If teardrops could be bottled there’d be swimming pools filled by broken girls - Cameleo

Les effluves chaudes de nourritures embaument le restaurant tandis que les lumières tamisées offrent au lieu une ambiance chaleureuse de celle qui donne envie aux clients de rester jusqu’à la fermeture. Le style à la fois baroque et chic attire les bobos du coin et bien que l’on se trouve à Sarajevo, rien en cet endroit ne transpire la noirceur de la ville.
Cependant, rien n’est plus terne que le regard de la serbe vêtue de cette robe bordeaux attendant sans la moindre impatience le client qui fera sa soirée. Perdue dans les reflets empourprés de son verre, Leo assiste à la scène accélérée de ces serveurs affairés à satisfaire les clients pendant que ces derniers, parlent, rient et se socialisent comme la brune ne le fait jamais. Il n’y a pas longtemps que Leo s’est remise à travailler et la collocation avec son petit frère se passe à merveille si l’on met de côté les chamailleries en ce qui concerne la nourriture et les vêtements masculins laissés un peu partout dans l’appartement. Ce soir, Miro est seul parce que Reina est occupée et que l’escort n’a toujours pas osé demander à Malic s’il voulait bien garder un oeil sur l’ado. C’est la raison pour laquelle elle manque cruellement de sérénité ce soir et qu’elle essaie tant bien que mal de noyer son anxiété dans un verre de vin hors de prix qu’elle espère ne pas avoir à payer. Les minutes tournent alors que ses jambes se mettent à tressauter de l’impatience qui se joue en elle. Son client est en retard et elle pense d’ores et déjà au temps qui débordera sur sa nuit et qui l’empêchera de rentrer assez tôt pour pouvoir s’occuper un tant soit peu de Miroslav. Elle est agacée Leo, ses joues surchauffent et quand un des serveurs s’approche d’elle pour lui demander ce dont elle a envie, c’est dans un énervement palpable qu’elle répond qu’elle attend encore quelqu’un.

Personne ne lui a jamais posé de lapin, ni dans le milieu professionnel, ni même dans sa vie personnelle et c’est peut être dans l’ébranlement de sa fierté que monte l’énervement qui fait bouillir le sang au niveau de ses tempes. Elle finit par attraper son téléphone afin de joindre le malheureux qui la laisse sur répondeur. Ses sourcils se froncent à la pensée qu’elle ne gagnera pas sa soirée et embraye l’idée de s’en aller lorsqu’elle aperçoit à sa hauteur des mains masculines tirer la chaise devant elle. La brune se ravise puis lève les yeux sur la silhouette vêtue d’un costume élégant qu’elle croit être celle du client puis remarque bien rapidement l’erreur qu’elle vient de commettre. Son visage, déformé par la surprise, se fige dans le temps pour quelques secondes et un sourire léger se matérialise finalement sur ses lippes colorées. Oh… Bonsoir. Les pupilles de l’escort se noient quelques secondes dans les yeux clairs du brun et étrangement, elle est soudainement moins crispée de savoir qu’il est là et qu’elle n’aura pas à partir seule en laissant le plaisir aux serveurs de leur donner raison.

La vie de l'escort se résumait en un tapis de mensonges enjolivés par l'apparence des vêtements aux couleurs sombres de ceux qui semblaient emprunter à la classe toute la sophistication qu'elle pouvait contenir. Mais il y avait dans ce miroir sans teint le revers de la médaille et la manière dont la jeune slave se sentait dans cet univers qui ne lui seyait plus. Il lui arrivait d'être mélancolique au point d'avoir l'impression de n'être qu'une enveloppe corporelle au raz du sol, le coeur emprisonné et simplement jeté jusqu'à ses talons qui claquaient à chaque pas chacune de ses valves du fouet de son hémoglobine.

Là, assise et seule; c'était un électrochoc, une pression qui annihilait sa conscience et son pragmatisme habituel. Si le client ne venait pas, c'était qu'elle n'en valait pas la peine, qu'elle n'appartenait qu'à celles que l'on jetait et qu'on écrasait sans le moindre questionnement, sans la moindre empathie. Elle prenait toujours du temps pour acquérir les valeurs de la femme parfaite aux yeux des quémandeurs de compagnie, se souciait aussi bien plus de ce qu'eux voulaient que ce qu'elle ne voulait elle-même jusqu'à se réduire à néant. Pourtant, ce soir, elle se sentait bien plus rejetée qu'elle n'aurait dû, étrangement ébranlée par la situation qu'elle était en train de vivre. Une douloureuse impression qu'elle n'était rien sur Terre et qu'elle ne valait pas plus la peine qu'une brindille emportée par la brise légère du soir.

