Entretien, rencontre, prise de risque. [PV : Leo]

Ce qui est le plus troublant quand j’accepte un nouveau client est de ne pas savoir d’avance à quoi ressemble-t-il et aussi, quel sera son genre. Je suis tombée sur tout un tas de types différents et je crois que ce qui m’embête le plus sont ceux qui croient que tout leur est dû parce qu’ils sont riches et puissants. Malheureusement, dans le milieu, rencontrer ce genre d’hommes est plus souvent affaire courante qu’autre chose et s’il n’y avait pas l’argent comme récompense, il y a bien longtemps que j’aurais arrêté de sourire pour les beaux yeux des riches gens de Sarajevo.

Par les temps froids qui s’annoncent, j’ai passé une robe à manches longues, toujours très élégante et sobre, d’usage au genre de soirée qui s’annonce. Je me suis rendue à l’agence de manière à ce que le client puisse passer me chercher, le seul pouvant venir chez moi étant Camenko, en qui ma confiance est devenue à mesure des rendez-vous, complètement aveugle.

« Leo, tu es demandée. » M’indique Kristina, une collègue fraîchement arrivée. Je dodeline de la tête et finis par attraper mes affaires pour me diriger vers le hall principal. Je remarque un quarantenaire, visiblement dans l’attente et je m’en approche avant de l'apostropher. Un sourire fleurit à mes lèvres en réponse au sien et je réponds:

« Bonsoir, non, aucun problème ça me va. » Trésor. Trésor !? Je rêve. Personne ne m’avait appelé ainsi depuis… Depuis jamais. Cet homme avait l’air terriblement vieux jeu ! Je m’accroche néanmoins à sa grippe et suis ses pas jusqu’à l’extérieur.

« Enchantée, vous pouvez m’appeler Ana. » Je n’ai pas l’habitude de tutoyer mes clients et ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer.

Nous parvenons à la ruelle et le froid me glace légèrement tandis que je rapproche les deux pans de mon manteau.

« Quel est l’ordre du jour ? » J’aime savoir à quoi m’attendre et je sais que ma présence n’est pas seulement dûe à l’envie de l’homme d’avoir une présence féminine à ses côtés.

Si j’avais choisi le métier d’escort pour m’amuser, je ne serai certainement pas là ce soir ! J’ai un regard néanmoins attentif envers l’homme qui me tient désormais le bras et je dois bien avouer que quelque chose de rassérénant se dégage de lui, ce qui arrive très rarement en réalité.

« Disons, un entretien d'embauche. Je n'ai jamais vu l'homme que nous allons rencontrer, il prétend pouvoir bosser pour ma famille. » La voix de l’homme est grave, chaude et posée. Je n’ai pas l’impression d’un mensonge venant de sa part, même si je ne suis pas naïve au point de penser que nous nous rendons là-bas pour une raison tout à fait banale, je n’ai aucune appréhension jusqu’à ce que nous pénétrions dans l’enceinte du lieu de rendez-vous.

Mon regard se pose sur une blonde pulpeuse, habillée d’une manière assez évocatrice et je n’esquisse qu’un sourire à son attention en guise de bonjour. Tout me paraît soudainement étrange et si je suis mal à l’aise, je n’en laisse néanmoins rien transparaître, gardant le dos droit et le sourire collé au visage dès que la situation s’y prête. Je lui abandonne mon manteau, plus nécessaire au vue de la chaleur dans la pièce.

Nous avançons et instinctivement ma poigne s’est resserrée autour du bras de Matvei malgré tout le calme que j’essaie de maintenir en moi. Une porte nous est ouverte et je comprends instantanément ce qu’il se passe, provoquant dans ma poitrine le tapage incessant de mon cœur. Mes yeux glissent sur les femmes dévêtues qui se trouvent tout juste en face de nous et finissent sur un homme à l’allure sophistiquée mais au traits péniblement marqués. Je reste muette, calme et un sourire fleurit à chaque fois qu’il est nécessaire que mes lèvres le provoquent. Puis mon cœur s’arrêterait presque en voyant ce qui semble être un proxénète s’approcher pour agripper ma main. Je souris mais mon cerveau me lâche, complètement paniquée et déstabilisée. Et si Matvei avait l’intention de me laisser ici ? L’idée me passe par la tête et je me mords discrètement l’intérieur des lèvres pour tenter de faire disparaître cette pensée insoutenable.

« Je pensais partager avec vous l'une de ces belles, pourquoi emmener la vôtre ? » Et dire qu’en une fraction de seconde je suis réduite à l’état d’objet… Une nausée désagréable noue mon estomac et ma salive, jusqu’ici indétectable, me paraît être devenue aussi acide qu’amer.

Toute cette mise en scène est étrange et je n’ai pas l’impression d’être à ma place. La confiance que j’avais en voyant Matvei s’est soudainement envolée et bien que mes cuisses se rapprochent de lui quand nous sommes enfin installés, je ne suis plus sûre de sa capacité à me protéger de quoi que ce soit.

« Gardez-les très cher, je ne partage qu'avec les partenaires de la Bratva : vous n'en êtes pas encore un. » Dit mon client et j’ai un regard pour lui à ce même moment.

J’avale difficilement ma salive et secoue la tête à sa proposition; plus du tout certaine de pouvoir avaler quelque chose, même liquide.

Je relève soudainement mes orbes sombres contre Rurden qui me fixe de manière insistante et son regard ne fait que me glacer d’autant plus alors que mon sang boue à l’intérieur de moi. Je n’ose pas bouger et encore moins parler, j’ai l’impression de me retrouver dans un guet apens dont les deux hommes dans cette pièce en seraient les commandants.

