Règle numéro une: Toujours faire semblant d'être intéressée. - Eniko

Un appel me tire de mon sommeil. Il est 8h30.
Habituellement de mauvaise humeur lorsqu’on me réveille ainsi, j’attrape mon téléphone vibrant sous la paume de ma main avec un énervement incontestable. Pourtant, lorsque je vois la photo de mon petit frère sur l’écran semi éclairé, mon visage se radoucit instantanément et je réponds quasiment tout de suite, un sourire aux lèvres.

Je me tourne dans mon lit, écoute les déboires de Miro, sa dernière visite à l’hôpital et finis par parler à ma grand-mère qui me rassure vis-à-vis de l’état de santé de mon jeune frère. Le soleil traverse les rideaux pas tout à fait occultants et dès que je raccroche, je bondis de mon lit pour aller les ouvrir. Le soleil est magnifique, le ciel contrastant tout à fait avec le gris des immeubles qui me barrent la vue et j’entends quelques oiseaux siffler avec entrain ce qui présage une journée sous le signe de la bonne humeur.

Mon petit frère est à ce jour la seule et unique raison que j’ai de vivre, plutôt même, de survivre. Je fais, sans exagérer, tout ce qui est dans mon pouvoir pour lui offrir une adolescence presque normale et malgré les visites chez les médecins, les traitements lourds et sa calvitie précoce, il a tout pour évoluer normalement dans cette vie pourrie dans laquelle on l’a balancé il y a quelques années. Je me prive énormément pour lui et notre grand-mère mais je suis fière de ça et je ne vois pas comment je pourrais être heureuse autrement.

La journée est passée très rapidement, j’ai toujours de quoi m’occuper et mon travail ne commençant qu’en début de soirée, il m’est agréable d’avoir toujours beaucoup de temps pour moi. Je me prépare donc à retrouver un client, bouche rouge, ongles vernis et tenue sexy sont la combinaison parfaite pour que les hommes soient satisfaits de mes prestations. Je relève également mes cheveux pour que ma nuque soit complètement dégagée et enfile un collier de perles étincelant venant de ma grand mère.

Le lieu des rendez-vous sont toujours programmés à l’avance et il n’existe pas un seul endroit où je me suis déjà retrouvée qui me mette en insécurité. C’est ce que j’apprécie avec Nina, c’est qu’elle est assez consciente pour éviter tous risques et c’est la raison pour laquelle être escort est finalement devenu pour moi quelque chose d’assez simple. A partir du moment où le lieu de rendez-vous est fixé, nous pouvons communiquer avec les clients par texto et c’est ce que je fais dès lors que je suis arrivée dans ce bar un peu chic du centre ville. Je me suis assise au bar et ai commandé un gin tonic, attendant inlassablement que la clientèle arrive.

Je remue avec ferveur le cocktail que l’on vient de me servir, croisant mes jambes derrière le bar en attendant que mon client daigne arriver. Un soupir intérieur me concède cette envie de parfois tout arrêter, de part la sensation que me procure ce travail qui n’est autre qu’un sentiment de honte et de jouet entre les mains des hommes. Les extras sont quelque chose qui me sont inconnus mais je sais que certaines filles, par souci économique, sont obligées d’accepter et de réduire leur vie aux mains de ces clients. Je survie avec l’argent que l’on me donne, tout juste de quoi payer mon loyer, les frais médicaux de Miro et m’acheter de temps en temps des choses qui me font plaisir, mais je ne roule certainement pas sur l’or, c’est incontestable. C’est seulement au bout de quelques longues minutes que mes yeux se mettent à sonder l’endroit, à la recherche du client en question qui me semble en retard. C’est sans m’y attendre que je tombe sur Enikó, une escort, comme moi, néanmoins beaucoup plus jeune. Je me demande un quart de seconde si elle est là pour le boulot mais sa tenue et sa manière de se comporter me rappelle qu’il ne doit pas en être autrement. Enikó ! Que je l’interpelle tout en me rapprochant d’elle avec mon verre. Comment tu vas ? On ne se connait pas énormément mais il est toujours agréable de voir que nous ne sommes pas seules dans la même galère. Je me permets de m’asseoir sur le tabouret juste à ses côtés et bois instantanément dans mon verre. Tu attends quelqu’un aussi ? En espérant que ce ne soit pas le même type parce que le délire de deux femmes pour un homme peut très vite tourner au cauchemar et dévoiler notre identité à plus d’un. Je travaille toujours dans le souci de me faire la plus discrète possible, autant parce que les clients ne désirent le plus souvent pas qu’on dévoile leur petit manège mais aussi parce que j’ai toujours eu un peu honte de faire ce que je fais.