Ce ne fut que lorsque ses yeux retombèrent dans les orbes claires de Camenko que son sang se fit plus clément avec elle, que sa rage cessa instantanément de bouillir au creux de ses tripes et elle se radoucit en avalant sa propre salive. Néanmoins, il y eut dans les paroles de Drazavic une amertume qui la ramenait un peu trop hâtivement à la triste réalité qu'était sa vie et le sourire qu'elle n'eut pas le temps d'avoir se claqua comme une porte aux courants d'air. Ah oui ? Tu trouves ? Ses lèvres se pincèrent et l'émail de ses dents coupèrent quasiment ses muqueuses à force de les torturer au rythme de quelques paroles dissimulées. De l'alcool, s'il te plaît. Elle avait bien sûr sous entendu qu'elle lui laissait le loisir de choisir pour elle et qu'elle s'autorisait, de ce fait, à se faire surprendre.

Lorsqu'elle reçut la boisson tant désirée, sa gorge s'ouvrit machinalement et instantanément à l'éthanol contenu dans la boisson et l'escort reprima une grimace avant de relever un visage tortueux vers son plus habituel client. La solitude ne me va pas si bien que ça, tu sais. En tout cas, je préférerais l'éloigner de moi. Un soupir long et facilement percevable sortit de la jeune femme et les sourcils foncés, elle questionna: Excuse-moi, comment vas-tu ? Revenir sur Terre était compliqué mais il le fallait et elle essayait de s'y accommoder pour éviter à Camenko une éventuelle récidive de ses paroles tranchantes expérimentées un peu plus tôt par le serveur. Ce n'était pas son genre à Leonella, s'énerver pour si peu et même de s'énerver tout court parce qu'elle était douce de nature, respectueuse, tolérante et infiniment patiente. Seulement, il y avait ce soir dans son coeur assez de lestage pour omettre ses valeurs fondamentales qui régissaient de sa personnalité. Elle releva des yeux profondément tristes vers le serbe et elle s'en voulu automatiquement, voulant se flageller jusqu'aux os de devoir faire subir ça à Camenko, devenu sans doute pour elle une sorte d'ami.

Un soupir passa les lippes féminines de Leonella, songeant à l’apparence qu’elle pouvait bien avoir, assise, là, dans la bulle étrange dans laquelle elle s’était mise elle-même et que Camenko venait tout juste de percer. Elle n’arrivait décemment pas à réguler la grimace qui passait sur son visage soucieux, malgré la présence toute fraîche de son client qui était devenu à mesure du temps, comme un vieil ami que l’on croisait de temps à autre dans la rue et à qui l’on demandait des nouvelles sans vraiment s’en soucier outre mesure. Les yeux sombres de l’escort se posèrent droits dans ceux de l’homme en costume et un léger sourire vint effleurer ses lèvres quand elle entendit ses drôles de paroles. Instinctivement son visage se secoua de droite à gauche avant d’attraper son verre et d’y déposer sa bouche.

« Personne ne m’a brisé le cœur. » Souffla la brune douée d’une élégance qui la suivait comme son ombre.

Une langue avertie termina d’essuyer le goût sucré et alcoolisé de la boisson qu’elle venait d’ingurgiter et elle réprima cet air qui lui collait au visage et dont elle essayait tant bien que mal de se séparer.

Elle pensait à Malic, à leur relation naissante, le coeur qui s’était mis à s’agiter alors que la conscience de Leonella voulait à tout prix stopper ça dans un élan démesuré de pragmatisme qui aurait terminé à coup de hache les sentiments qui grandissaient en elle. Lui comme elle, savaient que tout était perdu d’avance, qu’un flic ne pouvait décemment pas sortir avec une fille comme elle, Malic encore plus, père doté d’un milliard de principes et de valeurs.

La belle eut un sursaut noué d’un frisson qui épingla tout son épiderme à sa colonne vertébrale et elle se ressaisit immédiatement, retomba sur ses pieds tout comme ses esprits retombaient dans le creu de la main de Camenko qu’il glissa dans la sienne.

