Call me friend but keep me closer - Maleo

La nuit a été épouvantable, non seulement la chaleur qui règne dans l’appartement est insoutenable mais en plus, j’avais l’esprit trop occupé à penser à la journée qui nous attend avec Malic pour réussir à trouver le sommeil. Autant dire que les travaux vont être laborieux pour moi ! Malgré tout, je tente d’être fraîche comme un gardon pour l’arrivée du blond. Alors, après avoir pris une douche bien froide, passé de légers vêtements et m’être maquillée succinctement, je m'attèle à la préparation de la table pour le petit-déjeuner promis par Malic. Le café est déjà prêt, le lait et le jus d’orange également, ne manque plus que lui.

La semaine qui s’est écoulée a été relativement calme. Miro s’est stabilisé d’après le médecin et j’ai pu passer mes journées à ses côtés pour éviter le moindre ennui venant de sa part. Nina est au courant de la situation avec mon petit frère et n’a pas bronché une seule seconde à l’idée que je ne travaille pas durant quelques temps. Je suis d’ailleurs reconnaissante envers elle d’être si compréhensive à mon égard.

Sans surprise, c’est à huit heure pétante que j’entends toquer à la porte et je me hâte à aller ouvrir à Malic, les cheveux encore humides, quelques mèches de cheveux ondulées rebiquants par-ci par-là. Bonjour ! Je lance, enthousiaste, un sourire radieux aux lèvres. La discussion que nous avons eue m’a fait énormément de bien et j’en ressens encore le soulagement présentement, plus du tout angoissée à l’idée qu’il découvre mon effroyable secret. Je me rapproche de lui pour l’embrasser amicalement et le laisse finalement entrer en avisant le sachet dans ses mains. Qu’est-ce que tu nous as ramené de bon ? Je referme la porte derrière lui et m’avance vers la cuisine pour qu’on commence notre journée de la façon la plus agréable qu’il soit: Avec un bon petit-déjeuner. Viens, installe toi. Il n’y a que deux chaises autour de la petite table qui orne ma cuisine mais c’est largement suffisant étant donné que je n’invite jamais personne ici.  

J'ai travaillé hier, jusqu'à assez tard dans la soirée - merci à ces fameuses heures supp' non payées que nous faisons tous au commissariat, débordés par la charges de travail, les plaintes et les enquêtes. En rentrant chez moi, j'ai pris un kebab sur la route, pensant inévitablement à Leo - encore - parce qu'elle m'a promis une moussaka qui sera sans doute mon premier repas sain de la semaine. De toute façon, je n'ai de cesse de penser à Leo et malheureusement, à sa douloureuse révélation qui a tué les prémisses d'un rêve bien trop beau pour être vrai.

J'ai mis mon réveil tôt pour pouvoir aller chercher des krafna à la boulangerie de ma rue. Beignets au sucre fourrés à la vanille ou la framboise, ils sont délicieux et j'espère qu'il plairont à Leo. J'ai pris les deux parfums pour me donner plus de chance. Je lui confie le paquet après avoir répondu à son baiser, humant instinctivement son parfum qui me fait chavirer le cœur. "Salut, tu vas bien ? Ce sont des beignets croates. Vanille ou framboise" Je suis heureux d'être venu l'aider à se réaménagement de son appartement. Cela me fait d'autant plus plaisir que c'est pour une bonne cause, en la personne de Miro. Obtempérant, je pose près de l'entrée mon sac qui contient des affaires de rechange pour après les travaux. Pour l'occasion, j'ai revêtu un vieux jean et un tee-shirt tout aussi vieux que je sais pouvoir tâcher de peinture sans le regretter. Aux pieds, j'ai de vieilles tennis qui en ont vu d'autres. Je m'assieds avant que Leo n'apporte le café qui parfume déjà délicieusement la pièce. "Ouf, j'ai eu le malheur de dire à Mira que je venais chez toi pour rafraichir la chambre de Miro. Elle m'a fait un cinéma incroyable, elle voulait venir. Mais je n'avais pas du tout envie de devoir encore faire le trajet et elle a ses examens à préparer. Je crois bien qu'elle me boude un peu." Je coupe mon café brulant avec une bonne dose de lait et j'y glisse un sucre avant de touiller le mélange. "Alors, par quoi on commence ? Il faut débarrasser la pièce ?"

J’ai fait attention de choisir des vêtements auxquels je ne tiens pas vraiment puisque je sais d’ores et déjà que je risque de me tâcher de peinture et quand le blond passe la porte, je remarque d’emblée que nos pensées ont été identiques. Notre salut reste amical et distant malgré le fait que je l’aurais aimé autrement mais je me suis résolu à apprécier cette relation telle qu’elle est et non telle que j’aurais rêvé qu’elle soit, soignant la brêche assez béante de mon coeur à coup de “tant pis, nous sommes amis, c’est le principal”. Des beignets croates ? Je réceptionne le sachet en papier d’où émane une délicieuse odeur sucrée sans vraiment oser jeter un coup d’oeil à l’intérieur puis le dépose sur la table. Ça sent super bon en tout cas. Je suis réellement heureuse d’accueillir Malic et de partager cette journée avec lui bien que ce soit pour travailler. Sa présence fait ressortir ce qu’il y a de mieux en moi, enveloppe ma cage thoracique d’un bonheur insoupçonné et inattendu. Il s’assoit et je rempli sa tasse de café avant de sourire à sa révélation. Franchement, je ne pensais pas qu’ils s’apprécieraient autant, je suis contente que ce soit le cas. Tu diras à Mira qu’elle pourra venir pendant les vacances, ça devrait lui faire plaisir. Je m’assois à mon tour, face à Malic et me sers un verre de jus d’orange avant d’ouvrir le sachet de beignets. Mhh, eh bien il reste une commode et le lit mais on pourrait les bâcher, j’ai acheté ce qu’il faut. C’est seulement lorsque je vise les beignets qui se trouvent à côté du bras du policier que je remarque les tatouages qui l’orne et curieuse, j’approche ma main de son t-shirt pour en relever la manche. Eh, j’avais jamais fait attention que tu étais tatoué… Je plisse le regard en essayant de décrypter les dessins, très intéressée par ces derniers. J’ai toujours aimé les hommes tatoués, d’une part parce que je trouve ça esthétique et d’une autre part parce que comme la plupart des femmes, j’aime les “bad boys”, souvent associés aux tatouages aussi. Je retire ma main délicatement et attrape un beignet avant d’en tendre le sachet au blond, ne tardant pas à croquer dans la pâtisserie. Sourcils froncés, j’ajoute: Mhhh... C’est une tuerie.

"Oui j'ai une boulangerie tenue par un croate dans ma rue. C'est assez atypique pour le quartier, mais j'adore ce qu'il fait." J'ai choisi un quartier populaire et bigarré en ethnie. Il y a beaucoup d'étrangers dans ma rue, de tous les pays de l'est ou du sud. Ce que j'y aime c'est de ne plus être plongé comme à Srebrenica dans mon seul milieu d'origine. J'ai voulu briser avec celui ci, changer d'air, et ce quartier fait partie de mon étrange renouveau. Avant d’emménager à Sarajevo, je n'aurais jamais pu avoir Leo pour amie. Une femme et serbe de surcroit. Aujourd'hui j'essaye de voir les gens au delà de leur origine, de leur religion. J'ai envie d'être un citoyen du monde. Ça sonne assez bête dit comme ça mais avant de rire, sachez que j'ai tout plaqué pour ça.

"Je lui dirais, de toute façon, elle doit passer quinze jours à la maison si sa mère veut bien me la laisser aussi longtemps." J'y ai légalement droit, mais entre la légalité et ce que j'obtiendrais finalement, il y a un monde. Oh je sais, je suis flic, je devrais me battre pour mes droits, mais je n'ai pas envie d'une guerre ouverte. Heureusement, cette fois, contrairement à l'année passée, je pense avoir le soutien de Mira. Grâce au frère de Leo et je lui en suis extrêmement reconnaissant. "Comme ça, elle pourra venir voir ton frère tous les jours."

