Beauty behind madness || Slavenko

4 septembre ; 9h39

On dira que je suis longue à la détente et c'est sans doute vrai, même si on peut pour le coup accuser les cachets je crois. Cela dit si je me suis au départ rendue à l'hôpital dans l'idée de fuir, ils m'ont finalement gardée une nuit malgré tout. Je n'ai pas menti, ils ne peuvent rien faire de plus, si le traitement pour stopper les contractions est inefficace, ils ne peuvent pas empêcher le bébé de sortir. En revanche ils peuvent me surveiller, et j'ai donc passé la soirée et la nuit sous monitoring pour vérifier que malgré les contractions, je ne suis pas sur le point d'accoucher, que le cœur du bébé bat correctement et qu'il n'est pas en danger. Ils m'ont proposé de rester à l'hôpital mais je ne m'y sens pas en sécurité, et je sais que Slavenko ne pourra pas m'y rendre visite. Or peu importe à quel point j'ai eu envie de l'étriper lors de notre échange hier, j'ai toujours envie de le voir. 

L'immeuble dans lequel se trouve la planque me paraît moins entretenu encore que le premier, mais ça m'est parfaitement égal. J'ai toujours eu un goût particulier pour le luxe, j'aime les belles choses c'est indéniable. Pour autant j'ai connu la misère et pour Slavenko, j'ai toujours été prête à n'importe quoi. J'aurais vécu avec lui dans une vieille carcasse de bagnole désossée dans le désert mexicain -coucou Sly- si ç'avait été le seul moyen d'être ensemble. Mon terme était prévu dans deux mois et demi, et même s'il est évident pour tout le monde que j'accoucherais avant, je ne voulais pas passer encore des semaines loin de lui. 

Encore une fois, l'immeuble est dépourvu d'ascenseur et je crois que l'homme qui m'escorte jusqu'au dernier étage est à deux doigts de me porter tant l'ascension m'est douloureuse. Les efforts réveillent les contractions, mais mon corps considère désormais que grimper trois marches est un effort ! Je suis essoufflée lorsque j'arrive devant la porte, et je prends quelques instants pour retrouver une respiration normale, et tenter ainsi de ne pas déjà effrayer Slavenko. Je ne suis même pas sûre qu'il soit là, Camenko ne m'a rien dit, Slavenko a cessé d'écrire, et l'armoire à glace à mes côtés n'a pas dégoisé un mot. Mes mains tremblent un peu. S'il est là, aura-t-il seulement envie de me voir ? J'entre en retenant mon souffle. 

 Je n’ai pas sourcillé quand mon frère m’a annoncé mon déménagement. S’il l’estime nécessaire, c’est que ça l’est et une planque pour une autre ne change rien. Contrairement à Nina, j’ai confiance en mon frère, il est ce qu’il est - parfois froid et borné comme un Drazavic - mais il sait ce qu’il fait. C’est sa spécialité ce genre de situations. De toute façon, j’ai réalisé après ma conversation avec Nina que je n’avais aucun pouvoir, ni moyen de persuasion. Je ne suis pas un homme à savoir convaincre par les paroles et physiquement, je ne vaux pour l’instant pas grand chose alors je fais ce que je sais faire, je suis le courant en attendant des jours meilleurs, et j’essaye de me retaper. Même si j’ai encore des cachets, je vais suffisamment bien pour que les infirmières ne passent plus ce qui accroît ma solitude. Je me demande si c’est pour éviter des fuites de leurs part que Camenko m’a changé de lieu mais je suis arrivé ici sans voir mon frère, transféré par mes deux gardiens aussi mutiques que moi.

Suivant les conseils de la rouquine, je fais des exercices de kiné avec une patience lente et entêtée. Je n’ai que ça à faire remarquez...Je ne peux toujours pas fumer et la nicotine me manque douloureusement par moment. Ce n’est pas tant un manque physique que l’habitude et l'ennuie qui me ronge lentement, sans compter l'inquiétude permanente. Ne plus écrire à Nina me demande un effort considérable, mais après notre dernière conversation et sa façon de répondre à ma déclaration ou plutôt de ne pas y répondre en l’occurrence à achever de me convaincre de lui foutre la paix. J'ai l'impression d'être non seulement inutile mais surtout indésirable. Il est temps que j'apprenne à m'effacer quand c'est le moment. Quand la porte s'ouvre, je suis étonné. Je suis comme en cellule ici et je ne vois mes gardiens que tous les deux jours quand ils m'apportent du ravitaillement. Je cuisine à nouveau moi-même, je suis capable de rester debout assez longtemps à présent. Sur le qui-vive, je pose le poids avec lequel je suis en train de me re-muscler. Quand je vois Nina, je me lève un peu trop brusquement pour ne pas grimacer de douleur mais je m'en moque, mon cœur s'est emballé furieusement "Nina !?!!" Camenko ne m'avait pas prévenu.

Il bondit en m'apercevant et je l'entends avant même de le voir. Je ne pensais pas le voir si surpris, et l'exclamation avec laquelle il m'accueille confirme ma première impression : Camenko ne l'a pas prévenu. Je bloque un instant, s'il avait su peut-être aurait-il refusé ma présence ? Je n'arrive pas à déterminer s'il est heureux de me voir ou non, sans doute ne le sait-il pas lui-même. Je fais signe au gorille qui m'accompagne qu'il peut y aller, et il acquiesce en sortant, refermant la porte derrière lui. Je ne sais pas où dorment les hommes censés nous surveiller, veiller à notre protection, Camenko ne m'a pas donné ce genre de détails mais j'imagine qu'ils ne sont pas loin. Peut-être y a-t-il des micros dans l'appartement ? 

Mais toutes ces questions s'évaporent quand je pose à nouveau les yeux sur Slavenko. Mon cœur semble se soulever dans ma poitrine et mon corps se porte vers lui, comme toujours, sans demander d'abord à mon cerveau s'il est d'accord. Je ne peux pas être rationnelle, comment le pourrais-je quand ça fait six jours que je ne l'ai pas vu ? Des semaines qu'on ne fait que se croiser, se bousculer, se blesser ? Il aurait pu mourir, c'est toujours la première pensée qui me vient quand je le retrouve ces derniers temps, et elle balaie tout le reste avec une violence qui me dépasse. En quelques pas, j'ai englouti la distance qui nous séparait, enroulé mes bras autour de son cou, enfoui mon visage contre son tee-shirt. 