« Tu veux réellement savoir ? Murmura-t-elle, relevant ses orbes sombres vers son interlocuteur qui s’était vivement rapproché d’elle. Honnêtement, je crois que tu te moquerais de moi. »

Elle voyait Camenko comme un homme dur, dépourvu d’empathie réelle bien que les apparences qu’ils laissaient entrevoir jouaient du contraire et la jeune femme soupira à nouveau, laissant glisser son manque d’enthousiasme vers le brun.

« Je suis amoureuse. Dit-elle de manière à peine audible, comme si le dire à voix haute lui aurait asséné au fer rouge une honte internationale. Enfin… Dit comme ça, ça ne paraît pas grave j’imagine… » Continua-t-elle tout en reportant son attention au verre qui stationnait encore devant elle, la main nouée toujours à celle de l’homme.

Elle ne s’était encore confiée à personne, ne l’avait pas vraiment avoué à son frère et seule Reina était au courant de son béguin pour le flic que le blond était. Leo ne comprenait pas comment le slave pouvait faire pour toujours attirer cette confiance qui l’enveloppait à chaque fois que leur regard se croisait.

« Non, ce qui est problématique c’est que c’est un flic et… Enfin, je pense que tu comprends mieux d’où vient mon tourment, non ? »

Cette situation semblait être une farce dans la vie de l’escort et quand elle y repensait parfois, elle se demandait qu’avait-elle bien fait pour mériter ce genre de pied-de-nez que Dieu lui faisait.

Les mots de la brune étaient restés bien au fond de sa bouche, avaient été si bas qu’elle aurait été consciente de l’incompréhension de son interlocuteur et quelques rougeurs finirent par apparaître en haut de ses joues qu’elle sentait s’échauffer à mesure que les secondes avançaient. Leo n’aurait pas su dire pourquoi mais Camenko était bel et bien le seul à avoir cet effet sur elle, celui qui lui apportait la confiance nécessaire à l’expansion de ses sentiments les plus profonds. Ses orbes brunes se relevèrent vers le serbe, teintées d’une lueur embarrassée et timide qui offrait à son visage poupon les traits d’une adolescente en proie au véritable amour.

Leonella aimait. Elle aimait viscéralement et pour la première fois depuis sa courte existence. Elle croyait avoir vécu le coup de foudre quelques années auparavant mais il n’en était rien à côté de ce qu’elle ressentait pour son policier et la brune s’en rendait compte à chaque fois que son esprit déviait dans les yeux clairs de Malic. Sa salive glissa lentement le long de son oesophage, alimentant son estomac noué de peur et d’une colère passée depuis l’apparition de Drazavic. Puis elle avait déballé son sac, offert aux oreilles apparemment attentives de Camenko ce qu’il voulait et à nouveau leur relation prenait un tournant tout autre de ce que l’escorting voulait initialement.

Un énième soupir s’envola alors que l’escort triturait le verre qu’elle n’avait pas continué de boire et elle réfléchit à la portée de ses mots, ses paroles qui n’avaient l’air d’être rien comparée à la guerre qui se déclarait au fond de son esprit.

« Il sait pour mon travail. Répondit-elle franchement et simplement. Je ne suis pas sûre que ça ne lui fasse rien, par contre. »

C’était la peur qui la prenait toute entière parce que son cerveau rejetait toute forme d’abandon et que son cœur ne résisterait pas à la perte de son récent petit-ami.

Leonella avait des billes à la place des yeux, regarda Camenko comme si son existence en dépendait et ses doigts se reserrèrent sous sa main de fer. Du plomb lui lesta l’estomac, fit de ses jambes des cotons qui n’auraient pu la maintenir davantage.