"Ah très bien, on les tirera au milieu de la pièce et on bâchera. Ce sera très bien." Leo soulève mon tee-shirt dans un geste qui suspend le mien de porter mon bol à mes lèvres. Elle n'a pas vu mes tatouages jusqu'ici puisque j'avais toujours une manche, un pull ou une chemise. Sur le bras droit j'ai un paysage, Srebrenica, ma ville natale. Sur le gauche, des fleurs et une femme perdue dans celle-ci. C'est ma mère, jeune. Sur mon torse, deux visages mes sœurs, et un enfant avec un casque de soldat. Il y a des poèmes écrits dans différentes langues, celles de leurs auteurs à chaque fois. "Ils sont récents...Je les ai fait faire ici, à Sarajevo." Un musulman ne se fait pas tatouer et j'ai fait ma petite révolution personnelle en cessant de croire et de pratiquer. Ils sont tous intimes, en rapport avec mon histoire personnelle comme un conte dessiné, un devoir de mémoire.

Je souris parce que Leo a l'air d'apprécier mon choix de petit déjeuner et pour l'accompagner, je prends moi aussi un beignet, que je déguste avec mon café. "Je suis content que tu les aimes. Je ne savais pas si tu préfèrerais vanille ou framboise." Un détail, mais qui a son importance, pour une prochaine fois peut-être... C'est important les prochaines fois.

Je termine de déjeuner et je vais me laver les mains à l'évier de la cuisine, m'essuyant ensuite avec un torchon. "c'est par où la chambre ? Je vais jeter un œil. " L'appartement est aussi petit que le mien et je trouve facilement dès qu'elle m'indique la direction. Elle a déjà débarrassé la pièce entière et tout le matériel se trouve déjà dans la pièce, dont les bâches.  

Littéralement pendue aux lèvres du blond alors qu’il ne s’est mis à parler qu’à peine, je m’efforce de faire les choses biens pour qu’il soit satisfait d’être venu ici, que ce soit agréable pour lui. Je souris avant de répondre: Un croate ? Ah oui ça doit être original. J’aimerais bien aller en Croatie une fois, ils ont des plages magnifiques là-bas à ce qu’il paraît. A part les Etats-Unis, je ne suis jamais allée bien loin. On ne partait pas en vacances quand j’étais petite parce que c’était trop cher et la vie a ensuite été ce qu’elle a été, c’était très dur de supporter ma mère et puis elle n’avait plus goût à rien, on restait très souvent enfermés pendant des mois sans jamais sortir, mis à part pour aller à l’école. Quand elle nous a quitté et qu’il ne restait que notre grand-mère, on partait parfois pour un week-end chez une grande tante dont je ne me souviens même plus du nom. J’adorais aller là-bas parce qu’on était en pleine nature et le calme de cette dernière me ressourçait indéniablement.

Je rejoins mes deux mains pour les tapoter ensemble, toute espiègle, un sourire en coin. Oooh, je sens qu’on va avoir droit à une amourette de vacances, ça va être super mignon. Je ne rebondis pas sur le fait que la mère de Mira est assez dure pour la garde, d’après ce que j’ai compris. Je n’ose pas entrer dans ces détails-là, peut-être par pudeur, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie aussi, sûrement. Puis pendant un instant je me retrouve un peu plus proche de Malic, mes yeux rivés sur ses bras tatoués dont j’observe les dessins avec une attention particulière. Ils sont très beaux. Mon regard se relève vers lui et dans un sourire je lance: J’en ai un aussi. Sauf qu’il ne pourra pas le voir comme je peux voir les siens et j’omets volontairement de lui signifier.

Je croque avec bon coeur dans le beignet que j’ai choisi aveuglément et trouve une crème à la vanille absolument délicieuse. Mhhh, eh bien j’aime les deux, mais j’avoue que celui-ci est vraiment excellent… Je souris à l’homme puis bois mon verre de jus d’orange quand il décide de se mettre en route pour la chambre. Première porte à droite du canapé. J’arrive. Je débarrasse rapidement la table en mettant toute la vaisselle dans l’évier et copie Malic en finissant par me laver les mains. Je le rejoins quelques secondes plus tard, observant les murs roses de mon, désormais, ancienne chambre. Tu vois, je peux pas lui laisser des murs roses… Oh, attends, regarde la couleur que j’ai choisie. J’attrape un morceau de carton où j’ai déjà testé la peinture. C’est un bleu turquoise assez clair qui reflètera bien la lumière tout en mettant un peu de peps à la pièce. Qu’est-ce que t’en penses ? Je me disais qu’on pourrait mettre le bleu sur le mur où il y aura le lit et les autres on les peint en blanc pour pas que ça fasse trop. Je relève mes yeux vers Malic, toute excitée à l’idée de finir cette chambre pour Miro et vraiment passionnée par ce que j’étais en train de lui expliquer, une lueur brillante au fond des pupilles.

"Hé bien, sans doute, mais je dois t'avouer que je ne l'ai jamais mis les pieds en dehors de la Bosnie." Je ne suis pas comme Léo qui a vécu à NY, je n'ai pas parcouru le monde et je n'en éprouve pas de regrets.

Je dissimule au mieux une grimace. "Une amourette de vacances ? Oulàlà, tu veux vraiment que sa mère me trucide !" Et moi-même, j'ai beau vouloir me montrer ouvert d'esprit, j'ai encore du chemin à parcourir ! L'éducation que j'ai reçu influe forcément sur celle que je donne à Mira. Pourtant, j'aimerais vraiment qu'elle soit plus libre que sa mère ou mes sœurs ne l'ont jamais été. mais je travaille sur moi-même. La preuve, je laisse Mira voir le frère de Léo ! le regard de cette dernière, et la mention du tatouage et surtout son absence de localisation - qui ne passe pas inaperçu, il est des non-dits plus éloquents que des mots - me font certainement rougir ! Il est difficile de ne pas penser à Léo comme une jeune femme extrêmement séduisante.

Dans la pièce à peindre, je souris, je n'imaginais pas Léo dans une chambre rose de petite fille et pourtant, avec le recul, ça lui va bien. Elle a ces rêves de princesse, ce besoin d'idéal qui se marient bien avec le rose ! Je ne m'attarde pas sur le sujet, acquiesçant seulement sur le fait que Miro n'apprécierait pas la couleur d'origine ! Bleu c'est bien mieux ! "D'accord. Alors, on va d'abord passer une couche de blanc partout et on verra comment elle couvre le rose !" On se met au travail, installant les bâches, les scotch de protection avant de pouvoir commencer à peindre. Chacun son mur mais un pot commun de peinture qui nous rapproche par moment. On discute par moment, un peu de tout et de rien, des enfants, du groupe de parole et de ses participants étranges, des affiches au cinéma ou d'un livre qu'on a lu. J'évite bien sur de parler de son travail ou du mien, c'est un sujet devenu tabou. A midi,  après avoir passé la première couche et repeint le plafond, on fait une pause, il faut de toute façon laisser sécher avant de mettre la seconde couche avec le bleu et le blanc à nouveau pour couvrir parfaitement le rose initial. "Je crois que c'est l'heure d'un moussaka qu'on m'a promis !"

Je suis immédiatement interloquée quand Malic m’avoue ne jamais avoir mis les pieds en dehors de la Bosnie parce que ça me paraît étrange qu’il ne soit absolument jamais parti en vacances. Je demande alors: Tu ne pars jamais en vacances ? Ceci dit, je ne pars jamais non plus mais comme je sais que le blond a été marié, j’aurais pu imaginer qu’ils partaient de temps en temps en famille.

Je plaisante à l’évocation de l’amourette de vacances. Ne t’inquiète pas, Miro est vraiment très timide avec les filles, je pense pas qu’il puisse se passer quelque chose… Je lui souris, me voulant rassurante.

On se met rapidement en route, le temps nous manquant tout de même un peu, je ne m’étais pas rendu compte de l’ampleur du travail et je crois que nous y serons jusqu’au soir, un temps de séchage de la peinture s’imposant à nous. Nous sommes chacun sur un mur et nous nous appliquons de la même manière, ou en tout cas, j’essaie d’être aussi méticuleuse que Malic peut l’être et c’est uniquement quand on reprend chacun de la peinture qu’on se rapproche un peu.

