Explications polies. Pv : Maggy TERMINÉ

Explications polies. 05.10
Maggy & Matvei


18h49, je suis légèrement en avance mais s'il y a des rendez-vous qui imposent la ponctualité, c'est bien ce genre là.

J'attrape le paquet de cigarettes posé contre le levier de vitesse juste avant de quitter l'habitacle du véhicule, puis de le verrouiller. Je glisse l'étui dans la poche arrière de mon jean et la clé dans mon blouson. Une inspiration solennelle, un coup d’œil dans mon dos - on ne sait jamais - je m'avance près de l'établissement où j'ai prévu de rencontrer la cheffe.

La raison de cette rencontre n'est pas cordiale, pas uniquement. On s'entend bien mais il s'agit d'une entrevue professionnelle avant tout. En effet, un connard client a maltraité une de mes filles. Sous ma supervision, les quelques gars que j'engage lui ont réglé son compte. Je ne pouvais pas faire autrement néanmoins la Bratva n'aime pas avoir à gérer les décès imprévus... Logique. C'est toujours un bordel de paperasse à éviter ou, au pire, à faire disparaître. Le type de contrariété dont une organisation mafieuse n'a pas besoin.

Il s'agit donc de relater les faits à Maggy afin de lui certifier que la sanction était proportionnée. Méritée. Et que j'ai pris toutes les précautions nécessaires pour éviter que la justice, les privés ou même un malheureux curieux puisse remonter jusqu'à nous.
Je compte sur l'humanité de la première dame et notre bonne entente habituelle pour tourner la page.

Au moment où j'ouvre la porte du bar, je me demande si la jeune femme n'a pas autre chose à me dire. Après tout, nous aurions pu avoir cette conversation par téléphone. Je calme mes intuitions pessimistes et retrouve le calme apparent qui décore toujours mon visage.
J’esquisse le fameux sourire un brin taquin, décontracté mais poli lorsque je croise son regard.

" Madame Bukovski, comment allez vous très chère? "

Effet courtois pompeux, j'attends d'être invité à prendre place avant de m'installer. L'épais blouson sur mon dos s'étire péniblement au relâchement de mes larges épaules, je le garde cependant, je ne suis jamais très à l'aise dans un lieu public : ça peut toujours vite dérapé.

" J'ose espérer que le regrettable incident ne vous a pas trop contrariés. "

Dis-je avec une réelle considération en évoquant le couple qu'elle forme avec Vadim, je déteste les décevoir.

Droit au but, elle me tend la perche des aveux et je commence par acquiescer vivement. Confirmer sans laisser planer le moindre doute d'hésitation, de mensonge, d'inquiétude. Je sais ce qu'ont fait mes hommes car j'ai pris les décisions : elles étaient bonnes.
La violence est mon amie mais, paradoxalement, je déteste qu'on l'impose à la gente féminine. Surtout à mes filles. Elles sont ma source de revenus direct. Elles dépendent de moi. Elles me détestent infiniment mais je suis garant de leur sécurité, et  c'est un détail que je ne prends pas à la légère. La pauvre petite est dans un sale état physique et psychologique. J'ai bien peur que ce client fautif l'ait rendue inutile désormais.

A la deuxième question de la Bukovski je jette un regard à son verre avant de faire signe au serveur pour qu'il me serve la même chose.

" J'aurai aimé pouvoir empêcher cette histoire, pas pour celui qui se trouve sous-terre mais bien pour la demoiselle. J'ai voulu la faire hospitaliser mais vous savez ce que c'est... "

Eh oui, ces miss n'ont pas de papiers et je n'ai pas pris le risque de me faire prendre. Je tiens à mes pions mais pas au point de perdre la face. J'ai donc fait travailler quelques médecins du marché noir avant d'observer les options envisageables. Il s'avère que la demoiselle est connue des services de police. Pour sa sécurité, je leur ai livrée.
Elle est désormais entre quatre murs, pas certain qu'elle puisse remarcher un jour de toute façon ;

J'attrape le verre de whisky que l'on me sert avant de replonger mes yeux dans ceux de Maggy, pour reprendre du début :

" Elle a eu le temps de m'appeler après avoir reçu les premiers coups. Je fais en sorte d'être toujours disponible mais ce genre de soucis n'arrive - heureusement - pas toutes les nuits. Le temps que j'envoie quelques hommes, puis de me rendre sur place, il l'avait quasiment tuée. "

J'avale une gorgée après avoir levé mon verre en direction de la cheffe, puis je hausse les épaules.

" Je me suis renseigné aussitôt : le type était assez propre sur lui. Sans vraie histoire, à part une dépendance croissante pour quelques substances. "

Nous n'avons tué personne d'important, on ne devrait pas avoir de problèmes. Autrement, j'assumerai ma part de responsabilité.

De sa voix claire et assurée, Maggie confirme savoir l'essentiel de l'incident. Par cet acquiescement sûr, elle souligne être au courant des moindres affaires liées à la Bratva mais assoit un peu plus son efficace suprématie, comme pour me rappeler qu'elle gère parfaitement.
Je n'en doutais pas.

Son attitude distante et professionnelle ramène presque cette histoire qui m'a pris plusieurs jours de gestion à une simple broutille. Je me contente de hocher la tête en retour, portant le verre à mes lèvres tandis qu'elle insiste sur le message à faire passer.
Je partage amplement son avis en ce qui concerne les filles de la Bratva.