« Je… Je n’ai jamais vraiment aimé ça. La révélation sortit de sa bouche difficilement, comme si les mots avaient pris la forme de lames acérées qui lui auraient coupés la langue si elle se trompait. Au début, j’ai fait ça par dépit. J’avais besoin d’argent et il fallait que ce soit facile parce que je n’avais pas le temps et qu’à New-York la vie est compliquée… Nina m’est apparue comme une sauveuse et sa proposition était très alléchante à l’époque. Elle m’a beaucoup rassurée et elle n’a jamais vraiment eu tort parce que je n’ai jamais rien encouru avec ce travail, j’ai toujours été protégée efficacement et je n’ai jamais eu à faire à des hommes malintentionnés. Seulement… je me mets à la place de Malic, c’est son prénom; il me serait insupportable de savoir que mon petit-ami accompagne d’autres femmes que moi même si j’ai la certitude qu’il ne se passera jamais rien. »

Elle triturait ses lèvres jusqu’à sentir la douleur, machouillait l’intérieur de ses joues avec anxiété et un frisson parcourut son échine dévoilée par sa robe, de la peur qui stagnait dans son ventre fait de plomb.
« Je ne peux pas faire autrement… J’ai cherché mille solutions sans jamais en trouver aucune et j’ai peur que cette constatation l’éloigne de moi; je ne veux pas le perdre pour ça. Pour l’instant, nous n’en avons pas réellement parlé, je crois qu’il a juste occulté ça dans un coin de son esprit parce qu’on n’est qu’au début de notre relation mais j’ai peur que ça lui revienne en pleine face, un jour. » Finit-elle par avouer. Ils n’en étaient plus à ça prêt, Camenko et elle, devenaient des confidents l’un pour l’autre sans réellement en prendre gare.

La jeune femme parla sans interruption comme si Camenko était devenu son confident le plus attentif et quand elle finit sa tirade, releva ses orbes sombres sur lui, se demandant intérieurement si ce Drazavic avait déjà eu ce genre de soucis. Elle le voyait sans cœur véritable, le corps enchaîné à un tas de femmes qu’il n’aimait pas réellement ou s’il voulait y croire, n’en donnait que les apparences, se formait une couche épaisse par-dessus le bijoux qu’il constituait et auquel personne ne pouvait accéder. Leonella était assez proche de lui pour avoir entraperçu, au cours de leurs nombreuses soirées, quelques attraits de son véritable caractère et bien qu’il ne soit pas du genre de la brune, il devait certainement plaire à plus de femmes qu’elle ne plaisait aux hommes.

« Non, bien sûr, je ne me suis pas présentée comme escort-girl, bien au contraire, je lui ai menti. Au départ je lui ai dit que j’étais vendeuse. -Elle eut un rire nerveux, la déception se dessinant doucement sur son visage- Et en fait, au fur et à mesure, je me suis dit que c’était une très mauvaise idée de lui mentir et puis je ne suis pas de ce genre-là. Un jour il m’a surprise avec un client et j’ai eu le déclic… »

Elle n’avait jamais été si honteuse que ce jour-là, n’avait jamais souffert autant d’un regard posé sur elle et elle avait cru mourir sur place des sentiments qui battaient son cœur meurtri. Son verre fut changé par le serveur que Camenko avait sommé et un léger sourire étira les lippes de l’escort, reconnaissante d’avoir un alcool moins difficile à avaler.


Quelques instants sépara le moment où Leo se confiait à lui et où le visage de porcelaine de la jeune femme se mit à se décomposer totalement. Elle eut le souffle court et la peur se lisait clairement dans ses yeux fardés de noir. Elle se releva brusquement, éloignant la chaise dans son mouvement et s’éclaircit la gorge face à l’homme qui se tenait debout juste à côté de la table. Il avait l’air d’une armoire à glace, ses cheveux peignés en arrière lui donnaient des airs de Dracula et ses sourcils froncés au dessus de son regard de fauve fusillait clairement Camenko plus que Leo elle-même.

« Bonsoir… Je… Je ne vous attendais plus, rien de grave, j’espère ? » Balbutia la brune, les doigts tremblants contre ses paumes serrées.


Elle eut un regard pour son plus fidèle client et s’il se voulait désolé, empruntait à ses sentiments la terreur dont elle commençait à s’animer.

« A qui ai-je l’honneur ? » Railla le bosniaque dont l’accent coupé à la hache crissait aux oreilles de l’escort.

Leo recula d’un pas, arriva à la hauteur de l’homme qui était censé être son véritable client et déglutit sans avoir le courage de dire quelque chose. Elle était pétrifiée à l’idée que les deux hommes se battent même si elle avait la certitude que Camenko n’était pas de ce genre-là puis guida une de ses mains sur l’avant-bras du Bosniaque tandis qu’elle regardait Camenko dans les yeux. Leonella se voulait rassurante envers son client du jour, se devait de l’amadouer correctement afin d’éviter toute esclandre; sa réputation avait été mise en jeu ce soir.