Je bondis sur mes pieds, tellement surpris que les émotions me frappent de plein fouet. Et puis, elle est contre moi et j'ai ouvert les bras pour l'accueillir. Je l'enfouis contre mon torse, me voûte légèrement pour respirer ses cheveux. Je me laisse envahir par son odeur qui m'a tant manqué. J'ai eu si peur pour elle que la tenir semble irréel, comme si je rêvais éveillé sauf la douleur très présente qui accompagne ses retrouvailles. Je plaque ma main sur son front avant de la glisser dans son cou et sous ses cheveux. Elle était accompagnée de mon sbire n°1 et donc c'est que c'est Camenko qui lui a donné l'adresse. Je suis tellement soulagé, je l'attire vers moi, fais quelques pas en arrière pour tomber dans le fauteuil en vieux cuir usé et rapiécé derrière moi. Je l'assieds sur mes genoux sans la lâcher comme si elle risquait de s'évaporer comme un mirage. Je relève son visage vers moi pour me jeter contre sa bouche, sans un mot.

Ses bras se referment autour de moi avec la même force qui m'a jetée vers lui, et j'en gémis de soulagement. J'ai eu peur bien-sûr qu'il ne me rende pas mon étreinte, mais l'angoisse que j'ai eue de ne pas le revoir a largement piétiné mon ego. Je me laisse entraîner sur ses genoux quand il tombe dans le fauteuil, j'imagine que rester debout doit encore être douloureux pour lui mais je n'arrive pas à m'en vouloir de m'être précipitée vers lui. Sa main glisse sous mon menton et sa bouche trouve la mienne pour un baiser, langoureux, avide, dont j'ai rêvé des jours durant. 

Je ne m'en irais plus, c'est la seule certitude que j'ai à présent. Plus personne ne me forcera à m'éloigner de lui, peu importe à quel point je peux avoir envie de le fuir parfois, je ne peux pas m'isoler sans le perdre des jours durant. Alors je ne m'en irais plus. Je prends son visage en coupe entre mes mains, prolonge le baiser jusqu'à ce que le souffle me manque. Alors je pose mon front contre le sien, mes pouces revenant sur ses tempes. « Tu n'imagines pas comme tu m'as manqué... J'ai cru mourir sans toi. » Je reprends sa bouche, entêtée, mes doigts dérivant pour tirailler les cheveux de sa nuque, redevenus plus longs. « Je reste avec toi maintenant... Si tu veux de moi, je reste avec toi... »

J'ai envie de pleurer et je me retiens très fort en gardant les yeux clos. Ces mots là je n'espérais plus les entendre. On s'est tellement déchiré ces derniers temps que je ne sais plus pourquoi elle est dans mes bras, je ne sais plus ce qu'elle veut, si elle m'aime, me hait ou pire que je lui sois devenu indifférent. Elle n'a pas cru mes mots d'amour, elle n'écoute pas mes supplications quand j'ai juste peur pour elle et je me suis heurté à sa façon de ne jamais répondre à mes mots tendres, de ne jamais en lâcher un. Elle est trop en colère pour que je sache encore si elle m'aime. Et pourtant là, ma bouche contre sa bouche, je reprends vie. Ça fait mal, comme un membre ankylosé dans lequel le sang revient. C'est douloureux et en même temps bienfaisant.

On dirait presque qu'elle me demande la permission et l'idée qu'elle puisse pensée que je ne veuille pas d'elle me révolte. Je proteste d'une voix grave, basse "Je te veux ! reste avec moi"

Pour être tout à fait franche, moi-même je ne sais pas ce que je veux, je l'aime et le hais à la fois sans doute mais je ne suis toujours pas parvenue à démêler mes émotions. Je sais juste que c'est sans doute la période la plus difficile qu'on ait eu à traverser dans nos vies, en tout cas dans notre vie commune, et je ne peux pas la supporter seule. Je n'ai le secours d'aucun palliatif et pour la première fois de ma vie, je suis responsable d'un autre être que moi. J'ai besoin de lui, peu importe que ce soit égoïste ou qu'il souffre lui aussi, j'ai besoin de lui. Je ne pleure pas pour une fois mais mes mains tremblent sur sa peau, de même que ma voix quand je lui réponds. « Alors je reste, je reste. » C'est une promesse que je lui fais, et que je scelle d'un nouveau baiser langoureux, mon cœur cognant contre mes côtes.

Dans d'autres circonstances je crois qu'on serait déjà à moitié nus en train de se dévorer mais pour une fois ce n'est pas l'aspect charnel entre nous qui m'a le plus manqué, bien au contraire. Je me serre contre lui, à la fois apaisée d'avoir retrouvé ses bras et fébrile parce que la pression retombe brusquement. La semaine passée chez Jelenko a été une véritable épreuve pour moi, mais je sais que je ne peux pas m'en plaindre puisque j'y suis allée de mon plein-gré. Je pose mon front sur celui du slave, et cherche gravement son regard. « Je suis désolée moja duša, je ne voulais pas t'inquiéter, j'ai fait attention, je te le promets. Il fallait que je le fasse, tu comprends ? Je ne pouvais pas rester les bras croisés... Je suis sûre que j'ai découvert des choses qui pourront aider ton frère... Dis-moi que tu ne m'en veux pas, molim te, molim te... »

Dans mon tee-shirt moite de cette sueur de convalescence qui me colle à la peau depuis des jours, entre sueur froide et celle des exercices que je m’impose pour d’une part ne pas devenir fou et d’autre part récupérer plus vite et surtout complètement, je frissonne sous l’étreinte de Nina. J’ai piètre allure depuis l’accident mais elle aussi - ce qui me fait intérieurement fulminer contre la terre entière - et nos cernes, nos airs hâves témoignent de ces souffrances infligées, mutuellement ou par d’autres. Cette colère perpétuelle qu’elle me reproche se dilue à moitié dans son baiser, rendant plus supportable la solitude qui me ronge. Je frémis quand elle pose son front contre le mien en évoquant cette semaine de calvaire.

