Playing with fire - Slavina

Mais j'ai pas besoin de le vouloir ! C'EST TOI LE SALAUD ! Je n'ai aucun doute là-dessus, aucun, aucune foutue culpabilité. IL a eu tort, IL s'est mal comporté, sur toute la ligne. C'est vrai après tout, t'as raison, qu'est-ce que ça peut me foutre ?! J'ai accepté d'emménager avec toi, je me suis mariée avec toi, J'AI TUE MON PUTAIN DE BEBE POUR TOI ! Mais t'as raison, j'en ai rien à foutre ! Le rouge me monte aux joues, la colère me brûle le bide, le crâne. C'est toi qui a passé ta vie à te persuader que tu méritais pas d'être aimé, que je devrais pas t'aimer, c'est toi qui a fait ça ! Mais tu sais quoi ?! T'avais raison, Slavenko, t'avais raison, tu le méritais pas, tu me méritais pas et tu me mérites toujours pas aujourd'hui ! Si j'avais ouvert les yeux plus tôt, c'est moi qui serais partie.

Il se voûte sur moi, imposant, menaçant, espérant m'effrayer pour me faire plier sans doute. C'est mal me connaître. Il répète la même chose, encore, et la gifle part sans que j'ai la moindre emprise sur mon geste. Ma main s'abat sur sa joue dans une baffe retentissante qui me brûle la paume.

"C'est ce que j'arrête pas de te dire !" Que je suis le salaud, alors quoi ? Je ne vois pas pourquoi elle est furieuse si je suis un aussi gros connard, elle devrait être soulagée d'être débarrassée de moi.
Elle me colle une baffe à me décrocher la mâchoire. J'en reste un quart de seconde ébahi avant que la colère flambe et que je saisisse son poignet avec brutalité. Je l'attire à moi, saisis sa nuque de l'autre main pour un baiser sauvage, amer, furieux, plein de douleur. Les lèvre écrasent les siennes avec violence avant que brusquement je ne la relâche en la repoussant loin de moi, réalisant sans doute ce que je fais.

Je recule d'un pas, bute contre un meuble. Je lève l'index vers elle, en la désignant. D'une voix blanche je confirme ce que je sais depuis le premier jour mais que la passion m'a fait volontairement oublié jusqu'au réveil brutal. "Bien sur que je te mérite pas." . Il n'y a qu'elle qui ait jamais cru le contraire et qui ait un jour tenté de me le faire croire aussi. Mais c'était faux, surtout que oui j'ai tué le bébé. "J'AI tué le bébé, Moi pas toi. MOI, et oui en j'en parle ! Y a pas que toi qui ai le droit d'en parler"

Et comme on fout un bordel monumental, ça frappe à la porte que j'ouvre à la volée pour tomber sur un garde du corps aux abois. On réagit dans le même mouvement, lui tentant de me maîtriser et moi attaquant brutalement de face, avec ma grâce légendaire de bulldozer.

Je m'attends à ce qu'il m'en retourne une mais ça ne m'effraie pas, j'ai arrêté d'avoir peur de lui. Non pas parce que je ne crains plus la douleur, mais parce qu'il m'a déjà fait trop mal, que pourrait-il me faire de pire que ce qu'il m'a déjà fait ? Il peut bien m'achever, ce serait toujours un soulagement, bien moins douloureux que lorsque je me suis retrouvée seule pour affronter mon ventre soudain vide.

Sa main se referme brutalement sur la mienne et il m'attire si violemment contre lui que je n'ai pas la possibilité de me soustraire à son emprise. De toute façon je ne suis pas sûre que je l'aurais fait. Son baiser rageur me coupe le souffle et je mords sa bouche avec violence avant qu'il ne s'arrache à moi, mais ma colère ne retombe pas pour autant. D'autant que ses mots la font flamber de plus belle. TAIS-TOI ! Il n'a pas le droit de parler de ce bébé, il n'a pas le droit !

Il se retourne, ouvre la porte alors que je n'avais même pas entendu les coups et j'écarquille les yeux. Le vigile fait à peu près la taille de Slavenko, il est aussi baraqué que lui voire sans doute plus, et je ne réfléchis pas. Je bondis, me jette sur le dos du slave en l'agrippant par les épaules pour lui faire lâcher prise. Mes pieds ont quitté le sol et je dois avoir l'air tout bonnement cinglée, accrochée au dos de Slavenko qui charge charge comme un buffle. Mais le type l'arrête, sans doute habitué, d'une droite monumentale en pleine figure. Il vacille et la violence du choc me fait basculer en arrière, et je m'écrase au sol en lâchant ma prise.

Si j'ai appris une chose, c'est bien à ne plus frapper Nina. A priori, je dirais que le réflexe est ancré, même si je ne suis pas dénué de gestes de violence à son égard. Le gout du sang envahit ma bouche mais la brûlure me procure une joie malsaine parce que c'est elle qui l'a faite. Je la provoque sciemment, parce que son tu devrais partir froid de tout à l'heure a été pire que tout. Je préfère mille fois sa colère, je ne supporte ni son indifférence, si sa froideur, elles me heurtent bien plus que sa baffe.

