On préfère plutôt regarder les fleurs pousser que d'être jardinier [Legyatt]

Il a peut-être vu grand. Trop. Clairement, trop, trop, trop grand. La main sur le menton, il fixe la table en se disant qu'il a vraiment exagéré. Mais comme il ne sait absolument pas ce que Legence apprécie et qu'il tient vraiment à faire bonne impression, bah...
Il y a donc des entrées, des plats, des desserts. Et pour chacun, il y en a quatre différents. Deux américains et deux serbes. Un végétarien et un normal. Mais au moins, dans la masse de bouffe, y a bien un truc qu'il va aimer non ?
Clint ne s'est pas vraiment posé la question de l'éventuelle relation qu'ils pourraient entretenir. Oh la non. C'est clairement un déni total de ce point de vue là. Déni tel qu'il a envoyé bouler Julia qui insistait pour savoir où il avait disparu. Personne ne saura. Bon, sauf Lukas parce qu'il a toujours été honnête avec lui et qu'il lui doit une putain de chandelle. Encore qu'il n'a pas touuuut dit. Juste que quelqu'un de son passé l'a reconnu. Voilà. C'est bon, c'est honnête et c'est bien suffisant pour tout le monde.

En tout cas, l'amoncellement de nourriture est gargantuesque et en prime, il y a différentes bouteilles. Clint aime beaucoup de whisky mais il y a du rhum, de la vodka, du vin (blanc et rouge), autant américain que français. Du ouzo aussi parce que c'est bizarre mais sympa.

Et non. Il ne réfléchit pas à pourquoi il fait tout ça pour un parfait inconnu. Non. Allez vous faire foutre.

Si dans la cuisine c'est Bagdad, dans le salon, en revanche, c'est vide. Il a débarrassé les livres, les fleurs, et il y a juste un carton, pas encore ouvert, qui trône sur la table basse.

Citation :

Wyatt Bell / Clint Westwood.

Et son adresse. C'est écrit comme si c'était un gamin de dix ans qui avait écrit. Il se demande si cette Lenny, cette sœur qui lui a juste dit d'aller se faire cuire le cul en enfer pour ses deux années de silence, avait été à l'école. Lui, apparemment, pas du tout.
Il a fixé son véritable nom dans l'espoir d'une révélation. Mais rien. En même temps avec ses problèmes de lecture et d'écriture, ça doit pas être si illogique que ça.
Il y a un coupe papier à côté, soigneusement aligné entre la table et le carton. C'est qu'il a peut-être développé quelques tocs. Un alignement parfait par exemple. Ou le fait de vérifier trois fois que tout soit bien fermé. De regarder, à chaque fois qu'il tourne dans une rue, ce qu'il se passe derrière lui. Peut-être qu'il faisait ça avant.

Il regarde nerveusement sa montre. Legence ne lui a pas donné d'heure. Ça fait déjà trois heures qu'il fait le pied de grue. Il s'est levé aux aurores. Il s'est changé dix fois en se demandant ce que Wyatt portait habituellement. Toutes ces questions qu'il ne se posait plus depuis un moment.
Alors il a ressorti ce qu'il y avait dans le sac de voyage qu'il transportait. Un vieux tshirt avec un logo à la con et un jean troué. Ils étaient propres, il les entretenait soigneusement depuis sa sortie de l'hôpital. Mais là aussi, ça faisait deux ans qu'il ne s'était pas penché sur la question.

Complètement con.

Allez. Il va se changer.

Legence avait expédié et ça ne lui ressemblait pas la livraison d'une cargaison de tableaux volés il ne savait où – il avait toutefois évidemment réussi à en vanter les mérites à ses acheteurs, des croates mal dégrossis qui n'auraient pas su distinguer un pinceau d'un crayon à papier – parce que le jour où il arrêterait de causer et de se mettre en avant, eh bien ça serait probablement la fin du monde connu.
Il était remonté dans sa Lamborghini noire luisante suivi du regard par les deux croates – qui se demandaient bien comment ça se faisait qu'un type pareil soit toujours en vie – et mit les gaz dans la direction de l'appartement de Wy... Clint.
Il ne l'avait évidemment pas oubliée.

La quiétude du quartier à forte tendance commerciale fut interrompue par le rugissement de moteur de la bagnole, faisant se retourner quelques passants sur leur passage. Legence trouva une place qui correspondait pile poil, réalisa un créneau sans s'arrêter, et éteignit le moteur. Il ne prit pas garde au fait que plusieurs personnes s'étaient arrêtées pour contempler l'allure du Gros Riche Possédant La Lambo.
La voiture couina, mais avec une élégance toute italienne – si ça existe – quand il s'éloigna avec les clés dans la poche, et il disparut dans l'immeuble.

Le premier à venir le saluer – évidemment qu'il était entré après avoir frappé sans attendre de réponse – était le petit chat.

« Salut boule de poils... »

Il se demandait de bien quel prénom fort peu wyattesque avait écopé le pauvre chat. A tous les coups c'était Julia qui l'avait nommé et elle l'avait appelé Romarin ou une autre stupidité qu'elle trouvait charmante.

« Clint, je suis arrivé. »

Il s'avança dans l'entrée avec cette allure qui suggérait que de toute manière il était partout chez lui.

