Tié en vacances avec tes copaings ? / Malic

J'en avais discuté avec Zarko au bar, le service subissait une mini révolution. L'agitation est d'ailleurs palpable aujourd'hui et j'ai l'impression que les gens ne font que défiler dans le bureau de la cheffe de mœurs, Danica. Ces derniers temps, la Police de Sarajevo a noté une recrudescence de prostitués très jeunes en provenance de pays étrangers. Je ne trouve pas ça étonnant avec le résultat des dernières élections, non plus avec la politique internationale qui consiste à bloquer la frontière entre la Croatie et la Bosnie, pour éviter la fuite des réfugiés en provenance du moyen orient et autres.. Ces femmes entassées dans des camps se font recruter ou simplement se trouvent un revenu simplement pour manger, vivre. Le prix des passes dans les quartiers les plus sordides de la ville baisse de jour en jour avec la concurrence acharnée de filles shootées et décharnées. Je trouve ça triste.

Actuellement, je ne fais que des patrouilles de routine et de la paperasse. Mon équipier s'est fait salement tirer dessus alors que nous intervenions pour une scène de ménage musclée, et il sera de longs mois absents. De vous à vois, je ne suis pas persuadé qu'il pourra revenir. Donc en attendant, je forme des bleus et je me coltine l'administratif en vrai petite secrétaire. Mais je sais que ça ne peut pas durer d'ailleurs je ne le veux pas, je m'ennuie. Seulement...les mœurs ! Je préfèrerais être détaché aux douanes. Bien sur être convoqué ce matin chez Vaterlili me dit que je n'ai pas trop le choix. Je rentre dans le bureau de la redoutée cheffe de service. Je reste un instant debout sans trop savoir quoi faire avant qu'elle ne m'indique la chaise sur laquelle je me pose sagement. Je décline poliment le café en pensant que Boris génère toujours des contretemps. "Non merci, Madame."

Mon coéquipier n’avait pas eu un accident, il s’était fait tirer dessus par un mari ivre. Mais par ici on appelait ça des accidents. Ça évitait de payer des surprimes de risques ou de blessé pendant son service. Alors je ne dis rien, hochant simplement la tête et la laissant parler. Je savais déjà à quoi m’attendre en entrant dans le bureau. En fait, ça fait des semaines que je me doute à voir l’agitation du service ce qu’on me réserve. J’en ai même parlé à Zarko au bar il y a quelques jours. C’est une femme, c’est certain. Mon éducation fait que je suis un peu mal à l’aise même si je me targue d’être ouvert d’esprit. J’ai pu constater que c’était plus difficile qu’on ne croit d’aller contre son éducation mais je m’y emploie vaillamment tous les jours.

Du coup, je ne sais pas trop où poser mon regard pendant qu’elle me parle. Je revois Zarko me parler des atouts de Vaterlili et je tâche de ne pas rougir alors que je me décide à fixer un bibelot sur le bureau du Capitaine « Non, pas vraiment. Ca fait un an et demi que je suis dans le service, mais aux patrouilles de détresse, surtout nocturne. » Nocturne parce que je suis célibataire considéré sans enfant parce que c’est ma femme qui en a la garde quasi exclusive « Avant j’étais en poste à Srebrenica et là on faisait un peu de tout, il n’y a pas de service dédié aux mœurs là-bas. » A tout dire, les mœurs, on n’en parle pas trop dans mon ancienne ville où il n'y a que des musulmans bosniaques. Tant que c’est caché…ça convient à l’Imam. Peut-être que ça va changer à cause de la vague d’immigration clandestine et des réfugiés bloqués un peu partout dans le pays.

A la mention de corruption, je pense que je pâlis un peu. Comme j'étais rouge, j'imagine que ça rétablit l'équilibre. La corruption gangrène en effet les services de Police, et moi-même...je ne suis pas blanc comme neige. Je ne suis pas un des pires, mais je ne suis pas propre non plus. Quelques services rendus entachent ma conscience. des appels supplémentaires ou des visites qui n'avaient pas lieu d'être pour accorder des témoignage, une ou deux sorties de dossiers... ça a commencé par des menaces à ma fille suivi de petits pots de vins et une fois le doigt dans l'engrenage, le chantage que tout soit révélé vous dissuade de parler ou de cesser.

