[FB] - Take a walk on the wild side || Eniko

01h02

Il est assez rare que Dimitri, mon associé, soit de passage à Sarajevo. Et il est d'autant plus rare, lorsque c'est le cas, qu'on parvienne à trouver le temps de sortir ensemble. Ce soir, pourtant, Slavenko étant en mission hors de la ville, j'en ai profité pour proposer à mon ami une sortie comme au bon vieux temps, en profitant au passage pour lui faire découvrir la face cachée de la ville. Sarajevo n'est plus la même dès lors que le soleil se couche. On est d'abord allés manger ensemble dans un restaurant typiquement serbe, bien que la cuisine slave ne lui soit pas tout à fait inconnue, les spécialités russes ne sont pas les mêmes. Ensuite, je l'ai traîné en boîte. J'aurais pu l'emmener au Pussynight, club phare de la ville, seulement je ne voulais pas être associée aux Tigrovi ce soir ni prendre le risque d'être observée, espionnée peut-être. Dieu seul sait qui me suit et ce qu'on pourrait encore aller raconter à Slavenko.

On échoue donc dans une boîte branchée, à la fréquentation moins... bourrue, dirons-nous, que le QG de la mafia serbe. Accoudés au comptoir, déformation professionnelle oblige, on sirote nos boissons tout en commentant les filles qui dansent sur la piste. Il y a des danseuses, perchées sur les podiums et toujours trop peu vêtues, mais elles semblent toutes trop vulgaires pour correspondre à ce que l'on recherche. Les escorts que Come With Me proposent sont censées représenter la classe à l'américaine, si tant est qu'une telle chose existe.

Trop souvent sur la défensive, je laisse mon regard parcourir la foule, en quête d'un visage connu qui ne serait pas amical. Je sais, désormais, que Jelenko m'a fait suivre plus d'une fois. Seulement je ne sais pas par qui, et où doit aller ma méfiance. En revanche ce dont je suis sûre, c'est qu'il n'hésitera pas une fois encore à utiliser tout ce qu'il pourra trouver contre moi. Il pourrait y avoir un Tigrovi dans la foule, je ne m'en apercevrais pas. Une fille du Pussynight, libre pour la soirée, et qui aurait décidé de sortir loin du Klan dans l'espoir de retrouver le goût de la liberté. Mais je ne vois personne, et les regards que je croise malgré ma paranoïa ne me semblent pas accusateurs.

C'est Dimitri, qui attire mon attention ailleurs en désignant une fille, perdue au milieu de la piste de danse, occupée à danser les yeux clos comme si personne ne la regardait. Je plisse le regard, penche la tête sur le côté pour l'observer. Elle est jolie mais ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus, les jolies filles courent les rues, il faut qu'elles aient autre chose, comme une aura particulière. Je finis par hausser les épaules et lance à mon associé : Offre-lui un verre. Première étape, voir si elle est réceptive aux avances de la gent masculine. Dimitri acquiesce et se dirige vers la piste de danse, droit sur l'inconnue.

Les bras croisés dans une position qui me donne l'allure d'un videur de boîte de nuit, j'observe Dimitri et l'inconnue qui s'éloignait de toute façon de la piste. Il ne faut pas plus de quelques regards pour réaliser qu'elle a ce visage parfait qui lui permet d'avoir l'air d'un ange un instant, puis d'une véritable diablesse la seconde d'après. Une lueur mutine dans le regard, quelque chose d'indéniablement aguicheur dans sa posture malgré les efforts qu'elle fait sans doute pour avoir l'air de ne rien demander à personne. C'est parfait parce que, c'est triste à dire, mais les hommes politiques slaves adorent se balader aux bras de jeunes-femmes qui ont l'air ingénues. On ne leur demande pas de faire la conversation, d'avoir l'air impliquées. Non, ils attendent seulement d'elles qu'elles soient belles et dociles.

Le verre offert est posé sous son nez mais la jeune-femme n'y réagit pas vraiment. Cela dit, elle accepte le présent, quand certaines auraient pu s'offusquer et le renvoyer. Après tout qui sont ces hommes qui prétendent savoir mieux que vous ce que vous avez envie de boire ? J'aurais définitivement été trop indisciplinée pour faire ce métier. Quand j'étais à la Nouvelle-Orléans, Tobias n'était d'ailleurs parvenu à me soumettre qu'à grands renforts de seringues plantées dans le bras... Et accessoirement de coups de poings dans le bide, mais c'est une autre histoire. Je fronce les sourcils, et je décide finalement de prendre les devants. J'approche de la blonde, désigne le tabouret à côté d'elle : « Je peux ? »

Je sens la jeune-femme trop farouche pour ne pas être intimidée par Dimitri, et je fais signe à mon associé que je vais prendre le relais. Nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps à présent pour ne pas avoir besoin de mots pour nous comprendre, Dieu que c'est reposant. Prenant place à côté de l'inconnue, je hèle le barman pour qu'il m'apporte à moi aussi un verre. Je tiens plutôt bien l'alcool à présent je crois, malgré mon gabarit de chat de gouttière, et je ne crois pas qu'un verre altérera mon jugement. L'inverse, à mon avis, serait plus inquiétant, elle se demanderait sans doute pourquoi je prends place près d'elle au bar si ce n'est pour commander à boire.

De l'endroit où je me trouve, je peux l'observer un instant, son profil fin et doux, l'air angélique qui s'accroche à ses yeux. Peut-être sera-t-elle trop prude pour ne pas se vexer de ma proposition, mais je n'obtiendrais jamais rien si je ne pose pas la question. J'attends de capter son regard avant de reprendre la parole : « Je t'ai vue sur la piste tout à l'heure, tu te débrouilles très bien. Tu es danseuse ? » Peut-être s'imaginera-t-elle que je la drague, l'idée me fait sourire en coin. « Moi c'est Nina. » A l'instant où je me présente, on pose sous mon nez un verre de vodka et je m'en empare pour le lever en direction de la jeune-femme, dans l'espoir de trinquer avec elle.