu'il ne voit absolument jamais. C'est comme pour le coup d'avoir un immense mariage rempli de personnes que je n'aurais jamais vu de ma vie auparavant, je n'en vois pas l'intérêt. Mais j'ai compris que c'était important pour lui, alors je ne dis rien. Le pire, c'est que c'est tout ce dont j'ai toujours rêvé, faire partie d'une famille nombreuse. Les repas interminables durant lesquels on passe quatre heures à table agacent la plupart des gens, moi ça me fascine parce que je n'ai jamais connu ça de ma vie. Il y a tout un tas de choses que j'aurais été prête à faire pour être acceptée des siens, malheureusement tout ce que les Drazavic ont pu faire depuis que je les connais, c'est me faire comprendre que je n'étais pas un membre de cette famille, et que je n'en serais jamais un. Slavenko parle de laxisme, moi je crois qu'il est tout bonnement aveugle. Son père m'a clairement dit, de façon très franche et sans sous-entendus, que je ne devais pas compter sur les Tigrovi pour sauver ma peau. Quant à son oncle, j'ai grâce à lui eu droit au récit de toutes les choses que Slavenko a fait quand il m'a quittée. Et je suis censée passer la journée avec des gens qui ne rêvent que de présenter une autre femme à mon fiancé. Bien-sûr, c'est moi qui exagère, franchement, j'abuse.

​Je me mords la langue, très fort, pour ne pas lui répliquer que le mariage n'a jamais rien changé. A NY, on était mariés. Il a disposé de moi comme il voulait, et puis ensuite il a disposé de lui-même, à l'autre bout du monde. Alors justifier le comportement de sa famille par notre divorce, je trouve ça osé de sa part. Je croise les bras sur ma poitrine, une main négligemment posée sur mon ventre, cachée par mon bras, dans un geste de vaine protection envers ce secret que je n'ai pas encore envie de partager. Pas même avec lui. Le reste de la route se fait dans un silence un brin tendu, en tout cas de mon côté, et aux nombres de voitures déjà garées devant la baraque de Mirko, j'en conclus que nous sommes impatiemment attendus. ​

Moi, je pense que cet anniversaire est une main tendue, une volonté de faire la paix, ou au moins de calmer le jeu et c'est important pour moi. Tiens d'ailleurs je pense que c'est aussi pour ça qu'on a levé ma punition si vite. Je me suis tenu à carreaux et mon père fait un geste de son coté. En quoi Nina dirait que je suis très naïf et c'est sans doute vrai, comme on le verra par la suite de cette merveilleuse journée !

On passe le portail ultra sécurisé façon Mirko, et je me gare, soulagé et crevé du trajet et j'étouffe un bâillement avant de m'extirper de la voiture pour me dégourdir les jambes. La villa de mon oncle est magnifique quoiqu'un peu clinquante à mon goût mais tout le monde aime venir ici pour les fêtes de famille et même pour la Slava, c'est plutôt ici alors qu'en toute logique, ça devrait se faire chez mon père puisqu'il est le chef de famille.

Je vais ouvrir la portière de Nina parce qu'il pleut des cordes et on se dépêche vers le porche. Je sonne à la porte et c'est mon cousin qui nous ouvre. Il a un verre à la main, les joues rouges, qui témoignent qu'il a déjà bu quelques verres. Un appareil photo pend autour de son cou. Normal, en tant que photographe, il est bon pour se coltiner tous les reportages photos des fêtes de famille ! On entend un gentil brouhaha plus loin, bruits de conversations animées. "Slavo ! Ah, on se demandait quand tu arriverais, ça été la route ? Avec toute cette pluie !" Il me claque la bise et une accolade, avec son enthousiasme chaleureux avant de sourire à Nina, ne sachant pas très bien comment la saluer, alors il se dandine gauchement. Je réponds et les présente "Ça été ! C'est juste un peu pénible avec la pluie, c'est tout. Nina, ma fiancée, et humm mon cousin, Julijan" Il hoche la tête en souriant et tente aimablement dans un anglais mâtiné d'accent "On vous attendait pour la photo de groupe" Il nous entraine vers l'immense salon où la température est déjà bien élevée. J'ai la main de Nina dans la mienne, du regard, je cherche mon père et Camenko.

