[Banlieue de Sarajevo] C'est quand t'es habillé comme un clochard que l'expression "le monde est petit" prend tout son sens / libre

Elle avait envisagé pas mal de d'options, la miss. De la plus dramatique à la plus banale, sans imaginer que l'alternative aux extrêmes serait la pire. Elle avait pensé aux mélanges déconseillés et même à l'utilisation d'une lame de rasoir. C'était réputé quasi indolore et infaillible, comme échappatoire.

Elle avait finalement jeté son dévolu sur ce qu'il lui restait de courage. Ne pas baisser les bras. S'accrocher à ce mince espoir qui planait encore dans ses pensées quand elle en restait maîtresse. Rarement. Entre les coups des mauvais amants, la pression du maquereau, les conflits de territoire à la con et les repas dégueulasses, sa vie n'était pas belle.
Elle avait espéré. Un jour de trop. Elle aurait sans doute du s'ouvrir les veines une fois pour toute.

Lola venait d'avoir 25 ans quand le mec l'a cognée. Elle ne gémissait pas assez, a-t-il prétexté. Quand j'ai envoyé mon poing dans sa mâchoire, le cri qu'il a poussé n'était pas non plus assez intense à mon goût. Aussi, je lui ai fait part de ma contrariété puis j'ai laissé les camarades lui régler son compte.
Ils se sont débarrassé du corps tandis que je faisais hospitaliser la demoiselle. Son dossier ne lui a pas permis d'obtenir mieux que la cellule. C'était il y a deux mois. Je n'oublierai pas son regard chargé d'insultes, ni sa voix, désormais éteinte.

Droguée, folle, dépressive, criminelle, cause perdue, la petite est décédée dans la nuit et j'ai ressenti l'étrange besoin de passer. Discrètement. Déjà pour vérifier l'information - je ne suis pas à une fille près, n'empêche que je dois savoir quels sont précisément mes effectifs - mais aussi pour lui faire mes adieux.
Elle me détestait c'est sûr.

« Repose-toi, trésor. »

Dis-je en quittant la chambre désormais vide qu'elle occupait.

Mains dans les poches, une cigarette coincée entre les lèvres, le regard au loin, je fais quelques pas. C'est finalement rare ces instants de calme. Cette distance avec l'ébullition constante des affaires. La ville. Cette banlieue me fout le cafard et malgré les discrets rayons du soleil l'atmosphère est orageuse, pesante. Faut que j'me barre.

J'envisage de retourner à ma bagnole quand la piétonne d'en face m'adresse la parole.

« Bonjour. Vous êtes perdu ? »

Non.
Quoique.
Je lui rends son sourire de manière imperceptible puis hausse les épaules.

« Ouais, si on veut. Vous-êtes d'ici ? »

Dis-je en désignant le clébard au bout de sa laisse, comme si le fait de promener l'animal rattachait obligatoirement la belle à ces lieux. Ça me paraît logique.

Mon regard revient à l'interlocutrice et j'apprécie aussitôt son charisme, la puissance maîtrisée de son regard, la fausse douceur de ses traits. Comme quoi, dans les endroits les plus reculés, pathétiques et sordides, se croisent parfois des gens respectables ;
Elle et moi, ça fait déjà deux.

« J'étais en train de me demander ce que font les gens du coin. »

Critique ouverte et assumée sur la zone, je ne m'inquiète pas de la froisser. Elle n'a pas l'air du genre à s'offusquer pour une opinion franche. Je retire la clope de ma bouche et précise :

« J'rendais visite. »

Je désigne d'un geste nonchalant l'établissement dans mon dos et attends qu'elle reprenne la parole avec une étrange curiosité.