Est-ce que changer de service me permettrait de ne plus subir de pression de la part des gens qui me font chanter ? je ne suis pas sur, les mœurs s'imbriquent un peu partout. connaissant la réputation de Vaterlili, je risque très gros si je continue ça sous ses ordres. Bien plus que mon emploi. Pourtant j'aime mon travail, j'aime être flic, être utile, c'est juste un mauvais concours de circonstance. Je relève la tête pour observer cette femme dont on dit qu'elle a plus de couilles qu'un homme, selon mes collègues. "C'est que...je ne suis pas sur d'avoir la carrure et puis..." l'envie me démange de me confier à elle, de me défaire de ce poids qui me pèse, c'est très étrange.

Un peu déboussolé par sa façon de mener la conversation, je me risque à lui demander "parfait dans quel rôle ?" Je me demande ce qu'elle veut dire par là mais il est possible que ce soit simplement celui d'un flic des mœurs. Sont-ils si différents ? En l'état actuel des choses, non, mais voilà que Vaterlili débarque avec ses méthodes et son féminisme si je puis dire. Il faut forcément l'être pour faire ce boulot avec son physique.

Ses sourires me mettent plus mal à l'aise qu'autre chose, mais je résiste vaillamment aux rougissements intempestifs dont la nature m'a affligé. Sa question, pourtant très simple me déstabilise. "Par naïveté ?" Je me décide à la franchise, de toute façon, je mens très mal, parce qu'on m'a inculqué que c'était très vilain de mentir. "Je suis né à Srebrenica, vous savez...le massacre. Ma famille comme d'autre a été touchée. Je crois que ça m'est venu de là. Faire la différence, oui, aider les gens. C'était flic ou militaire, mais je n'ai jamais pensé que les militaires faisaient une bonne différence. Mais vous pensez qu'on fait réellement une différence ? La police est tellement corrompue. Quand ce n'est pas l'argent, ce sont nos familles qui sont menacées." Je pense être assez clair pour qu'elle lise entre les lignes. J'aimerais trouver une solution à mes ennuis, je n'ai jamais voulu en arriver là, fermer les yeux sur des petits arrangements, j'aie être flic, et mes idéaux piétinés me font mal, mais il est certain que je ne m'en sortirais pas sans aide. Et peut-être que cette femme peut m'aider si je l'aide en retour.

"C'est très louable de votre part." Je suis surpris de retrouver la flamme chez elle, celle qui m'a fait m'engager dans la police. On ne la retrouve plus guère ici sauf chez certains bleus fraichement sortis de l'école, ce qui n'est pas son cas. J'ai longtemps été naïf mais depuis mon divorce - ou pour être plus exact, depuis que ma mère a eu son avc, je le suis beaucoup moins. Et puis Sarajevo est très différente de ma ville d'origine.

"Je suis divorcé - ça fait un peu plus d'un an, juste avant que je demande ma mutation à Sarajevo - et j'ai une fille. Je suppose que c'est dans mon dossier. Elle vit avec sa mère mais elle vient pendant les vacances ou lors de longs weekend. Elle a bientôt dix-sept ans..." et clairement Mirjana est mon point faible, je ferais tout pour ma fille alors ça commence par des menaces qui vous font beaucoup réfléchir surtout que le premier service demandé est minime et c'est comme ça que l'engrenage se met doucement en place. "Les menaces sont courantes dans un service comme le notre. La moitié des avocats sont à la solde des maffieux de la ville. Ils sont plus chez eux dans le commissariat que nous autres, les policiers. J'aimerais savoir comment vous comptez vous y prendre pour préserver votre service." Je suis curieux. Mon intérêt s'est éveillé, mon sens de flic longtemps endormi aussi, je crois que finalement j'aimerais bien travailler pour elle. Elle est intelligente, directe mais aussi subtile, ça me plaît