Je crois qu’à l’intérieur, j’ai arrêté d’espérer qu’il se passe quelque chose entre nous parce que si c’était le cas, ça n’apporterait que de l’inquiétude pour Malic et tout compte fait, je n’ai aucune envie de ça. Je ne sais cependant pas si cette situation, celle où nous nous retrouvons bons amis, me suffit. Il me semble qu’émotionnellement parlant, il m’est très frustrant de renoncer à cette relation et je crois commencer à en souffrir dès lors que la nuit tombe que je me mets à penser sans arrêt à Malic. Ou bien dans ce genre de moment où on se retrouve tous les deux dans la même pièce à parler de tout et de rien alors que je ressens une tension terrible au fond du ventre qui devient douloureuse par moment.

Oh nan, ça y’est… J’ai la pression ! Que je déclare quand on pose le matériel pour enfin faire une pause lorsqu’il est midi passé. On se déplace jusqu’à la cuisine et arrivés dans cette dernière, je sors immédiatement du réfrigérateur le plat que j’ai pris soin de préparer la veille. J’espère vraiment que ce sera bon… Je m’attèle à mettre le tout au four et règle la température par la suite. Bon… Voilà.Je prends une inspiration, perturbée sans doute par la présence d’un homme dans ma cuisine, la première fois que ça arrive. Tu veux boire quoi ? J’ai un vin super que je pourrais te faire goûter… En réalité, je ne sais même plus si Malic m’a déjà dit un jour s’il buvait de l’alcool ou non. Je dispose les assiettes et les couverts puis nous nous installons l’un en face de l’autre, nos jambes se frôlant à cause de la taille minimaliste de la table. Silencieuse, je joue avec un coin de ma serviette, concentrée sur les différentes épaisseurs que je compte et cette activité me permet, entre autre, d’éviter le regard déstabilisant de Malic.

A l'air ébahi de Leo, j'éclate de rire. "Mais bien sur que si je partais en vacances ! On peut aller en vacances en Bosnie tu sais, il y a de très jolis coins ! Mais ça fait un moment que je ne suis pas sorti de Sarajevo ou de Srebrenica, c'est vrai." J'ai un peu de mal à m'organiser avec ma nouvelle vie, et ses obligations : mon travail, ma mère, ma fille...tout ça me prend du temps, et simplement vivre seul aussi.

Nous avançons bien pour les travaux, et je suis confiant sur le fait que nous aurons fini ce soir. Je croise le regard de Leo et hoche la tête pour marquer mon approbation du boulot abattu et la rassurer aussi. "Je suis sur que ta moussaka sera excellente." J'approuve la proposition de Leo "oui, je veux bien un peu de vin" Je ne bois jamais beaucoup, parce que je n'ai vraiment pas l'habitude. Surtout pas du vin, je m'en tiens généralement à une bière de loin en loin.

C'est étrange de voir évoluer Leo dans la petite cuisine, s'affairant en maitresse de maison. Il y a un coté presque dérangeant pour moi, trop familial qui fait écho à d'autres scènes de mon autre vie. Je cille, nerveux. "Tu veux que je t'aide à quelque chose ?" Mais à part attendre que ça chauffe (je parle des plats !) nous n'avons qu'à discuter. Je vois bien que Leo est aussi nerveuse que moi, et sincèrement, je sens la tension entre nous, lourde, et si j'ose dire, sexuelle. D'autant que la promiscuité me rend forcément plus sensible à la présence de Leo, son parfum m'enveloppe et si je tendais la main, je pourrais caresser son beau visage pour le relever et plonger mes yeux dans le vert des siens. Ne sachant pas quoi dire, mais devant rompre cette infernale hypnose avant de faire une bêtise que nous regretterions, je balbutie lentement "Il va y avoir plusieurs festivals cet été à Sarajevo..."

Le rire grave et communicatif de Malic appelle le mien et je serre entre mes dents ma lèvre inférieure en souriant, me trouvant un peu idiote d’avoir pu penser ça. Je baisse le regard en répondant: D’accord… Et je me dérobe en achevant ma phrase ainsi alors que dans une inspiration j’allais fatalement dire quelque chose. J’aurais proposé qu’on parte ensemble, Miroslav, Mira et nous deux mais cette idée est bien trop farfelue pour que je la soumette maintenant, alors qu’on n’ose à peine se regarder dans les yeux.

Je m’affère à ces choses qu’une véritable mère de famille ferait; préparer le repas, installer la table et servir tout le monde avant soi-même. Le genre de chose que je faisais déjà chez grand-mère et bien que la situation soit légèrement différente avec le blond aujourd’hui, ce sont dans ce genre de gestes habituels que je me retrouve le mieux. J’espère, sinon tu vas me lyncher. Je ris légèrement en attrapant la bouteille de vin, intérieurement soulagée qu’il accepte puisqu’un verre ne pourra que me faire du bien au vue du stress qui se joue en moi. Oui ! Tu vas pouvoir m’aider, tiens ! J’arrive jamais à ouvrir correctement une bouteille de vin, soit j’enfonce le… Le truc de travers ou pas assez… Je tends la bouteille à Malic et relève mes yeux vers lui, le coeur tambourinant juste en dessous de mes paupières. Le… tire-bouchon. Je me retourne dès que mes mains sont libres pour finalement poser l’outil juste devant lui avec la crainte qu’une nouvelle fois nos yeux se croisent. Puisque je n’ai plus rien d’autre à faire et qu’il ne nous reste qu’à attendre que le four nous indique que la cuisson soit terminée, je m’assois finalement en face du policier, tête baissée, la réflexion m’assaillant de tous les coups qu’elle puisse me mettre.

Je n’entends pas vraiment lorsque Malic me parle, un peu trop troublée par sa simple présence et je finis par admettre, durant ce moment de silence, que je suis belle et bien en train de tomber amoureuse de lui. Ca a commencé tout doucement et ça vient de me faucher tout d’un coup. Mes yeux grisés finissent par croiser les siens avant que j’articule, presque comme si je venais de me réveiller d’un profond sommeil. Des festivals ? Génial… J’attrape le verre de vin que le blond nous a servi sans que je m’en aperçoive et en déglutis quelques gros millilitres avant que retentisse la sonnerie du four, sauvée par le gong ! Je me lève soudain un peu rapidement et file attraper mes gants de cuisine pour sortir le plat. Tout le temps que je passe face au four est du temps que je ne passe pas à regarder de manière hagarde Malic alors, il se passe quelques longues secondes avant que je ne revienne à lui. Je le sers en premier et pose une part minuscule de moussaka dans mon assiette, l’estomac complètement noué se voulant trop douloureux pour que je puisse avaler quelque chose ce midi. Installée finalement face à lui, je souris légèrement avant d’ajouter: Bon appétit.

A l'air penaud de Leo, je regrette mon rire spontané. Je ne voulais pas qu'elle pense que je me moque d'elle, c'est juste sa candeur qui m'a surprise. Je ne sais pas très bien ce qui se passe aujourd'hui mais il y a une atmosphère étrange entre nous. J'étais sincèrement convaincu qu'on parviendrait à rester sur un plan amical, mais chaque geste est teinté d'ambiguïté sans aucun doute parce que mes sentiments le sont et que mon attitude n'est pas celle d'un simple ami. Il est des regards, des rires et des gestes qui ont difficiles à tromper le monde et chaque fois que Leo lève le visage vers moi, ça me chamboule profondément.

"Mais non ! Je ne suis pas si intransigeant, surtout qu'en ce moment où mon quotidien est fait de plats préparés et de sandwich. Ne stresse pas, ça sent déjà très bon !" Ce qui est vrai et j'ai une faim de loup. "ok tire-bouchon alors !" Après avoir récupéré l'outil sur la table, j'inspire pour reprendre mon calme intérieur, et je m'attelle à ouvrir la bouteille, non sans mal parce que je n'ai pas non plus une grande pratique. "Je ne suis pas sur de faire mieux que toi." Ma phrase se perd dans le silence et je constate que Leo rêvasse tout éveillée. Cela me fait sourire. Je verse un peu de vin dans chaque verre.

