Souvenirs chauds, relation pro [Pv : Nina]

Une drôle de mélancolie m'envahit quand je passe les portes de l'aéroport. Il y a quelques jours seulement, j'ai à nouveau envisagé -sérieusement- la possibilité de reprendre l'avion, pour rentrer à New-York définitivement. Pourtant, je suis encore et toujours à Sarajevo, incapable une fois de plus de m'éloigner quand tout pourtant me criait de le faire. Je ne suis toujours pas certaine de la direction qu'est en train de prendre ma vie, et le fait que j'ai accepté de revoir Matvei à cet instant précis, alors que je suis encore pétrie de doutes, témoigne bien que je prends de drôles de décisions. 

J'ai laissé mon fils avec Lorena, et malgré le jean moulant que je porte, plus rien sur mon corps ne témoigne de la grossesse fraîchement achevée. Je n'ai pas grossi suffisamment durant les sept mois qu'elle a duré pour que mon corps en ait gardé des marques visibles lorsque je suis habillée et c'est, je dois l'admettre, un souci de moins.
 
J'aperçois Matvei, installé à la table d'un café, et un sourire éclaire mes traits. « C'est normal. Je vais bien, et toi ? » J'acquiesce à sa proposition, commandant un simple café avant de rejoindre la table à laquelle il était installé. Je lève les yeux vers lui, moi non plus je ne suis pas pressée d'aborder le sujet des affaires, nous avons bien des choses à rattraper avant ça. « Ca fait des mois qu'on ne s'est pas vus, qu'est-ce que j'ai loupé ? »

Mon regard se porte, comme il m’y invite, sur la barbe qui cache désormais sa mâchoire, autrefois nue. Je me souviens parfaitement m’être amusée de la façon dont sa peau, rugueuse, rougissait la mienne quand il glissait ses lèvres sur la naissance de ma poitrine. « Je vois ça, oui, ça te va très bien. Ca te donne l’air plus… Sérieux ? Mature ? » Je hausse les épaules, un mince sourire aux lèvres. La barbe blanche lui sied, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il est suffisamment âgé -navrée pour lui- pour n’avoir pas besoin de ça pour ne pas être pris pour un minot, cela dit je dois dire que ça tempère ses traits, du moins lorsqu’elle est bien taillée, comme c’est le cas aujourd’hui.

Je note, bien-sûr, qu’il reste évasif au possible sur l’état de sa vie, et je n’insiste pas pour l’instant. Si nous avons été intimes, c’était plutôt de corps que d’esprits, et les confessions sur l’oreiller n’ont jamais été son genre, pas plus que le mien d’ailleurs. Nous sommes sans doute trop pudiques tous les deux, ou bien peut-être avons-nous seulement trop de choses à cacher.

Cela dit, je n’ai pas l’intention de mentir à mon sujet, et il y a un événement bien trop important dans ma vie pour que je le garde secret. D’autant que je n’ai pas honte de mon fils, je ne veux pas me cacher d’être mère, pour entretenir le souvenir de celle que j’étais autrefois. Je dodeline de la tête, un peu gênée quant à la façon d’aborder le sujet, qui va lui sembler sorti de nulle part, j’en suis certaine. Pourtant je me lance, sans faire de détours, avec la franchise qui me caractérise. « Et bien j’ai eu un petit garçon, il y a… A peine un peu plus d’un mois maintenant. » Un sourire éclaire mes traits à la seule mention de Tomas, et je hausse les épaules, l’air de dire que je sais que ça doit lui sembler étrange. Pourtant, pour qui m’aurait connue à New-York, ça ne l’est pas tant que ça. « J’imagine que tu comprends mieux pourquoi j’ai été… absente ces derniers mois. » Je n’ai que peu donné de mes nouvelles, me contentant de prendre des siennes, de temps à autres.

Le Russe marque, trop longtemps sans doute, la surprise, peut-être une pointe de déception également, et je ne peux que le comprendre. Je lui laisse le temps d'assimiler la nouvelle, sans chercher à le brusquer, observe son regard qui coule sur mon corps, pour tenter d'y déceler des marques qui n'existent pas... Ou du moins ne sont pas visibles tant que je suis habillée. Je ne crois pas que sa réaction soit due au fait que nous ayons été amants, notre relation de ce point de vue-là est toujours restée purement charnelle et je doute qu'il ait des regrets. En revanche, je sais que la maternité brise l'image que bien des gens avaient de moi, notamment ceux avec lesquels j'ai pu travailler. La cambrioleuse insoumise, entêtée, l'ancienne putain, l'ancienne junkie... On l'imagine mal pouponner.

Je secoue doucement la tête, un sourire bienveillant aux lèvres lorsqu'il s'empare de ma main, pour la serrer dans la sienne. « C'est rien, j'imagine bien que ça doit te surprendre. » J'opine doucement, m'efforçant d'accepter le compliment à sa juste valeur, moi qui n'ait jamais su les entendre. « Merci, c'est gentil. » Mon ego a largement morflé durant les derniers mois, je crois que mon manque de confiance en moi ne pourrait pas être plus bas.