Pour toute réponse, Legence aura droit à des bruits de tissus qu'on a l'air de mettre de façon précipitée, un glapissement d'une personne qui glisse, suivi d'un bruit sourd et d'un grognement de douleur qu'on tente d'étouffer.
Puis plus rien pendant quelques secondes avant que Clint, le visage rouge, un œil plein de larmes et l'air d'avoir faire la guerre, sorte de la chambre en prenant un air faussement détaché avec un sourire sur les lèvres, entre forcé – la douleur surement – et gentil. La première fois fait tout sauf "faussement détachée". Elle est le point culminant du malaise, de la gêne et d'un fond de panique soudaine, comme venue d'une profonde timidité.

Ah ! Cool ! Salut !
Bienvenue ! J'te présente Alighieri du coup !
J'me disais que peut être tu regrettais l'absence de... heu...

« Ma Chatte ». C'est bien trop perturbant pour lui. Alors il change son fusil d'épaule, dans une bafouille sans queue ni tête qui finit par « ton chat ».
Il a l'air d'être encore plus gêné alors il tamponne son visage avec un mouchoir qu'il a dans sa poche de pantalon et qui l'air surtout d'une toile de tente vu sa taille.

Je...
hummm... T'as soif ?

Pussycat considéra avec un sérieux félin l'arrivée de ce Clint qui ressemblait si fort à Wyatt sans l'être le moins du monde. Wyatt ne s'agitait pas comme ça pour combler d'éventuels vides dans la conversation, mais Legence se botta le cul mentalement pour être sympa.
Ça n'était facile pour personne, tenta-t-il de se rappeler.

« Merci. Ouh, c'est pas un nom facile à prononcer ça. Il y répond ? »

Il caressa le tout petit chat entre les oreilles, lequel se mit à ronronner très lourdement, satisfait. Il eut un petit rire.

« Oui elle me manque mais c'était trop compliqué de l'emmener des USA jusqu'en Europe, je l'ai laissée à mon frère. »

Il supposait qu'elle allait bien. Elle devait servir de mouchoir & de pansement aux peines de cœur de ce pauvre Scar, qui les cumulait – mais quelle idée aussi d'être drag queen et hétéro. Il sourit doucement à Clint.

« Je veux bien un verre de whisky si tu as, oui. Comment s'est passé ton week-end ? »

Animal politique dans l'âme, Legence commença à déployer son arsenal de bavasseries peu importantes, de sujets qui ne fâchent pas, de petits riens qui meublaient.
Ça n'était pas quelque chose qu'il avait déjà eu à faire avec Wyatt – qui ignorait totalement l'art de la conversation –, mais ça tombait bien puisque cet homme n'était pas vraiment Wyatt.

Clint n'aura donc pas eu le temps de se changer. Tant pis. Il a remis les fringues qu'il était en train d'enlever avec précipitation.
Dans le couloir, il frotte son tibia douloureux. Il est bon pour un gros bleu. Il boitille même mais se redresse l'air de rien (alors cet air là est totalement raté, faut être clair) et passe devant Legence. Il le regarde avant de vite reprendre le fil de son chemin.
Un mec.
Ouai. C'est un mec.
Super.
Bien, bien, bien.

Dans la cuisine, entre les plats qui s'amoncellent, il récupère une bouteille de whisky. Pas de la piquette. Oh non hein.
Une excellente bouteille de 20 ans d'âge, affinée en fût et tout. Une vraie merveille qu'il adore.

Ouai. Il répond. Ça fait trois mois que je l'ai. Un cadeau de... d'anniversaire. Enfin du coup je sais pas si c'est vraiment ma date de naissance. J'ai quel âge ?

Il va dans le salon en posant deux verres adéquats et leur sert à chacun une généreuse rasade avant de se vautrer dans son fauteuil, récupérant son chaton au passage.

Je sens qu'on va en avoir besoin.
Mon week end était bien.

Un court silence. Un soupir. Un peu d'honnêteté ne va pas le tuer.

Non. C'était un vrai désastre. J... je... Elle a pas compris que...

Qu'il s'est renfermé comme une huître. Déjà qu'à la base il n'est pas extrêmement causant, mais là, il s'est muré dans un silence terrifiant. Et de fiancé prévenant il s'est transformé en parfait étranger. Au point que le week end qu'ils devaient passer ensemble a été écourté. Officiellement, c'était pour le laisser se remettre parce qu'il avait l'air souffrant. Officieusement, y a de grandes chances qu'elle fasse la gueule, malgré les paroles rassurantes de son père.

Je... J'ai parlé à Lukas. Un peu. Pas tout. Mais... Suffisamment.
Il m'a dit de prendre du temps pour moi.
Et... Et toi ? Ton week end ? Des... Heu... Des cambriolages rentables ? Pas trop... Chamboulé ?

Il joue machinalement avec le coupe papier, le faisant tourner entre ses doigts jusqu'à ce qu'il tombe au sol. Parler de cambriolages... C'est juste totalement hallucinant. Il est à deux doigts de lui demander si ses trafics se sont bien passés. Mais non. Il va fermer sa gueule. Il a pas tellement envie de tester le système judiciaire local.

Aïe, ouais, du coup il ne connaissait pas sa date d'anniversaire, ni son âge exact ; Legence se demanda combien de ses goûts avaient changé avec le choc, et évita de se dire dramatiquement que l'homme qu'il connaissait depuis 20 ans avait totalement disparu.
Il réussit même à sourire.

« Tu es né le 16 février 1984. Et tu es de las Vegas, comme moi. »

Peut-être qu'en lui rappelant tout ça, eh bien le reste reviendrait ? Pussycat qui de par son métier, ses fréquentations, et son histoire n'était pas spécialement optimiste n'osait pas se laisser y croire. Si ça n'arrivait jamais c'était le meilleur moyen pour déclencher cette fameuse dépression qui lui pendait au nez depuis un paquet d'années.
Il caressa délicatement le chaton blanc et noir, lequel se frotta contre ses doigts avec amitié.

