Pain is just weakness leaving the body - Eliza

20 avril ; 18h45

La sueur roule long de son dos, collant les cheveux sur sa nuque, mouillant la brassière usée, portée cent fois déjà et pourtant visiblement peu décidée à rendre l'âme. Les basses de l'entraînante musique martèlent les murs de la salle, au rythme des mouvements saccadés montrés par le coach, reproduits par la petite dizaine d'élèves présents ce soir. C'est la première fois que Margherita en fait partie, pourtant sa condition physique est loin d'être à déplorer. D'ordinaire ses semaines sont rythmées par des entraînements intensifs au sein de la salle de sport du QG des Tigrovi, et quelques séances de self-defense en tête à tête avec un coach particulier. Seulement le Pussynight grouille de monde cette semaine, la plupart des soldats viennent de rentrer de mission et ils errent au QG en quête de verres à s'envoyer dans le gosier, et de cuisses entre lesquelles se perdre. Même la salle de sport est prise d'assaut, et la russe a ressenti comme un besoin urgent de s'éloigner de cette ambiance d'après-guerre.

Elle a jeté son dévolu sur une salle du centre-ville, qui proposait ce soir un cours d'essai de Body Pump. La clientèle, majoritairement féminine, commence clairement à s'épuiser sur le dernier quart d'heure, particulièrement intense. jusqu'à ce qu'on leur file un exercice à faire à deux. La brune se tourne, en arquant un sourcil, vers sa voisine de gauche, et lance un maladroit : Salut.

Afin de décompresser quelques heures dans la semaine, je m'astreins suivre des cours de sports collectifs. C'est l'un des seuls moments où je laisse mes gardes du corps en dehors de mes activités quotidiennes. J'aurais les moyens de faire appel à un coach personnel mais j'ai besoin de me sentir “normal” et avoir quelques interactions sociales.

Bref instant de répit après un intense moment d'exercice de renforcement qui me permet de reprendre un peu mon souffle. Le prochain exercice se fait à deux et ma voisine de droite semble avoir jeté son dévolue sur ma personne. Je réponds à son salut et hoche la tête pour donner mon assentiment. Nous nous installons dos à dos assis au sol, jambes légèrement repliées. Je me saisis de la balle d'exercice de dix kilos et demande à ma partenaire du moment.
Prête ?


Après confirmation, je me bascule en arrière et les jambes pour me retrouver en équilibre sur mon fessier. Je sens mes abdos déjà bien sollicités se contracté. Les mains de part et d'autre de la balle puis me tourne à droite pour la passer à ma partenaire. Je fais une torsion de buste à gauche pour récupérer la balle. Nous répétons cet exercice plusieurs fois afin de faire travailler nos abdos transverses.

Sa co-équipière du moment semble terriblement concentrée sur l'exercice, ce qui n'est pas pour déplaire à la Russe. Papoter en faisant du sport n'a jamais été son fort. Elle n'est pas de celles que l'on pourrait trouver en train de trottiner tranquillement sur les bords du fleuve avec une copine pour échanger les derniers potins. L'entraînement est toujours rude, brutal, et surtout terriblement sérieux parce que c'est une question de survie. Son corps, c'est son outil de travail, ce n'est pas pour le plaisir, ni par narcissisme qu'elle l'entretient. Encore moins pour des questions de santé dont on peut supposer qu'elle se fout vu sa consommation d'alcool et de tabac.

Les binômes enchaînent les exercices, d'abord au sol avant de se relever, et le cours se termine sur une série d'étirements dont certains se font également à deux. Drôle de concept lorsqu'on ne connaît personne. Les joues rouges, la peau moite de sueur mais pas franchement essoufflée, Maggy avise la blonde dans un haussement de sourcils. C'est récurrent, qu'il fasse bosser les gens en groupe, comme ça ?

La “séance de torture sportive” s'arrête sur une dernière musique à la mode, mais sur un tempo moins intense que les précédentes. J'attrape ma bouteille d'eau pour en boire une bonne rasade. Je suis en nage et j'ai l'impression de sentir mon pouls pulse dans mes oreilles. A la voix de ma partenaire de sport du moment, je me tourne vers elle. Dans un premier temps, je me contente de hausser les épaules.


J'ignore s'ils en ont l'habitude. C'est la première fois que j'assiste à ce cours ici.

J'attrape ma serviette pour m'éponger un peu tout en regardant l'heure. J'ai encore du temps pour déjeuner tranquillement.


Après, c'est peut-être une méthode a “l'américaine” -je mime les guillemets avec mes doigts - pour créer une cohésion de groupe.
Chaque jour, il y a un gourou du sport qui invente une méthode pour se sentir mieux, plus en phase avec son moi intérieur ou autre connerie du genre.


Je me saisis de mon tapis pour le ranger comme tout le monde.