Je me retrouve, surpris, avec Nina sur le dos et ça me distrait tellement que je ne vois pas venir le coup de poing. Je recule sous le choc en me mordant la langue au passage, du sang coulant de mon nez où la douleur fuse. Nina tombe lourdement au sol dans mon mouvement désordonné. Elle heurte le sol et le bruit m'horrifie. Je crie "Nina !" Submergé par l'inquiétude, je suis déjà au sol pour vérifier qu'elle va bien. "Nina !!! Nina, Nina, srce, dis quelque chose." Elle cligne des yeux, et avec rage je redresse la tête vers son agresseur (oui le garde du corps, c'est de sa faute) Après une seconde de surprise à ma réaction envers Nina, il est en train de revenir pour me faire une clef de bras d'immobilisation dont je me dégage avec violence avant de me jeter sur lui pour le fracasser par terre et chercher à l'étrangler. "Idiot ! Vidiš li šta si uradio? Kakav si ti idiot."

Il est sauvé par un second vigile de l'hôtel qui lui n'y va pas par quatre chemins en m'immobilisant avec un tazer. L’hôtel n'est pas si nul qu'une dispute aussi rondement mené n'attire pas la sécurité. C'est Sarajevo et je suis bon pour un tour au poste. En attendant, je me tétanise sous le choc électrique. OUT.

Je ne tombe pas de très haut mais le choc, et la surprise, me coupent le souffle. Je cligne des yeux, tente de reprendre mon souffle alors qu'il est penché sur moi. Le surnom qu'il me donne me fait bien plus mal que la chute et les larmes me montent aux yeux. Je tente de me redresser quand il se jette à nouveau sur le garde du corps, mais je n'ai pas le temps d'intervenir cette fois parce qu'un autre homme se pointe pour immobiliser Slavenko. Je bondis en voyant le taser. NON ! Il s'écroule au sol et je me jette sur lui, inversant subitement les rôles dans une chorégraphie grotesque. Slavo ?! Mais c'est à mon tour d'être repoussée par le vigile. En levant le nez, j'aperçois Maxim qui se pointe enfin, alerté par le vacarme infernal. Il m'attrape brusquement, me soulevant du sol pour me calmer et m'empêcher de me jeter sur l'un des gardes du corps. Emprisonnée par ses bras, je bats des pieds tandis qu'ils sortent Slavenko de la chambre.

Dans le couloir, les filles sont sorties pour voir ce qu'il se passe, et Maxim m'entraîne de nouveau dans la chambre, claquant la porte derrière lui. Je fonds en larme, relâchant brusquement la tension de notre dispute, de la chute, de l'avoir vu blessé aussi. Il me faut de longues minutes pour me calmer, et je flippe parce que je me demande où ils l'ont emmené... Probablement au poste, ouais. À partir de là, je tourne en rond comme une lionne en cage en attendant de ses nouvelles. Maxim ne consent à me laisser qu'une fois que j'ai cessé de pleurer, et quand Slavenko me répond enfin, j'enfile une robe à la hâte pour sortir et aller chez lui. Je ne connais pas son adresse, et je peine à me faire comprendre du chauffeur alors je demande à aller au Pussynight, son immeuble n'étant pas loin.

J'ai fini au poste, j'ai appelé l'avocat et après avoir payé pas mal d'argent je suis sorti. Jelenko est venu me chercher et j'ai commencé par prendre un savon de sa part. Alors j'ai raconté un bobard, une fin de soirée arrosée,  une touriste qui m'a ramassée dans  un bar, un peu trop de dope et d'alcool, et une embrouille avec un mec. Je me fais gronder mais l'histoire amuse Jelenko parce qu'il me passe ce genre de frasques pour me "défouler". J'ai beau avoir 40 ans, il me voit comme un môme à qui il faut bien que jeunesse se passe. Ok... infantilisant mais pour cette fois ça me sert bien.

Se faire tazer c'est être bon pour des courbatures un bon moment. Beaucoup d'eau et des antalgiques en vue. Jelenko me dépose à la maison et je prends une douche chaude quand le téléphone vibre. Je jette un coup d'oeil, prêt à ignorer l'appel quand je vois que c'est Nina ! "jebote" Je réponds rapidement avant de sauter dans mon froc. J'enfile mes grolles et je suis déjà dehors quand je mets mon tee-shirt. Je coure tant bien que mal jusqu'au Pussybox qui est fermé à cette heure-ci mais y a toujours des tigrovi ou des jeunes voulant l'être qui trainent dans le coin.

Catastrophe, quand j'arrive, de loin, je vois Damir qui est avec Nina. Je crois qu'il lui fait la conversation ! Son anglais est bon, il n'est pas lieutenant pour rien. Sans doute cherche-t-il à savoir qui elle est, ce qu'elle fait là. Je fonce comme un dératé. J'interpelle Nina sans dire son nom. "Hé déjà là ?" Je me tourne vers Damir. "ha...désolé. Elle devait venir chez moi. t'inquiète." Il hausse un sourcil, avec un sourire trop curieux pour que je sois rassuré. "C'est la fille de l'autre soir. Elle est américaine ? " "heu...je sais pas, mais elle parle anglais, ouai. On y va, et viens pas m'interrompre cette fois Damir. J'aimerais bien aller au bout". J'ai un geste grossier à l'appui. Je suis délibérément graveleux en attirant Nina par la taille main sur le cul. je préfère qu'il croit que je veux juste prendre du bon temps. "Tu viens chérie, c'est par là chez moi." Plus loin, Nina à mon bras je souffle anxieusement "qu'est-ce que tu lui as dit ?"