« Et tu avais très peur des chats, je me suis jamais expliqué pourquoi... Enfin c'est quand même toi qui m'a offert Ma Chatte. Merci. »

Le whisky lui-même n'avait rien à voir avec ce qu'il connaissait de Wyatt qui se contentait très bien de vieille piquette et de fonds de tiroir, sauf quand il voulait expressément l'impressionner. Son regard de silex dériva sur le visage de Clint pour tenter de savoir s'il cherchait à l'impressionner ou pas.
Sois pas ridicule Ellroy il t'a totalement oublié, et il s'est même oublié lui-même...

Il débusqua le mensonge avec habitude, s'étonnant vaguement de cet imposteur qui avait volé les traits du visage de son mec pour mentir aussi mal.
Wyatt mentait très mal, certes. Mais un peu mieux que ça.

« Je vois... Tu lui as dit quoi ? Ehmm... »

Il reprit une gorgée de whisky qui lui semblait être du courage liquide ; le plus agaçant dans cette affaire était qu'il se sentait vulnérable.
Parfaitement, vulnérable. Et Legence Ellroy était bien des choses mais vulnérable n'était pas dans ses habitudes. Quand son garde du corps ne suffisait pas c'était son incroyable propension à se foutre de tout qui prenait le relais. Mais là Rotschild ne pouvait rien pour le protéger, et il n'arrivait résolument pas à se foutre de la situation.

« Le boulot a été j'ai pas mal bossé pour … éviter de penser en fait », déclara-t-il honnêtement, parce qu'il lui devait bien ça. « Je me demandais, est-ce que tu hm, vois quelqu'un pour essayer de retrouver la mémoire ? »

Ok. 16 février 84. Un calcul simple. Il a donc 35 ans. Sa date est fausse. Au temps pour lui. Ça lui fait un choc qu’il encaisse. Il s’est préparé depuis l’autre jour. Il va en apprendre sur lui par un parfait inconnu. Et il culpabilise horriblement de ne voir en lui qu’un inconnu. Le problème c’est qu’à l’heure actuelle il est impossible pour Clint, enfin Wyatt, de le considérer autrement et déjà de lui rendre son précédent rang. Il ne veut simplement même pas y penser. En Serbie, ne pas être hétérosexuel ce n’est pas si facile et c’est vraiment une chape de plomb qui recouvre la question. Chape qui lui convient actuellement très bien.

Vegas ouai. Ça me parle.

Et Clint lui fait un sourire encourageant. En même temps, il s’est souvenu de son prénom.
Ses yeux glissent sur le chaton. Les longs doigts, très fins de Leg qui le caressent. Et la conscience que du coup, la distance entre eux est… Mince pour des inconnus. Il déglutit et ne bouge pas. Il ne respire même pas pendant quelques secondes, le temps d’appréhender la proximité sans paniquer, sans s’offusquer et surtout sans blesser la seule personne à même de l’aider.

J’aime bien Alighieri.

C’est pas vraiment une réponse. Il réfléchit. C’est pas pour rien qu’elle lui a offert le chaton.

J’suis pas particulièrement à l’aise avec les chats en vrai.

C’était juste que… m’occuper d’un animal c’était un conseil pour m’apprendre à me concentrer et m’organiser. J’ai pas peur de lui…

Mais il s’en méfie parfois. Sa rapidité, elle craint. Mais il l’aime beaucoup. Est-ce qu’il a peur des chats ? Il y avait réfléchit à l’hosto. Il les aimait pas particulièrement. Mais peur ? Hummm… Peut-être bien qu’à la réflexion…

Je lui ai dit que quelqu’un m’avait reconnu. Et que cette personne me connaissait très bien. Il sait mon prénom. Mais pas mon nom. Je lui ai juste expliqué que… D’en apprendre autant d’un coup c’était très perturbant. Et c’est vrai. Simplement... J'ai du mal à... pas à accepter juste à... me familiariser avec certaines infos tu vois. Je me voyais pas lui dire : "oh au fait, Julia c'est une anomalie dans mon tableau de chasse". 

Clint presse nerveusement ses mains l’une contre l’autre. Il opine simplement aux paroles de Leg.

Ouai je comprends. Moi j’ai pas pu avancer dans mon livre. Trop difficile de me concentrer. Mais j’pense que j’aurais réagi comme toi… Enfin… C’est toi qui me connait le mieux en vrai. J’aurais réagi comment ?

Une question lui brulait les lèvres. Il hésite et finit par prendre… Bah non. Il se dégonfle comme une baudruche.

J'ai vu quelqu'un au début. Enfin beaucoup de monde. Mais le psy... C'était pas ça.
On ouvre ?

Leg était observateur, parce que c'était bien utile pour les affaires ; savoir quand son adversaire était prêt à lâcher l'affaire, ou quand il se braquait. Bref, il sentit parfaitement le regard de Clint peser sur lui en se demandant si par hasard ils ne seraient pas trop près.
Il ne fit rien pour s'éloigner, s'occupant les doigts à caresser le chaton qui ronronnait de bonheur sous ses mains, tout heureux.

« Oh, oui, je vois. C'est juste marrant que ça soit un chat que tu aies choisi parce que vraiment, t'aimais pas ça. »

En fait ça s'apparentait même à de la phobie, et le voir aussi calme avec un chaton non loin, qui était en train de griffer les mains de Legence en s'y accrochant pour jouer, avait quelque chose de l'étrangeté la plus absolue ; enfin Pussycat se dit que c'était pas le truc le plus étrange des derniers jours.
Il essaya de rester détendu.