Ca va, merci. Je lui réponds dans un sourire chaleureux, sincèrement très heureuse de l’apercevoir même si l’endroit n’est pas vraiment le plus propice. Je regarde ensuite autour de nous, les personnes qui se trouvent dans ce bar un peu chic et cherche du regard l’homme qui est censé me rejoindre. Ce n’est pas un régulier comme pourrait l’être Camenko Drazavic et je ne sais pas si c’est une habitude d’arriver en retard, mais je crois bien que cela fait au moins dix bonnes minutes qu’il aurait dû être là. Oui, mais visiblement il est en retard. Ca ne me dérange pas, au contraire, ça m’arrange de pouvoir discuter un peu avec Eniko, relâcher la pression avant de passer ma soirée à jouer les faux-semblants. La jeune femme n’a que dix-neuf ans et j’ai déjà remarqué dans son regard qu’être escort n’était pas vraiment le métier de prédilection qu’elle aurait voulu choisir, un peu comme nous toutes. Néanmoins, il y a quelque chose dans le fait qu’elle soit si jeune qui m’ébranle un peu et c’est comme si je me devais de la protéger en quelque sorte. Ca va… Au sein de l’agence ? Tu t’entends bien avec les autres ? Je trempe les lèvres dans mon verre avant d’en boire quelques longues gorgées, manière de mieux faire passer la pilule tout à l’heure avec le gars en question.

J’ai un léger sourire à l’attention de la jeune femme qui m’accompagne et je suis soulagée de savoir que ça se passe bien à l’agence. Mine de rien, la juvénilité d’Eniko la rend un peu vulnérable et j’ai comme le sentiment qu’il est de mon devoir de collègue de la protéger si quelque chose venait à lui arriver. Je ne sais pas si elle accepte les suppléments mais cette idée ne changerait en rien ma vision d’elle, c’est certain. Tu l’es, ne t’inquiète pas. Elle est appréciée, c’est certain. Je sais qu’Eniko est une fille très gentille et on se ressemble sur le fait qu’on essaie toujours de rester très discrètes.

Un homme s’approche d’Eniko et je sais pertinemment qu’il s’agit de son client, je m’éloigne donc légèrement avec mon verre pour éviter de gêner la situation. Seulement, cette personne me rattrape par le poignet et grommèle: Attends, tu peux rester si tu veux. Mon visage se tourne vers celui de l’interlocuteur et mon coeur rate un battement en voyant qu’il s’agit d’un client dont j’ai déjà eu à faire et la seule soirée que l’on avait passé s’était assez mal terminée. Ses mains étaient un peu trop baladeuses pour moi qui ne prend pas d’extra et ce dernier le savait pertinemment. Il avait continué à essayer d’obtenir des choses que je ne voulais pas lui donner et j’étais partie rapidement quand il avait eu le dos tourné. Mon erreur a été de ne pas le signaler à Nina, surement dans la crainte des représailles parce que dans notre domaine, il y a bon nombre de chose qui peuvent en avoir pour effet.

Ma main se retire de ses doigts et sourcils froncés, je réponds: Non, quelqu’un m’attend, je dois y aller. Il me sourit de manière glauque et se tourne vers Eniko dont je plains intérieurement la situation. Il faut à tout prix que je la sorte de cet embarras… Je m’éloigne donc pour sortir mon téléphone de ma pochette et envoyer un sms à Maxim pour qu’il vienne garder un oeil sur Eniko. Sa réponse est rapide, il viendra mais pas immédiatement parce qu’il est déjà ailleurs. Je prends une inspiration et regarde ma collègue tout en me rapprochant encore d’eux. Mon client vient d’annuler, je peux rester avec vous.

Cette situation est excessivement étrange et je me sens tout à coup très mal à l’aise quand nous devons partir toutes les deux avec le même client. Malheureusement, je me vois mal laisser Eniko dans ce pétrin et la seule solution que je trouve en dernier recours est de les accompagner tous les deux. J’aurais aimé que Maxim arrive rapidement mais ce n’est finalement pas le cas. Alors, j’agis comme le client veut que l’on agisse en attrapant son bras qu’il nous tend à toutes les deux. Je jette de temps à autres des regards à Eniko pendant que nous allons nous installer dans un recoin du bar, caché du reste de la salle par des panneaux occultants. Une bouteille de champagne est déjà disposée sur la table dans un sceau rempli de glace et j’essaie d’attirer l’attention de l’homme par quelques regards faussement intéressés. Alors, que faites vous dans la vie, monsieur…? Mon but est de mettre de côté Eniko afin de la protéger de cette brute qui ne se rappelle pas de moi visiblement. Sa voix est rauque et dégouline d’assurance. Mes poils s’hérissent sur ma peau quand sa main frôle ma cuisse d’un peu trop près. Je n’écoute qu’à moitié ses réponses et je ne m’en soucie vraiment pas, plutôt occupée à regarder l’entrée et à attendre Maxim. Je prends mon verre entre mes doigts et bois quelques gorgées rapidement tandis que l’homme s’intéresse à Eniko, cette fois.

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