" Ce doit être limpide désormais. "

Effectivement, pour n'importe quel abruti un minimum impliqué de près ou de loin dans nos affaires, un client s'est fait descendre pour avoir levé la main sur une de mes filles. Ça calmera obligatoirement les plus sanguins.

Alors que l'alcool brûle agréablement ma gorge, je replace une attention particulière sur la première dame, sentant venir la véritable raison de cette entrevue. J'imagine qu'elle a mille choses à faire, la Bukovski. Si elle a pris sur son précieux temps, c'est qu'une épine volumineuse dérange notre cause.
Elle enchaîne donc :

J'imagine que vous avez eu vent des événements récents au sein des Tigrovi...?

Oui, malheureusement. Les traits de mon visage perdent un peu de leur malice tandis que mes pensées s'assombrissent. Ces évènements sont plus tragiques et sérieux que mes petites broutilles internes.
Mon regard se détache du sien le temps d'un aller-retour à mon verre, puis lui revient.

" ... Bien sûr, même si je me méfie de ce que les vents murmurent. Que savons-nous ?  "

Parce qu'elle possède sans nulle doute des éléments qui ne me sont pas encore  parvenus. Je suis plutôt du genre à croire que ce que je vois, à défaut, ce que me relatent mes dirigeants. La parole des Bukovski vaut à mes yeux mieux que tous les ragots trimballés à travers l'organisation. Et puisque Maggy lance le sujet, je lui laisse la main pour m'en dire ce qu'elle estime nécessaire.

Voilà, c'est officiel, ils ont bien été assassinés.

Je sens mon visage acquiescer lentement pendant que l'information s'enregistre dans ma tête. Ils étaient bien entendu le genre de types exposés au meurtre, n'importe lequel d'entre nous, au sein des mafias, s'attend a une mort sanglante et vengeresse. Peu de criminels atteignent la mort par vieillesse. Pour autant on a tendance à considérer ces pointures comme intouchables... Leur disparition va incontestablement changer les choses ;

Un bref instant, le tableau de mes pensées s'assombrit et j'imagine mes leaders disparus. Le couple à la tête de la Bratva m'est essentiel parce que ce sont mes supérieurs directs. Mais c'est plus subtil qu'une simple relation hiérarchique. Ils ont tout mon respect, mon dévouement. La Bratva est ma famille désormais, ils sont les ordres et les avis qui me guident.

En croisant le regard de la belle je chasse cette horrible idée et me racle la gorge en éloignant le whisky plus loin sur la table.

" Je serai à vos côtés bien entendu. Mais, sans vous manquer de respect, j'appréhende votre exposition. "

Je ne prends pas le risque de lui proposer de se faire représenter. Les Bukovski seront là, c'est une quasi certitude. Fiers, solides, ils assisteront aux funérailles sans craindre l'atteinte à leur sécurité, sans montrer la moindre inquiétude.
À défaut de leur proposer le retrait, je suggère :

" Permettez-moi d'ajouter à votre service quelques-uns de mes hommes. "

Je n'en aurai pas besoin. Je suis loin d'être assez important pour être visé et quand bien même : je prends le risque. Les deux types que j'ai prévu d'emmener seront plus utiles autour de Maggy et son mari qu'à mes côtés.

Je m'attends à ce qu'elle refuse, par principe, mais j'ignore s'ils ont actuellement assez d'effectifs pour assurer leur protection ainsi que le déplacement et la sécurité aux divers endroits stratégiques. Ma proposition l'intéresse peut être.

Finalement je ramène l'alcool à mes lèvres, en attendant que l'organisation de demain soit peaufinée.

Sans surprise, la première dame ne fait aucun sous-entendu sur les risques qu'elle prendra, sur une éventuelle appréhension. Elle n'a peut être même pas peur. C'est du moins ce que son professionnalisme et son sang-froid inspirent.
Je souris discrètement. J'aurai pu comprendre un léger signe de faiblesse. Mais constater - une fois encore - qu'elle n'en a pas, rien de visible du moins, ça renforce ma fierté de travailler pour elle.
Et son époux.

Vadim sera absent, je note l'information sans en tirer la moindre conclusion. Les responsabilités du boss sont telles qu'il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un déplacement soit compliqué.
Je hoche la tête pour confirmer que "les hommes supplémentaires" seront opérationnels pour assurer davantage la sécurité de la Bratva.

" Comptez sur moi. Ils seront là. "

Maggy évoque alors la possibilité de faire venir quelques filles. Je me frotte la barbe dans une moue réfléchie - bien que le choix ne m'appartienne pas vraiment. A bien y réfléchir, nous pouvons certainement faire du profit lors de cette soirée sans que cela paraisse déplacé ... Une compagnie charmante et disposée en guise de soutien aux Tigrovi : joindre l'utile à l'agréable.
J'aime l'idée.

" Très bien, je pense avoir ce qu'il faut. "

Dans l'ensemble, mes filles savent se tenir. Il n'y aura pas de difficulté à en rendre quelques unes disponibles. Ma position de proxénète me pousse davantage à me méfier des consommateurs que de la marchandise.
Je connais mes filles. Je ne connais jamais assez ceux qui s'en servent.

Songeant distraitement à la journée qui nous attend, je vide mon verre et énumère intérieurement les heureux élus. Les gars comme les miss. Dès que l'entrevue se termine, je mets les concernés sur le coup.

" Tout sera prêt dans les temps. Avez-vous besoin que je fasse autre chose ? "

Je ne prendrai pas congé sans y être invité et je préfère me montrer disponible pour le moindre service supplémentaire. La Bratva, ses membres, mes dirigeants : ils sont ma famille.