« Les choses changent, ça a peut-être... changé. »

Il haussa des épaules, mais son regard pour une fois expressif disait assez bien que quant à lui il trouvait ça horriblement triste, et parfaitement déprimant ; parce que lui n'avait pas changé.

« Euh, tu... »

Il leva le nez en réfléchissant à la question.

« Tu aurais assommé quelqu'un de préférence le médecin qui ne dirait pas ce que tu voulais entendre. »

Il eut un geste élégant de la main vers la boîte contenant les affaires que Wyatt – pas Clint – avait gardées de lui dans la courte et chiante période où Leg avait mis les voiles à Sarajevo tandis qu'un procès se déclenchait aux USA en ramenant son mec en prison pour un moment.
Quelle poisse.

« Vas-y. C'est une surprise pour moi aussi, je ne savais pas que tu avais gardé des trucs. »

J'ai pas choisi. C'est un cadeau de... De Julia.

Tant pis. Il va pas taire son prénom éternellement. Il ne va pas commencer à avoir honte d'être avec elle non ? Ça fait deux ans qu'elle se tient à ses côtés après tout. Deux ans qu'elle supporte ses problèmes, qu'elle l'aide, même si, il est vrai, c'est aussi pour ça qu'ils ne vivent pas ensemble. Ses cauchemars la nuit la dérangent trop. Et Clint le comprend parfaitement et ne lui en veut absolument pas.

Comme on ne vit pas ensemble, elle pensait que c'était bien que j'ai un animal dont je serais responsable. Pour me forcer à me concentrer et à ne pas oublier de m'en occuper.
Pour être honnête, je suis pas super à l'aise avec eux mais je ne sais pas pourquoi. Après un chaton, ça fait pas de mal. Mais je préfère rester prudent. 

Spontanément, Clint tend la main pour caresser le chaton mais s'arrête. Y a trop peu de superficie à gratter sans prendre le risque qu'il touche Legence. Et non. Il ne jouera pas à ce jeu-là.
Il capte son regard et se prend un flot de culpabilité sans même le vouloir. C'est pas sa faute s'il a oublié, il le sait bien. Mais ça rend quand même ce parfait inconnu malheureux et... Et il y a un bout de lui à qui ça fait profondément de la peine, sans qu'il sache pourquoi.

Cela dit, il se prend un bloc de glace dans le gosier, qui vient congeler son estomac. Assommer. Carrément. Du coup, la question lui brûle encore plus les lèvres. Alors que Leg lui donne le feu vert, il inspire, ouvre la bouche pour parler. S'arrête. Rassemble le peu de courage qui lui vient. Allez. Faut y aller.

Je te traitais mal ? Est ce que je suis... Violent ? 

Pourquoi il a ce sentiment ? Parce qu'il a rêvé qu'il avait ses mains autour de son cou pour l'étrangler ? Est ce que c'est un souvenir ou juste un cauchemar ? En tout cas, ça l'a réveillé l'autre nuit et il n'a jamais pu se rendormir en imaginant que c'était un homme violent. En deux ans, il n'a levé la main sur personne, a la violence en horreur et si ça dégénère – ce qui arrive fréquemment, faut pas rêver – il part, détourne son regard, change de trottoir, fait tout pour se faire oublier. C'est quasi instinctif de s'éviter des ennemis, avec une peur maladive qui lui retourne le ventre.

En attendant la réponse, nerveux, il prend le coupe papier et le plante sur le mince espace entre les deux pans du carton. En trois gestes vifs, le carton est soigneusement ouvert, dévoilant des papiers, des photos, des fringues aussi.

C'est vraiment à nous tout ça ? Ou elle a fait un vide grenier pour voir si ça me ferait réagir ?

De ce qu'il a compris d'elle au téléphone, Clint pense franchement que sa soeur est psychologiquement instable. Et il a très peur d'être comme elle en fait.

Legence se demanda s'il pouvait arrêter de parler de Julia, et se dit avec philosophie que sans doute que non puisqu'il en était si proche qu'il s'était fiancé avec elle ; il fit exactement comme si ça ne lui filait pas un vilain coup au cœur.
Et comme si apprendre qu'ils ne vivaient pas ensemble était une putain de bonne nouvelle, la meilleure de ces derniers jours où le karma lui était tombé dessus avec la violence et la rapidité de la petite vérole sur le bas-clergé breton.

Bon Clint lui fit tout de même mal au cœur en apprenant avec la tête d'un condamné à mort qui voit son exécution avancée de quelques heures la nature de son caractère – enfin l'ancien – en apprenant qu'il était violent. Il leva le regard sur Clint, récupérant son regard d'acier, essayant de se blinder tant bien que mal.

« Mal, non, mais quand on s'engueulais, oui c'est pas rare que tu te serves de tes poings. Je suis chiant, tu es violent, c'est... un fonctionnement. »

ça ne l'avait jamais vraiment « dérangé » – ce qui en disait long sur son équilibre psychologique – puisque Legence parvenait à faire plier Wyatt plus souvent qu'à son tour, gifle et étranglement ou pas.
La nouvelle avait totalement l'air de brusquer Clint quand elle aurait simplement beaucoup fait rire Wyatt, qui aurait dit que c'était la seule méthode universellement comprise.

« Non, non c'est à nous », confirma Pussy.