Je gronde tout bas mais d’un ton qui n’est plus en colère, trop heureux que je suis de la retrouver. “Si je t’en veux...” Je lui ai dit que j’avais peur, et elle sait bien pourtant que ce n’est pas quelque chose que j’avoue facilement. Elle a fait son choix et je n’ai pu que le subir. Peu m’importe les bénéfices gagnés, j’estime que les risques ont été trop grands et elle m’a manqué si fort que j’ai cru mourir chaque minute. J’ajoute avec une passion querelleuse “mais ce n’est pas grave, tu es là et tu restes cette fois...” Je ne veux plus qu’elle reparte ailleurs que dans mes bras. J’ai sans aucun doute merdé quand j’ai fait un pas dans ce hammam, mais j’ai payé un prix plus que conséquent pour cette erreur et je ne veux pas perdre Nina en plus. A quoi ça sert de se battre sinon ?

Je soupire, raffermis ma prise sur elle avant d'effleurer le ventre rond dans une caresse tendre pour mon fils. Nina et lui sont mes deux seules raisons de vivre

Bien-sûr qu'il m'en veut, tout le monde m'en veut cruellement et je sais que je les ai mis en colère tous les deux, son frère et lui, en allant me jeter dans la gueule du loup. Mais je ne regrette pas ma décision, je suis persuadée que tout ça n'était pas vain et même si mes informations ne leur servent à rien, j'aurais au moins essayé. Je n'ai jamais été douée pour rester tranquille en attendant qu'on fasse les choses à ma place, j'ai toujours dû me débrouiller seule et j'avais besoin d'agir. Je n'ai pas besoin qu'ils me comprennent, j'ai dépassé ce stade, je ne cherche plus leur approbation.

Je ne peux que me faire pardonner à présent de l'angoisse que je lui ai infligée, et et je répète avec ardeur contre ses lèvres chaudes : « Je suis là et je reste, mon amour, je vais m'occuper de toi. » Mon seul regret est celui de ne pas avoir pu le soutenir durant sa convalescence, surtout psychologiquement. Mais j'étais trop blessée moi-même pour lui être d'un quelconque soutien. Je le suis encore, mais la douleur à force de toujours rugir a fini par s'épuiser, mes sanglots se sont taris, mon angoisse s'est diluée en une sorte de fatalisme étrange auquel je ne suis pas habituée.

Je frissonne quand il touche mon ventre, pose ma main sur la sienne en baissant les yeux. Je n'irais plus nulle part, je le sais parce que l'hôpital m'a bien mise en garde : Tomas ne restera sans doute plus en place très longtemps. Il faut que j'arrête de tirer sur la corde, que je m'allonge, que je me repose autant que possible. Si je quitte cet appartement, ce ne sera désormais que pour me rendre à la clinique. L'idée d'être enfermée ici m'effraie moins aujourd'hui, parce que je suis passée par des phases de solitude si profondes que je mesure ma chance d'avoir retrouvé Slavenko. Je passe une main dans ses cheveux, pose sur ses traits un regard inquiet. « Comment tu te sens...? Tu prends toujours des cachets ? Les médecins ont dit quoi ? » Je frotte doucement mon nez contre le sien. « T'as mauvaise mine Slavo... »

Je me shoote littéralement à l'odeur de Nina, le nez fourré contre ses cheveux ou sa peau. Je pourrais dire que je n'ai pas besoin qu'elle s'occupe de moi, que je ne suis pas un enfant, que je sais prendre soin de moi mais ces derniers temps, rien n'est plus faux. Je me maintiens tout juste à flots dans la tempête qui me ballotte. Même suivre le courant est difficile dans les eaux tumultueuse de la Miljacka. Alors je ne dis rien, j'ai toujours des scrupules à montrer mes faiblesses, même quand je suis à terre.

J'esquisse un sourire à ses questions de mère poule. "Ça va je t'assure. Je prends mes cachets, je mange, je fais tous les exercices qu'il faut et les médecins disent que ça va dans le bon sens." Je tais les petits soucis d'ordre psychologiques, si c'est dans la tête, ça n'existe pas vraiment. Je réponds à sa caresse, et j'ai même un petit rire à sa remarque. "Si tu 'étais pas si jolie je te retournerais le compliment zlato."

Je ne suis pas très sur de vouloir en parler parce que ça touche mon père et que je suis toujours rongé de colère, de rancœur et quelque part en moi hurle l'enfant abandonné et trahit, mais je demande du bout des lèvres. "comment ça c'est passé là-bas ? Qu'est-ce que tu as appris ?"

Je ne sais pas pourquoi mais je décide de le croire, pour une fois, sans remettre en cause sa parole. Je le sens sincère, quand il me dit qu'il fait ce qu'il faut pour se rétablir. S'il est vrai qu'il n'a que ça à faire ici, il aurait aussi bien pu décider de se laisser couler. C'est probablement ce que j'aurais fait à sa place. Je me demande si, comme moi, c'est l'arrivée imminente de Tomas qui lui permet de tenir le coup. C'est la seule chose qui me maintient à flots depuis plusieurs semaines, bien plus que notre mariage qui lui semble prendre l'eau. Même là, dans ses bras, je ne sais pas où l'on va. « Ils passent encore, les médecins ? » Je serais rassurée de savoir qu'on veille quand même sur lui, je n'ai jamais eu si peur que lorsque je l'ai vu à l'hôpital cette première nuit, plongé dans le coma, branché de partout, bleu d'ecchymoses qui m'ont terrifiée. Sa remarque mêlée de compliment me fait doucement sourire et je hausse les épaules. « J'ai de la chance de te plaire encore, alors... »