​Ok, je dois admettre que sa baraque est absolument magnifique. De l'extérieur en tout cas, le jardin est superbe, les murs en pierre sont fabuleux et... Ouais, c'est clairement le genre de maison qui me plaît, Slavenko connaît beaucoup trop bien mes goûts pour que je puisse faire semblant de ne pas aimer. La pluie diluvienne m'empêche de vraiment observer l'extérieur, mais de ce que je parviens à voir, ça a l'air bien aménagé, ce qui ne me surprend pas vraiment. Je soupire, abattue quand il coupe le contact, et je profite qu'il fasse le tour de la voiture pour inspirer longuement et tenter de plaquer sur mon visage un sourire de circonstances. Nous sommes fiancés, j'ai été sa femme, et -même si personne n'est au courant- je porte son bébé. J'ai tous les droits du monde d'être là. Je suis légitime à ses côtés. Je me répète ces deux phrases comme un mantra auquel je ne crois pas vraiment, avec l'espoir que la répétition finira par me convaincre. ​

​Il y a un chemin de pavés tracés jusqu'à la porte d'entrée, ce qui m'évite d'enfoncer les talons de mes escarpins dans la boue. Tendue à l'extrême quand il toque à la porte, les bruits que j'entends déjà à l'intérieur me donnent envie de faire demi-tour. Je ne connais pas l'homme qui nous ouvre, mais bon il va falloir que je m'habitue, ça va probablement être ça toute la journée. Je le salue en serbe, en faisant bien attention à ma prononciation et mon accent, histoire de montrer direct que je ne suis pas la connasse d'américaine qui refuse de faire un effort. Bonjour, enchantée. Je serre les doigts de Slavenko dans les miens en essayant de ne pas les broyer tant j'ai la trouille, et je m'attends à tout moment à ce qu'on me demande de prendre la photo, juste histoire d'être bien sûr que je ne sois pas dessus, vous voyez ?
​
​C'est Camenko qui nous voit le premier et nous rejoint, me saluant d'une légère accolade et d'un sourire qui se veut chaleureux, j'imagine, mais j'ai cessé de le voir comme un allié depuis la mission. J'ai l'impression que tout le monde me dévisage, et je prie très fort pour disparaître... Sans succès.

Je suis soulagé de voir mon frère en premier. Même si j'ai été fâché contre lui, dans la colère qui m'animait après la mission de Nina, on s'est réconcilié depuis. Chez les Drazavic, c'est mon seul véritable allié, le seul qui n'attend rien de moi si ce n'est un soutien comme lui me soutien. J'ai découvert tardivement ce petit frère mais je ne m'en passerais qu'à contrecoeur ! "Où est papa ?" "Dans le petit salon avec Mirko, on va y faire la photo, venez. Normalement ça aurait du être dehors mais vu comme il tombe des cordes, on voudrait pas risquer le brushing Dallas de Tatie" Camenko mime comiquement une touffe exagérée et je pouffe de rire parce que ma tante a effectivement une coupe à la Sue Ellen !

Dans le petit salon mon cousin essaye de rassembler les gens pour la séance photo. Je me heurte presque à mon oncle au détour d'une bise avec une énième cousine. "Ah mon neveu, je ne t'ai pas entendu arrivé" quel beau mensonge, je suis quasi sur qu'il a su que j'étais ici à peine passé le portail. Je souris, indulgent à ce travers, c'est dans son tempérament "On était un peu en retard,  difficile de rouler avec cette pluie." Mon oncle sourit de ce sourire aimablement mondain, le regard bleu glacier sur Nina "Bonjour Nina, bienvenue ici, fais comme chez toi. Ha, je ne devrais peut-être pas dire ça à une cambrioleuse professionnelle, ha ha." J'esquisse un sourire amusé et distrait à la plaisanterie mais je ne prête pas attention à la réponse de Nina car mon regard s'étrécit en voyant mon père avec une très jeune inconnue, c'est à dire de l'âge de Nina. Je cherche Camenko du regard mais il s'est évaporé et se trouve à présent dans les rangs pour la photo. Le mouvement des gens présents nous pousse à nous joindre aux rangs qui s'organisent sous la houlette de mon photographe de cousin.