Je ne comprends pas pourquoi le fait que je sois devant le club l'affole, j'y étais bien l'autre soir et après tout ça reste une boîte de nuit... Qu'importe qu'elle soit le territoire des Tigrovi, ils ne me connaissent pas, ne savent pas à quoi je ressemble. Pour eux je ne serais qu'une touriste parmi d'autres. Mais je suis prête à obtempérer quand Slavenko me demande de l'attendre ailleurs, parce que s'il estime que je risque d'avoir des emmerdes, j'aime autant me fier à son instinct. Malheureusement, je n'ai pas le temps de m'éloigner qu'un type m'interpelle en serbe, et comme je n'ai jamais vu Damir, je ne sais pas que c'est de lui qu'il s'agit. Il comprend vite que je ne parle qu'anglais et change de langue en me demandant ce que je fais ici toute seule... Pour un inconnu il me pose bien trop de questions et je fronce les sourcils, instinctivement sur mes gardes quand Slavenko arrive enfin.

Il s'interpose entre nous, m'attire contre lui et une violente décharge électrique court le long de mes reins. Je m'efforce de ne pas le montrer, tressaille à sa main plaquée trop fort sur ma fesse. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent, mais les gestes échangés sont universels. Il m'entraîne plus loin et je perçois son angoisse, palpable. Moi ? Oh, que j'étais ta femme et que je venais pour te ramener à New-York. Je réponds sèchement, mais au regard noir qu'il me lance je comprends qu'il n'est pas du tout d'humeur à plaisanter. Je lève les mains en signe de reddition. J'ai rien dit, détends-toi. Je n'ai même pas donné mon vrai prénom.

Je ne me dégage pas de son étreinte parce qu'il est possible que le type nous observe de loin, et être ainsi serrée contre lui me fait vraiment, vraiment bizarre... Je n'ai enfilé qu'une robe bien trop légère, à la va-vite, et pour être honnête je meurs de froid. Il doit faire aux alentours de dix degrés et je ne suis clairement pas assez couverte. Je frissonne, croise les bras sur ma poitrine comme pour me tenir chaud tandis qu'on regagne son immeuble.

Je la foudroie du regard parce que ça n'a rien de drôle, ce n'est pas un jeu. En fait elle ne se rend pas du compte de qui sont les Tigrovi ici. On n'est pas dans le Bronx ici. On est à Sarajevo, près de la RS, et c'est bientôt les élections. Mon père est à la fois un criminel de guerre relaxé et un héros, et mon demi-frère et moi, nous sommes ses héritiers potentiels. Non, elle ne se rend pas du tout compte.

Je ne la relâche pas, le bras enroulé à sa taille. Déjà parce que oui on peut être surveillé, je suis sur que Damir nous suit du regard, et ensuite son corps chaud contre le mien est irrésistible. En plus elle frissonne, alors je me colle un peu plus pour lui offrir ma chaleur. Je ne la lâche que pour entrer dans l'immeuble, la porte n'étant pas assez grande pour passer à deux de front, de même que l'escalier. On grimpe les trois étages pour arriver chez moi. J'avoue que j'ai un peu de mal à la fin des marches, ce qui m'énerve parce que je n'aime pas me montrer vulnérable et encore moins à Nina. Je déverrouille la porte, entre en laissant le soin à Nina de fermer. Je vais lourdement m'asseoir dans le canapé pour enlever mes grolles à moitié lacées tellement j'ai été vite pour rejoindre Nina !

J'ai pu me soigner tout à l'heure et reste un hématome qui coure sur le coté du nez (que j'ai du remettre en place), des contusions sur le corps, et des putains de courbatures, rien de grave en somme. Je relève la tête vers Nina, l'interrogeant du regard. Après tout, cette fois c'est elle qui a voulu me voir quand elle aurait pu seulement m'appeler.

Je trouve qu'il fait un froid polaire dans son appartement et ça me rappelle douloureusement lorsque je l'ai rencontré. Il n'allumait le chauffage que lorsque je venais chez lui, parce qu'il savait à quel point j'étais frileuse. Une fois qu'on a habité ensemble, ensuite, il le laissait allumer constamment, pour moi. Je referme soigneusement la porte derrière lui, tire le verrou parce que sa paranoïa est foutrement contagieuse. Je me doutais bien que je ne serais pas la bienvenue à Sarajevo, à cause de lui principalement, mais il me donne l'impression d'être en territoire ennemi et je ne comprends pas bien pourquoi... Après tout nous ne sommes plus ensemble, dans trois semaines tout au plus il aura signé les papiers du divorce et on ne sera même plus mariés. Alors en quoi est-ce que je représente un danger quelconque ?

Il s'assied sur le canapé et je réalise que je ne sais pas ce que je fous ici. C'est vrai, j'aurais pu appeler. Pire que ça, j'aurais dû ne même pas lui écrire, rester sagement à l'hôtel, faire en sorte de ne plus jamais le croiser... Je pourrais expliquer la situation à Dimitri, lui demander de venir me remplacer et rentrer à New-York... Mais je n'y arrive pas. Au fil des heures, des jours, la haine que je ressentais pour Slavenko s'étiole. Elle flamboie souvent de nouveau, toujours puissante, mais elle n'est plus seule en jeu. L'amour, le désir sont revenus en force, à me rendre malade et je peine à lutter contre de tels sentiments. Les bras toujours croisés, à moitié tassée sur moi-même alors que je suis toujours debout, je balbutie : C'était... Je voulais m'assurer que t'allais bien. Bravo Nina, maintenant que t'as vu qu'est-ce que tu fais ? Tu repars ?

Je la dévisage, l'air frémissant, le regard rempli d'un stupide et inutile espoir parce qu'elle s'inquiète pour moi. J'esquisse un sourire hésitant. Je la vois qui frissonne encore. "Tu as froid ?" Je me lève pour allumer le chauffage électrique et je vais jusqu'à la cafetière expresso qui est à peu près le seul luxe de la cuisine. "Tu veux un café ?" En mettant une capsule, j'indique le canapé à Nina. "Assied-toi, je t'en prie" J'ai brusquement l'image de nos corps sur mon canapé lors de sa première visite. Une bouffée de chaleur me chauffe le ventre et de travers, le corps tourné vers la cuisine, les mains appuyées sur le meuble et la tête vers Nina.