J'ai un peu peur de lui faire mal, assise sur ses cuisses, mais il ne me repousse pas, ne grimace pas alors je n'ose pas bouger. Mon front se plisse de contrariété quand il aborde le sujet que j'aurais préféré garder pour plus tard, mais je comprends qu'il ait besoin de savoir. Je ne sais pas dans quelle mesure je peux lui parler sans le blesser, en revanche je sais que je refuse de lui mentir. « Ça s'est... Passé. » Je soupire, me cale un peu mieux entre ses bras. « J'ai appris qu'Aleksandra était au courant pour ton agression... Et que c'est bien Mirko qui a prévenu ton père pour Legence. » Ça, elle s'est bien gardée de me le dire mais elle a parlé d'une dispute, j'ai fait le rapprochement comme une grande. « Jelenko te croit mort, ça j'en suis certaine... Et il a l'intention d'élever Tomas, parce qu'il lui semble évident qu'une mère ne peut pas élever seule son enfant. » Ma voix vibre de colère contenue à ces mots. « J'ai aussi appris qu'il avait une maîtresse, et je sais où il la voit... »

"Non, ils ne sont pas passer ici. Je crois qu'ils reviendront dans cette planque mais avant la médecin m'a donné tout ce qu'il faut, des trucs à base de plantes et de la kiné..." sa remarque me fait à nouveau sourire et j'embrasse son cou en la pelotant pour appuyer mes propos "tu me plais" Mon enthousiasme est de surface et retombe vite dès qu'on aborde les sujets sérieux.

J'étais quasi sur que Mirko avait prévenu mon père. Il est le seul en qui mon père a une confiance aveugle et qu'il n'aurait pas tué pour oser émettre une telle hypothèse que mon homosexualité. Et puis il avait des preuves datant des USA. C'était facile d'appuyer ses propos. "J'y ai réfléchi et plus j'y pense, plus je crois que Mirko m'a lâché à cause des recherches que j'ai demandé à Camenko sur Saskia..." Quant à Alexandra je ne suis pas surpris, non plus que pour Tomas. Mon père a toujours eu un sens de la descendance pervertie. Rien ne compte plus que le sang, l'obéissance et la valeur.

"Une maîtresse ? ll l'a mise en cloque celle là ou pas ?" dis-je avec une amertume grinçante et peut-être lointaine, une pointe de jalousie. Il parait que les enfants aiment toujours leurs parent quoique ceux ci fassent. Une part de moi - infime mais réelle - pleure le père que j'ai perdu, celui qui m'a rejeté, qui ne veut plus de moi. Une partie de moi culpabilise de l'avoir déçu, de na pas avoir atteint son idéal. Et c'est ce qui me fait le plus mal, me fout en rogne contre moi-même. Je m'en veut de cette ambivalence, je voudrais réussir à le haïr inconditionnellement mais justement, j'ai été si fort conditionné que j'en arrive encore à me dire que j'aurais pu être un meilleur fils, un meilleur soldat. Toute cette histoire me mine et me ravage, je me suis toujours défini par rapport à ma famille ou au Klan ce qui revenait au même. Je ne sais plus qui je suis mais je sais que je veux protéger mon fils et Nina de la perversion et des ambitions de mon père.

« Elle a laissé des instructions...? Je l'appellerais. » J'ai encore le numéro de la rouquine que j'ai croisée plusieurs fois, quand je passais apporter à manger au slave sans être prête à le voir pour autant. Je veux m'assurer qu'il fait bien ce qu'on lui a demandé, qu'il prend ses cachets s'il en a... Bref, j'ai l'intention de prendre le relais des soignants puisqu'ils ne viendront plus. Je n'ai jamais cessé de vouloir prendre soin de lui, même quand il est parti, ma première réaction en découvrant les nouvelles cicatrices sur sa peau a été la culpabilité, j'aurais voulu être là pour panser ses plaies. Il suffit qu'il m'embrasse dans le cou pour que je vibre toute entière, parce que je sais alors qu'il veut encore de moi malgré la tempête entre nous. « Toi aussi tu me plais... » Et ce serait tellement plus simple si ce n'était que ça.

Je hoche doucement la tête quand la conversation se fait plus grave, je n'imagine pas à quel point ça doit être douloureux pour lui. « C'est possible, oui, mais Aleksandra ne m'a pas parlé de Saskia. » Elle a les oreilles qui traînent mais pas suffisamment, ou bien son mari n'est pas du tout au courant de ce sujet sensible que Mirko lui cache. Je sens bien la détresse de Slavenko, peu importe ses efforts pour la dissimuler, et contrairement à ce qu'il m'a balancé par sms, je n'ai jamais pensé un seul instant qu'il avait mérité tout ça. Pas plus qu'il ne me serait venu à l'esprit de lui dire que je l'avais prévenu. Pourtant, merde, je l'avais prévenu ! « Non, pas que je sache. » Il serait temps que Jelenko Drazavic découvre l'existence de la contraception, non ?

Je cherche le regard du slave à nouveau, ma main sur sa nuque. « On va arranger ça Slavenko, d'accord ? Tout à l'heure j'appellerais ton frère, je verrais ce qu'il peut faire avec les infos que j'ai... » Je glisse mes doigts sur sa peau moite, les sourcils légèrement froncés. « Tu m'accompagnerais pour une douche, moja duša...? » J'hésite queqlues petites secondes avant d'ajouter un ton plus bas : « Tu m'as manqué trop longtemps, j'ai envie de ta peau contre la mienne... » Et il n'y a pas, quoiqu'on en pense, de sous-entendus dans cette phrase, pour une fois !

"Oui, ce que je dois prendre comme médocs, et des exercices qu'un kiné lui a donné. Je fais tout bien, ne t'inquiètes pas." Je fais aussi bien que je peux en tout cas, c'est tout ce qu'on peut me demander. Suivre la posologie c'est la partie facile pour moi.

Je ne suis pas surpris pour Saskia, Aleksandra et Mirko, sans compter mon père, tout ce petit monde joue un trouble jeu où certains n'ont pas toutes les cartes en main. Les informations et les secrets se croisent, les mensonges se mêlent à a vérité, il est très difficile de démêler le vrai du faux, de connaître les motivations de chacun. Je ne sais toujours pas pourquoi Mirko a fait disparaître ma sœur. J'ai toujours eu à cœur ma loyauté à ma famille, à notre cause et je pensais que même s'ils me cachaient certaines choses c'était pour le bien de tous. J'avais besoin de le croire pour que tout ce que j'ai fait ne soit pas inutile, pour ne pas être un monstre. Maintenant, je sais que ce n'est pas le cas, et je suis dans le chaos le plus total. Si je me laisse aller, la culpabilité me tuera.