Si je savais que Slavenko considère comme ses alliés ceux qui espionnent sa femme, je crois que je partirais d'ici sur le champ. C'est incroyable à quel point tout me semble faux, surjoué, j'ai l'impression d'être tombée en plein sur le tournage d'une vieille série comique ratée, du genre de celles qui ne passent plus que le dimanche après-midi. J'ai un goût de bile dans la gorge et j'aimerais bien mettre ça uniquement sur le compte du lieu mais c'est en réalité le cas depuis plusieurs jours maintenant. Je salue tous ces gens que je ne connais pas, auxquels Slavenko me présente comme sa fiancée, et le terme en lui-même me donne la nausée. On a été mariés. Je ne sais pas pourquoi ça tourne en boucle aussi souvent dans mon esprit ces derniers temps. Je m'efforce de rester polie malgré tout, de sourire, de me répondre maladroitement aux quelques questions qu'on me pose, très brèves parce que la foule nous entraîne déjà dans une autre pièce.

​C'est tout mon être qui se crispe à la vue de Mirko, mon estomac qui se retourne, ma gorge qui se noue, mes oreilles qui bourdonnent. Je vous assure, la haine que je ressens pour cet homme est épidermique, je crois que j'ai chopé un virus, développé une maladie rare, une allergie. J'ai le même sourire faux pour son oncle qui me salue, en serbe évidemment puisqu'il a eu l'occasion de constater que je comprenais sa langue désormais. Je n'attends justement pas la permission. Les gens que je cambriole me souhaitent rarement la bienvenue mais fais donc, toute la famille a besoin de savoir ce que je fais. Par je ne sais quel miracle, je parviens à me retrouver à côté de Slavenko pour la photo. Sérieusement, je m'attendais à ce qu'on me place tout au fond, derrière un type douze fois trop grand, mais non, Slavenko est au centre, puisque c'est son anniversaire, et on me fait l'honneur de me laisser à côté de lui. Allez cheese tout le monde sourit, comme ça ce soir on retourne tous écorcher des gens et faire péter des trucs. Mon regard balaie la pièce, pas tellement en quête de quelque chose à voler, je cherche plutôt les issues de secours !​

On me pousse au milieu et je m'accroche à la main de Nina, dieu, je déteste les anniversaires et les photos, me voilà gâté. J'aime rester dans l'ombre et être au centre de l'attention me met mal à l'aise. C'est le temps d'un clic, d'une éternité puisqu'il faut que tout le monde se mette en place, que machin me souhaite bon anniversaire, que bidule me fasse coucou de la main, que la gamine soit mouchée, que le bébé arrête de pleurer...Gniiiiiiiiii.... Enfin le tas se délite dès la photo prise et je respire presque, la tête me tournant devant des bonjours et les félicitations d'usage à un anniversaire. Dieu merci Camenko me colle un verre dans les mains ainsi qu'à Nina. Je n'ai toujours pas réussi à voir mon père !

Mais finalement quand l'agitation se calme, je l'aperçois avec cette fille et je sui troublé de leur proximité - comprenez qu'elle est mignonne mais trop bien sapée pour être une pute. Je n'ai pas envie d'en savoir plus mais pourtant je me dirige vers eux. "Salut." J'allais dire papa mais je me retiens avec un étrange sentiment. Lui me donne une accolade qui serait presque chaleureuse mais qui ne me tire pas l'ombre d'un sourire. "Bon anniversaire fils. Nina, comment vas-tu ? Plus de trace de cet incident on dirait." Mon regard va de la jeune femme à mon père dans une requête muette à laquelle il accède. "Je te présente Aleksandra Džombić Dražavić, ma femme...depuis hier." Un instant je me dis que c'est un poisson d'avril et puis je vois le sourire hésitant de la jeune femme qui se tends vers moi comme si j'étais censé lui faire une accolade. Je crois bien que tout le sang se retire de mon visage à cet instant précis et seule la discipline militaire me permet de me tenir droit dans mes bottes. Je réponds d'un ton guindé "félicitations" puis j'avale cul sec mon verre de Rakija comme si je trinquais.

​Dieu qu'il fait chaud dans cette putain de pièce. Et pourquoi tout le monde se colle à moi comme ça bordel ?! J'en ai des sueurs froides et les mains moites, ce qui ne doit pas échapper à Slavenko vu que mes doigts sont toujours noués aux siens. Quelque part sur ma gauche, j'entends un bébé pleurer et ça me donne envie de hurler. Faites-le taire, bon sang. Je souris pour la photo et m'extraie comme je peux de cette nasse étouffante dès que son cousin baisse son appareil. ​Heureusement que j'ai l'habitude des talons depuis des années -je peux me taper un sprint avec des talons aiguilles sans problème- parce que je crois que je me casserais la gueule tant je chancelle autrement. Je m'écarte difficilement, livide, quand je me retrouve avec un verre d'alcool entre les mains. Par habitude, je le porte à mes lèvres, avec ce besoin irrépressible d'un remontant, et j'en prends une longue rasade avant de me rappeler que merde, je ne suis pas censée boire ! Je cille, me tourne aussi discrètement que possible pour recracher l'alcool dans mon verre dans un geste bien peu gracieux je vous l'accorde, avant que Slavenko ne m'entraîne ailleurs, visiblement complètement déconnecté de... Moi.