La sonnerie du four semble la sortir de ses pensées. "ça va aller, tu veux que je sorte le plat du four ?" Mais elle s'en sort très bien et je me rassieds. Avisant la différence de proportion entre mon assiette, je me pose des questions. Leo a un appétit de moineau ce midi. L'autre soir, elle avait eu plus d'appétit au restaurant mais peut-être est-ce la chaleur ou le fait d'avoir cuisiné. Je n'ose pas lui demandé si ça va, très certainement par peur de la réponse, j'en suis bien conscient. Je tente de garder l'équilibre précaire de notre relation amicale. "Bon appétit Léo. Et merci de t'être donnée autant de mal. " Je goute la moussaka, savourant la première bouchée avec délice. Il y a bien longtemps que je n'ai pas mangé un plat préparé avec soin et encore moins ce plat chargé de souvenirs. "Humm c'est délicieux ! C'est une recette de famille ou tu as improvisé ? Dis moi ton secret !" J'ajoute précipitamment à ce mot honni "ton secret de cuisine."

Je ne sais pas réellement pourquoi l’air est devenu si difficile à respirer tout d’un coup mais je tente de dissimuler au mieux mes ressentiments pour éviter que Malic ne se pose des questions. Seulement, je n’y parviens pas vraiment, trop troublée, trop cogitante pour paraître totalement détendue. Un léger et seul merci passe la barrière de mes lèvres quand le blond m’assure que ça sent déjà très bon et je suis profondément touchée qu’il essaie tant bien que mal de rendre l’atmosphère plus vivable malgré la tension qui subsiste. Mes yeux suivent les lignes de la courbure des muscles de ses bras quand il se met à ouvrir la bouteille et il y a encore ces petites choses qui m’impressionnent et me rendent intensément accro à chacun de ses gestes. C’est fou comme de si petites choses peuvent signifier autant dans mon cerveau embrumé d’un parfum bien trop enivrant pour que je sache m’en défaire.

Oh non, ça va ça va, merci. Que je déclare lorsqu’il me propose de l’aide et je finis par nous servir tant bien que mal, alors que je n’arrête plus de penser à cette proximité annihilée par l’interdiction que je nous impose, celle qui nous empêche de nous rapprocher. Ca me fait plaisir de cuisiner pour toi. Je finis par relever les yeux vers lui, bien décidée à éviter ce comportement étrange que j’ai depuis tout à l’heure. Un sourire s’esquisse sur mes lèvres alors que j’attrape mes couverts. Mon secret de cuisine… Hum… Honnêtement ? Rien du tout, j’ai suivi une recette sur internet c’était pas bien compliqué. Par contre je dois avouer que je me débrouille vraiment bien avec les assaisonnement, alors peut-être que ça joue ? Je goûte à mon tour, bien que j’ai l’impression qu’un train est en train de passer dans mon oesophage. C’est vrai que c’est pas mal ! Alors ça va, tu voudras bien revenir manger chez moi ? Je plisse le nez en souriant puis regarde mon assiette. Dans une autre vie j’aurais pu être cuisinière. Avec ma grand-mère on élaborait plein de recette et on essayait toujours de tout améliorer jusqu’à ce que ce soit parfait. Et puis un jour on a arrêté de faire ça parce que… Ben y’a pas eu vraiment de raison, parfois on se lasse des choses, même celles qu’on adore. J’ai un léger soupir à l’évocation de ce souvenir qui me rend nostalgique et quelque chose se passe dans mon esprit, un déclic, comme la certitude qu’il y existe bien une chose dont je n’arriverais sûrement jamais à me lasser et elle se trouve juste en face de moi. Le bruit de mes couverts dans l’assiette retentit soudainement et je pose mes mains contre la table, les sourcils froncés, un air subitement dévasté sur le visage et mes yeux cherchent ceux du policier. Être là, face à lui et avec cette tonne de choses qui se choquent et s’entrechoquent dans ma poitrine en bousculant mon coeur me rend nauséeuse et parfaitement anxieuse. Je serre mes doigts jusqu’à ce que mes ongles appuient contre mes paumes, jusqu’à ce que ce soit aussi douloureux que ce que notre relation ambiguë me fait subir. Pourquoi tu es aussi gentil avec moi ? Est-ce que c’est de la pitié ? Ou est-ce que c’est parce que tu partages ce que je ressens ? -Je pose une main sur ma poitrine, l’air me manquant soudainement. Je soupire à nouveau, résignée, la vérité coulant de mes lèvres dans un murmure que je souffle difficilement - J’aimerais sincèrement pouvoir me lasser de toi Malic mais j’en suis parfaitement incapable… Il m’en faut le coeur net et désolée s’il n’a pas pu apprécier mon plat jusqu’au bout, c’est trop douloureux pour qu’on continue à faire semblant, pour qu’on continue à se faire croire qu’il n’y a rien que de l’amitié entre nous.    

Ça lui fait plaisir de cuisiner pour moi. Je ne crois pas avoir entendu phrase plus gentille depuis un bon moment ! "Oui, je suppose. Je ne suis pas un expert, je cuisine pour moi depuis que je vis seul, mais j'ai encore des progrès à faire. Tiens, tu pourrais m'apprendre le secret des assaisonnements, qu'est-ce que tu en dis ?" Sa proposition de m'inviter à nouveau m'enchante. J'aime trouver des prétextes pour la voir et passer du temps avec elle, que ce soit au groupe, avec les enfants, ou comme aujourd'hui pour lui donner un coup de main. Je sais bien que ce n'est pas uniquement parce qu'il est agréable de ne pas être seul. Il est surtout agréable d'être en compagnie de Léo. En toute franchise, je peux aisément comprendre les hommes qui payent pour passer du temps avec elle. Je les jalouse au fond. "Oui, et puis c'est souvent par manque de temps non ? On se laisse déborder par les choses moins importantes je crois. Mais on pourrait prendre le temps que tu m'apprennes à cuisiner, et quand je serais au top, c'est moi qui te ferait une moussaka. Quand je serais capable d'en faire une sans risquer de t'empoisonner."

Je mange sans me faire prier une belle bouchée de moussaka mais Leo ne partage pas mon engouement pour son propre plat. Je lève les yeux vers elle, surpris quand elle dépose ses couverts. Sa question me prend de court, et me faire rougir en un clin d’œil. C'est la première fois qu'elle exprime avec des mots ces sentiments qui nous portent l'un vers l'autre. "De la pitié ? Mais non pas du tout ! Pourquoi aurais-je pitié de toi, Leo ? Ta vie...elle ressemble tellement à la mienne !" Je ne me permettrais pas de la juger et d'avoir pitié. Ce serait mesquin et malvenu. J'ai juste envie de l'épauler, de faire du chemin près d'elle. "A dire vrai, je te trouve très courageuse et..." J'interromps ma phrase, trop pudique encore pour risquer quoique ce soit. Je ne suis toujours pas convaincu qu'on puisse être plus que des amis, même si je me leurre parce qu'on est déjà plus que ça si nous sommes animés de sentiments réciproques !

"Mais pourquoi tu aimerais te lasser ?" Je ne comprends pas, je trouve nos rendez-vous agréables, mais elle a l'air de souffrir le martyr et je me demande si je me suis fourvoyé quelque part. Dans un geste impulsif qui ne me ressemble pas, je tends la main pour la poser sur les siennes. Je prends une de ses mains dans la mienne, lissant les marques de ses ongles dans ses paumes. Le geste noue ma gorge en une boule d'émotion nouvelle. "Leo..." Son prénom est si doux que j'ai plaisir à le prononcer tout bas. Un plaisir vaguement coupable. "Je ne comprends pas très bien Leo, j'aime passer du temps avec toi, est-ce si extraordinaire ? J'espérais, je pensais que c'était la même chose pour toi."

