En cas de débordement, qui gagnera entre la police et la police ? [Danica]

Il y a tellement longtemps qu'il n'est pas venu ici. Depuis plus d'un an s'il se souvient bien.
Quand il s'est réveillé à l'hôpital, au début, la police est venue pour l'interroger. Le traumatisme et l'amnésie ont évidemment rendu les questions absolument inutiles et ça c'est avéré rapidement fastidieux, frustrant et totalement ridicule car ils avaient eu, ces chers policiers, l'idée farfelue d'insister.
Enfin juste pour la surface. Parce que personne n'a réellement cherché son identité, ses papiers, ni quoi que ce soit. Il a même un titre de séjour provisoire parce que personne ne sait quoi faire de lui en vrai.
Quand il a pu sortir de l'hôpital et du centre de rééducation, il est venu ici tous les jours au début. Puis une fois par semaine. Puis il a appelé une fois par semaine. Et par mois. Puis il a abandonné. Comme la thérapie, comme la kiné, comme beaucoup de choses. Il a trouvé ça trop frustrant et ça le faisait entrer dans des colères noires.

Aujourd'hui, c'est différent. Aujourd'hui il a peut-être quelque chose. Lui. Voilà. Il apporte une info.
Il pousse la porte du commissariat et ça n'a pas changé. Le même grincement, la même personne à l'accueil, le même carrelage dégueu et la peinture qui s'écaille. Ah ça fait froid dans le dos et Clint se demande ce que ça peut être les prisons locales ? Abominable probablement. C'est bien qu'il file droit ici parce qu'il n'a pas très envie de tenter la vie derrière les barreaux.
Il se présente donc à la nana de l'accueil, qui ne sourit jamais parce qu'en vrai, elle n'a plus beaucoup de dents. Elle le reconnaît immédiatement.

"Monsieur Westwood ! Bah ça alors."

Elle le baratine dix bonnes minutes avant d'enfin demander ce qui l'amène.

Je voudrais voir un inspecteur. Je sais que le dossier est clos alors n'importe qui qui voudra bien me recevoir.

Danica avait un travail monstrueux avec cette histoire de refonte de service, et devait se débrouiller avec pas mal de ses collègues qui ne voyaient pas d'un bon œil, soit de bosser pour elle, soit de se faire piquer des hommes par un service de bonne femme.
Comme si les Moeurs étaient faciles. Pour le moment, Danica n'était pas tombée sur un mec vraiment content de bosser avec elle, ce qui était étrange trouvait-elle puisque les Moeurs étaient normalement un service couru ; enfin peut-être pas avec la perspective d'une cheffe intransigeante sur les pots-de-vin...
Assise derrière son bureau, les chevilles croisées sous sa chaise, elle soupira en ramenant une mèche de cheveux en arrière.

« Dani, il y a un mec qui demande un inspecteur, n'importe lequel. »

Elle jeta un regard noir au porteur de message.

« Et tout le monde s'est dit que je n'avais que ça à faire ? ... »

Il haussa des épaules, ça n'était pas lui qui avait décidé de lui refiler la patate chaude. Elle se leva, arrangea sa tenue pour n'avoir pas l'air d'avoir dormi au bureau – presque – et sortit pour trouver « le mec » en question.
La secrétaire de l'accueil lui adressa des signes de main d'une discrétion toute relative.

« Bonjour, je suis Danica Vaterlili. »

Elle lui tendit une main ferme.

Wyatt s'est assis, levé, assis, levé. Il ne s'est pas passé beaucoup de temps, enfin il lui semble, à lui, que ça faisait une éternité, mais en vrai, non, pas du tout. Il a tenté de prendre un magazine, a galéré pour lire le titre cinq fois avant de comprendre.

Il joue gros sur la question, il le sait parfaitement. La police va devoir fouiller un peu plus et elle pourrait trouver sa vraie identité. Mais d'une, il ignore si ici on extrade et espère bien que non. De deux, il veut absolument obtenir justice. C'est comme ça. Mais promis, il ne balancera jamais Legence.

Clint rend à l'inspectrice sa poignée de main. Il est doublement impressionné. D'une c'est une femme. Et il voit déjà le sexisme ambiant à la fac, alors chez les flics...
Et de deux, elle ne baisse pas les yeux alors qu'elle lui broie presque la main. Il sourit.

Bonjour Inspectrice.
Merci de me recevoir. J'ai conscience que votre temps est précieux comme on dit.

Il attend qu'elle lui donne la permission de commencer. Peut-être qu'elle voudra qu'il prenne rendez-vous ou bien qu'il voit un collègue.

