Not affraid with you - Nina

Si les choses sont pour l’instant… Je ne dirais pas rentrées dans l’ordre, mais disons plus ou moins stables, entre Slavenko et moi, j’ai tout de même besoin de prendre l’air. Depuis la naissance de Tomas, je ne suis que peu sortie de chez nous, et ma vie sociale en paie le prix… Les multiples déchirures que nous nous infligeons sans cesse avec le slave n’aident en rien, c’est une certitude. Yulian m’a bien-sûr rendu visite, pour rencontrer le bébé autant que pour prendre de mes nouvelles, mais nous n’avons pas eu l’occasion de nous revoir depuis. Il est grand temps que je recommence à sortir, et que j’essaie de reprendre le cours de ma vie, laissée en suspens depuis de trop longs mois.

Je n’ai pourtant pas pu me défaire de mon fils, aussi dort-il sagement, blotti contre ma poitrine dans son porte-bébé. Je ne l’aurais pas traîné à une fête foraine, mais le cirque ne présente pas de danger pour mon fils, ce ne sont après tout que des spectacles à observer, alors ça devrait aller. Cela dit, les décors sont plus effrayants que je ne l’aurais cru, et je suis bien contente que Tomas se soit endormi. Je ne voudrais pas le traumatiser plus qu’il ne l’a déjà été par les récents événements, encore trop présents dans mon esprit.

S’il fait toujours beau, les journées commencent à se rafraîchir, et j’ai enfilé cette fois un jean -j’ai la chance de pouvoir encore enfiler mes anciens pantalons- ainsi qu’un pull tout doux qui devrait, je l’espère, tenir chaud au bébé, autant que ses propres vêtements. Je n’ai pas de mal à repérer Yulian dans la foule, il est plutôt grand et je le vois toujours de loin. Mon regard s’illumine dès que je l’aperçois, et je me porte vers lui, passant un bras dans son dos pour l’embrasser sur la joue quand il m’attire, brièvement, à lui. Son compliment me fait sourire, légèrement rougir aussi, parce que c’est toujours plaisant à entendre, et je dodeline de la tête. « Un peu, si, comme tous les jeunes parents j’imagine. » Je le suis sans doute plus que la plupart des jeunes parents, en réalité, mais je ne veux pas l’inquiéter, il se fait déjà suffisamment de soucis pour moi. « Et toi, comment tu vas ? Je suis contente de te voir, j’ai l’impression que ça fait une éternité qu’on s’est pas vus. »

J'ai un sourire attendri, fier, empli d'émotions aussi, quand je pose le regard sur mon fils, sa tête blottie contre ma poitrine. Le même sourire qu'ont toutes les mères, j'imagine, et qui trahirait pourtant, si les gens savaient voir au-delà, la fatigue immense, la détresse constante, l'angoisse de mal faire, la sensation étrange de se perdre, tandis qu'on s'efforce de donner tout ce que l'on a, tout ce que l'on est, à cet être minuscule et déjà si chronophage. Mais comme toutes les mères du monde, je me contente de sourire en hochant la tête, parce qu'on n'a pas le droit d'aller mal, lorsqu'on vient de donner la vie. Parce qu'on nous demander de transpirer le bonheur et la joie, par tous les pores. « Il dort beaucoup, oui, c'est un bébé facile. J'ai de la chance. »

Le Russe m'entraîne à l'intérieur du chapiteau, et je pose instinctivement la main sur le petit bonnet qui recouvre le crâne de Tomas, pour le protéger du monde et du bruit. L'environnement ne semble pourtant pas le perturber, il bouge à peine contre moi, ouvrant un œil avant de se rendormir, comme rassuré par ma présence. 

L'annonce de Yulian me tombe dessus, sortie de nulle part, et pourtant je devine à la spontanéité avec laquelle il en parle qu'il ne devait simplement pas savoir comment aborder le sujet avec moi. « Sérieux ? » Je ne pensais plus que ça lui arriverait à nouveau, pas après qu'Eden lui ait brisé le cœur... Pas après que je lui ai, moi aussi, très certainement brisé le cœur. Une infime partie de moi, terriblement égoïste, s'en sent blessée, déjà mélancolique, parce que les sentiments de Yulian à mon égard m'ont toujours rassurée. Ils étaient une constante apaisante dans mon univers, l'assurance que quoiqu'il arrive dans ma vie, il serait toujours là pour moi. Je n'en montre rien, pourtant, j'étouffe ces sentiments délétères pour me concentrer sur l'essentiel : je suis heureuse qu'il ait rencontré quelqu'un. « Je suis tellement contente pour toi, Yu'. Je la rencontrerais avec plaisir. J'te jure que j'essaierais pas de lui faire peur. Dis-moi tout. Comment elle s'appelle ? Où est-ce que tu l'as rencontrée ? Est-ce que ça fait longtemps ? » J'ai l'impression d'avoir soudain loupé trop d'épisodes dans sa vie. 

On s'installe côte à côte, et je secoue la tête lorsqu'il me demande si j'ai froid, toujours émue qu'il ait ce genre d'attentions à mon égard. Je me rapproche de lui, un sourire étrange aux lèvres. Je suis heureuse, réellement, qu'il puisse enfin sortir la tête de l'eau. 