L’inconfort se lit sur mes prunelles que je baisse à chaque fois que mon regard croise celui de Rurden. Un sentiment de dégoût envahit ma gorge et ma salive se transforme petit à petit en bile amère que j’ai du mal à avaler tant ma trachée semble se resserrer au fur et à mesure du temps. Je sais que quelque chose ne tourne pas rond et l’air est soudainement très pesant, comme si l’oxygène s’était transformé en gaz toxique qu’on était obligés de respirer malgré nous.

Je relève le visage seulement quand Matvei reprend la parole et je lis entre ses mots, crois reconnaître son envie de me faire comprendre qu’il n’est pas si horrible que ça et étrangement, je me sens un peu moins lourde, presque rassurée. Instinctivement, mon buste s’est tourné vers Nejdan et si j’ai décliné le verre qu’on me proposait quelques instants plus tôt, il se fait péniblement manquant tant je me sens asséchée par l’anxiété et l’angoisse.

« Si j'avais su qu'il suffisait d'organiser un "entretien d'embauche" pour vous avoir Monsieur Nejdan... Avoir le couple de tête ne sera peut être pas bien plus sorcier. »

Mon regard s’assombrit directement, je regarde Matvei puis Rurden. Tout s’enchaîne en une fraction de seconde. Je vois les femmes nues derrière attraper une arme dont je ne connais même pas le nom, Matvei se rapproche de moi, me cale derrière lui et machinalement mes orbes sombres retombent sur la bosse que crée le flingue qu’il avait caché dans sa ceinture. Je n’effectue aucun mouvement, reste immobile comme il me l’a demandé et essaie tant bien que mal de réprimer les tremblement qui agitent mon corps.

« Très chère, il vous suffit de me rejoindre et vous serez épargnée. Venez vous installer à mes côtés, laissez ce mauvais client russe, j'ai mieux à vous offrir. » Dit-il, me regardant.

Mes yeux ne font que voyager entre les deux siens et je serre les mâchoires, paralysée par une peur que je n’avais jamais connue avant cela.


Mon corps est à moitié caché par celui de mon client et mon esprit se trouble petit à petit, joué par une adrénaline venue des limbes de ma poitrine. Ma main gauche traverse le dos de Matvei, essaie de se faire insoupçonnable quand mes doigts s’enroulent autour de la crosse de son flingue.

« Qu’avez-vous à m’offrir de mieux, Monsieur ? » Dis-je, me déplaçant légèrement à droite de Matvei, les yeux transformés en poignards, assassinant notre adversaire.

Nous sommes en position de faiblesse, les deux asiatiques ne nous quittent pas des yeux et même si j’aimerais sortir l’arme de Nejdan, je n’ai cependant pas les moyens de désarmer deux ces deux sorcières.

Je jette instinctivement un oeil derrière nous alors que la porte semble fermée, le traquenard se refermant doucement sur nous. Mon coeur s’affole, tandis que je cherche une issue qui ne rimerait pas avec mort et resserre ma poigne sur l’arme du russe.

« Plus d’argent. » Me répond-il, alors que je me ravise en sentant le regard insistant de mon client sur moi, retirant ma main délicatement de la ceinture de l’homme.

« Je n’ai pas besoin de plus d’argent. » Et dans un élan désespéré, je me précipite sur la porte que j’essaie d’ouvrir sans y parvenir, attirant l’attention des deux muses et de leur propriétaire. J’espère, à ce moment très précis, que Matvei aura l’idée de dégainer son flingue maintenant, tandis que les yeux sont tous braqués sur moi.

Les gestes sont inconscients, précipité sur la porte, mon corps s’est instinctivement mis en mode défense, comme si tous mes muscles s’étaient raidis pour pouvoir agir comme il faut. Seulement, ma fuite échoue lamentablement et le cortège face à nous doit rire de ma pauvre tentative. Tout se passe à une vitesse incroyable, je n’ai pas le temps de me retourner que déjà un coup de feu résonne avec mon patronyme et en faisant un demi-tour sur moi-même, j’aperçois Matvei se précipiter sur moi. Mon corps se tend alors que les battements de mon coeur font crisser mes oreilles, une impression étrange venant du bas de mon ventre irradiant jusque dans ma poitrine. La douleur ne s’esquisse pas tout de suite jusqu’à mon cerveau et machinalement ma main se porte sur ma robe dont le tissu se colore lentement d’un rouge clair.

Je suis blessée. Je suis blessée alors que mon métier n’est pas censé me faire prendre de risque. Je suis blessée et j’ai l’impression de mourir tandis que mon corps est parcouru de picotements. Je ne suis plus du tout dans la réalité et quand je regarde autour de moi, ma vision est devenue floue si je ne me concentre pas totalement. Mon client parle à côté de moi mais c’est exactement comme s’il était à dix mètres, ou c’est l’impression que j’en ai.

La douleur me heurte plus qu’au moment de l’impact de la balle dans mon ventre et dans un ultime instinct de survie, j’attrape l’arme que Matvei me tend alors que les asiatiques et Rurden parlent sans que je n’assimile les mots. Mon bras se déroule rapidement, je tire hasardement alors que je n’ai jamais utilisé d’arme de ma vie, les deux asiatiques sont touchées; sûrement la chance du débutant et ma main finit par s’échouer lamentablement contre Matvei, comme pour soutenir mon corps.

« Faites nous sortir d’ici… » Ma voix est tremblante et je relève des yeux embués vers Matvei, Rurden derrière nous, occupé à tenir son bras qui semble le faire souffrir.