Arranger ça dit-elle j'esquisse un sourire triste d'enfant qui ne croit plus au père noël. On ne peut rien arranger. A la limite on peut s'en sortir vivant, ce sera déjà énorme en ce qui me concerne, je n'étais pas loin d'y passer. "Une douche...?" Je ne suis pas hyper enthousiaste vous voyez. Le bruit de l'eau m'est devenu anxiogène et si je m'entête à prendre des douches (rassurez-vous) je fais des crises d'angoisse plus souvent qu'il ne le faudrait. Mais je ne me vois pas dire non alors qu'elle me le demande et explicitant sa raison. Alors même si j'appréhende déjà, mon rythme cardiaque s'accélérant d'un cran, j'accepte. "si tu veux..." Je la relâche pour qu'elle puisse se lever et par précaution, je vais chercher un cachet dans la table de nuit. Normalement ça fait assez vite effet et ça limitera la casse. Je fonctionne comme ça depuis une semaine, limiter la casse, ça ne marche pas trop mal.

Pour moi, arranger les choses revient à éliminer la menace pour qu'on puisse réapprendre à vivre au soleil. C'est ma plus grande crainte à l'heure actuelle et je ne comprends pas que ce ne soit pas celle de tout le monde. Si nous n'étions que tous les deux, ça n'aurait pas d'importance, on pourrait partir ensemble, fuir au bout du monde pour se cacher, je le suivrais n'importe où. Mais je vais accoucher dans les semaines ou, par miracle, dans les deux mois qui viennent, et je ne veux pas devoir me cacher pour élever mon fils, je ne veux pas craindre pour sa vie ou pour la mienne à chaque seconde. Je ne connais qu'un seul moyen de nous libérer, c'est de tuer Jelenko et son frère, et si nous n'avons jamais prononcé ces mots-là, j'ose espérer qu'il est évident pour tout le monde que c'est la seule issue possible. Alors oui, j'ai espoir qu'on puisse arranger les choses, je refuse que notre enfant vienne au monde dans une famille déchirée, au bord de la rupture. Il aura droit à toute la stabilité, à tout le bonheur que je n'ai jamais connu. Je me le suis promis à la seconde où le test de grossesse s'est révélé positif. 

Je lis bien-sûr les réticences dans son regard, et dans le timbre mal assuré de sa voix, quand je lui propose qu'on aille se doucher ensemble. Naïve, je ne pense pas qu'il peut avoir peur et j'imagine plutôt qu'il n'a pas envie de ce moment d'intimité entre nous. Si mon visage s'assombrit, je me mords la langue pour ne pas revenir sur ma proposition, j'ai peur que ça ne foute en l'air l'équilibre ultra-précaire entre nous... Et on est censés se supporter jusqu'à l'accouchement maintenant, je ne pourrais pas partir si on se dispute ! Je libère ses genoux, fronce les sourcils en le voyant avaler un cachet, et l'entraîne vers la petite salle de bain. Elle est, Dieu merci, équipée d'une baignoire (coucou @Camenko Drazavic), mais il y a un battant en verre qu'on peut rabattre pour éviter de foutre de l'eau partout en l'utilisant comme une douche. Je vous avoue que je suis soulagée, les bains sont en ce moment la seule chose qui soulage les contractions. 

Je m'approche de lui, hésitante, et pose mes mains sur ses flancs en fronçant les sourcils. J'ai envie de retrouver un semblant de complicité entre nous, envolé depuis si longtemps que je ne sais plus quel effet ça fait quand on est sur la même longueur d'ondes. J'appuie mon front contre son torse un instant, inspire son odeur. Mes mains passent sous son tee-shirt, se posent sur sa taille en une caresse légère. Je demande dans un sourire mince. « Tu arrives à te baisser, moja duša...? Je suis pas sûre d'arriver à enlever mes chaussures toute seule... » Il a plu ce matin et j'ai enfilé des baskets, pour la première fois depuis longtemps. 

Je suis Nina dans la salle de bain en essayant de me calmer et de ne pas me laisser ronger par la peur de faire une crise d'angoisse parce que c'est un cercle vicieux, si je la crains, elle va venir. Donc je respire lentement pour me calmer. Nina revient vers moi et je m'accroche à elle en respirant son odeur en même temps. Je frissonne sous la douce caresse de ses doigts. "Oui, j'arrive à me baisser, mon genou va mieux." Il a bien dégonflé et le repos total depuis trois semaines a forcé la guérison. Quant à mes côtes, il suffit de faire attention à ne pas faire de mouvement brusque. "Attends laisse moi faire femme-ballon" Je claque un bécot sur sa bouche avant de m'accroupir pour défaire ses baskets. Je défais le lacet, lèvre les yeux en lui disant "Pied droit" Elle s'appuie sur mon épaule pour que j'ôte la chaussure et je recommence l'opération pour l'autre pied. Puis je continue à l'aider à se déshabiller, pour le plaisir d'effleurer sa peau, de la dévoiler.

Je contourne Nina alors qu'elle est nue, et je l'enlace en me collant à son corps doux. Mes mains se posent sur ses flancs rond, glissent ensuite vers ses cuisses, encadrant son sexe de mes doigts dans un triangle que je forme avec mes pouces. "Tu es sure que tu ne préfères pas prendre un bain ? Je resterais à côté si tu veux, je te savonnerais même les pieds..." Oui je sais, j'essaye d'éviter l'instant fatidique et je n'en suis pas fier, mais que voulez vous, c'est plus fort que moi.

Ce n'était pas volontaire mais finalement le fait de lui demander de se baisser m'aide à m'assurer qu'il va réellement mieux. Je suis soulagée de voir qu'il est capable de plier le genou, trois semaines de convalescence pourraient sembler suffisantes mais on ne sait jamais comment les choses se passent. Cela dit, comme en-dehors de sa visite à l'hôpital il a passé son temps enfermé dans un appartement, il n'avait pas vraiment d'autre choix que de se reposer. Je suis sûre qu'il ne serait pas rétabli si rapidement s'il avait été dehors ,"en liberté" (rien que le terme me fait frémir d'effroi). Il aurait voulu reprendre le sport, les missions, courir partout... Je le sais parfaitement.

