Il voit toute sa vie défiler devant ses yeux après avoir été exposé à une chanson de Vianney [Elsie]

Comme ça lui arrive parfois, à cause de son traumatisme crânien, il y a des jours où se lever est juste une horreur absolue. Une migraine lui vrille les tempes au moins d’avoir juste envie de mourir, de faire crever ce putain de soleil et toute autre forme de luminosité qui lui donne l’impression qu’on lui arrache les yeux et une forte envie de vomir.
Hier, c’était le cas et aujourd’hui, pâle et fébrile, Clint a bien du mal à retrouver ses esprits. A tâtons, il cherche son agenda parce qu’il est infoutu de se souvenir ce qu’il est supposé faire aujourd’hui. Evidemment, il n’a rien écrit. Il le fait parfois mais en général, c’est plus Julia qui s’occupe de ces choses-là pour s’assurer qu’il n’oubliera pas de venir diner chez elle ou pour qu’il pense bien à la session de shopping mensuel auquel il s’astreint en bon fiancé prévenant.
Il vérifie sur son téléphone la date. Mais non, il n’a rien. Pourtant il est persuadé qu’il y a un truc aujourd’hui.
Avec un juron alors qu’il n’a pas tellement l’habitude d’en dire en général, il passe un tshirt, le temps étant clément malgré de lourds nuages. Ça ne l’empêche pas, avec la migraine de la veille, d’être prudent et il met ses lunettes de soleil dans le hall, histoire de ne pas mourir quand il verra pour la première fois en 48h la lumière du jour.

bon. Apparemment, c’est pas une réussite. A part une silhouette qui se dégage au loin, la rue est vide mais le choc est trop violent. Il glisse au sol, ressentant ce qui lui semble être des palpitations alors qu’une fine pellicule de sueur commence à couvrir son visage. Et un flash. Un putain de flash. Une barre à mine. Un coup. Un coup. Encore un. Ça pleut sur lui comme jamais.

La vision passe mais le malaise reste.

La main sur la poitrine, il inspire et expire comme un bœuf. Il bafouille quelque chose sans être sûr de la langue. Ça pourrait bien être de l’espagnol pour ce qu’il en sait.
Assis, la tête entre les jambes, il cherche un souffle qui ne revient pas réellement. Il finit par relever ses yeux bleus sur la tignasse rousse.

Je crois que…

La douleur est totalement suffocante.

Je fais une crise cardiaque.

Il glisse une main dans sa poche de pantalon pour en sortir un trousseau de clefs. La peur, pas une petite peur de rien du tout mais une trouille viscérale, lui noue le ventre alors qu’il les lui tend.
Dans une bafouille moitié anglaise-moitié serbe il lui explique qu’il habite au premier étage et qu’il y a un téléphone pour appeler les secours.
Il s’accroche à la nana, avec une voix rauque et inquiète :

J’peux pas mourir. Pas maintenant. Je veux savoir d’abord.

Clint se laisse faire. Enfin c'est l'impression qu'il a. En vrai, son corps ne réagit pas bien. Il ne reste pas tranquille du tout. En fait, il a des tremblements incontrôlables et la suée qui traverse son corps donne l'impression qu'il est sur une rotissoire.
Mais il finit par percevoir ses mouvements. Il sent ses doigts qui semblent de glace sur son poignet moite. Des gestes mécaniques, presque professionnels. Il ferme à moitié les yeux, prêt à se laisser mourir tellement ça va mal. Quand elle lui parle, il rouvre ses paupières, perdu. Hein ? Elle lui demande quoi ?

Wyatt je crois ? Non. Clint.

Il l’écoute, réfléchit tant bien que mal. Les palpitations se calment mais sa poitrine lui fait un mal de chien, comme si elle était fendue en deux.

Ok… Elsie… Ok. Je vais essayer.

Ouai. Il peut faire ça. Il pense que ça va être possible même s’il a l’impression qu’un camion a percuté sa poitrine.

J’veux pas mourir hein. Je… Je suis trop jeune pour une crise cardiaque.