Je n’ai pas encore sombré quand on parle de cuisine et je suis parfaitement sincère quand je réponds: Bien sûr, je peux t’apprendre sans problème mais je ne suis pas sûre d’être une bonne prof parce qu’en fait, en général, je fais un peu au pif… Je souris, espiègle et relève le visage vers le blond tout en hochant la tête. C’est ça et puis la vie va tellement vite qu’on oublie un peu rapidement ce qui nous faisait plaisir à un moment donné. Il me semble que c’est à partir de ce moment-là que mon coeur a commencé à rater des battements et aussi que mon souffle s’est accéléré. Ce sont les yeux que j’ai relevés sur lui qui m’ont happés, ça a parcouru tout mon corps pour finir par se loger dans l’antre de mon estomac et la boule qui en a découlé s’est petit à petit transformée en eau salée ravalée dans mes paupières. Ca m’a semblé être un court-circuit, comme si mon sang s’était mis tout d’un coup à fabriquer des éclairs dans mes tempes et mes oreilles ont commencées à bourdonner des battements trop bruyants de mon coeur.

Je sais que le moment n’est pas opportun et que j’aurais pu attendre avant d’essayer d’articuler mes pensées en langage que Malic ne peut pas comprendre. C’est flou, bien trop flou pour qu’il puisse entrevoir où je veux en venir vraiment alors que je ne cherche finalement qu’à tourner autour du pot. Mais ses mots à lui sont assez clairs pour que moi, au contraire, je comprenne. Et ma poitrine s’écrase sous le poids de la culpabilité, comment ai-je pu croire qu’il y ait une once de pitié en lui ? Je secoue légèrement la tête en m’excusant à demi-mot, tout bas. Je serre les mains toujours trop fort alors que je ne ressens plus réellement la douleur. Mes yeux ne quittent pas les siens et je serre les dents, mords mes joues parce que je suis dans un état d’anxiété qui me dévore de l’intérieur. Il finit par attraper ma main et ce contact fait sursauter mes viscères dans l’impression que mon coeur a pris leur place. Pardon… J’articule assez difficilement puis finis par ouvrir les mains afin d’attraper celle de Malic et la serrer. Je me suis mal exprimée… Moi aussi j’aime passer du temps avec toi, justement... J’aime qu’on soit ensemble et quand on l’est pas, ça me manque. En fait, tu me manques quand tu n’es pas là et ça prend beaucoup de place dans mon esprit. Je joue légèrement avec la peau de sa main alors que mes yeux sont avalés par les doigts qui se mélangent, dont les épidermes se confondent et ce contact me réconforte malgré tout. Un balbutiement sort finalement de ma gorge et je suis obligée de me reprendre avant de lâcher, alors que mon regard capte celui du blond dans une lueur incontrôlable: Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de toi et j’ai l’impression que c’est mal. Je n’ai jamais ressenti une telle chose, un sentiment d’amour perdu entre la peur et l’anxiété. Il n’y a qu’à partir de ce moment précis que je me rends compte que ce qui me paralyse réellement est le fait qu’il est probable que ce ne soit pas réciproque et je me rappelle soudainement que toutes ces marques d’affection que j’ai pris pour du flirt étaient peut-être seulement présentes à cause de la gentillesse incommensurable du blond. Il y a aussi le fait que je sois escort qui bloque absolument tout parce que je sais d’avance que personne de bien sensé ne sortirait avec quelqu’un comme moi et cette réalité me fend toujours un peu plus le coeur. Je déglutis douloureusement et ne quitte plus les yeux de Malic alors que le suspens me rend complètement folle.

Au fond de mon cœur, la révélation n'en est pas vraiment une. Je suis conscient du fait de la pente qui nous entraine l'un vers l'autre. Je suis conscient aussi que depuis qu'elle m'a dit être escort, je lutte contre mon penchant. Je ne veux pas la juger, mais je sais aussi ce qui est bon pour moi ou pas. Et la savoir au bras d'un autre me ferait beaucoup trop de mal si on devait se fréquenter. Plus qu'en amis. Aujourd'hui, en "amis" je peux encore me raisonner. Est-ce une question d'éducation, de possessivité mal placée ? Je devrais réfléchir à la question mais comment réfléchir quand , rien qu'en tenant la main de Leo, je sens son cœur battre follement, quand nos regard se croisent, se cherchent, s'évitent et se retrouve, quand son parfum a envahi mon espace et quand enfin je rêve d'effleurer ses lèvres des miennes.

Je ne lâche pas sans main, mes doigts aux siens noués. Je souffle, bas, mais de façon tout à fait intelligible "tu sais bien ce que je ressens pour toi" Elle le sait forcément, je ne sais pas mentir, chaque rougeur se lit sur mon visage, chaque émoi adolescent dans mon regard. "Je ne sais pas si c'est bien, ou mal, je ne suis même pas sur qu'on doive en parler en ces termes, qu'est-ce que ça veut dire, bien ou mal ? Je sais juste que j'ai envie de continuer à te voir, et à te voir plus souvent si tu le veux." Je ne veux pas ne plus la voir, et brusquement, je veux bien prendre le risque de souffrir plus tard, pour ne pas souffrir maintenant. "On peut, on pourrait, se laisser porter par le courant, voir où ça nous mène, pourquoi pas ?" Je suis déjà amoureux d'elle, c'est de toute façon trop tard. A un moment où un autre, on souffrira.

Mon coeur tambourine douloureusement contre cette cage d’os qui semble vrombir sous la pression du sang qui s’accumule à la vitesse de la lumière dans mon coeur. J’ai l’impression d’être une gamine qui n’ose pas parler de ce qu’elle ressent alors qu’à notre âge, tout ça devrait être beaucoup plus simple, on ne devrait pas avoir à choisir entre la raison et les sentiments, on ne devrait pas avoir autant de mal à s’expanser l’un à l’autre et cette constatation me fait mal au ventre. Mes yeux ne quittent plus les siens dès lors que j’attends sa réponse et quand je vois ses lèvres bouger au rythme des mots, mes épaules deviennent instantanément un peu moins lourde parce qu’à demi-mot il me rassure sur ses sentiments à lui et je ne peux qu’en être soulagée. Quelle peine aurais-je eu de savoir que les sentiments n’étaient qu’à sens unique ? Ma vie aurait été des plus sombres, je crois.

Alternativement mes yeux se mettent à ricocher entre ses deux siens et je me mords les lèvres par anxiété mais aussi parce que s’il n’y avait pas eu cette table nous séparant, je sais que je n’aurais plus hésité à embrasser le blond. Seulement par pudeur, et aussi par souci de ne pas le bousculer davantage, je me fais violence pour éviter de passer le pas. Je finis par entrelacer mes doigts aux siens tout en baissant mes yeux sur cette petite étreinte qui me fait sans doute le plus grand bien puisque mon rythme cardiaque s’est machinalement ralenti. D’accord, on fait comme ça. Je ne sais pas réellement si cette discussion me permettra de me rapprocher de lui, ou en tout cas, de ne plus en avoir peur mais il me semble que maintenant, les mots mis sur les sentiments, le ciel orageux de mon esprit s’est un peu plus éclairci. Je délasse mes mains de la sienne dans l’envie de la reprendre déjà et esquisse un léger sourire en la direction du blond. Tu devrais continuer de manger avant que ce ne soit complètement froid. Et moi aussi d’ailleurs. Je ne sais pas si je serais capable d’avaler encore une bouchée mais je reprends mes couverts et, comme si rien ne s’était passé, désuni les légumes pour les manger ensuite.

Je n’ai aucune idée de l’impact que cette conversation aura sur notre relation. Pudiquement, je pense qu’on aura encore du mal à réellement se rapprocher jusqu’à ressembler à un vrai couple mais j’ose croire qu’on arrivera à dépasser ça une bonne fois pour toute, dans quelques temps. Je termine le vin et mon assiette en même temps puis jette un oeil à celle du policier. Tu ne m’as pas dit ce que tu pensais du vin, tu as aimé ? Mon sourire est revenu, chassé par le soulagement que les mots de Malic m’ont procuré.
Nous finissons le repas et je m’affère directement à la vaisselle. Dos à l’homme, je repasse en boucle les phrases dites un peu plus tôt, l’air hagard sur les assiettes moussantes, pensant que tout ça est finalement bien mieux qu’un coup de foudre.