Il se pencha pour attraper un foulard en soie bleu nuit, émettant un rire bref :

« ça c'est un cadeau d'anniversaire que tu m'as fait, t'as dû me le voler parce que j'étais persuadé de l'avoir perdu et j'étais assez triste d'ailleurs. Je peux fumer ? »

Il déposa le chaton sur l'accoudoir et s'éloigna vers la fenêtre.

L'expression sur son visage a été brève mais claire. Clint n'est pas (si) con que ça et comprend bien que Julia sera LE sujet tabou entre eux, le temps qu'ils se côtoient. Ça le fait chier quand même. Parce qu'il a le cul entre deux chaises, une ancienne vie dont le peu qu'il sait l'horrifie tout bonnement et sa vie actuelle, étrange, pas tout à fait bien mais pas malheureuse non plus, simplement qui ne colle pas assez. Il a cru au mal du pays, au problème de mémoire, mais le grand échelas devant lui est juste un pied de nez à toutes ses certitudes. Un pied de nez qui lui fait peur.

Legence confirme et il déploie des efforts démesurés pour ne pas être malade. Putain. Il le cognait. C'est juste... ça donne pas envie de se souvenir en fait. Et le pire dans tout cas, c'est que ça n'a pas l'air de le déranger. Comme si c'était parfaitement normal et acceptable. Apparemment, le monde que Wyatt et lui fréquentaient trouvait ça « fonctionnel » ? Mais quel genre de demeurés ne tiquaient pas ?

Heureusement, la réponse à sa question suivante ramène Clint sur terre. Autant son « nous » ne l'avait pas brusqué, autant le fait que Legence le dise le fait quasiment sursauté. Il tourne brusquement la tête vers lui.
Bah oui. « nous ». Va bien falloir qu'il s'y fasse.
Il voit passer un foulard et imagine déjà le pire. Il l'a étranglé avec p't'être ? Brrrr.

Ouai ouai vas y ! Profite du balcon tant qu'il fait beau.

Il n'a même pas envie de fumer. Par contre, il descend son verre d'un geste souple du poignet, se resservant immédiatement au passage. Un remontant, y a rien de tel. L'alcool brûle son gosier, sans ménagement. L'envie ne manque pas de reboire immédiatement mais bon, il va pas se torcher maintenant.

Wyatt glisse sa main dans le carton, saisissant au hasard une boite. On voit qu'une main a grossièrement frotté la poussière mais qu'elle y est restée un moment. Il époussette la boite plus soigneusement, faisant attention au cas où ce qui se trouve à l'intérieur serait fragile.

Il y a une pile de photos en vrac. Le décor ressemble à New York, du moins le NY qu'on voit dans les films. Clint décide aussitôt qu'il regardera plus tard. Un carton d'invitation traine au hasard.

Tiens un carton d'invitation à un mariage à New York à ton nom. La famille de Rossi...

Immédiatement, une vision floue, une masse rouge lui vient immédiatement à l'esprit. Avec une espèce de trouille primale.

Oh je connais... Ouai... je... un truc rouge. Enfin une tenue entièrement rouge...
Tu connais un cardinal toi ?

Fronçant les yeux, Wyatt en arrive à cette conclusion logique que les De Rossi ont un cardinal dans la famille.
Il lit un bristol qui est avec l'invitation. C'est une écriture manuscrite, à l'encre rouge, plutôt soignée. Le mot est simple :

"Sois mignon et amène donc Wyatt. Ce n'est évidemment pas une demande. Il me tarde de vous revoir tous les deux. Lu"

Spontanément, Clint secoue la tête, horrifié.

Oh non. Non. PAS ELLE !

Pussycat tenta d'organiser ses pensées une fois accoudé à la rambarde du balcon parce que la pilule était un peu dure à avaler ; il avait presque vu des larmes dans les yeux de Clint en lui apprenant qu'ils n'avaient pas exactement une relation apaisée ou idéale, loin de là, et la bizarrerie de ce moment résonnait encore en lui.
Le chaton le suivit, curieux et décidé à se faire un nouvel ami. Leg expira sa fumée.

« Tu sais c'est une famille italienne alors des cardinaux il y en a effectivement. Mais ils sont marrants, ils ont des maîtresses qu'ils se disputent avec leurs frères ou leurs cousins... »

Après on se demandait pourquoi Legence aimait les italiens, mais il fallait bien dire qu'ils étaient super marrants à côtoyer, en tout cas pour des catholiques ! Bon il n'avait pas un franc succès avec tout le monde vu sa façon d'être, mais il était assez intégré pour que ça ne soit pas gênant ; évidemment le fait que Lu l'aime bien aidait pas mal.
Il tourna la tête aux protestations de Clint, avisa le carton dans ses mains, et étouffa un rire.

« Ah. Tu te rappelles de Lu ? Elle a toujours rêvé que tu la baises. »

Et à vrai dire la parade nuptiale de l'italienne et la fuite de Wyatt étaient vraiment très drôles, et Pussy n'était jamais intervenu.

« C'est jamais arrivé. Pauvre Lu, elle rate quelque chose. »

La distance soudaine qu'il y a entre eux laisse planer soulagement et regrets en même temps. C'est... Vide. Ça lui rappelle sa mémoire défaillante et une forme de frustration enragée nait lentement. Mais Clint sent déjà ses tentacules enserrer ses sensations, les endolorir. Putain. Il FAUT qu'il se souvienne. Tant pis si ça fait mal mais tous ces trous avec de vagues réponses et tellement de questions. Il va en chialer de rage si ça continue.
Et Clint se demande si son tempérament passé est une fatalité. Ou s'il tente de créer de lui même des similitudes avec cet autre lui.
Finalement, il ferait bien de trouver un psy. Pas l'autre, l'inutile. Mais un bon psy.