« Je… Je vous présente Camenko Drazavic, une vieille connaissance. Nous nous sommes croisés par hasard et nous avons pris un verre, je commençais à trouver le temps long… »


L’accompagnatrice se donna le courage nécessaire afin de ravaler sa crainte et fit ressortir l’actrice dont elle savait si bien tirer les cordes. Sa voix se fit donc plus suave et douée de la séduction pour laquelle elle serait payée.

L’escort fut désarçonnée, ses yeux essayaient de jauger à quelle sauce allait-elle être mangée pendant que son coeur, logé au fond de sa gorge et animé d’un tambour inexistant, lui donnait une nausée qu’elle n’arrivait pas à faire passer malgré ses tentatives désespérée de ravaler sa salive devenue amère. Leonella n’osait plus regarder Camenko, tentait avec ardeur de donner son âme au bosniaque comme il l’avait demandé quelques jours plus tôt et si elle n’était physiquement pas à lui, elle lui appartenait sans doute plus qu’elle ne le voulait. Le silence envahit sa gorge, laissant les deux hommes se défier du regard et elle pria intérieurement et longuement qu’il n’arrive rien.

« Si je comprends bien, je paie pour qu'un autre homme profite de votre compagnie. »

La brune gonfla sa poitrine et chercha une réponse convenable sans en trouver aucune. Elle ouvrit la bouche dans une tentative désespérée de se racheter une contenance.

« Non… Ce n’est pas… » Elle fut coupée sans considération de la part du quinquagénaire et elle se ravisa, baissa le visage, honteuse de la situation enchevêtrée par elle-même.

«  Armin Peric. » Ce n’était pas la première fois que Leo offrait ses services à cet homme, se rappelait des trop nombreuses fois où elle s’était sentie affreusement mal d’être en sa compagnie tant elle le trouvait imposant et impressionnant.

Camenko lui offrit cependant du grand Camenko et en ça, Leonella en était reconnaissante. Il avait eu la jugeote de rester calme et de trouver les justes mots afin d’apaiser les tensions qui régnaient en maîtresse entre le trio.

Abasourdie et les yeux lourds d’une crainte qui se voulait débordante, Leo jeta un regard vif à Drazavic tandis qu’il déroulait un jeu intelligent au bosniaque.

« Écoutez, je suis persuadé que nous pouvons trouver un moyen d'arranger tout le monde. [...] Je ne voudrais pas que l'image d'excellence de l'agence soit impactée par ma faute. » Leo avait le souffle coupé, non seulement Camenko avait retrouvé la main sur elle sans réellement l’avoir mais il avait aussi réussi à retourner la situation à son avantage.

La brune releva son visage vers Armin dans l’espoir qu’il accepte le marché et qu’il dégage sa main trop possessive du creux de ses reins qui la gênait affreusement tant elle lui semblait lourde. Seulement, elle n’offrit qu’un silence, s’enferma dans la plus sombre des craintes avant de baisser le regard à nouveau.

Le client eut un léger rire en déclinant d’un geste de main la proposition du brun, comme s’il avait compris la supercherie que cela comportait s’il acceptait.

« J’ai besoin d'Ana aujourd’hui, je n’ai pas tout mon temps, vous devriez comprendre, nous dînerons ailleurs, ne vous dérangez pas. L’intéressé pressa sa main puissante contre le dos de Leo avant de faire un pas en avant. Et je connais Nina Drazavic, vous êtes donc de la même famille ? Vous lui donnerez mes salutations. » L’homme eut un sourire déplacé et murmura à l’oreille de la brune qui, instantanément, jeta un regard désemparé à son ami. Il avait le dessus et ne comptait pas se défaire de l'escort, voulait sa compagnie, avait payé pour et n'y renoncerait pas.

L’homme pressa le pas tandis qu’ils récupérèrent les affaires de Leo avant qu’elle ne s’actionne à remettre son manteau.
A nouveau et comme toujours, elle se taisait, se laissait faire et donnait raison à ces hommes qui lui vouaient une adoration qu’elle ne comprenait que peu. Elle laissait Camenko derrière elle et avait le cœur lourd à cette constatation.