Je ramène deux tasses de café brûlant que je pose sur la toute petite table basse devant le canapé avant de m'y asseoir à nouveau. Il y a là un cendrier, un paquet de clopes et un briquet. Je n'ai pas perdu l'habitude de laisser traîner des paquets partout. "Je t'ai dit, je vais bien. Un peu de courbatures, c'est le tazer, il y est pas allé avec le dos de la cuillère. Et toi? Ça a l'air d'aller. J'ai eu peur que ta tête ait claqué au sol. Ça va tu es sure ? " Je suis inquiet pour elle d'une façon générale. Je suis inquiet tout court. Un peu tout se mélange, sentiments mal définis, confus suite à la dispute qui a mal tourné.

J'acquiesce silencieusement quand il me demande si j'ai froid, et des pensées bien importunes me traversent l'esprit. Avant, ma frilosité était un prétexte supplémentaire pour venir chercher la chaleur de ses bras. Je ne me souviens que trop bien de nos corps enlacés, emmêlés sous les draps brûlants de nos ébats passionnés, des mots d'amour qu'il susurrait inlassablement à mon oreille, les gravant dans ma chair en m'interdisant d'en douter. Et je les croyais, chacun d'entre eux... La violence de mes souvenirs me fait vaciller et je m'installe maladroitement sur le canapé, le cœur au bord des lèvres. Je ne veux pas de café, je me sens bien trop nauséeuse pour avaler quoi que ce soit, mais je le laisse me servir malgré tout..

Tu dis toujours que tu vas bien, même quand c'est pas le cas. Je lui fais remarquer en prenant la tasse chaude entre mes doigts pour me réchauffer les mains. Je secoue la tête en haussant les épaules. Non, moi ça va... Physiquement en tout cas, ça va. Hormis le fait qu'il est bien trop proche de moi et que je pense, moi aussi, au baiser échangé sur ce même canapé. Des flashs d'un érotisme troublant envahissent mes pensées, mon corps arc-bouté sous le sien, ses dents incrustées dans ma peau, son visage enfoui entre mes cuisses. J'ai les joues roses, je n'ose pas le regarder, c'est à peine si j'ose respirer à vrai dire. Je repose mon café sans y avoir touché et je demande, pour faire la conversation et tenter de me changer les idées : T'as pas eu d'ennuis...? Avec les flics. Je lève le nez vers lui, regarde sa bouche avec l'envie d'y planter mes dents, croise enfin son regard, le mien bien trop sombre. Je maîtrisais ces désirs tant qu'on ne s'était pas touchés mais maintenant que nos lèvres se sont retrouvés, je suis incapable de penser à autre chose.

 J'ai un brusque sourire à sa remarque. Elle me connait trop bien mais là ça me touche plus que ça ne me fait flipper. "C'est vrai. Mais à quoi ça servirait de se plaindre ?" Si on ne peut rien changer au fait qu'on a mal inutile de le rabâcher et de se focaliser dessus, ça ne fait qu'empirer la situation.

Dès que je m'assieds près d'elle, une brusque tension envahit la zone. Je sens ce lien terriblement charnel qui a existé dès le premier soir entre nous. Ma peau se hérisse, mon corps semble se tendre de l'intérieur à l'appel silencieux du sien. Est-ce que je le rêve ? Est-ce seulement moi qui fantasme ? Je la caresse des yeux, note la rougeur de ses joues, son souffle plus bref, la tension de sa posture et mon cœur bat sourdement, charriant mon sang chargé de désir. Je sens encore sur mes lèvres la brulure de la morsure qu'elle m'a infligée plus tôt. Je capte son regard, plonge dans ses prunelles sombres où je lis le même désir que celui qui me tient déjà fermement entre ses griffes.

Je réalise qu'on se dévore du regard depuis deux minutes et que je n'ai pas répondu à sa question. Je tente de souffler d'une voix basse et rauque où les mots ne collent pas avec le ton. "pas plus que d'habitude..." J'aurais la même voix pour lui dire qu'elle est bandante et que je la veux. C'est ce qu'il y a derrière ces autres mots banals. Mon souffle se bloque dans ma gorge et je ne résiste pas à la pulsion qui me porte vers elle d'un geste bien trop naturel. Je cueille son visage dans mes mains, sa bouche de ma bouche dans un hoquet de désir pur, intense.

La colère, ravivée par notre dispute, est toujours présente, profondément ancrée en moi. Mais elle n'empêche en rien le désir de se déployer sous ma peau, ce besoin viscéral que j'ai toujours eu de lui accélère les battements de mon cœur. Même dans les moments où la haine et la rancœur étaient violentes au point de me rendre malade, je n'ai jamais cessé de le vouloir, d'avoir besoin, envie de sa peau contre la mienne. Et après tout le mal qu'il m'a fait, je m'étais pourtant promis de ne plus jamais le laisser m'atteindre, de ne plus jamais rien lui donner de moi... Et pourtant je sais, à la seconde où il se penche vers moi, que je ne vais pas l'en empêcher. Parce que toutes les fibres de mon être en crèvent d'envie. Je l'ai repoussée la dernière fois lorsqu'on a été dérangés, mais je n'ai pas arrêté ensuite de rêver l'étreinte qu'on aurait pu avoir.