Me voilà forcée de saluer Jelenko, auquel je préférerais pourtant coller mon poing dans la tronche à sa réflexion, mais je n'ai heureusement pas le temps d'y répondre parce qu'il reprend presque aussitôt la parole. Si les Drazavic attendaient une réponse à la question "comment ça va ?", depuis le temps, ça se saurait. Bien moins gênée que Slavenko, je cille en clignant des yeux quand il nous présente sa femme, donc. Une nana qui doit avoir à peu près mon âge, et je ne sais pas par quel miracle je parviens à ne pas éclater de rire. Ils se sont mariés à Las Vegas eux aussi, ou on était juste... Pas invités à la grande fête ? Je lance un regard en coin à Slavenko, devenu aussi livide que moi, ce qui a le mérite de me faire sentir légèrement moins seule.

La fille - comme l'appeler autrement ? Elle m'arrive à peine à l'épaule, est frêle comme un moineau, des grands yeux clairs mangent son visage ovale, ses cheveux bruns sont sagement coiffés, c'est une gamine - me sourit, soulagée de mes félicitations sans doute. J'imagine qu'elle craignait un esclandre mais son nom ne me parle que trop pour que je dise quoique ce soit. "je suis ravie de vous rencontrer enfin, votre père m'a beaucoup parlé de vous, et de votre frère." Je ravale la remarque naturelle qui me vient du genre j'aimerais pouvoir dire que c'est réciproque et je me contente d'un sourire crispé. Pour qui est cette fête ? Je ne crois plus que ce soit réellement pour mon anniversaire, plutôt pour cette annonce incongrue. Et dire que Camenko était au courant - c'est forcé ! - et qu'il ne m'a rien dit. Enfin...lui est un bâtard, ça ne doit pas lui faire la même chose qu'à moi. La seule femme légitime de mon père jusqu'à présent a été ma mère, et me voilà à présent avec une belle mère encore plus jeune que Nina ! J'imagine que je dois m'estimer heureux qu'il ne soit pas remarié le jour de la mort de maman...

Calculateur, je réalise que si je veux que Nina soit acceptée, j'ai aujourd'hui un moyen de pression. C'est donnant, donnant. J'esquisse un sourire soudain bien plus féroce adoptant l'attitude d'un vrai Drazavic - de quoi rendre mon père fier de moi. Je caresse le bas du dos de Nina, d'un geste propriétaire en annonçant "Avec Nina, nous nous marions en juillet" "oh ! mes félicitations aussi ! et bon anniversaire, je ne vous l'ai pas encore dit... Nina, je suis contente pour vous, nous allons être bonne amie, j'en suis sure" Mon Dieu, cette fille sort surement d'un couvent. Mon père a son air de patriarche fier, un sourire content que je semble bien accepter la situation, et pour la première fois, je le trouve vieux et pathétique. Je cille à cette révélation. "Je peux te parler une minute Svenko ? Tant que les femmes discutent..." "oui, je voulais justement fumer une clope..." Je lance un regard à Nina pour m'excuser je pense et je suis mon père dans la véranda.

​A la seconde où Jelenko a fait son annonce, j'ai su que ce n'était pas un mariage d'amour. Ne vous moquez pas de ma naïveté, j'ai tendance à penser depuis que j'ai rencontré Slavenko que personne n'est jamais réellement à l'abri de ces choses-là. Mais non, il n'y a pas entre eux de ces regards éperdus qui devraient être les seuls qu'on échange après les noces. Je ne suis soudain plus sûre que Jelenko soit de toute façon capable de regarder qui que ce soit de cette façon. Mais alors pourquoi ? L'idée m'effleure qu'il s'agit peut-être d'une bête alliance, politique ou mafieuse. J'ai appris à mes dépends que non, le temps des mariages arrangés n'était pas révolu partout dans le monde, et la famille Drazavic n'y échappe pas. Mais quel homme irait marier sa fille -ou sa sœur ?- à un type presque quarante ans plus vieux qu'elle ? Peut-être que je me trompe, qu'elle est amoureuse de lui et qu'il avait seulement envie d'une jeunette à son bras... Mais je ne comprends pas dans ce cas son besoin de rendre la chose officielle.