Une drôle de sensation m’envahit quand je regarde Nina en train d’observer son fils endormi. Je ne sais pas si c’est le fait qu’on ne s’y attendait plus, ou si c’est parce que la maternité lui va comme un gant mais l’arrivée de Tomas a totalement changé Nina, elle a l’air bien plus apaisée et sereine qu’à l’accoutumée et cette constatation me fait littéralement chaud au coeur. Il a l’air… J’ai un sourire à l’attention de la brune et nous pénétrons dans le chapiteau où tout le monde à l’air d’attendre le début des spectacles.

Mon annonce est soudaine mais j’ai l’habitude de ne pas passer par quatre chemins avec Nina, d’autant plus que je n’en vois pas l’utilité ! Alors quand mes lèvres s’actionnent, j’observe son visage et essaie de lire entre ses traits le fond de sa pensée. Je hoche la tête seulement quand elle me demande si c’est sérieux et un léger sourire apparaît sur mes lèvres, comme si moi aussi, j’étais désormais serein.
Malheureusement, je sais que Nina hantera toujours mon esprit et que notre relation avortée fera toujours l’effet d’un pénible regret sur moi; pourtant, j’aime à croire qu’Elsie et moi serons heureux et que je parviendrais à l’aimer autant que je peux aimer la brune. Nan, ça fait pas très longtemps. Elle est étudiante en médecine, on m’a donné son adresse quand je me suis fait éclater l’arcade et c’est elle qui m’a recousue. Notre première rencontre était un peu bizarre… -J’ai un léger rire quand j’y repense- Elle s’appelle Elsie. Je pense que Nina peut lire dans l’intonation de ma voix toute l’affection que j’ai pour la rousse et l’idée qu’elles puissent s’entendre m’est tout à fait agréable.

Amicalement, je passe une main derrière Nina, pose mon bras sur le dossier de sa chaise et me met à l’aise en s'affaissant dans mon propre siège. Puis, nous attendons tous les deux patiemment que ça commence.

On m'a toujours dépeint la maternité comme quelque chose d'immensément difficile. Dans l'univers dans lequel j'ai grandi, dans le milieu d'où je viens, ce n'est pas une option envisageable. J'ai été élevée entourée d'enfants abandonnés par leurs parents qui ne pouvaient pas s'en occuper, ou parce que ceux-ci étaient décédés, recueillie par des familles qui espéraient seulement se faire du pognon sur notre dos avant de réaliser que c'était ingérable pour elles. Après ça, au Red Manor, celles qui tombaient enceintes s'empressaient d'avorter, de crainte de subir le courroux de Tobias. La maternité n'a jamais été une chose positive dans mon environnement, et personne ne m'a jamais laissée croire que ça pourrait être ma vie, un jour. Et pourtant, j'ai toujours eu cette envie, en filigrane de ma vie, qui s'est démultipliée le jour où Slavenko m'a poussée à avorter de notre enfant. L'arrivée de Tomas dans ma vie est un miracle, et parce que j'ai si souvent failli le perdre, je mesure tous les jours la chance infinie que j'ai de le tenir contre moi. Je ne le perçois pas comme un fardeau, jamais, et devoir le tenir contre mon cœur pour vaquer à mes occupations ne me pose pas le moindre problème. 

J'écoute Yulian me parler de la fille qui a su le faire chavirer, et mon regard s'illumine parce qu'il semble réellement... Fier ? J'ai toujours eu peur qu'il s'amourache d'une nana qui ne serait pas bien pour lui, qui continuerait de le tirer vers le bas. Une droguée, comme j'ai pu l'être, ou une fille traînant dans des affaires pas nettes, une qui se servirait de lui. Mais là, une étudiante en médecine, je suis sciée. « Elsie, c'est super joli. J'ai hâte de la rencontrer, vraiment. Vous êtes... Ensemble ? Je veux dire, officiellement. »

Comme le brun, je me laisse aller dans mon siège, m'efforçant de me caler confortablement pour ne plus avoir à bouger, au risque de gêner Tomas. Pour l'heure, il dort toujours, et je pose une main protectrice sur son dos, en levant le nez vers Yulian. « T'es déjà allé au cirque ? Quand t'étais môme ? »

La naïveté, l’innocence dont Yulian semble faire preuve lorsqu’il parle de la jeune médecin me tire un sourire ému, sincèrement heureux pour lui, aussi. Je ne crois pas avoir déjà vécu ce genre de choses, ou bien seulement lorsque j’étais adolescente, mais plus depuis des années, c’est une certitude. Ma relation avec Slavenko n’a jamais ressemblé à ce tableau rose et idyllique que l’on peut imaginer, espérer lorsque l’on rencontre quelqu’un. Ca a tout de suite été violent, douloureux parce que terriblement intense, trop passionnel. Je n’ai jamais eu l’occasion de me demander si nous étions réellement ensemble ou pas, il me demandait de l’épouser un mois après m’avoir rencontrée. Je crois que je vis ce genre de choses par procuration et ça me fait du bien de voir le Russe dans cet état qui semble si doux à vivre. « Je ne sais pas, je crois pas avoir déjà eu une conversation pareille avec le slave… J’imagine qu’on sent ce genre de choses sans avoir besoin d’en parler forcément. » A mes yeux, les choses deviennent officielles lorsqu’on renonce à fréquenter d’autres personnes, et que l’autre y renonce également. On comprendra que les relations libres me dépassent complètement.