Le vent extérieur consuma légèrement l’âme de l’escort qui s’était faite minuscule au bras du client mécontent. Ils étaient sortis d’un pas rapide, presque rythmé par les battements du coeur de Leo qui ne parvenait pas à le stopper dans sa course folle. La main d’Armin était aussi pesante qu’une cargaison de plomb et si la brune n’avait pas surenchéri lorsque son ami lui était venu en aide, c’était parce qu’elle savait pertinemment que son intervention aurait été réduite à néant, placée au même titre que rien.

L’escort savait qu’il était bon de se laisser faire et de garder le silence sans jamais essayer de contredire le client, d’autant plus dans ce genre de situation où elle avait tous les torts bien que le retard du client pesait lourd dans la balance. Il était évident que le travail qu’elle effectuait contribuait grandement à la réputation si remarquable de l’agence et Leo se devait de fidéliser cette image.

« Je n’ai jamais eu affaire aux Drazavic mais visiblement, la réputation qui les précède s’éloigne des simples rumeurs. » Conclut le client, l’air renfrogné et dérangé par la scène vécue un peu plus tôt.  

La jeune femme inspira et laissa seulement échapper un voile de fumée blanchâtre  provenant de ses lèvres engourdies par l’anxiété. Elle resserra les pans de son manteau avant de se tourner, au même moment que le client, lorsque Camenko Drazavic leur arriva à niveau. Des sentiments étranges s’entrechoquèrent dans la poitrine de la brune, si elle était complètement apeurée par les réactions qu’elle ne pouvait pas anticiper, elle fut néanmoins soulagée par la présence du brun.

« Votre temps est précieux, je l’entends. Dit-il, le visage grimé d’une tranquillité propre à lui-même. J’irai droit au but : par vieille connaissance, Ana entendait compagnon. Nous discutions, avant votre interruption, de sa volonté de quitter l’agence. J’ai conscience de vous placer au pied du mur, et croyez bien que j’en suis navré, mais il est hors de question qu’elle passe la soirée avec vous. » Et il avait conclu.


Un silence de mortuaire immobilisa le scénario. Leo, suspendue au temps qui s’égrainait doucement, resta immobile, la bouche ouverte de la surprise que le slave venait de lui faire. Le client, par contre, afficha un air hargneux, le sentiment de rage qui devait le brûler de l’intérieur lui transforma soudainement le visage. L’escort, bien qu’associée le plus souvent à sa force tranquille, se transforma, elle, en coquelicot sur pattes. L’idée de Camenko était loin d’être idiote mais Leo n’avait qu’une envie: s’enfuir en courant tant la honte lui hérissait les poils.

Le client lâcha la demoiselle quand elle aurait tout fait pour le retenir alors que ses bras restèrent ballants, stupéfaite.
Peric s’approcha de Drazavic dont la main de ce dernier se ravisa et des éclairs imaginaires fusèrent dans tous les sens tandis que le regard noir du client assassinait Camenko sur place.

« S’enticher d’une escort-girl ? Comme je vous plains. Son regard se rétrécit et son visage se rapprocha de celui qu’il croyait être un concurrent. Je ne suis pas connu pour faire esclandre et peut-être voilà tout mon tort… Néanmoins, je saurai me faire remarquer auprès de l’agence. Une sorte de venin tout droit sorti de ses entrailles remonta à la surface de sa langue. Je vous la laisse, je n’ai aucun intérêt pour votre très chère “Ana” et je crois qu’il vaut mieux vaut me présenter seul qu’avec elle. Passez une très bonne soirée, Monsieur Drazavic. » Il n’eut aucun regard envers sa proie qu’il ne regrettait visiblement pas et sa marche semblait presque impériale lorsqu’il se dirigeait vers son automobile luxueuse.

L’escort s’approcha finalement de son ami, rassurée mais infiniment dérangée par le trouble causé au client.

« Camenko… Un air inquiet traversait son visage qu’elle secoua doucement de droite à gauche. Tu n’étais pas obligé de faire ça. » Leo lui était reconnaissante même si l’évidence était bien là: Le client irait sans doute se plaindre à Nina et Nina se plaindre à Camenko.

Leo, qui restait sous les traits d’Ana, posa une main amicale sur l’avant-bras du brun et le congratula d’un regard sincère. « Merci. » Conclut la brune.