Je me crispe et m'assombrit quand Slavenko balance subitement notre mariage, je ne comprends pas ce que ça vient faire là, maintenant, Jelenko sait déjà que nous allons nous remarier. Personnellement, je n'ai aucune envie d'être utilisée pour leurs petites guerres familiales. J'offre un sourire crispé à la donzelle avec laquelle je sais, du coup, que je ne m'entendrais pas. Merci. Toute cette mascarade me rend absolument malade, mais si en plus le slave m'abandonne, je ne suis pas sûre d'être en état de l'affronter. A peine a-t-il le dos tourné que je m'excuse auprès de la jeune-femme. Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes ? Elle m'indique le couloir avec un petit air de chatte déçue d'être abandonnée, et je m'éclipse. Juste à temps, parce qu'à peine la porte refermée derrière moi, je me mets à vomir. Je reste un instant à attendre que ça passe, parce que ça finit toujours par passer, avant de me redresser. Fort heureusement j'ai prévu le coup, et je trimbale dans mon sac de quoi me brosser les dents, et juste assez de maquillage pour ne pas avoir l'air d'un zombie.

En retournant dans la salle principale -pourtant l'envie de visiter le reste de la maison me démange- je me heurte presque à Aleksandra, qui m'attendait visiblement. Tout sourire, elle tend la main vers moi pour la poser sur mon épaule en un geste chaleureux. J'esquisse un sourire un peu gêné. Si vous avez besoin de conseils pour l'organisation du mariage, je serais ravie de vous aider ! Vous avez déjà trouvé le lieu ?

Je ne pense pas qu'il s'agisse seulement d'un mariage pour le Klan, sinon mon père aurait jeté Camenko en pâture à cette fille, ça aurait semblé approprié. Je crois vraiment que mon père a un regain de...comment appeler ça ? Le démon de minuit ? Ha ha... Bien sur il n'aurait pas non plus épousé n'importe qui. Elle est la fille du ministre des finances de la RS. Non c'est vraiment pas n'importe qui du haut de ses...vingt ans ?

Pendant que j'allume une clope, mon père a la décence de prendre un air presque d'excuse, presque parce qu'il y a ce sourire - ravi - assez surprenant. "Je suis désolé fils, ça s'est fait un peu précipitamment et dans le secret, sa famille préférait la discrétion du fait de notre écart d'âge" Au moins en a-t-il conscience ! "et de la situation" Je le dévisage stupidement parce que je ne comprends pas la seconde partie de la phrase. Je répète comme un perroquet idiot "La situation ?" "Aleksandra est enceinte..." Je crois que ma bouche s'ouvre béante sous le choc, la surprise et pourtant je ne trouve rien à dire. "est tout récent, trois mois, mais du fait, le mariage était nécessaire avant que ça commence à se voir." Je cille, hoche machinalement la tête en soufflant "j'imagine..." Je tire sur ma clope, regrettant de l'avoir allumée puisqu'elle m'empêche de fuir. "Tu ne dis rien ?" J'ai une nuit blanche dans les pattes et je suis mauvais à dissimuler mes émotions "heu...désolé, je ne m'attendais pas à ça en venant. Mais félicitations...tu as l'air heureux." Il hoche la tête en me regardant d'un air étrange - ou alors c'est moi qui suis parano - et je jette ma clope par la porte entrouverte de la véranda, censée apporter un peu d'air frais, et je fais un geste vers l'intérieur "je vais rejoindre Nina" Je l'aperçois avec la femme de mon père - ma belle-mère ? - et je préfère rester à l'écart en allant me chercher un verre.