J’incline la tête sur le côté, les sourcils froncés lorsque je l’écoute me livrer des passages de sa jeunesse. Nous avons eu maintes fois l’occasion de discuter de nos vies, mais il reste des zones d’ombres dans celles du slave, des choses que je ne parviens pas à comprendre. « Pas le droit de sortir, comment ça…? » Je tente de le rassurer dans un léger sourire. « On pourra faire toutes ces choses-là ensemble, si tu veux… Quand j’y emmènerai Tomas. » Ce serait une occasion pour lui de rattraper un peu cette jeunesse qu’il n’a jamais eue. Et je ne connais que trop bien cette sensation, parce que j’ai moi aussi été privée de ces choses-là.

Je plisse le nez, intriguée quand il mentionne le nom de sa cousine, j’ai toujours tendance à oublier qu’ils sont de la même famille. Au centre du chapiteau, un Monsieur Loyal grimé de rouge s’avance pour nous accueillir, mais je n’écoute qu’à moitié ce qu’il dit. « Comment ça, elle bosse pour ton père ? »

Être une brêle dans les relations de couple est sans doute la chose qui me définit le mieux ! Dans mon crâne, demander à quelqu’un de sortir avec vous est quelque chose de dépassé et sûrement trop enfantin pour les adultes que l’on est. Je me contente de hocher la tête. « Alors je verrai bien quand on se sera vus plus souvent. » Bien que je sens d’ores et déjà que quelque chose de spécial nous relie, Elsie et moi.

Mon regard s'assombrit légèrement quand je parle de mon enfance, rien n’était très joyeux et rien ne l’était non plus pour ma mère qui n’avait sans doute jamais rien demandé avant de connaître mon père. « Mon père interdisait à ma mère de sortir. Si elle sortait, c’était toujours avec lui, sauf qu’il était rarement là. Remarque, valait peut-être mieux comme ça… » Je me frotte la nuque, dérangé par la conversation puisque parler de mes parents a toujours été quelque chose de sensible. J’ai un léger rire à la proposition de la brune. « Ouais, pourquoi pas ? Ça renforcera nos liens oncle/neveu, hum ? » Un sourire fleurit sur mes lèvres à l’attention de mon amie et je pose instinctivement ma main sur le haut du crâne du bébé, doucement, pour la lui frotter légèrement. « Je t’ai déjà dit que j’étais content pour toi ? »

Le spectacle commence et je dois dire que je ne suis pas des plus attentifs comparé aux enfants qui parsèment les gradins de devant. « Nan… Je dois dire que je ne sais même pas vraiment quelle place elle occupe. Elle bosse pour la Bratva, tu le savais non ? » Mon ton s’est fait plus bas que je ne l’aurais voulu, peut-être parce qu’il me semble que le sujet de regarde personne d’autre que nous.

Quand Yulian me dévoile des bribes de sa vie, comme il a pu le faire quand nous étions ensemble à New-York, je réalise qu’il vaut parfois mieux ne pas avoir de famille du tout, plutôt qu’avoir une famille aussi bancale que la sienne. J’éprouve une peine infinie pour sa mère, qui n’a pas su se sortir de cette situation pour sauver sa peau. Autrefois, je l’aurais sans doute jugée sévèrement, prétextant qu’elle n’avait qu’à s’en aller. Aujourd’hui, je sais que les choses sont souvent plus compliquées que ça, et qu’on ne voit jamais que la surface émergée de l’iceberg. Aujourd’hui, les choses ont bien changé, mais à New-York, je suis restée aux côtés du slave après qu’il ait levé la main sur moi, et même abusé de moi. Alors non, je ne jugerais pas sa mère. « Ca a dû être si difficile pour toi, Yulian… Je suis sûre que tu feras un père formidable, le jour où tu voudras des enfants. Et un mari absolument exceptionnel. » Une brève lueur triste passe dans mon regard, à cet acte manqué entre nous. J’en ai fait l’expérience, Yulian était le petit-ami le plus gentil, le plus généreux, et le plus attentionné qui soit.

Mon regard dérive sur le spectacle, sourcils se fronçant quand il mentionne la Bratva. « Non, tu m’avais jamais dit qu’elle bossait pour la Bratva. » Mais soudain, les pièces du puzzle s’emboîtent dans mon esprit, et je fronce légèrement les sourcils. « Attends, Maggy, tu m’as dit ? Bukovski ? » Je ne sais pas pourquoi, j’imaginais que sa cousine portait le même nom de famille que Yulian, ce qui est absurde, s’ils sont cousins du côté maternel ou bien si sa cousine est mariée. Mais des Maggy qui bossent pour la Bratva à Sarajevo, je n’en connais qu’une...