Je suis bosniaque, elle est serbe, je suis flic, elle est escort, je suis divorcé d'un mariage sans amour, elle a connu la passion, Je ne suis jamais sorti de Bosnie, elle a parcouru le monde. Tout nous oppose, point à point, mais pourtant. Pourtant, je me sens proche de Leo, connecté, ses problèmes, les miens, sont si semblables. N'avons-nous pas tous les deux ressentis le besoin d'aller à ce groupe de soutien, n'aspirons-nous pas à trouver une forme de liberté tout en voulant l'amour ? Et surtout, ne sommes-nous pas prisonniers d'un système qui nous amène à faire certaines choses que nous réprouvons nous même. Elle, à accompagner des hommes le soir, moi à fermer les yeux contre des pots-de-vin. Je ne sais pas exactement comment Leo perçoit son travail, j'ai savamment évité le sujet jusqu'ici, mais je sais qu'un jour, je devrais savoir. Pour l'instant, je peux me contenter de la situation actuelle. Mes émois en sa présence étouffent tout questionnement trop poussé, mais la pudeur me retient encore.

Est-elle déçue de ma réponse derrière ce masque d'acceptation ? Je ne saurais le dire, et ce n'est pas mon intention. Je ne veux pas la faire fuir et j'espère ne pas paraitre froid quand dans le secret de mon cœur, je bouillonne d'émotions nouvelles. Je n'ai jamais été amoureux avant. J'ai aimé ma femme d'une certaine façon, comme quelqu'un avec lequel on vit et construit un foyer dans le respect des traditions, de la famille.  Mais je n'ai pas choisi mon mariage, et je n'ai pas eu à me poser la question de l'amour.  Avec Leo, c'est une découverte effrayante et grisante qui me parait si ridicule à mon âge que je m'en cache, honteux de paraitre inexpérimenté. Comment séduire ? Comment aimer ? La situation me parait parfois si complexe quand elle est en vérité très simple, que le découragement me saisi, ou la peur de mal faire aboutissant à l'immobilisme.

Lâcher sa main est difficile et presque douloureux. Je mange Leo du regard, son sourire lumineux qui me réchauffe et c'est avec un temps de retard que je l'imite alors que la faim m'a déserté. Je mange poliment et heureusement, l'appétit revient car c'est tellement délicieux qu'il ne peut en être autrement. Quand Léo s'active à la vaisselle, je l'aide en débarrassant la table et en essuyant la vaisselle, avec peut-être le regret d'avoir laissé passer l'instant où sans doute j'aurais pu l'embrasser. D'un autre côté, je n'ai pas envie de précipiter les événements entre nous. Même si certains diraient que là on avance à pas de fourmis ! (stalkers !)

Après un café et une clope, nous voilà à retourner finir de repeindre la chambre. Je suis un peu distrait, la conversation du midi et ce qui en a découlé me fait flotter sur un nuage cotonneux duquel je vois Leo dans un halo lumineux. C'est très très étrange, je vous assure !

Nous sommes assez silencieux pendant le reste du repas et Malic semble aussi pensif que je peux l’être. Je ressens une sorte de soulagement mélangé à de la frustration parce que je crois connaître les sentiments du blond sans jamais n’avoir pu entrevoir de ce qu’il ressent réellement. Il n’y a jamais eu de geste ni quoi que ce soit qui aurait pu me faire dire que Malic est amoureux de moi et c’est aussi certainement pour ça que j’étais autant immergée dans le flou. Maintenant c’est différent, cette conversation pourrait être un tremplin pour nous et j’espère sincèrement que nous avancerons désormais au rythme de nos envies au lieu de les brider par nos esprits trop structurés.

Je sens que l’atmosphère s’est un peu alourdie bien que j’ai l’impression que mon coeur et tous mes viscères sont en train de flotter dans une masse épaisse, douce et agréable. On ne parle pas davantage de ce qu’il vient de se passer, nous nous contentons de choses simples au sujet de tout et n’importe quoi pendant que nous nous efforçons de ranger et nettoyer la cuisine rapidement avant de nous remettre à la peinture.

Mes doigts, autour du manche du rouleau à peinture que j’utilise, ressentent encore la chaleur de ceux du policier et quand je me remémore l’image de nos mains liées, mon coeur s’emballe instantanément. Il y a des années que je n’avais pas retrouvé ces sentiments et je me sens tout d’un coup portée par une sorte de plénitude qui annihile toute la solitude que j’ai bien pu connaître avant lui. Il y avait comme un trou béant au fond de moi qui commence petit à petit à se combler désormais et je pense pouvoir dire que si nous arrivons à nous combler l’un l’autre, notre vie ne pourra en être que meilleure.

Nous travaillons toujours chacun sur notre mur et nos positions nous contraignent à nous tourner le dos. Je jette de temps à autres des coups d’oeil indiscrets à Malic, comme pour m’assurer qu’il est bien là et que je ne rêve pas. Je finis par briser le silence au bout d’un moment: Tu voudrais rester manger ce soir ? Ou bien on pourrait sortir ? Enfin… Si tu n’as rien d’autre de prévu, bien sûr. Je me tourne vers lui, stoppant mon activité en tenant le rouleau entre mes mains avec l’impression que mon coeur va se décrocher à force de battre comme il le fait ![/b]

La chambre prend forme, le bleu recouvrant le rose et j'éprouve presque une forme de nostalgie parce qu'en rose c'était la chambre de Leo, à présent, c'est celle de son frère. Je travaille consciencieusement, m'appliquant pour donner à Miro l'endroit le plus agréable possible pour sa convalescence (quoique je m'avance en utilisant ce mot, mais il est porteur d'espoirs alors je le préfère à d'autres) Je sais que Leo met le même cœur à l'ouvrage, par amour pour ce petit frère dont elle s'occupe vaillamment, forçant sans même s'en rendre compte mon admiration.

Sa proposition interrompt mon geste mécanique et appliqué visant à repeindre le radiateur. Sans trop réfléchir cette fois, ne lui ai-je pas dit que passer du temps ensemble me plaisait et que se voir plus souvent me conviendrait à merveille - je réponds en me tournant à demi vers elle quasiment dans le même geste qu'elle a fait, en miroir "Je ne travaille pas ce soir, alors ce sera avec plaisir. On peut se contenter de finir la moussaka si tu veux, nous ne sommes pas obligé de commander ou sortir..." Puis je souris en ajoutant, montrant mes fringues mouchetées des projections de peinture inévitables avec le rouleau "mais si tu préfères, on peut sortir. J'ai pris des affaires de rechange dans mon sac, et si tu me prêtes ta douche, je serais sortable, promis !" Je jette un coup d’œil à la pièce. "On a presque fini. Une dernière couche sur la plinthe et ce sera bon. Il faut attendre que ça sèche. Il n'y aura même pas besoin de passer une autre couche, ces deux-ci sont assez couvrantes. Est-ce que le résultat est la hauteur de tes espérances ? Tu penses que ça plaira à ton frère ?

Il faut absolument que cette chambre soit parfaite pour Miro et je sais qu’elle le sera avec le travail que nous nous efforçons de fournir avec Malic. Je suis d’ailleurs heureuse de voir ce bleu remplir petit à petit toute la pièce et même si j’aimais ce rose, je crois aimer davantage la couleur que j’ai choisie pour mon petit frère, justement parce que ça connote son arrivée ici.