Seul le blush que je viens d'appliquer sur mes joues dissimule mon teint livide, qui ne va pas en s'arrangeant en présence d'Aleksandra. Cette femme me met étrangement mal à l'aise, sans que je sache exactement dire pourquoi. Je secoue poliment la tête à sa question. Non, pas encore. Au fil de notre brève conversation, je comprends que je me suis trompée, il n'y a pas eu pour Jelenko et elle de grand mariage auquel nous n'avons pas été invités. Aussi je crois qu'elle en ressent un certain regret et tente de se saisir de l'opportunité d'organiser le mariage de son... Beau-fils. Mon Dieu que c'est étrange à dire. Je lui signifie malgré tout qu'on a une wedding planneuse pour nous aider, mais je promets de faire appel à elle si besoin... Tout en étant bien-sûr convaincue de ne surtout jamais l'appeler. Jamais. Sous aucun prétexte. Il est d'ailleurs hors de question qu'un membre de la famille Drazavic nous donne un seul centime pour ce mariage.

Je suis en train de chercher une issue à cette désagréable conversation quand notre hôte de la journée nous rejoint, nous tendant un verre à chacune. J'ai lamentablement abandonné le précédent sur une table, et je ne crois pas avoir déjà tant regretté de ne pas pouvoir boire. Entendant Aleksandra parler encore du mariage, il fait remarquer dans un sourire ironique. Alors vous êtes toujours décidés à vous remarier ? Au froncement de sourcils de la brune, je devine qu'elle n'était pas au courant que Slavenko et moi étions mariés par le passé, je me demande ce que son mari lui a raconté, ou même s'il lui a raconté quoi que ce soit d'ailleurs. J'ai un haussement d'épaules, faussement fataliste. Il semblerait. Les serbes sont connus pour leur entêtement, après tout.

Au deuxième shot, prêt à m'en servir un troisième je me heurte à Camenko. Je gronde tout bas "tu le savais, pourquoi tu m'as rien dit ?" Il a un geste de défense face à mon attaque verbale "hé ! tu sais bien que Jelenko ne m'aurait pas laissé te le dire" "oh arrête, pas de ça tu veux...tu n'en a jamais rien eu à foutre avant" "je ne l'ai su que cette semaine, pour la grossesse et le mariage, je ne pensais pas qu'il aurait lieu si vite je te jure. Je savais juste qu'à Nouvel An il avait fricoté avec elle, c'est tout, pas de quoi fouetter un chat ?" "ah ouai super, maintenant j'ai une belle mère qui a la moitié de mon âge sans parler du fait qu'on va se retrouver avec un petit frère sur les bras ! Jebote Cam, j'essaye de fonder ma propre famille, et j'ai juste..." je soupire et avale ce troisième verre que je viens de me servir. Camenko pose sa main sur mon épaule et je crois que c'est un geste de réconfort avant de constater que c'est pour attirer mon attention vers Nina, Aleksandra et Mirko. "tu devrais aller là-bas" "Jebote"

Je me dirige trop précipitamment vers le trio. Je hèle Nina de loin "Srce, viens que je te présente...heu...ma tante !" c'est la personne la plus près de moi et la moins dangereuse de cette assemblée, parfaite pour nous extirper de la nasse.  

Mirko me répond d'un sourire mauvais, mais c'est un adjectif qui pourrait caractériser absolument toutes les expressions de son visage, quelles qu'elles soient. Je crois que seule la présence d'Aleksandra l'empêche de me tacler plus franchement, sans doute parce qu'il ne veut pas effrayer la jeune-femme qui ne sait pas encore bien dans quoi elle a foutu les pieds. Encore qu'ici, tout le monde connaît les Tigrovi, et donc forcément les Drazavic. Il fait mine de s'intéresser au mariage, du coup, me demandant si on a déjà convenu d'une date, ce à quoi je réponds un trop vague "cet été" parce que pour l'heure, il n'est toujours pas question qu'il soit invité.

Je suis en train d'intérieurement maudire Slavenko qui m'a lâchement jetée dans la fosse aux lions avant de se barrer quand, justement, sa voix se fait entendre. Je m'excuse auprès des deux autres et m'éloigne donc vers le duo qu'il forme avec sa tante, qui m'accueille avec le sourire le plus chaleureux auquel j'ai eu droit depuis mon arrivée. Ça me change. J'ai toujours à la main un verre de Rakija dont je ne sais pas quoi faire, et je me glisse près du slave en me présentant à sa tante aussi aimablement que j'en suis capable vu les circonstances. Quand elle s'éloigne vers quelqu'un d'autre, nous laissant seuls, je me tourne vers Slavenko. Qu'est-ce que... C'est quoi la suite du programme ? La question sous-jacente c'est combien de temps est-ce que ça va durer bordel de merde ?