Leg décrit la famille et ça lui semble familier. Pas de souvenirs mais c'est diffus. Ouai. Ça lui parle totalement. Ils ont été à ce mariage. Sûrement ensemble selon toute vraisemblance. Mais il en a la certitude absolue. Il y était.

Clint relève brusquement le nez vers Leg, totalement incrédule.

Moi ? Et elle ?

Il fronce les sourcils, ne comprenant absolument pas comment ça aurait pu être possible s'il avait été... Hum... enfin... Pas besoin d'un dessin.

Elle a jamais su que... j... t... Je.

Clint bafouille, mal à l'aise, rougit doucement, jusqu'à virer au rouge brique soudain, à la remarque de Legence. Il s'étouffe sans même avoir bu, et après une quinte de toux longue et douloureuse, il se redresse, des larmes de douleur au coin des yeux.
Il ne s'attendait pas à sa dernière remarque. Et il a une prière pour que Julia n'apprenne JAMAIS ça.

Je... Ah ?

Ouai. Il a rien de plus intelligent à sortir. Alors il tente de trouver. Et il balance d'un air penaud, en confession qui franchement est mal avisée.

J'aurais pas imaginé tiens.

Leg ne retint pas un rire qui fragmenta la fumée de cigarette qu'il était en train d'expirer, posant le regard sur Wyatt, et sur le chaton qui tentait de mettre de petits coups de patte au foulard comme si ça allait lui insuffler la vie et lui donner envie de jouer avec lui.

« Oh si, elle savait pertinemment, je crois que c'est pile ça qui l'excitait. »

La réaction du type était pile à mi-chemin entre l'amusant – Legence adorait mettre mal à l'aise les autres, c'était un genre de mantra – et le parfaitement triste parce qu'encore une fois Wyatt n'aurait pas réagi comme ça.
Il se demanda dans quelle mesure Slavo avait raison et s'il fallait le traîner de force à l'hosto désigné pour voir de quoi il se souviendrait.
Ça serait peut-être une carte à jouer... Legence se retourna contre la rambarde, le corps souligné par la lumière en contrejour, faisant face à Wy... Clint. Clint, bon sang.

« Ah, si, évidemment. Je pourrais t'en parler des heures », rit-il, parce que c'était vrai.

Et à la fois il y avait profondément planqué l'espoir stupide qu'il n'ait du coup jamais touché à Julia ; mais il essayait de ne pas y penser.

C'est vraiment pas rassurant cette description de... cette femme-là. Clint espère sincèrement ne jamais la croiser. Si elle venait à apprendre que... Oh encore que...

Du coup, si elle apprenait aujourd'hui que...

Bon, il va pas lui faire un dessin...

Elle sera déçue ou elle rappliquerait ventre à terre ?

Juste pour savoir s'il doit se préparer à décamper. Il n'est pas bien sûr d'être aussi capable que son lui du passé, qui a réussi à s'enfuir d'une prison et venir ici sans alerter interpol ou ce genre de police internationale. Mais il n'a pas du tout envie de croiser la route de cette nana-là.

Tu pourrais éviter de la prévenir quand même ? Parce qu'apparemment, y a un truc qui n'a pas changé, j'ai vraiment aucune envie qu'elle m'approche. Et si je sais pas trop où j'en suis, ça, c'est sûr, elle, c'est NON.

Il a une espèce de frisson dégouté. Plutôt tenter d'être gay que de se taper cette nana-là.
Extrêmement gêné, il ne répond rien, rouge brique, plongeant soudain l'intégralité de son visage dans le carton dans l'espoir – bien sûr vain – que ça ne se remarque pas. Il grommelle pour lui un truc sur le fait que par contre, niveau cul, ça a bien changé, et finit par sortir une espèce de cahier.
C'est mal écrit. Les fautes sont pires que les siennes, l'écriture est dégueulasse. Il l'ouvre en se doutant bien que c'est lui qui a écrit.
Il y a plein de pages. Des recettes, des dates.
Clint cille un instant.

500 grammes de sel fin ? Pour une tarte aux pommes ? J'étais défoncé ?

Question rhétorique apparemment. Mais en lisant l'intégralité de la recette, Clint écarquille les yeux. À côté il y a un dessin et son talent pour la chimie transcrit parfaitement ce qu'il avait voulu dire.

Ah. C'est une formule. Au temps pour moi.

Il tourne une page, une autre. Décroche une photo et tourne le papier pour lire une date. Et... Gloups.

Je crois que j'ai trouvé... heu...
C'est mignon.

Vous voulez qu'il dise quoi, vous, en trouvant une photo de leurs fiançailles ? Apparemment ils se sont tapés la cloche dans un resto chicos de New York avec bagues en prime.

Oh mais je reconnais !

C'est une sorte de cri du cœur. Clint écarte un peu sa chemise pour tirer une chaine au bout de laquelle il y a la fameuse bague.

Je l'avais autour du cou déjà à l'hosto.

Leg, qui à ce moment-là était en contrôle, sourit avec suffisance.

« Elle n'est pas au courant et ne le sera pas tant que je ne veux pas. »

Il ne voulait pas donc Lucrezia ne serait pas au courant avant un moment, ce qui donnait toute latitude à Pussy d'apprendre à Wyatt qu'il était à l'abri.