Je proteste par jeu quand il s'agenouille à mes pieds. « Eh, y a des tas de femmes qui rêveraient d'être un ballon comme moi. » En réalité je n'en suis pas si sûre, certaines grossissent peu pendant leur grossesse et ce n'est pas grave. En ce qui me concerne, je me suis fait remonter les bretelles plus d'une fois et je crois que j'aurais préféré prendre les quinze bons kilos d'usage, pour n'inquiéter personne. Je n'aurais eu aucun mal à les perdre ensuite vu mon appétit, j'en suis sûre. Je le couve du regard tandis qu'il enlève mes chaussures, avant de me déshabiller tout à fait comme j'espérais secrètement qu'il le fasse. Je rêve de ses mains sur ma peau depuis des jours, des semaines.

Je ferme les yeux quelques secondes quand il vient, câlin, m'envelopper de ses bras, son torse contre mon dos. Je ne peux que déplorer le fait qu'il soit encore habillé, j'essaie de me rappeler de la sensation de son bassin contre mes reins, sa queue enflant doucement contre ma peau. Sa requête, pourtant, me blesse un peu plus dans ce moment doux et je secoue la tête. « Ca dépend, tu le prends avec moi...? »

Je ronronne contre sa peau que je sens se réchauffer, frémir sous mes doigts. "Tu ne crois pas que la baignoire est trop petite ?" Mais elle n'a pas l'air d'accord avec cette remarque et je me demande si au final, je n'aurais pas préféré une douche. Allons, un peu de courage Slavo. Je cède à Nina parce qu'il est plus important pour moi de lui faire plaisir que ma sauvegarde surtout que logiquement, je ne crains rien dans une baignoire. Si seulement la logique avait prise sur cette foutue phobie. Je me décolle de Nina pour allumer moi même l'eau dans un geste presque brusque. Je passe la main sous l'eau, attends qu'elle se réchauffe avant de mettre la bonde. "chaude ? Ou très chaude ?"

Je quitte rapidement mon tee-shirt et mon pantalon de jogging sous lequel je suis à poil. Je grimpe dans la baignoire tant qu'il n'y a qu'un centimètre d'eau au fond, ce sera plus facile à mon avis. Jusque là tout va bien, avec le cachet qui commence à faire effet, ma respiration et mon regard accroché au corps nu de Nina, je gère le bruit machiavélique de l'eau cascadant dans la baignoire. L'eau est chaude, rien à voir avec la Miljacka n'est-ce pas. "Tu viens srce ?" Je me tasse pour lui faire de la place, mon torse en coussin, en dossier pour elle.

Je devrais pourtant savoir déceler, ou anticiper, ce genre de traumatismes. Après tout je souffre de cauchemars et de crises d'angoisse depuis des années, j'ai peur de dormir seule, j'ai peur de dormir dans le noir, ... Mais je n'y pense pas parce que nous n'avons pas vraiment parlé ensemble de ce qu'il a vécu, il ne s'est jamais réellement confié à ce sujet et je n'ai pas insisté pour qu'il le fasse parce que je ne veux pas le forcer à parler de quelque chose qui le blesse trop profondément. Je me suis toujours dit, à tort peut-être, qu'il m'en parlerait de lui-même s'il estimait pouvoir compter sur moi, lorsqu'il aurait suffisamment confiance en moi pour ça.

Je fronce les sourcils lorsqu'il se décolle de moi, j'étais bien dans ses bras mais il faut bien qu'il se décide à se déshabiller ! Je mesure d'ailleurs à quel point je suis soulagée qu'il le fasse, jusqu'au bout j'ai cru qu'il allait changer d'avis. Il entre dans l'eau en premier, ce qui est assez rare pour être signalé et surtout avant même que la baignoire soit pleine. Peut-être craint-il de ne pas pouvoir entrer après moi si j'y vais la première ! Mais seul mon ventre prend un peu plus de place que d'habitude... « Juste... Assez chaude pour que tu sois bien... » Il n'a déjà pas l'air enchanté, je vais éviter de lui imposer une eau brûlante qu'il ne supporterait pas. Comme il appelle j'entre à mon tour, me glissant entre ses jambes ouvertes, mon dos contre son torse. Les parois de la baignoire sont froides le temps que l'eau monte et je frissonne, les pointes de mes seins se dressant. Je ramène ses bras autour de moi, me fais un cocon de son corps, comme avant. Je soupire d'aise à mesure que l'eau nous submerge. « J'ai rêvé de ça toutes les nuits... » Je pose ses mains sur ma poitrine frémissante pour qu'il la réchauffe de ses paumes.

J'ai déjà assez honte de tout ce qui arrive sans en plus me plaindre de peurs fantômes et de cauchemars. J'aurais du voir venir, ne pas me fier à mon propre père, ne pas croire que je pouvais tourner le dos à mes compagnons d'armes, compter sur eux pour me protéger. Oui, Nina m'avait prévenu, oui Camenko a essayé de me le dire et non, je n'ai pas voulu écouter. Pas entièrement en tout cas. J'ai voulu croire que Mirko était en cause mais que mon père nous aimait assez ma sœur et moi pour ne pas nous écarter de sa vie. Écarter étant un putain d'euphémisme. Bref si c'est dans la tête ça n'existe pas et ça finira bien par passer, à coup de cachetons si pas autrement.

Je prends donc sur moi pour me glisser dans la baignoire avant que l'eau ne l'envahisse. Je la mets justement assez chaude pour ne pas faire d'amalgame. Nina dans mes bras, ça a l'air d'aller. Je me concentre sur sa peau contre la mienne, l'enfermant en croisant mes mains sur son ventre, et mon nez fourrageant dans ses cheveux. "j'ai rêvé de ça tout le temps...je pensais que tu m'en voulais trop." Ça je peux bien l'avouer, ce n'est pas une faiblesse que d'aimer Nina, ni d'être mal parce qu'elle me manque. Elle déplace mes mains sur ses seins et je souris, c'est doux et chaud, bon. Ça fait tellement longtemps. "Tu imagines on va avoir un lit qui sera autre chose qu'un lit d'hôpital...Je te préviens qu'on retourne se coucher après le bain...toute la matinée...et ce midi, si t'es sage, je te ferais goûter mon reste de gratin de pâtes que j'ai préparé hier. Ouai, je cuisine maintenant..." Je parle en partie pour couvrir le bruit de l'eau, en partie parce que j'ai envie de renouer avec elle autrement que par le sexe - oui ça aussi, mais pas que !