Il halète sous l’effort de tant de verbiage. Putain. Il ne se souvient pas mais il sait, les médecins lui ont dit, qu’il avait failli crever plusieurs fois, plusieurs arrêts cardiaques. Il se rappelle la douleur insupportable au réveil, la morphine à peine efficace. Et le manque ensuite, le sevrage encore pire. Il attrape le poignet d’Elsie, avec une faiblesse nette dans le mouvement.

Pas de… de morphine.

Clint tente de se focaliser sur les paroles, pour ne pas tomber dans les pommes, pour ne pas paniquer davantage. Essayer de se concentrer, c'est reprendre peu à peu ses esprits.

Clint... Clint... Westwood.

Putain, en y réfléchissant, un bout de son cerveau se dit qu'il aurait dû deviner qu'un nom aussi merdique ne pouvait être qu'inventé. Il avait cru que ses parents avaient un humour de merde. Aujourd'hui, il réalise que c'est lui. Et son cœur s'emballe de nouveau d'un coup bref, avant de reprendre très lentement un cours plus normal. C'est flippant. Toute cette situation, c'est trop à gérer.
Les yeux bleus se relèvent à l'injonction de la jeune femme. Facile d'y lire de la douleur, une profonde angoisse aussi. N'importe qui dans cet état aurait les mêmes réactions. Et il y a un truc en plus, indéfinissable tant pour l'un que pour l'autre.

Elsie a toute son attention et il imite. Il inspire, il expire. Pendant de longues secondes il calque ces mouvements sur ceux de la jeune femme, obligé d'y réfléchir pour parvenir à le faire. Et petit à petit, sa respiration est plus lente et régulière. Son cœur s'affole beaucoup moins aussi.
Ce sont de longues minutes et Clint est couvert d'une pellicule de sueur. L'effort semble avoir été quasi insurmontable. Toujours assis et la tête tournant légèrement, il n'essaye pas vraiment de se relever, simplement de s'asseoir de façon un peu plus confortable.

C'était quoi ça ?

Maintenant qu'il reprend peu à peu ses esprits, il tente de comprendre le truc qui vient de lui arriver. Dans l'espoir surtout de ne jamais revivre un truc pareil.

Même en reprenant contenance progressivement, Clint reste long à la détente et à la réflexion. Son corps reste marqué par la crise qu'il vient de vivre et même si son cœur reprend un rythme beaucoup plus normal, la douleur persiste. Il se masse doucement la poitrine avant de répondre, non sans peine. D'abord d'un signe de la tête, puis en parlant.

Non. Pre... première fois.
ça... ça porte bien son nom cette saloperie. J'ai jamais eu aussi peur de ma vie.

En tout cas des deux dernières années à défaut de se souvenir d'avant. Il a un petit rire essoufflé et épuisé. Son énergie semble avoir été drainée d'un seul coup et son corps est endolori comme s'il s'était fait rouler dessus ou passer à tabac. La fatigue rend son corps plus lourd encore. C'est comme si la gravité avait été brusquement multipliée par dix. Ou qu'il s'était pris 50 ans dans la couenne d'un coup d'un seul.

Comme il est appuyé contre un mur, Clint relève les yeux en regardant derrière lui. Il grogne un oui avant de s'appuyer de tout son poids dessus. Vu sa carcasse, il ne veut pas s'appuyer sur Elsie ; y a toutes les chances qu'il la fasse basculer plutôt que d'arriver à se relever. Les premiers centimètres sont les plus pénibles évidemment et une fois qu'il s'est entièrement redressé, ça va un peu mieux. Il se sent moins lourd par contre, la tête lui tourne un peu. Précautionneux et incertain de ce qui pourrait arriver s'il se précipitait, il se maintient contre le mur le temps que le monde cesse de tourner autour de lui. Quand tout redevient à la normale, il a un mince sourire.

Voilà. Tandaaaam. Je suis debout ! J'ai réussi.

Il désigne la porte cochère à côté de lui.

Juste le temps de rentrer chez moi me coucher. J'ai l'impression de pas avoir dormi depuis deux semaines tout d'un coup.
En tout cas, merci. Sans vous...

Il désigne vite fait les alentours.