Je vois bien ce à quoi il pense en glissant, l'air de rien, cette question pas si innocente qu'il y paraît, et je pouffe en secouant la tête. « Il est à nos côtés, oui. Et pour ce qui est de prendre soin de nous... Je crois qu'il fait du mieux qu'il peut. » Ce qui est certain, c'est qu'il prend soin de son fils. Pour ce qui est de moi, et de mon mariage qui prend l'eau, c'est une autre histoire, mais je n'ai pas envie de m'épancher à ce sujet. 

En revanche, mon visage change, passe sur mes traits une ombre d'affolement, et je m'empresse à nouveau de secouer la tête pour le rassurer... Et me rassurer. « Non, certainement pas. Tu n'imagines pas à quel point j'ai besoin de reprendre du service. Vraiment. Explique-moi ce dont il s'agit... Je t'assure que je ne suis pas si rouillée que j'en ai l'air. »

J’imagine que mon empressement à vouloir à tout prix rester impliquée dans les plans de Matvei doit sembler suspect. Je crois que ceux qui n’ont pas d’enfants ne peuvent pas comprendre ce genre de choses, et les hommes moins encore. Il y a quelque chose d’assez fou, de presque irrationnel dans le fait qu’une femme comme moi devienne mère. C’est supposé être tout à fait incompatible avec la vie que je mène, avec nos activités respectives à Slavenko et moi. Pourtant, je n’ai jamais eu l’intention d’arrêter. Si je sais que je veux ce bébé depuis quelques années maintenant, il n’a jamais été question, dans mon esprit, de me ranger. Je serais incapable de renoncer à l’adrénaline, à la fierté que ça me procure. Je suis indéniablement douée en hacking, mais je ne pourrais pas me contenter de rester derrière un ordinateur pendant que les autre font le sale boulot à ma place. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours volé pour m’en sortir, et c’est le seul talent dont je puisse aujourd’hui réellement me vanter. Je ne veux pas rester sur le banc de touche éternellement, j’ai déjà passé de trop nombreuses semaines à devoir rester alitée, il est temps de retourner jouer.

« Ravie de voir que tu n’as pas perdu ton tact, en tout cas. »

J’offre au Russe un petit sourire amusé, tandis qu’il m’assure que je ne fais pas si peur que je semble le penser. Je ne sais s’il s’agit d’une vile flatterie ou d’un compliment sincère, mais je décide pour une fois de ne pas me poser la question, et de prendre ce qu’il me donne.

Concentrée, attentive, je l’écoute m’exposer brièvement le problème. Curieuse, sans une once de jalousie pour ombrager mes pensées, je me demande qui est cette amie dont il parle, et s’il s’agit seulement d’une amie pour Matvei. Non pas que ça change quelque chose à mon affaire, en revanche ça peut grandement influencer l’importance de l’affaire en question aux yeux du Russe. Sans l’ombre d’une hésitation, je hoche la tête, jusque là ce qu’il me demande ne me paraît pas compliqué, aussi j’attends qu’il m’expose le reste de la situation.

« Et le voleur, tu sais qui c’est ? »

D’abord, mon sourire se crispe lorsqu’il parle de liste électorale. Qu’on se le dise, avec la position récemment prise par mon mari, je ne peux plus me permettre de m’attaquer à n’importe qui. A Sarajevo, mafia et politique sont étroitement liées, et les services de renseignements sont d’une efficacité redoutable. Il ne faudrait que peu de temps à un homme légèrement influent pour remonter jusqu’à moi, quand bien même je suis une experte en la matière, lorsqu’il s’agit de dissimuler les preuves de mon passage.

Si j’ai envie d’accepter tout de suite, je n’ai malheureusement pas d’autre choix que de me montrer raisonnable. Justement parce qu’au-delà de Slavenko, il y a Tomas maintenant, et je ne peux plus me permettre de me foutre de tout, et de me mettre à dos les mauvaises personnes.

« Est-ce que tu peux me garantir qu’il n’exerce en politique qu’en Italie, et pas ici ? » Pour qu’il ait un appartement à Sarajevo, c’est qu’il faut quand même se méfier de ses relations, je crois. Attention, je ne dis pas que je n’interviendrais pas s’il a des relations ici… En revanche, il ne faut pas que les relations en question soient alliées des Tigrovi.

Je balaie la notion de l’argent d’un vague geste de la main, non pas parce que je ne veux pas qu’il me paye, il faut pas déconner, mais parce que j’ai confiance en lui depuis le temps que nous bossons ensemble, et je sais qu’il est réglo. « J’en dis que ça me plairait vraiment bien, à priori… Mais qu’il faut que tu me laisses au moins 24h pour m’assurer que je ne risque pas de créer d’ennuis à mon mari en intervenant. » Je suis certaine que Matvei, si ses informateurs sont doués, sait parfaitement à quel homme je suis mariée.