Je m'y attends, cette fois, j'ai le temps de le voir venir quand il se voûte sur moi, et pourtant à l'instant où ses paumes encadrent mon visage, où sa bouche trouve la mienne, une décharge de désir brut me hérisse la chair. Je me tends vers lui, presse mes lèvres plus fort contre les siennes avant de me soulever tout à fait. J'ai besoin de maîtriser la situation pour ne pas avoir encore l'impression que c'est lui qui prend sans se soucier de moi, parce qu'il pense que je lui appartiens encore. Je le repousse dans les coussins, grimpe sur ses cuisses, mes jambes de chaque côté des siennes alors que mes mains plongent dans ses cheveux, qui sont toujours aussi longs. Je reviens chercher sa bouche, sa langue, boire son souffle dans un baiser langoureux qui allume des brasiers sous ma chair.

 Elle se trompe Nina, je veux qu'elle vienne à moi, j'ai besoin qu'elle se donne comme autrefois. Prendre ne me suffit plus depuis longtemps avec elle. Depuis le premier jour en fait, ça c'est juste révélé différemment au fur et à mesure de notre relation mais ça n'a jamais été que de la poudre aux yeux pour faire croire que c'était moi qui décidait. C'était juste une façon de me préserver, de croire que j'étais le maître qui prend. Rien n'est plus faux. Je veux que ce soit Nina qui se donne à moi. Et c'est pour ça que je l'ai repoussée dans sa chambre d'hôtel après l'avoir embrassée, pas parce qu'elle m'a mordu, ni parce qu'elle aurait pu m'assommer avec rage.

Mon cœur s'emballe quand elle me repousse et grimpe sur moi, je lève un regard éperdu de désir vers elle, me soulevant pour mieux quémander ses baisers, les prendre aussi. Ses mains dans mes cheveux me rendent fou de désir, de souvenirs. Je n'autorise personne d'autre à avoir ce geste. Je glisse ma main sous sa robe légère, la sensation de sa peau si douce sous ma paume me faisant frissonner. Je tiraille sa culotte, passe dessous pour mieux appréhender sa chair, grondant bas de plaisir. Je n'ai jamais été très patient et Nina m’enflamme toujours en un temps record. Je passe mes mains sous ses fesses et je me lève, la soulevant comme une poupée légère. Ma bouche mord la sienne avec exigence tandis que je titube vers la chambre. Je ne vais pas juste baiser vite fait dans le canapé, je veux sa peau contre la mienne des pieds à la tête. Je veux nos corps s’arque-boutant et luttant ensemble pour aller chercher toujours plus haut les sommets de plaisir qui ne sont si hauts qu'avec elle. Je tremble d'anticipation, les sangs en feu, le bas-ventre en feu.

Je la dépose sur le lit inconfortable au matelas trop mince. Je la suis dans le même mouvement, me voute sur elle dans un baiser avant de rouler sur le dos pour l'attirer au dessus de moi. J'ôte sa robe d'un geste brusque, me jette bouche contre le renflement de ses seins, enfouissant mon visage contre sa peau avec un gémissement affamé.

Plus tard, tout à l'heure, j'inventerais mille excuses pour justifier de mes actes, mais pour l'instant je ne veux pas y penser. Je me convaincs que ce n'est rien de plus que du sexe, un désir purement charnel à assouvir. On est là tous les deux, il me veut aussi alors pourquoi lutter ? Je me répète en boucle, comme une litanie, que ça ne veut rien dire, jusqu'à ce que ses baisers affamés fassent taire la petite voix de la culpabilité qui danse dans mon esprit. Je peux me mentir tant que je veux, Dieu qu'il est rassurant de voir que son corps réagit toujours au mien avec la même frénésie !

Il me soulève dans ses bras et je geins contre ses lèvres en m'accrochant fermement à lui pour ne surtout pas décoller mon corps du sien. Le lit qui m'accueille est inconfortable, sa chambre ridiculement petite et dénuée de toute décoration, et j'en jubile de satisfaction. Parce que ça veut dire non seulement qu'il vit seul ici, mais qu'en plus sans moi il ne se donne pas vraiment la peine de s'investir dans sa vie personnelle. Je le sais, je le sens, j'en suis sûre. Il s'investit pour le Klan, pour les Tigrovi, pour son pays, sa famille, mais pas pour lui.

Je n'ai pas pris la peine de passer un soutien-gorge et je suis déjà presque nue lorsqu'il retire ma robe. Je me contorsionne en gémissant pour ôter mes chaussures et les laisser tomber au pied du lit, avant de revenir m'écraser sur lui. Sa bouche sur ma peau me rend folle, les pointes de mes seins sont déjà dressées, avides de sa langue et mon corps tout entier tremble d'anticipation. Je retire son tee-shirt avec impatience, me penche pour lécher sa chair, mordre sa peau, me repaître de son odeur dans un gémissement de plaisir pur.

Je ne peux pas prétendre la même chose que Nina, les bouffées d'amour explosent aussi douloureusement que le plaisir grimpe, le renforçant puissance mille. L'alchimie est au rendez-vous comme dans mes rêves torturés. Je lève les bras pour qu'elle m'ôte mon tee-shirt et dans une caresse possessive ma main se pose sur ses cheveux quand elle embrasse mon torse. On se mange mutuellement dans un désordre de chair, de lèvres qui se cherchent, mordent et embrassent, dévorent. La pointe de sa langue, ses coups de crocs hérissent ma chair, déclenchent des arcs électrique sous ma peau, des langues de feu dans mes nerfs.

