Tu mettrais une huître à bout de nerfs ! || TOBIAS

11h35

Sarajevo n'est pas exactement le genre de ville dans laquelle on s'attend à trouver des gens prêts à payer pour organiser l'anniversaire de leurs enfants à leur place. Les classes aisées, disposées à confier leurs enfants à d'autres pour ces moments pourtant précieux, sont plus courantes dans des endroits comme Manhattan, par exemple. En Bosnie, il y a toujours une tante, une cousine, une sœur pour s'occuper de vos enfants pendant que d'autres impératifs vous en empêchent. Pourtant, c'est bien vers moi que Novka s'est tournée, lorsqu'elle a décidé de fêter l'anniversaire de sa fille au parc. Cette dernière, debout sur la table de pique-nique, une baguette de fée pointée devant elle, est occupée à désigner chacun de ses invités, un à un, pour leur assigner un rôle à la Cour de la Reine. Elle, donc, si vous ne l'aviez pas compris. Installée sur le banc, les sourcils froncés, j'observe les gamins qui ont tous plus ou moins six ans, et reste surprise qu'aucun ne semble vouloir se rebeller contre l'autorité de la dictatrice.

C'est une exclamation dans mon dos qui me fait réaliser que, durant tout son petit discours, j'ai perdu Taz de vue. Je me lève dans un sursaut pour chercher le malinois des yeux, et je bondis en avant, dans sa direction. « Bon sang je suis désolée ! » J'attrape le collier du chien pour l'inciter à relever le museau qu'il avait plongé dans le pique-nique d'un inconnu. Taz se jette joyeusement sur moi, comme persuadé qu'il n'a que quelques secondes pour obtenir son quota d'affection de la journée. Je fronce les sourcils, lui frotte le cou en songeant qu'il ne risque pas de comprendre qu'il ne faut pas faire ça s'il est récompensé d'un câlin. Je relève les yeux, confuse, vers la personne que je viens d'importuner, et je désigne la table de pique-nique derrière moi. « On devrait largement avoir de quoi remplacer votre repas. »

​L'homme que je viens de déranger malgré moi semble avoir à peu près mon âge, et je suis visiblement chanceuse parce que l'excitation de mon chien le fait rire. J'ai craint, un instant, qu'il ne se lève en gueulant, comme l'auraient sans doute fait la plupart des gens dans ces conditions. Sa remarque m'arrache un sourire amusé, et j'acquiesce vivement. « Oui, c'est que ça devait être excellent ! » Je tais le fait que le malinois est juste absolument fou dès lors qu'il s'agit de nourriture, je pense qu'il pourrait manger tout et n'importe quoi, quitte à ce que ça ne soit pas comestible. J'ai perdu quelques paires de chaussures en faisant l'expérience, ça ne va mieux aujourd'hui que parce qu'il est bien dressé. ​

Je tapote la tête de mon chien pour qu'il s'asseye à mes pieds et cesse de s'agiter dans tous les sens. « M'embêter ? Vous plaisantez ! Je viens de ruiner votre pique-nique ! » Je désigne l'anniversaire qui bat toujours son plein derrière moi, les enfants étant particulièrement doués pour s'occuper. « Je vous assure qu'il y a suffisamment à manger pour une personne de plus. » Quant à moi, je crois que ça étoufferait la culpabilité que je ressens d'avoir laissé mon chien foutre sa truffe dans le plat d'un inconnu.