Je souris tout en tenant le rouleau dans les mains, le blond dans la même position que moi. Mes pensées ne se tournent même pas vers Miro qui est à l’hôpital et je me trouve abominable comme soeur de penser préférer passer la soirée auprès d’un homme plutôt que mon petit-frère. Je me rassure intérieurement en me disant que notre grand-mère y passe déjà toute la journée et que je l'appellerai un peu plus tard.
Je suis soulagée que Malic accepte mon invitation même si d’un côté, il avait dit aimer passer du temps avec moi et du coup le contraire aurait été étrange. J’ai peur, intérieurement, du fait que si nous sortons, nous aurons l’obligation de se séparer en fin de soirée et j’imagine que si nous restons ici, il y a une chance pour que nous passions peut-être un peu plus de temps ensemble encore. Aussi, ça me paraîtrait un peu bizarre de sortir “m’amuser” alors que Miro est à l’hôpital. Alors je souris et ris légèrement avant d’admettre: Tu sais quoi, peut-être que c’est mieux si on reste ici et puis si on n’a pas trop envie de finir la moussaka, je ferais quelque chose d’autre. La prochaine fois qu’on sortira, ça sera avec Miro et ta fille. Je jette un oeil global à la pièce en me trouvant très satisfaite de ce qu’on a accompli. Oui c’est vraiment parfait, c’est tout à fait ce que j’imaginais et c’est sûr que mon frère va aimer. Mais ça sera encore mieux quand on aura monté le super bureau que je lui ai acheté ! D’ailleurs je t’avais pas montré. Attends, regarde. Je sors mon téléphone de ma poche après avoir déposé mon rouleau et m’approche de Malic pour lui montrer une photo prise dans le magasin de meuble. Tu vois, y’a plein de tiroirs et puis il est vachement grand, comme ça il pourra faire ses devoirs tranquillement même si son ordinateur est posé là. Je me rends compte tout à coup de mes doigts à moitié blancs qui tiennent le portable. Mince… Je pose finalement l’appareil sur l’escabeau et dans un mouvement rapide mais précis, décide de délaisser un chiffon pour coller mes doigts contre la joue de Malic, lui laissant une belle trace de peinture sur le visage. Je me mords les lèvres pour éviter de rire mais finis par m’esclaffer, c’est plus fort que moi. Désolée mais c’était trop tentant.

Ma préférence allait à rester chez Leo et ne pas affronter le monde extérieur pour ce soir. Je suis content qu’elle préfère aussi cette option et je lui adresse un sourire reconnaissant. “ta moussaka me suffit pour ma part, je t’assure qu’elle est très bonne. ce serait dommage de la laisser perdre. Tu as peur qu’il n’y en ai pas assez pour deux ? et je te prends au mot pour la prochaine sortie” Égoïstement, la pensée me traverse fugitivement que je préférerais la voir seul à seule. Une sortie pour mieux la connaître, mais c’est vrai qu’accompagner des enfants, je la découvre aussi sous un jour différent et finalement cela me convient aussi.

Précautionneusement, je pose mon pinceau pour regarder la photo du bureau. “il est bien, tu le reçois quand ? Tu veux de l’aide s’il faut le monter ?” Et quand Leo "m’attaque" brusquement, je me laisse facilement surprendre. La main de Leo est poisseuse de peinture et je reste les yeux ronds, l’air ahuri. Incrédule, je porte ma main à ma joue maculée de peinture. “Mais… !” C'est la première fois qu'on m'attaque ainsi, par jeu ! Je souris, amusé en déclarant d'un ton qui n'est vraiment pas sérieux ! “outrage à agent de police, ça va chercher loin !” Je ris en essayant de frotter ma joue mais je ne fais qu'étaler la peinture et me voilà maquillé comme un stroumph ! “oops, je vais quand même avoir besoin de ta salle de bain. J'espère que ça part à l'eau ! ” Je reprends mon pinceau pour terminer le bout de radiateur qu'il me reste à repeindre.

Je souris au policier, ravie que mon idée lui plaise. D’accord, parfait. Non, je pense que ça ira, le plat est assez grand. Puis je ne suis pas une grosse mangeuse, ça ne me dérange pas de laisser une plus grosse part à Malic, d’autant plus qu’il a l’air d’apprécier vraiment mon plat; j’en suis d’ailleurs flattée.

Lundi prochain. Je veux bien un peu d’aide… Oui. L’assurance de le revoir même si ce n’est que pour monter un meuble me comble d’avance et très honnêtement, si je pouvais, je ruserais du plus que je peux pour pouvoir le voir ne serait-ce que cinq minutes tous les jours. Mes yeux rieurs finissent dans les siens, pour leur part complètement ahuris et je crois qu’il n’aurait jamais imaginé que je puisse faire une telle chose, je dois dire aussi que je m’étonne moi-même. Tu devrais m’arrêter alors ! Ma voix se fait fluette, presque mutine alors que dans mon esprit, je rêverais d’être arrêtée et menottée par lui ! Cette pensée m’arrache un frisson et je finis par rire à nouveau quand sa joue se colore un peu plus de part ses doigts qui essaient tant bien que mal de nettoyer mon oeuvre. C’est censé partir à l’eau oui… Ne t’inquiète pas. Je lui lance un dernier sourire et retourne à mes occupations, terminer les plinthes, faire des petites retouches et consciencieusement nous finissons le travail jusqu’en fin d’après-midi, le temps de nettoyer et ranger le bazar que tout cela a mis. Je croise les bras sous ma poitrine en observant le résultat final, même s’il faut que la peinture sèche encore avant d’avoir la véritable couleur au mur. Beau travail M. Stepanovic ! Je suis assez fière de nous. Je hoche la tête d’un air satisfait et souris à Malic. Je vais appeler Miro pendant que tu utilises la salle de bain. Je te montre ? Je l’accompagne donc et lui présente les différentes armoires où sont rangées les serviettes et tout ce dont il a besoin. Désolée, c’est un peu le bazar… Rapidement, je m’affaire à ranger sommairement mes pinceaux de maquillage et à remettre correctement les flacons de parfum sur les supports avant de relever les yeux sur Malic dans notre reflet sur le miroir. J’ai un instant d’absence, soudainement électrisée par l’image que l’on renvoie et mon coeur se remet à battre dans un galop affolé. La salle de bain est assez petite et même si nous nous tenons éloignés, la promiscuité de la pièce nous contraint à être proches. Mon regard ricoche entre lui et moi, et pendant ce moment de silence, je me demande si ce n’est pas à ce moment-là qu’on n’est censés s’embrasser, ou en tout cas, ça le serait si nous jouions dans un film. Nous ne sommes définitivement pas dans un film, malheureusement…  

"ok, lundi je suis de nuit et je commence qu'à 20h alors je passerais dans la journée, et je t'aiderais à monter ce meuble. J'ai une perceuse visseuse, ça ira tout seul. Enfin, si le mode d'emploi est pas en suédois !" Je souris à Leo, chaque rendez-vous pris est à la fois un baume au cœur, une excitation qui emballe mes pulsations cardiaque, mais aussi une crainte de m'approcher trop près du feu. Je ne sais toujours pas où on va. Nous avons juste convenu de prendre les choses en allant, lentement. Mais il reste toujours le fait qu'elle est escort et que ces hommes qui sortent avec elle le font contre de l'argent. Si elle ne vend pas son corps, je suis intimement persuadé qu'au fond ils l'espèrent, l'envisagent, les billets en main et le regards baladeurs. Et même si elle refuse, je ne suis pas sur de vouloir être celui qui attend son retour le cœur en berne. J'ai peur de souffrir, mais je suis déjà mordu de la jeune femme et mon ambivalence en est témoin.

Je rougis au sous-entendu sensuel que je perçois parfaitement. J'ai l'air d'un idiot si je vous dis que je n'ai jamais fait ce genre de "jeux" ? La peinture, les provocations rieuses qui mènent au rapprochement des corps, tout ça me dépasse. Je pourrais dans cette salle de bain profiter de la promiscuité, du lieu, de son regard qui croise le mien dans le miroir, oui je pourrais profiter de tout ça pour embrasser Leo, la prendre dans mes bras, et si on était dans un fil, sans aucun doute je le ferais. Mais je me contente de baisser les yeux en la remerciant pour la serviette. "Merci, mais ne t'embête pas à ranger pour moi je n'en ai pas pour longtemps et c'est ton bazar après tout." Rompant le charme, m'écartant volontairement de son doux parfum, je vais chercher mon sac qui contient mes affaires de rechange. Prudent, j'attends cette fois que Leo soit sorti du lieu pour y entrer.