Dans une lutte grotesque et empressée, je me débarrasse de mon pantalon - je n'ai même pas de caleçon tant je suis parti comme une furie pour aller chercher Nina au Pussynight - et je renverse Nina sur le pieu pour prendre l'ascendant. Je glisse sur son corps pour virer sa culotte, ma bouche léchant et mangeant son ventre sans m'y attarder car je reviens déjà sur elle, impatient de lier nos corps. C'est une prise possessive, lente et puissante, d'une brutalité maitrisée. Je m'enfonce en elle avec un grondement de satisfaction à retrouver sa chaleur, son corps si doux, si bon. Aussitôt nos mouvements s'accordent fluides et pourtant brutaux, déclenchant des vagues de plaisir si intenses que j'en ai le souffle coupé. J'avais oublié que la réalité dépasse parfois les rêves et les souvenirs. Mon corps s'écrase sur le sien, plus vite, plus fort, j'étouffe ses gémissements de baisers grognants, barbares.

J'ai agrippé sa fesse pour mieux pouvoir m'enfoncer en elle, sa jambe relevée contre mon flanc, et je délaisse sa bouche sur les derniers mouvements plus puissants, à bout de souffle quand le plaisir me foudroie. C'est un flash blanc, une brusque délivrance qui me laisse groggy, expédier dans ce monde "d'ailleurs" où je ne vais qu'avec Nina. Ébloui, pas très lucide, je souffle le nez dans son cou des brulants "srce, srce moje..."

Je geins de retrouver le goût de sa peau, son odeur, sa chaleur sous ma bouche et sous mes doigts. J'en ai rêvé des milliers de fois et ce n'était jamais si bon, jamais si fort. Son corps est fait pour le mien, je m'en souviens maintenant, dans chaque fibre de mon être, dans chaque pore de ma peau. Il n'y a plus de mensonges, plus de faux-semblants quand nos corps luttent l'un contre l'autre, l'un avec l'autre. Je suis brusquement affamée de sa peau, si avide que mes gestes en deviennent désordonnés, trop impatients. Je suis une camée qui replonge, ma première dose en quatorze mois et c'est soudain comme si je n'avais jamais été clean.

Un long feulement, rauque, animal monte dans ma gorge quand il plonge entre mes cuisses, retrouve sa place au fond de mon ventre, celle que personne d'autre que lui n'aurait jamais dû avoir. Mes deux mains sont plongées loin dans ses cheveux, mes jambes enroulées autour de lui, mon corps cambré sur la couverture, tendu vers le sien dans une lutte où chaque mouvement nous heurte et pourtant j'en redemande. Le plaisir grimpe par à-coups violents, arcs électriques qui me transpercent de part en part au rythme de ses coups de reins. Je gémis sans retenue, sans pudeur, et je pousse un cri, la tête renversée en arrière, quand l'orgasme me fauche à mon tour.

Tout mon corps tremble spasmodiquement, et je ne reprends pas mes esprits tout de suite, je n'en ai pas envie. Le souffle encore court, je cherche pourtant sa bouche, léchant ses lèvres avec avidité, suçotant sa langue, sa bouche dans des grognements de plaisir brut.

Avec la libération des sens et le rush d'endorphine vient l'apaisement et la tendresse, celle dont je ne suis capable qu'avec elle. Je soupire contre sa bouche, sous ses baisers qui perdurent, je me fais câlin, collé contre elle, recherchant encore ses mains dans mes cheveux tandis que je touche sa peau, son cou, ses épaules, je caresse ses cheveux et la lisière de son visage. Quand je trouve le courage d'ouvrir les yeux ce n'est que pour la voir dans ce halo illuminé, avec ce regard émerveillé de la tenir encore contre moi. C'est comme un rêve. C'est surement un rêve. Je ne me lasse pas de la toucher, mes doigts parcourent sa peau de ces petits attouchements faits de pressions et de mini-caresses qui se veulent douces, pas très assurées de l'être, moi qui ne pratique pas la tendresse habituellement.

Je l'enveloppe dans mes bras, cale ma jambe enroulée à la sienne, ramène la couverture sur nous pour la rabattre et que le temps nous oublie un instant. Je ronronne très bas, comme un secret (c'est un secret ! ), le nez dans son cou avant qu'elle ne reprenne mes lèvres "srce moje, tako si divna" L'odeur d'amour de nos corps m'enivre. C'est tellement divin, ça m'a tellement manqué. Je caresse ses seins, je caresse sa peau, je la mange des yeux. Elle est toujours aussi parfaite, et même ses seins se sont alourdis dans mes paumes, ses hanches légèrement arrondies, elle n'est plus de cette maigreur maladive. Je glisse vers son ventre, planqué sous la couverture, et vient mordille la peau, la lécher, la renifler, le nez écrasé contre elle. Je trace mon chemin pour aller entre ses cuisses, comme autrefois, quand nos ébats n'étaient jamais en un round. J'ai envie d'elle, je ne peux pas déjà renoncer à son corps, m'en écarter, alors j'y reviens avec entêtement.

Les endorphines ne m'empêchent pas d'être lucide sur ce qu'il vient de se passer, et sur ce qu'il se passera une fois que j'aurais quitté son appartement... C'est sans doute pour ça que je ne fuis pas, que je me laisse faire, cajoler, caresser, parce que je suis persuadée que c'est la dernière fois, que c'est cet adieu que nous n'avons jamais eu parce qu'il me l'a volé. Je ne veux pas encore quitter ses bras, pas déjà. Je mets de côté la rancœur, les regrets, nos erreurs passées pour profiter de la sensation de son corps contre le mien, de son odeur retrouvée.

