Le comble du snobisme c'est de parler de Mozart sans jamais avoir vu ses tableaux. || BDT

Elle n’aurait pas pu se plaindre du fait que l’endroit où on lui avait donné rendez vous était paumé : visiblement, la ville se transformait tant et si bien avec une telle régularité que toute personne n’y étant pas née aurait l’impression d'être perdue de toute façon. Elle s’était habitué à une majorité de choses : du climat merdique rappelant celui de l’Amérique mais toute l'année, au désespoir politique en passant par les subtiles relations entre ethnies qui mal considérées les unes par rapport aux autres pouvaient sans scrupule se mettre sur la gueule pour des conneries. Quelques mots de base complétaient un vocabulaire banal qui ne laissait aucune place à l’imagination, ce qui tombait bien puisque la taciturne irlandaise n’en avait pas.
Contrairement à sa compagne qui commençait à lui manquer et avec laquelle elle n’engageait que des conversations aussi courtes que risquées.

Six motos s'étaient succédé depuis son arrivée. Volées, détruites, abandonnées pour les besoins du boulot, elles ne permettaient pas à la Transporteuse de s'y attacher. Elle ne s'attachait de toute façon à pas grand chose et surtout pas à du matos du genre.
La petite carlingue rouillée qu'elle posa contre le mur sembla rendre son dernier soupir tandis qu’elle retirait les clés du contact. Ses cheveux trempés, noués en une natte au potentiel agressif ravageur, furent rejetés derrière son épaule. La pluie s’abattait sans discontinuer depuis la veille, épaississant si c'était encore possible la nuit froide de l'automne.
Au loin, un beffroi sonna trois heures.

Elle soupira, considérant son environnement avec suspicion.
Dans quoi diable Legence Ellroy l'avait-il encore fourrée ?!

​

« Hmmmh, je vois ce que tu veux dire », déclara Legence à son téléphone, coincé entre l'oreille et l'épaule, tout en négociant un virage hyper facile. « Attend le téléphone se casse la gueule... »
Il rattrapa l'appareil, assaisonna la conversation avec son petit frère de « mh » et de « ah » et finit par dire comme un vrai parent trop pressé qu'il avait du travail et qu'il devait y aller. Un bruit de baiser dans le téléphone plus tard, et il s'arrêtait à l'endroit où il avait donné rendez-vous à tout le monde. Il sortit de sa bagnole habillé d'un jeans noir et d'une veste d'inspiration vaguement paramilitaire qui flattait sa silhouette – tout en laissant une impression étrange pour peu qu'on le connaisse. Il repéra Deirdre en premier – et il fallait avoir l'habitude vu la discrétion de la nana – puis Slavenko & Nina. En bon homme de spectacle – originaire de Vegas, quoi ! – il aurait bien claqué dans ses mains et souhaité la bienvenue à tout le monde un rien théâtralement mais il n'avait pas envie de se faire repérer trop vite.
« Désolé, j'ai eu un empêchement », ici comprendre : l'empêchement c'est que je suis parti trop tard, « vous avez trouvé facilement ? Tout le monde est prêt ? »
Lui-même était armé, comme toujours, et comptait bien ne pas en faire usage, comme …, eh bien : toujours.

Les trois autres avec qui elle devait bosser se pointèrent sans qu’elle ne les dénigrât particulièrement ; bosser en équipe n’était pas son truc, mais s’il le fallait pour être payé, elle ne rechignait pas et faisait simplement ce qu’on lui disait. Elle remarqua sans peine à quel point ils s’étaient préparés pour se prendre de la chevrotine en plein poitrail, et en ce sens se détachait déjà d’eux par ce point. Deirdre ne se protégeait jamais d’une part parce que ça la gênait pour se mouvoir comme le chat de gouttière qu’elle était, d’autre part parce que...c’était lourd et qu’elle n’avait pas la force physique pour transporter ça sur son petit corps dans le long terme.
Sans relever l’excuse merdique de Legence – Leg n’avait jamais d’empêchement, il avait toujours trois longueurs d’avance sur absolument tout – Deirdre se concentra plutôt sur les deux autres. Le gars, un mec très grand dont elle n’aimerait pas se prendre une mandale, proposa de faire les présentations. Deirdre n’attendit pas qu’Ellroy fasse le maître de cérémonie – et se doutait bien qu’il savait que c’était inutile avec elle.

« Moi c’est Dei. Je bosse avec lui » elle inclina une tête de chat trempé vers Leg « depuis quelques temps. »

Elle ne s’étendit pas sur la question qui n’avait aucun foutre rapport avec la choucroute et se pencha pour récupérer dans son sac à dos différentes pièces d’un lance roquettes qu’elle entreprit très tranquillement de monter toute seule comme une grande avec habitude – bien aidée par la légèreté conférée par le RPG7 avec lequel un enfant de dix ans était capable de tirer, et c’était bien le problème.

« Du coup il faut tuer qui ? »

Leg avait précisé qu’il avait besoin d’elle ; il n’avait pas spécifiquement indiqué pourquoi. Et dans le doute, Deirdre tuait tout le monde, on ne savait jamais.

Legence eut son sourire de félin, mystérieux et à l'expression parfaitement lisse de façon à ce que ses pensées soient insondables. Il laissa son associée se présenter elle-même puisque de toute façon elle ne le laisserait pas faire – manquerait plus que ça – et inclina la tête dans un geste gracieux :

« Voilà, et eux sont Slavenko et Nina. Ça va tigri, Nina ? »

Il fit craquer ses jointures de doigts, arrangea le tombé de sa veste dans un souci du détail franchement détonnant dans la situation présente et sortit son téléphone portable sur lequel il avait pris des notes avec un tel sens de la concision... que ça n'était compréhensible que par lui au final.

« Alors on a un poste de garde à neutraliser, heureusement Dei a amené le matos... » Il leva le regard vers Nina : « Tu pourras désactiver les alertes qu'on ait plus de temps ? On doit récupérer... »

Il compta sur l'écran de son téléphone :

« 5 filles au total. »

[Moi & mes retards... pardon les petits poussins]