Moi aussi, je pensais que je t'en voulais trop... Je ne suis pas encore parvenue à démêler mes pensées, les émotions contradictoires qui se bousculent en moi. Il se passe trop de choses en même temps, et pour être tout à fait honnête je ne pensais pas qu'il était possible de se prendre autant de vagues successives d'emmerdes dans la gueule en si peu de temps. Je ne sais pas comment gérer ça, je ne sais pas encaisser. C'est d'autant plus difficile que je n'ai pas pu me reposer sur Slavenko dans ces moments là. Récemment parce qu'il était la cause de mes maux, mais même avant ça parce qu'il n'a pas su être là pour moi. Ç'a commencé avant même la fusillade et je crois que même moi j'avais sous-estimé l'influence néfaste que son père et son oncle pourraient avoir sur nos vies. J'essaie de mettre à distance mes émotions mais je ne fais que les refouler et je suis certaine que toute la tension, toute la douleur accumulée est en partie responsable des contractions qui ne se calment pas. Ce qui me pétrifie le plus c'est la peur de perdre Tomas, et je me focalise trop là dessus pour penser au reste. Dans d'autres circonstances je serais sans doute partie, ç'aurait été la goutte de trop je crois mais là je ne supporte pas d'être loin de lui. Mais j'ai pensé à toi chaque seconde... Je ne me suis jamais sentie aussi seule que ces dernières semaines... Je crois, malheureusement, que la réciproque est vraie aussi.

Je penche la tête sur le côté, ma joue sur son épaule, sa peau réchauffant la mienne peu à peu. T'en fais pas pour ça, on va avoir plusieurs jours pour en profiter de ce lit... Je ne sais pas combien de temps mais je me dis que ça n'a pas d'importance puisqu'au moins nous sommes ensemble. Je souris, tourne la tête pour embrasser l'angle de sa mâchoire. Ça ne me surprend pas, tu t'es toujours occupé des repas... Avec des plats tout prêts du supermarché ou du traiteur le plus souvent mais quand même, c'est lui qui s'est toujours assuré que je ne meurs pas de faim. Je t'ai apporté à manger, tu sais...? Après qu'on se soit disputés. Tous les jours. Je ne sais pas si l'infirmière lui a dit que les plats venaient de moi, je ne lui ai pas demandé de le faire. Je frotte doucement mes lèvres à sa peau, humant son odeur, sa barbe râpeuse rougissant mon visage. J'ai pas vu la chambre... Il est comment le lit ?

Après notre dernière conversation par échange de messages, je n'étais pas certain qu'elle  veuille me voir ni même me parler à nouveau. Je suis surtout soulagé qu'elle se soit échappé de chez mon père, enfin de chez sa femme ce qui revient au même. Une autre prison. Plus luxueuse. Mais au moins ici nous sommes  ensemble et j'aime toujours Nina. "tu m'as manqué" Quant à me sentir seul, c'est une évidence qui ne vaut pas la peine d'être exprimé à voix haute. En même temps, je suis seul, enfin je l'étais, confiné ici avec quelques visites réglementées. Même en taule j'avais des co-détenus ! Mais surtout j'ai perdu ma famille - celle des Tigrovi - et j'ai cru avoir perdu aussi Nina et le bébé. C'était ...beaucoup trop.

"C'est un lit deux personnes, c'est bien non ? Un vrai lit, sans barreau. Il est confortable." Je suis arrivé hier, j'ai pu tester. On y sera très bien tous les deux. "ça m'occupe de cuisiner..." Je hoche la tête les infirmières pu médecin me l'ont dit. L'eau monte, peu à peu et ça me met mal à l'aise. Je tente de me concentrer sur la conversation mais mon cœur bat plus sourdement, je l'entends dans mes temps. "je sais...elles me l'ont dit. Merci pour ça." Je ferme les yeux mais même la sensation de la peau de Nina contre moi ne parvient pas en enrayer le bruit de l'eau, la sensation de couler quand l'eau monte au dessus de mes flancs, m'absorbant. Bientôt j'aurais la bouche sous l'eau et je boirais la tasse. Je craque "Faut que...faut qu'je sorte de l'eau..." Les mains accrochées au bord de la baignoire, je suffoque et essaye de me lever, ce qui est impossible avec Nina sur moi

Je serre ses mains dans les miennes. Toi aussi tu m'as manqué... J'aurais fait les choses différemment si la grossesse ne se passait pas si mal, mais j'ai cette fois été obligée de me rendre plusieurs fois à l'hôpital et surtout j'ai été forcée au repos. C'est déjà miraculeux que je sois ici, les médecins m'ont proposé de rester à la clinique jusqu'à la fin de la grossesse mais très franchement je ne vois pas ce que ça aurait changé... Ils ne peuvent rien faire de plus pour ralentir le processus, j'aurais seulement été sur place en cas de problème, mais dans tous les cas nous ne sommes pas très loin, il ne me faudra pas longtemps pour me rendre à l'hôpital si les choses s'accélèrent. Je répète ce que je lui ai déjà dit tout à l'heure, pour panser nos plaies. Mais on reste ensemble maintenant... De gré ou de force, j'en ai bien conscience, je crois que si on tente à nouveau de sortir d'ici, Camenko nous fera exécuter tous les deux pour être débarrassé de nos conneries !