Ses caresses sont douces et possessives, comme autrefois, sa nouvelle vie n'aura finalement pas tout pris puisqu'il est encore capable de tendresse envers moi. Ma peau frissonne encore sous ses doigts mais mon corps n'a pas fini de se tendre vers le sien. J'en veux encore, je le sais déjà, je le sens. Je soupire de désir sous la caresse de sa bouche, et c'est instinctivement que j'écarte les jambes pour lui libérer l'accès aux replis de mon être. Je ferme les yeux, mes mains toujours dans ses cheveux parce que je ne peux me résoudre à le lâcher. Je suis toujours aussi sensible après le sexe, je le suis avec lui en tout cas. A fleur de peau, les nerfs à vif. Et la simple caresse de son souffle me fait me cambrer dans un soupir. Sa langue glisse sur ma chair et je m'entends couiner : Encore, encore.

Je suis plus hésitant que j'ai pu l'être autrefois, parce que c'est une caresse que je n'ai pas pratiqué une seule fois en quatorze mois ! Elle est réservée à Nina, seulement Nina. Je n'ai aucune envie de faire l'effort de donner ce plaisir à d'autres avec qui je prends souvent sans donner grand chose en retour, égoïstement. Avec Nina, le sexe est un plaisir partagé, et je tremble d'avoir ce droit de me perdre entre ses cuisses. Je suis subjugué à chaque fois par les réactions que j'arrive à susciter chez elle. Je suis accro à ça, à sa jouissance. Je me laisse guider par ses soupirs, ses mouvements, les tiraillements de ses doigts dans mes cheveux, son corps en chef d'orchestre. Je suis docile et obéissant, désireux de bien faire, explorant lentement les replis de son être, plus intrusif, plus possessif dès qu'elle le veut. Je la touche, la suçote, la lèche, son gout sur ma langue est délicieux et je soupire, grogne, mordille doucettement et embrasse de désir et de plaisir enragé jusqu'à ce qu'elle lâche prise sous mes assauts voluptueux.

Elle est encore secouée par ce second orgasme que je remonte sur elle pour me glisser une nouvelle fois dans son corps et accompagnant les spasmes de son sexe, je viens jouir de quelques poussées douces, très rapidement en lâchant la bride à mon désir renouvelé. Je grogne à voix basse et roule sur le coté en l'attirant contre moi, refermant mes bras sur elle. Je me contente de simplement caresser ses cheveux et les coins de peau qui émergent entre deux mèches froissées. Je ne trouve pas le silence pesant dans la pénombre de la chambre. J'écoute nos cœurs à l'unisson, les frissons de nos corps, je réchauffe sa peau et me shoote à nos odeurs. Je ne veux pas penser à après. Pas déjà. Ma gorge se noue rien que d'effleurer le sujet de la pensée et je m'accroche plus fort à elle. Allons Slavo, sois raisonnable... Mais je lutte déjà contre le désespoir d'une nouvelle séparation.

Ce n'est pas non plus une caresse à laquelle j'ai eu droit souvent depuis son départ, mais disons surtout que les hommes qui s'y sont risqués n'ont pas vraiment su s'y prendre. Il faut de la patience pour découvrir les attouchements qui feront vibrer mon corps et rares sont ceux qui ont cette patience-là. Surtout parce que je n'ai pas eu de relation suivie depuis que nous sommes séparés, et les amants d'une nuit ou deux ne veulent pas se donner cette peine. Mais Slavenko n'a pas oublié, il sait encore comment me toucher, comment me faire lâcher prise. Il est sans doute plus lent à y parvenir qu'autrefois, moins assuré dans ses gestes mais le résultat est le même et je jouis une nouvelle fois entre ses bras, à bout de souffle.

C'est lorsqu'il vient une nouvelle fois mettre son odeur sur moi, en moi, que je réalise qu'on ne s'est pas protégés. Exactement comme la première fois. Je n'ai pas envie d'y penser maintenant, d'en parler, de briser le silence pour ce genre de considérations. Je sais que je suis clean, pour le reste j'irais faire un test demain, qu'importe finalement, ça ne change rien, ma vie n'a plus le moindre sens depuis qu'il est parti. Je le laisse m'attirer entre ses bras et je pose ma joue contre son torse, respirant nos odeurs mêlées, écoutant son cœur qui cogne furieusement dans sa cage thoracique. J'embrasse sa peau, encore, m'apaise contre lui tout en sachant pertinemment que je ne dormirais pas ici. Après un long moment à se bercer ainsi, je finis par demander tout bas : Je peux utiliser ta salle de bain...?

Je suis soulagé qu'elle reste encore dans mes bras, ne fuit pas. On s'est à peine retrouvé qu'on s'est déjà déchiré beaucoup trop. Il y a trop de peur et de rancœur, trop de colère, trop de culpabilité en ce qui me concerne. Mais c'est comme une trêve , elle ne durera sans doute pas, j'en suis conscient, alors je la savoure. Elle rompt le silence et à regret je l'embrasse sur le front et je détache mes bras de son corps, la libérant. "Bien sur. La salle de bain est par-là mais les toilettes sont en face de la porte d'entrée." Je me lève pour lui trouver une serviette si elle a besoin, en crevant d'envie de pouvoir venir avec elle sous la douche. Pourtant ça me semble aussi dangereux que déplacé.

Je la laisse vaquer à ce qu'elle veut et j'allume une clope en me postant près de la fenêtre entrouverte de la chambre. De là je ne vois pas le QG mais presque, je vois sa direction et une drôle d'amertume teinte le goût de ma cigarette. J'essaye de laisser les regrets au placard, parce que ça ne sert à rien de se lamenter sur des "si". On peut dire aujourd'hui que le passé est une erreur, que j'ai fait de mauvais choix mais c'est facile avec le recul. Il y a quatorze mois je ne voyais pas d'autres solutions à ma disposition. Rien n'est parfait. Un choix en écarte toujours un autre.