Voilà... je sais que l'enquête me concernant est fermée depuis longtemps mais... Il y a deux ans, j'ai été violemment attaqué. On m'a retrouvé insconscient sur les berges, avec de multiples contusions et lésions. Et surtout un traumatisme cranien qui a causé une amnésie lourde. Je n'ai aucun souvenir d'avant mon réveil à l'hôpital.
Toutefois... Il semblerait que... Enfin j'ai tout lieu de soupçonner les raisons de mon agression.

Vous avez déjà joué à la roulette russe ? Parce que Clint a totalement cette impression, à ce moment-là.

Elle apprécia directement le fait qu'il dise « inspectrice » – oui certains ne le faisaient pas – mais elle était flic depuis suffisamment longtemps pour ne pas afficher ses sentiments avec un sourire. Elle hocha de la tête tout à fait professionnellement, et lui indiqua de la suivre dans le dédale des bureaux du commissariat.
Un éclat de rire retentit quelque part, assourdi ensuite par la porte du bureau qu'elle refermait derrière eux.

« Je vous en prie installez-vous. »

Elle prit place sur sa chaise de bureau, considérant avec sérieux son vis-à-vis, dont le visage lui était inconnu ; sans doute pas un très grand proxénète ou un propriétaire important d'établissement interlope à Sarajevo, donc pas vraiment son domaine.
Danica arqua un sourcil :

« Je vois. »

Elle fouilla le temps de trouver un calepin sur lequel elle inscrivit rapidement quelques informations.

« Est-ce que vous pouvez me donner votre nom, votre date de naissance et votre adresse s'il vous plaît ? … Quel motif, dites-moi ? »

En signe d'intérêt, elle releva son regard sombre vers lui.

Clint obéit et s'installe. Il lisse un pli de jean totalement inexistant.

Je m'appelle Clint Westwood.

Il s'agite, nerveux. C'est là que le risque s'agrandit. Il choisit de taire une partie des infos qu'il avait. Oh, si elle ouvre le dossier, elle saura pour l'histoire de faux passeport. Mais il n'est pas là pour ça. Il est venu pour obtenir justice.
Aussi il sort sa carte de séjour. Comme le passeport n'est pas valable, ils ont fait comme pour tous les inconnus.

Je suis né le 1er Janvier 1982 dans un lieu inconnu.

Et le motif lui extirpe un bafouillage totalement inintelligible et perturbé où un début de suée perle sur son visage. Il rajuste sa position sur la chaise, comme si ça allait changer quelque chose à son histoire. Mais pas du tout.

Il s'agit d'un crime...homophobe.

Danica nota les renseignements en se disant que la date faisait totalement « personne trouvée », ce qui était le cas d'après ce qu'elle comprenait de l'affaire. Malheureusement le logiciel de la police ramait incroyablement sur son ordinateur, ce pourquoi elle préférait tout noter et faire ensuite ses recherches, ça prenait nettement moins de temps – et elle passait moins pour une conne envers son interlocuteur...

Interlocuteur dont la voix venait de baisser drastiquement à tel point qu'elle releva les yeux avec une lueur interrogative au fond.
Elle haussa les sourcils, eut un mouvement de tête qui soulignait son incompréhension – Danica avait un langage corporel particulièrement clair.

« Excusez-moi je n'ai pas bien compris... Vous disiez connaître le motif ? Vous vous êtes rappelé de quelque chose ? »

Bon. Apparemment il l'a dit doucement, mais... un poil trop doucement. C'est qu'il n'a pas envie de le gueuler sur les toits, pas près à assumer son passé. Si, si, son passé. C'est révolu cette période-là. Il a une gentille fiancée qui s'accomode de la situation, de ses silences, de son manque d'entrain dans certains... Hum. Devoirs de couple. Et qui apprécie au finale la totale liberté qu'il lui offre.

Il se racle la gorge. Avec un élan de courage qui ne faibl... Ah bah si, qui s'effondre complètement, ce qui allait être dit avec un soupçon de fermeté se transforme en bégaiement encore moins compréhensible.

Finalement, il y arrive. Oui ! Il peut le faire. Il VA le faire.

C'est... de... homo... homosexuel...

OUI ! C'est fait. C'est dit. Une rougeur se diffuse sur les joues de Clint à vitesse grand V et son regard se charge d'une panique liée à un traumatisme encore non identifié.

Je ne me souviens de rien.

Il secoue vigoureusement la tête, avec horreur.

Non non mais... j'ai retrouvé un... un ancien. Ami ?

Ami est prononcé trois octaves trop aigus ce qui semble achever Clint qui s'effondre, la tête entre ses mains qui, heureusement, amortissent le choc sur le bureau.

Faut pas le dire hein. Promis ?