Tant que ça me permet de dormir avec toi c'est forcément bien. J'avais un grand lit deux places chez Jelenko mais j'y étais seule et pour être franche cette baraque me terrifiait. J'aurais préféré un lit d'hôpital à ce compte là. Sa voix se délite, je le sens de moins en moins concentré sur ce qu'il dit, les pauses entre les mots se font plus longues et je fronce les sourcils parce qu'il se raidit contre moi. Il bouge en balbutiant et à l'angoisse que je perçois dans sa voix, tout se met enfin en place dans mon esprit. C'est évident en fait, il a failli se noyer bordel mais pourquoi je n'y ai pas pensé avant ?! Je m'accroche au rebord de la baignoire pour me lever, ce qui n'est pas une mince affaire avec mon ventre je vous assure, et j'enjambe la baignoire pour sortir de l'eau et lui permettre de faire de même.

Il est livide et mon cœur se fend à le voir ainsi. J'attrape la première serviette qui me tombe sous la main et je l'en enveloppe en me serrant contre lui. Comme je ne l'ai jamais vu faire de crise d'angoisse auparavant, je me base sur ce que je connais des miennes et je l'entraîne maladroitement vers la chambre avant que la crise ne le paralyse. Il se laisse tomber sur le matelas et je m'accroupis entre ses jambes, les mains posées sur ses cuisses, le regard levé vers lui, anxieux. Regarde-moi mon ange, je suis là, respire avec moi. Tous ceux qui sont sujets à ces troubles ont du apprendre un jour les mêmes techniques ridicules de respiration, ce qui importe c'est d'abord de calmer le rythme cardiaque qui s'est affolé. Je pose une main sur son torse pour suivre le sien. Tout va bien Slavenko, je suis désolée pour le bain, c'était trop tôt, ça va maintenant, tu ne risques rien.

Je fuis de la baignoire comme si j'avais dix mille Tigrovi aux trousses et seule Nina m'empêche d'aller me prostrer dans un coin. Je crispe les mâchoires pour empêcher mes dents de claquer alors même que je n'ai pas froid, l'eau était si chaude qu'elle a rougi ma peau. Ravalant ma honte, je me laisse faire, me retrouvant dans la chambre à respirer comme Nina me le dit. La rouquine m'a donné des exercices de respirations que je tâche d'appliquer. Je ne peux rien faire d'autres. Je n'ai rien ici, pas de cigarettes, pas d'alcool, quelques cachets dont je ne peux pas abuser sous peine d'avoir des nausées, rien pour régler les problèmes ou au moins les enterrer. Dès que je fais une crise d'angoisse j'étouffe dans ce minuscule appartement qui fait office de cercueil, même si celui-ci est un peu plus grand que l'autre.

Il me faut un moment à respirer, ne rien faire d'autre que respirer pour faire passer la sensation de noyade, la sensation de mourir. Quand mon cœur retrouve un rythme normal, que la peur reflue, revient ce sentiment de faiblesse honteuse. Je caresse le dos de Nina, qui me regarde avec inquiétude. "ça va... c'est passé." Je n'avais pas pris de bain depuis. L'autre appartement n'avait qu'une douche et hier je n'ai vraiment pas eu envie de tester ! La douche m'a déjà parfois aussi déclencher des crises si je ne procède pas lentement par étape, et même parfois dans des cas extrêmes le bruit de la chasse d'eau même si ça commence à aller mieux. Quand je suis seul, les crises peuvent durer dans un cercle vicieux. La présence de Nina me force à sortir de ma terreur irrationnelle. "Je suis désolé, je ne voulais pas t'inquiéter, c'est passé..."

Je me redresse avant de pivoter pour m'allonger sur le lit, dos appuyé au mur. J'esquisse un sourire qui se veut rassurant et qui n'est que pâle. "Tu peux aller prendre ton bain tu sais...l'eau doit encore être chaude et ce serait bête de le laisser perdre. Je vais rester sagement ici."

Je ne le lâche pas tandis qu'il respire, essayant de le pousser à se caler sur ma respiration. Je compte avec lui, jusqu'à dix, dans un sens puis dans l'autre. C'est étrange parce que c'est la première fois que je fais cet exercice avec quelqu'un d'autre, on m'a toujours demandé de le faire quand j'étais en cure de désintox et ou bien quand j'étais chez le psy. Je suis bien placée pour savoir que ça ne suffit pas toujours à calmer les crises les plus sévères, mais je fais de mon mieux pour lui montrer qu'au moins il n'est pas seul. C'est ça le plus difficile dans ces moments-là, l'impression d'être seul au monde et que personne ne peut comprendre ce que l'on vit, le manque d'empathie de ceux qui n'ont jamais connu ça aussi. Je ne suis pas surprise qu'il s'excuse, c'est dans sa nature en revanche j'en suis déçue et je secoue la tête. « Je t'assure que ça va, je suis là pour m'inquiéter pour toi, et tu as accepté que je le fasse, deux fois, tu te souviens ? Ca doit être écrit quelque part dans mes vœux de mariage... » Mon sourire se veut, en revanche, réellement rassurant, et je secoue la tête quand il me renvoie vers la salle de bain. Je ne fuirais pas cette fois. 

« Moi aussi, je vais rester sagement ici. » Je viens m'allonger à côté de lui, sur le flanc tournée vers lui, les draps sèchent ma peau mouillée puisque je n'ai pas pris le temps de le faire avec une serviette en sortant de l'eau. « Tu veux bien me laisser m'occuper de toi, juste une fois dans ta vie, mh ? » Je soupire et m'approche autant que je peux, pour poser simplement mon front sur son épaule, en un geste câlin qui lui laisse malgré tout la place de respirer. « C'est normal que tu fasses des crises, Slavenko, c'est terrible ce qu'il s'est passé et il y a des tas de gens qui seraient devenus complètement cinglés. » J'embrasse sa peau du bout des lèvres. « Je suis fière de toi, tu sais...? Je suis impressionnée de la façon dont tu gères tout ça, vraiment... J'aurais pas été capable d'en faire autant... Je sais que c'est dur, mais ça va passer, quand on est dedans c'est difficile à croire mais tout finit par passer... » Je le sais, sur mes derniers mois à NY je ne faisais plus du tout de crises d'angoisse, pourtant quand il est parti, j'étais persuadée de ne jamais m'en sortir. Les cauchemars restent, eux, mais on apprend à vivre avec. Et parfois, si on a de la chance, on rencontre une personne qui veille sur nos nuits et nous aide à les chasser.