« Elle viendrait plutôt très vite si je lui disais », avouait-il du bout des lèvres. Il se fit un peu plus circonspect à la découverte de sa bague de fiançailles autour du cou de Wyatt quand on l'avait découvert – il commençait à comprendre les circonstances dans lesquelles lui-même se trouverait douloureusement pris quelques jours plus tard – autour de son cou, commenta sobrement :

« Oui je te l'ai offert pour nos fiançailles mais tu as horreur de porter des bagues aux doigts. Exactement comme moi, alors... »

Il avait toujours, lui, l'alliance offerte par Wyatt en ornement autour du cou qui serait ensuite arrachée par les serbes qu'il avait bêtement cru de son côté.

« Et tu l'as gardée ? … c'est mignon. »

D'instinct, Wyatt sentait que c'était mieux comme ça. Et donc n'en rajoute pas.
Mais il sent planer comme une vague menace sur sa tête. Si jamais Leg décide de changer d'avis... Il lui demandera peut-être des trucs en échange pour se taire ?
Et s'il lui demandait de... Ho putain ? Il le ferait ?
Autant dire que son sang semble bouillir alors qu'il serre dans sa main la bague. Il fait une moue, entre la grimace et l'envie de... de pleurer ? Ah mais fait chier, c'est d'un triste de pas se souvenir. C'est important ce genre de bague. Il l'a gardé tout ce temps et ça veut rien dire de particulier pour lui.

Mais merde !

Il tape violemment du poing sur la table, dans un accès de rage frustrée. Il a envie de taper dans un mur, de se défouler. Il veut se souvenir. Tant pis pour les trucs bizarres ou désagréables. Tant pis. C'est du n'importe quoi cette histoire non ?

J'allais pas la jeter. Je ne savais pas à quoi ça faisait référence mais ça devait être important pour la garder près du cœur.

Clint regarde la bague. D'une voix un peu blanche il demande :

peut-être que... Que tu voudrais la récupérer. J'suis pas... enfin. C'est pas... pareil ?
Tu dois plus vouloir de moi.

Heu... What the fuck ? Non mais c'est très mal exprimé. Il baffouille, se prend une suée de malaise. Plus il parle, pire c'est et il s'enfonce lamentablement avant d'abandonner.

Tu as faim ? Tu veux manger ? Oui, tu veux manger. Moi aussi. Parfait. Heu... Y a beaucoup beaucoup de trucs, de... de, de, de voilà quoi donc tu t'sers, tu fais comme chez toi surtout.

Un verre de plus et un morceau d'un plat pris au hasard, Wyatt machouille une fourchette sans nourriture dessus, en espérant disparaître par un trou de souris.

Sous le coup de la frustration, Clint agissait un peu plus comme Wyatt l'aurait fait et la constatation rasséréna un peu Legence, qui ne sourcilla pas au coup dans la table, à vrai dire habitué. Il hocha de la tête, jeta son mégot d'une pichenette dans la rue sans le moindre égard pour l'environnement – il était américain merde.


« Vu comme ça... »


Bien sûr que c'était important, lui-même avait gardé la sienne malgré la prison et l'éloignement, même s'il l'avait virée de son doigt dès que Wyatt était passé en procès. Il faut pas déconner, et Pussycat avait la dent dure et la rancune très tenace. Il haussa les sourcils, un peu étonné à sa réflexion.


« Non, garde-la c'est à toi. »


Et la dernière phrase semblait lui avoir donné envie de disparaître de la surface de la terre ; Legence le comprenait un peu parce que c'était une réflexion drôlement trop romantique et bizarre dans sa posture. Il haussa des épaules, un peu sèchement, s'emparant ensuite d'un petit machin vegan en se demandant s'il s'était souvenu de son régime alimentaire ou s'il avait juste eu la main heureuse.


« Eh bien ça n'est pas moi qui suis fiancé à une certaine Julia. »


Même s'il était un peu honnête, ça aurait pu arriver vu qu'il cherchait à obtenir la nationalité serbe.


« C'est toi qui a fait ça ? »

Clint la garde donc, la laissant sur sa chaine et la remettant à sa place. Cela dit, ça fait tout drôle maintenant qu'il connait sa signification et sa valeur. Ça lui semble presque indécent de la porter de la sorte. Mais ça serait sûrement pire s'il l'enlevait, surtout maintenant. Il va y réfléchir et se poser la question, sincère, de savoir ce qui justifie de la laisser là où elle est.

Il lance un regard à Leg quand il mentionne Julia. Il a l'air de faire la soupe à la grimace à son évocation. Et après un instant de réfléxion – qui dure quand même de longues secondes – il finit par conclure qu'à sa place, il ferait quand même très certainement la gueule lui aussi. Non seulement il s'est fait remplacer mais en plus par une personne de l'autre sexe. C'est tellement... étrange tout ça.
Qu'est ce que vous voulez qu'il réponde.

Je sais. Je comprends. Enfin... Non. Mais je me doute. À ta place je le prendrais mal je crois.

Ouaip. Enfin si Julia changeait de bord, est ce qu'il serait si affecté que ça ? A ajouter sur la liste des questions à se poser parce que clairement, la réponse instinctive et claire qu'il a eu d'emblée l'emmerde quand même un peu.
Aussi le changement de sujet est le bienvenu.

Ouai. J'aime bien cuisiner. C'est une forme de chimie si tu veux mon avis. Les courses c'est un peu chiant. Mais j'aime faire le marché, choisir les trucs. ça m'occupe et ça m'oblige à me concentrer. Me souvenir d'une liste de courses, des quantités. Parait que c'est bien pour le cerveau.
Je dois avouer que... je me suis un peu emporter sur les quantités et le nombre de plats.