Je balance le mégot par la fenêtre et il tombe, tournoyant jusqu'au sol. J'attrape mon tee-shirt et mes fringues pour me rhabiller, avant de ranger les tasses de café froid. J'écoute surtout les bruits que fait Nina chez moi.

L'idée qu'on pourrait prendre une douche ensemble ne me traverse même pas l'esprit, ça fait partie des choses qu'il a perdu le droit de faire et que je ne peux pas partager avec lui. Ce serait trop douloureux. Je hoche la tête et récupère mes vêtements éparpillés sur le sol ainsi que la serviette de bain qu'il me tend, et je vais dans la salle de bain, aussi petite que celle qu'on avait dans le Bronx. Je ferme la porte derrière moi pour ne pas tenter le Diable -c'est le cas de le dire- et je passe sous la douche. Je laisse couler l'eau jusqu'à ce qu'elle soit brûlante, comme toujours, et je me savonne rapidement, apprenant la nouvelle odeur de son gel douche. Je ne m'attarde pas, pourtant, et je sors assez vite pour me sécher.

Je me rhabille complètement, en-dehors de mes chaussures qui sont encore dans la chambre et que je dois aller chercher. Quand je rouvre la porte, il s'est rhabillé lui aussi, signe qu'il a bien compris que la nuit était finie. J'essaie de ne pas éviter son regard mais la situation est étrange et la douleur s'éveille déjà dans mon ventre, j'aurais dû me douter que la séparation serait difficile... Et quel euphémisme ! Je m'installe sur le lit juste le temps de remettre mes chaussures. Je ne sais pas quoi dire alors je lance un ridicule : Merci pour le café. Alors que je n'y ai même pas touché. Je cherche déjà mon sac à main, prête à affronter le froid extérieur pour trouver un taxi qui me ramènera à l'hôtel.

Je sais que la nuit est finie, je l'ai senti dès qu'elle a parlé. Déjà elle n'a plus son odeur sur moi, mais moi je garde précieusement la sienne sur ma peau et dans mes draps. Je cille à la phrase étrange mais je réponds un "de rien" machinal en la regardant mettre ses chaussures. J'ai déjà remis les miennes et j'annonce directement sans lui laisser réellement le choix "Je te ramène avec ma caisse" Je n'ai pas envie qu'elle prenne un taxi et rentre seule à cette heure-ci. Sarajevo n'est pas un modèle de sureté comme ville surtout pour les femmes. Je cherche mes clefs, enfile avec la force de l'habitude mon holster lesté de son arme, ma veste dans laquelle je fourre mes clopes et mon téléphone. Je réalise que Nina est en robe légère et je prends un sweat zippé à capuche au porte-manteau de guingois dans l'entrée. "Tiens, y caille dehors."

Je l'attends et on descend de l'appartement pour gagner ma caisse, une golf grise on ne peut plus banale à la peinture rayée par endroit. Elle sent le tabac froid mais comme j'allume une nouvelle clope, la fumée surpasse l'odeur. Je tends d'ailleurs le paquet à Nina par automatisme. Il ne faut que dix minutes en voiture pour aller à son hôtel et ça se fait en silence, moi la regardant dans le rétro avec une régularité douloureuse. Je me gare devant l'entrée principale, en double file. Je finis par enfin la regarder de face, tourné vers elle et je propose d'une voix grave, infiniment sérieuse "Je t'appelle ?" La note interrogative est très légère, mais elle est présente. Je ne sais pas si ce sera un oui ou un non, ni même un oui pour se débarrasser de moi sans heurt, ça n'a pas d'importance, il faut que je lui dise, que je garde un lien qui devrait pourtant être rompu. Je ne peux pas juste la laisser sortir de l'habitacle comme ça, sans un mot.Il faut un espoir, même fallacieux, pour étouffer la tristesse, la sensation de déchirement.

Je le connais suffisamment malgré le temps passé pour savoir qu'il est inutile d'insister pour rentrer seule. Pour être tout à fait honnête, je préfère de toute façon qu'il me raccompagne, j'ai pu me rendre compte par moi-même que les rues n'étaient pas sûres et je n'ai pas envie de tomber à nouveau sur un membre des Tigrovi. Un mince sourire étire mes lèvres quand il me tend une veste pour ne pas que j'ai froid, et je l'enfile sans rechigner, parce que le simple fait d'avoir quitté sa peau me rend déjà sensible aux températures un peu trop basses pour moi.

Je descends en silence les escaliers, m'installe de la même façon dans sa voiture en ramenant mes bras croisés contre ma poitrine. Je me sens nauséeuse. J'ai mal au ventre, mal au cœur de devoir le laisser, je me sens faible d'avoir cédé et pourtant je ne parviens pas à regretter cette étreinte. Comment le pourrais-je quand j'ai retrouvé le goût de sa peau, de sa bouche, ses bras qui m'ont manqué si fort que j'ai cru mourir cent fois ? Je ne prends pas la cigarette tendue, j'ai envie de mourir, d'oublier, encore. On arrive rapidement à l'hôtel et déjà, j'ôte sa veste pour ne pas pouvoir l'utiliser comme une excuse pour le revoir. Sa question me fend le cœur, me déchire de l'intérieur et je réponds dans un souffle : Non, il vaudrait mieux pas. Je me penche vers lui, dépose un baiser sur sa joue et sors de la voiture pour ne pas lui laisser le temps de me rattraper.