En effet, je ne mets pas longtemps à prendre une douche, m'essuyer et enfiler des vêtements propres qui consistent en un jean foncé et un te-shirt blanc dévoilant mes tatouages un peu plus qu'à l'habitude. Je souris en y pensant, parce qu'ils avaient étonné Leo et qu'elle a laissé entendre qu'elle aussi elle en avait un. L'image est troublante. Débarrassé de la peinture, je rejoins Leo dans la cuisine. "Est-ce que tu aurais de la bière ? Je dois t'avouer que je préfère au vin, mais sinon de l'eau ira très bien, je meurs de soif. Je crois qu'on a fait du bon boulot. Ton frère a répondu ?"

Mon sourire s’illumine et je ris légèrement à l’ironie du blond. Mon visage se secoue de droite à gauche avant d’énoncer: Non, il n’est pas en suédois normalement. Je trouve que l’on s’entend particulièrement bien et qu’une sorte d’alchimie s’est un peu révélée à la suite de notre discussion. J’aime tout particulièrement ces moments de plaisanteries que l’on a ensemble même si ça ne dure pas longtemps, même si ce n’est pas grand chose, ça change complètement mon quotidien. Il y a certes plus de compréhension entre nous mais je reste dubitative sur notre relation, toujours très interrogative sur l’avancement du chemin que l’on a décidé de suivre ensemble parce que malgré tout, je ressens toujours une retenue entre nous et tant que je serais escort, je sais pertinemment que ça ne changera pas.

Il y a quelque chose de perturbant quand nous sommes dans la salle de bain et bien que j’aimerais que les choses avancent, je ne peux décemment pas sauter sur le blond même si au fond, je sais que l’envie n’est pas totalement unilatérale. Il finit par aller chercher ses affaires, me laissant clairement sur ma fin et je crois entendre un soupir se déloger de ma gorge quand je quitte à mon tour la salle de bain. Je ne suis pas du genre à faire le premier pas et je ne le ferais surtout pas dans notre cas mais je commence à avoir l’impression que si je ne me décide pas, nous n’arriverons strictement à rien.

J’appelle Miro le temps que Malic est sous la douche et raccroche quelques secondes avant qu’il n’en sorte, bon timing. Je me relève du canapé seulement quand le blond s’approche de moi et souris en acquiesçant. De la bière ? Bien sûr. Je m’active à aller chercher dans le réfrigérateur ce dont l’homme a envie tout en discutant. Oui oui, Miro a répondu. Je suis contente, il avait l’air d’aller bien. Il te passe le bonjour. Le sourire ne me quitte pas et je décapsule donc une canette avant de la lui tendre. Je vais aller me laver aussi. J’en n’ai pas pour longtemps. Tu peux… Regarder la télé en attendant ? J’arrive. Je défais mes cheveux tout en les secouant pour les déployer et file sous la douche à mon tour. C’est une sensation étrange que de passer après Malic. La cabine de douche est encore chaude et il ne me faut pas longtemps sous l’eau brûlante avant d’imaginer des choses qui me feraient rougir ! Je secoue la tête vivement, désireuse de chasser ces idées malsaines de mon esprit avant de ressortir, propre comme un sou neuf. J’ai passé une robe légère avant de retrouver enfin Malic, une bière en main, pour moi cette fois-ci. Je me mets à la fenêtre, grande ouverte, pour fumer une cigarette piochée juste avant dans mon paquet.

On finit par discuter autour de quelques crasses avant de manger le restant du plat que je nous avais préparé et on s’échoue tous les deux sur le canapé. Je te laisse le privilège de choisir ce qu’on va regarder, ça te va ? Je tends le saint graal à Malic -la télécommande- avant de m’enfoncer dans les coussins moelleux.

Moins imaginatif que la jeune femme, je bride mon esprit pour ne pas provoquer d'images mentales déplacées alors qu'elle prend sa douche. Ce serait mal ! Je suis content d'apprendre que son frère est impatient d'emménager et je m'installe avec ma bière devant la télé comme conseillé par Leo. Je ne regarde pas vraiment, zappant d'une chaine à l'autre sans fixer mon esprit qui vagabonde. Quand Leo revient, elle porte une robe charmante et très féminine qui ravive ce trou au creux de mon ventre, mélange de trouble et de retenue.

Je mange, chipotant malgré moi mon assiette, trop accaparé que je suis par la jeune femme, ses réparties, ses sourires et ses regards. On est proche et la scène est trop intime, nous installant comme un couple que nous ne sommes pas. Est-ce que ce serait comme ça si on était ensemble, si on vivait ensemble ? Sauf que. Il y a les soirs hors de la réalité, en dehors des contraintes, de ma fille, de son frère, de nos boulots et nos emmerdes. Clairement en nous asseyant l'un à côté de l'autre  pour regarder la tv, nous sommes sur une pente dangereuse.

Je m'empare de la télécommande et comme il n'y a de toute façon pas grand chose, j'arrête mon choix sur un des deux films qui passent. "Sur la route de Madison" de Clint Eastwood. J'ai déjà vu ce film et je l'aime beaucoup "J'aime bien cet acteur réalisateur. Tu as déjà vu le film ?" Après ça il y a des séries - dont une policières, ou des documentaires sur la pollution en Bosnie, mais sincèrement j'en ai soupé de faire le bon citoyen concerné. Après une hésitation et une bonne dose de courage, je décide de prendre la main de Leo dans la mienne tout en regardant le film. Je lui lance un regard pour m'assurer que ça lui convient.

J’ai l’impression de vivre hors de la réalité, d’avoir droit à une parenthèse un rien enchantée qui illumine mon existence. Sans rire, être assiss à côté de Malic et ne pas savoir quoi choisir à la télévision est quelque chose que je n’ai pas vécu depuis des années, surtout avec quelqu’un que j’apprécie énormément de surcroît. J’ai oublié Miroslav et sa maladie, mon métier et tout ce qui en découle; en somme: la tristesse qui stagne et s'agrippe à ma vie comme le ferait du lierre grimpant à un mur. C’est pour cette raison que j’avais intégré le groupe de soutien, pour éviter de vivre seule cette tristesse morne accaparante alors que je me rends compte désormais que vivre la tristesse de sa vie à deux est certes moins pesant mais certainement un peu égoïste.

Non, je ne connais pas du tout mais j’adore Clint Eastwood, on peut laisser ça. Que j'articule à propos du film que Malic me propose et je dois bien avouer que l’attraction qui ne cesse de m’attirer vers lui risque de m’empêcher d’être totalement concentrée sur le film mais soit, j’essaie tant bien qud mal de garder une certaine distance respectueuse afin de ne pas trop brusquer le policier. Je rabats mes jambes dont les pieds sont nus sur le canapé et automatiquement mon corps se penche vers lui sans pour autant qu’il ne touche le sien. Pourtant, il ne faut pas un laps de temps énorme pour qu’il ne se décide à faire le premier pas, prendre ma main tout en s’assurant que ça me convienne et je lui réponds d’un sourire attendri, les yeux retombants sur nos mains entrelacée. Mon coeur tressaute contre ma poitrine et je sens le rush sanglant parcourir mon corps entier, m’obligeant à m’enfoncer un peu plus contre mon dossier. Je finis par jeter mon regard sur le film, aussi romantique que nous et décide de passer mes doigt entre les siens, déposer nos mains emboitées contre ma cuisse alors que mon épaule termine contre la sienne. Ma main qui reste libre vient prendre part à ce jeu pour s'amuser elle aussi avec le bras de Malic, caressant sa peau échaudée de mon pouce. Petit à petit mon visage se laisse attirer par son épaule, déposant finalement ma joue contre cette dernière. Cette étreinte est réconfortante et me fait un bien monumental. Je n’arrive pas à croire que nous avons enfin réussi à nous rapprocher et intérieurement, j’espère de tout coeur que rien n’est forcé dans les attitudes du policier parce que je crains d’avoir un peu trop bousculer les choses avec mes paroles. Nous restons silencieux devant le film alors que peu à peu la lumière du jour nous quitte pour nous offrir la pénombre de la nuit qui finira par rendre cette soirée encore plus troublante qu’elle ne l’est déjà.