Lui il est carnivore, pas de doute. Mais il a le sentiment, étrange, vague, jamais très définitif que pourtant, il ne cuisine pas tant de viande que ça, et pour une bonne raison. Et puis vraiment, il tient vraiment à faire honneur à son hôte du jour.

Prends hein. Te gênes pas. T'as vu la quantité ? Je donnerai le reste aux bonnes œuvres.

Il a horreur de gâcher et il ne mange jamais deux fois le même plat alors il donne. En même temps, c'est pas les pauvres qui manquent dans le coin.

Legence laissa tomber le sujet exactement comme il aurait mis – enfin fait mettre, plus exactement – le cadavre d'un ennemi dans un puits. Il ne voulait plus parler de Julia, ni apprendre à quel point elle était gentille ou patiente.
Parce que si en plus d'être une femme elle était jolie et patiente, il n'avait clairement plus beaucoup de chance de récupérer Wyatt ! Il goûta deux trois trucs, mais fut vite limité par son appétit somme toute franchement restreint.

« Hmm, tu aimais déjà bien avant, et faire les courses aussi. Je crois que le marché bio du Bronx t'avait élu client d'honneur ou un truc du genre, bon, tu les as évidemment envoyé se faire foutre. Mais j'crois qu'au fond t'étais un peu content. »

Leg eut un rire, qui n'était pas encore gêné par des contrechocs stupides, acquiesçant.

« Oui, t'as eu la main lourde. »

Il fit un geste de la main :

« Nan merci, c'est bon j'ai pas très faim. »

Ce qui aurait pu constituer le titre de ses mémoires tellement il répétait cette phrase. Il posa le regard sur Clint.

« Est-ce qu'il y a d'autres choses que tu veux savoir ? »

Oh ?

Oh mais ça lui fait plaisir. Enfin il croit. Ou au moins c'est rassurant.

J'ai pas tout oublié ou changé alors. C'est bien.

Heu... Merde. C'est super maladroit. Vite. Il se rattrape aux branches.

Y a bon espoir je veux dire.

Cet envie de savoir tout sur son passé mais d'être freiné par des choses dérangeantes... La dernière chose que Clint souhaite, c'est peiné ou vexer Legence. Difficile de définir cette... « relation ». Si tant est qu'on puisse la définir alors qu'au final, ils ne se sont vus que deux fois. C'est probablement égoïste mais Clint n'a pas envie qu'il disparaisse comme ça. Sa mémoire lui fait défaut, c'est lui le problème, ça serait dommage que Leg s'éloigne aussi. D'une certaine manière.

Si tu veux en ramener, ne te prive pas tu sais.
Je vais explorer le reste du carton. Mais j'ai pas vraiment de questions. Ou des milliards, ça dépend des moments.

Une ombre d'inquiétude passe sur son visage.

C'est surement. Je veux dire. C'est égoïste. Mais on va se revoir ?
Tu veux que je fasse un truc ?

Il est prêt à n'importe quoi ou presque pour ne pas couper ce lien avec le passé, ce fil si mince. Ce type qui, mince quoi, est la raison pour laquelle il a fini amnésique dans un pays étranger au sien. Il avait dû être sacrément amoureux non ? Ou désespéré ?

Legence lui répondit d'un sourire qui ne voulait rien dire, ce genre d'expression qu'il avait souvent quand il faisait des affaires ; sauf qu'en l'occurrence ça n'était pas des affaires. Il avait toutefois du mal à trouver le bon comportement.

« Ouais, c'est déjà mieux que rien. »

Il y avait toujours bien trop qui avait changé à son goût et il se sentait parfaitement paumé. Les paroles de Slavenko lui revinrent en mémoire alors que Clint s'inquiétait de savoir s'ils allaient se revoir, sans doute par peur de voir disparaître son passé.
Leg n'arrivait pas à savoir quel était son état d'esprit parce que c'était trop étrange, comme situation. Et il se sentait coupable – alerte rouge ! – parce que si Wyatt avait atterri dans ce pays à la con et prêt à exploser, eh bien c'était à cause de lui, sans aucun doute.

« On se revoit quand tu veux, t'en fais pas. Je me demandais, est-ce que ça te dirait d'aller consulter quelqu'un à l'hosto ? Un pote m'a parlé de leurs spécialistes, et ils sont assez calés sur les traumas... Bon, c'est plutôt des traumas de guerre, mais ça vaut le coup de tenter non ? »

Un toubib ? Il en a vu plein y a deux ans. Pendant des mois. Pour que dalle au final. Mais si c'est une condition pour que Legence ne disparaisse pas comme ça, il prend. C'est une perte de temps mais il devine qu'il a sûrement besoin de se l'entendre dire. C'est dur d'abandonner ses espoirs, il le sait bien. Ça a été douloureux pour lui. Et l'idée que ça peine son (ex) fiancé au statut totalement bizarre, ça le chafouine.

Bien sûr si tu veux.
Je peux refaire un point.
Après tout ça fait un moment qu'on n'a rien vérifié. Qui sait ?
Prends rendez vous quand tu veux, je me rendrai disponible.

Clint lui adresse un sourire encourageant. Comme tout ça sonne le moment du départ, maladroit, il s'approche de Leg. Il tend les bras, comme seul un américain le ferait, pour faire ces câlins si caractéristiques, lui tapotant au passage le dos.
Ça fait vaguement condescendant à la réflexion mais il va pas lui tendre la main, c'est affreux et il va pas l'embrasser non plus, certainement pas. Du coup, le câlin fraternel de l'Oncle Sam est un bon compromis.