Elle est légèrement essoufflée, mais pas au point de ne plus être en mesure de parler, et elle transpire moins que la plupart des gens présents. Il faut dire qu'elle a l'habitude d'entraînements plus intenses encore au quotidien, et le rythme des missions ne ralentissant pas, elle n'a pas le temps de perdre en endurance. Margherita reste cela dit agréablement surprise, pour des cours collectifs, elle s'attendait à quelque chose de plus doux encore, mais le groupe sur lequel elle est tombée était globalement assez entraîné pour une séance digne de ce nom. Elle acquiesce à l'intention de la jeune-femme. « C'était la première fois pour moi aussi. Maggy, d'ailleurs. » Il n'est pas impossible qu'elle revienne, si d'aventure les locaux des Tigrovi venaient à l'étouffer de nouveau. Peut-être recroisera-t-elle la blonde.

Elle arque un sourcil, pas vraiment au point sur les méthodes d'entraînement à l'américaine, justement. « Je suis russe alors, les méthodes américaines, on évite en général. » Bon, russo-italienne, mais c'est avec des russes qu'elle s'entraîne et ces derniers préféreraient sans doute crever plutôt qu'admettre avoir piqué quoi que ce soit aux américains. Comme elles se suivent pour ranger leurs affaires, la brune demande, curieuse : « T'es d'ici ? »

Je souris à son allusion sur la légendaire mésentente américano-russe. J'ai des clients russes et des clients américains. Deux cultes bien différentes de par leurs origines ou leurs valeurs. Mais je sais que quand ils ont des intérêts communs ou s'il s'agit d'argent, ils savaient parfaitement se mettre d'accord.

Maggy- elle venait de me donner son prénom- me demande si je suis d'ici. Parlait-elle de Sarajevo ou de la Bosnie ? Quelque instant plutôt, elle avait dit être russe.

Oui je suis d'ici me contentais-je de répondre. En soit cela valait autant d'un point de vue local que national. Je l'observe un instant. Me demandant, si sa question était intéressée ou juste de la curiosité. Je suis un peu parano sur les bords à force de me faire approcher à cause de la réputation de mon père.

Maintenant que le matériel emprunté est rangé, je me tamponne le cou et le visage avec ma serviette. Une douche serait la bienvenue. Je finis par lui adresser un sourire avenant tout en lui tendant une main et ajoute :

Moi c'est Eliza. Cela fait longtemps, que tu es à Sarajevo ?

Curieuse un peu, je suis passée au tutoiement directement. Après tout, nous avons transpiré côte a côte dans l'effort intense. Cela crée des liens, non ?

La jeune-femme reste assez évasive dans sa réponse, et l'Italienne n'insiste pas particulièrement. Elle peut comprendre sans trop de mal les réticences de certains à s'épancher sur leur vie privée. Après tout elles ne se connaissent pas, et la paranoïa est un trait de caractère qu'elle connaît bien puisqu'il est indispensable pour évoluer au sein de la mafia en espérant survivre. Dans cette ville gangrenée de criminalité et de corruption, aucune âme n'est réellement innocente et mieux vaut, dans le doute, se méfier de tous.

A la question d'Eliza, la noiraude fronce les sourcils, prise un instant par la réflexion. « Hum tout dépend... Je vis ici depuis un peu plus de deux ans maintenant, mais avant ça je passais régulièrement. » Son appartement était à Moscou, de même que tous ses points d'attaches, mais les affaires la menaient régulièrement à Sarajevo, ou ailleurs en Bosnie. Leurs relations avec les Tigrovi ont toujours été plutôt cordiales, et les deux groupes s'entraident depuis quelques temps déjà. Elle ajoute, pour la forme : « J'ai de la famille dans le coin. Et toi ? »

Naturellement, le salle se vide peu à peu et elles se dirigent vers la sortie. Devant la porte attendent déjà quelques personnes du prochain cours, encore fraîches et bien coiffées, ce qui ne devrait pas durer longtemps si tant est qu'elles suivent leur cours avec sérieux.

« Ah, t'étais où avant ? »

On ne soupçonne pas le nombre d'étrangers qui viennent se perdre à Sarajevo. Depuis son arrivée en ville, Margherita a eu l'occasion de croiser un nombre incalculable de nationalités différentes. Pourtant, cette ville n'est que peu représentée dans les médias, et ce n'est certainement la destination de voyage idéale que les gens se recommandent. Certains sont bien-sûr attirés par les aspects sombres de la capitale, toutes les opportunités qu'elle représente pour qui n'a pas peur de se salir les mains. Mais les autres ? Si la corruption et la criminalité gangrènent la ville, on ne peut pourtant pas dire qu'il n'y ait rien d'autre qui la fasse vivre. 

« J'ai une boîte de sécurité. Et toi ? »

Le même mensonge, peu perfectionné, qu'elle sort à toutes les personnes qui lui posent la question. C'est encore ce qu'il y a de plus crédible, de plus cohérent. Elle a songé à s'inventer militaire mais il y en a trop dans le coin, et elle craint de ne pas savoir répondre à leurs questions. Ce serait une façon bien idiote de griller sa couverture. La sécurité, les gens questionnent rarement, ce n'est pas suffisamment intéressant, ça ne fait pas rêver. Suivant l'exemple de la jeune-femme, elle se hisse à son tour sur un tapis de course, le cours collectif a été sportif mais pas suffisamment par rapport aux entraînements auxquels elle est habituée.