Le truc le mieux quand on rencontre le Président des Etats-Unis, c'est la bouffe. - Roe

Fut un temps, jamais je n’aurais opté pour un plan cul marié, en couple ou quoi que ce soit du genre. C’était un coup à avoir des emmerdes et je les évitais. Maintenant, c’était autre chose, ça m’indifférait totalement. Bon, quand ça se terminait comme ça, c’était un peu plus gênant, ça compliquait pas mal les choses. Depuis quand j’étais douée pour éviter de me faire prendre et descendre à une échelle avec mes fringues ? Aucune idée. Ça le faisait, c’est tout.

Mes fringues dans les bras et mes bottes sous le bras dans la ruelle pas loin de l’échelle de secours, je ne m’attendais pas vraiment à me faire rentrer dedans par une parfaite inconnue. Je suis encore plus surprise de l’entendre parler anglais. Enfin, l’anglais qui se parle de l’autre côté de l’océan.

- « Ouais. Tout baigne ! »

Sans vraiment me préoccuper de l’image que je donne en petite culotte et à pieds nus avec mes fringues en main, j’me mets à me rhabiller en commençant par mon soutif puis mon haut, avant d’enfiler mon jeans puis mes bottes, la lanière de mon sac entre mes dents. La pudeur est une chose oubliée depuis longtemps chez moi. Merci bien. Trop agaçant.

- « Fait un peu moins froid comme ça. »

Je fouille finalement mon sac pour tendre une cigarette à l’inconnue.

- « Pour compenser le choc. »

Pas le trauma, merci bien. J’suis très loin d’être vilaine à regarder et j’en suis bien consciente.

J'arque un sourcil en dévisageant la nana qui ne semble pas plus mal à l'aise que ça de se retrouver à poil devant une parfaite inconnue... Encore est-elle chanceuse que personne d'autre ne soit là pour la voir... Cela dit je ne suis même pas sûre, vu son comportement, que ça la gênerait réellement. Le fait qu'elle soit parfaitement détendue participe à dénouer mes épaules et j'esquisse un sourire amusé, me permettant enfin d'apprécier le comique de la situation.

Elle se rhabille à la hâte, avec l'efficacité de l'habitude et je hoche la tête. J'veux bien vous croire. Les températures ne sont pas encore trop basses mais sans fringues, je me les caillerais sévère quand même. Je récupère la cigarette tendue dans un sourire reconnaissant et je l'allume avant de remettre mon briquet dans la poche de mon jean. J'avise les escaliers de secours, les désignant d'un vague mouvement du menton. Sa femme s'est pointée plus tôt que prévu ? Je n'ai jamais eu l'habitude de mâcher mes mots et je crois qu'à ce stade tout le monde se douterait bien de ce qu'il se passe. Je me fends d'un sourire en tirant sur la clope. C'est p't'être pas une bonne idée d'rester sous sa fenêtre du coup.

J’ai été plus pudique que ça. Un jour. Dans une autre vie. Je sais que ça déstabilise souvent les gens mais ça m’est totalement égal. Au moins, ma décontraction a l’air de permettre à l’inconnue de se détendre. J’ai vraiment pas l’impression qu’elle soit du coin. Et y a pas que l’anglais qui me fait dire ça. Sa façon de parler l’anglais est assez révélatrice qu’elle n’est pas européenne. Comme moi.

Bah tiens qu’elle me croit. Les températures ici ne sont pas particulièrement clémentes à cette période de l’année généralement. J’ai de la chance et j’ai juste... l’habitude. Non seulement parce que je n’ai pas tout de suite eu un toit au-dessus de la tête quand j’ai fuit les Weston mais parce que quand on passe autant de temps que ça dehors, ça devient la norme. Depuis un an et quelques, si je ne m’étais pas un peu habituée, ça serait devenu compliqué. En particulier dans ce genre de cas. Non pas que ça arrivait souvent.

La cigarette acceptée, je me permets de frotter mes fringues à gauche à droite alors qu’elle est coincée entre mes lèvres. Je la récupère entre mes doigts pour parler une fois satisfaite.

- « Ouais. » ... « Ou l’inverse. »

Que je marmonne entre mes dents. C’était une des seules choses que je n’exprimais pas tout haut ici. Homme, femme, ça m’indifférait totalement. Sauf que c’était une très mauvaise idée de le dire donc, je m’abstenais.

- « Oh, c’est rien ça. J’ai réussi à partir avec qu’i...elle ne rentre et ne me voit. »

J’suis une anguille dans ces cas-là. Encore une fois, j’remercie Eddie pour ses conseils. Pas vraiment le genre que j’aurais dû suivre mais c’était pas comme si mes mentors et amis étaient des modèles. Entre deux anciens escorts de luxe dont un faussaire et un trafiquant, il était beau mon panel d’amis. Surprenant que j’sois devenue faussaire et experte en contrefaçon d’art dis donc.

- « Vous êtes américaine ? »

Moi ? Filtrer mes pensées ? Jamais.

A ses explications, aux silences entre ses femmes, je comprends que... Ben que j'ai compris de travers, justement. Je vois bien le léger malaise qui la prend. Visiblement elle était dans le lit d'une femme. Moi, ça ne me dérange absolument pas, pour tout dire c'est le genre de choses dont je me fous comme de ma première culotte. En revanche elle a raison d'être méfiante, le pays n'est pas connu pour son ouverture d'esprit, et déclarer ouvertement qu'on a des pratiques sexuelles qui ne correspondent pas à la norme pourrait être très, très mal vu. Je le sais, malheureusement, pour en avoir parlé avec Slavenko qui est -était, j'en sais rien- lui-même bi. La clé c'est d'toujours être attentive aux bruits, mh. Je fais remarquer dans un sourire. Je sais de quoi je parle, je me suis déjà retrouvée dans ce genre de situations embarrassantes.

Je ne suis pas surprise que mon accent -et le fait que je ne parle pas serbe- m'aient trahis et je hoche la tête. Américaine, oui. J'habite à New-York. Mais je n'y suis pas née, alors... Et puis j'ai découvert assez récemment que ma mère biologique était slave, ce que je me garde bien de dire parce que ça n'apporterait rien de particulier. Et vous, vous êtes d'ici ? Je ne sais pas pourquoi mais je n'en ai pas l'impression...

Je savais que je devais me méfier ici, alors je faisais tout mon possible pour être discrète au sujet de mes préférences sexuelles. Jusqu’à maintenant, j’avais réussi à me glisser hors de draps toujours à temps, que ce soit les draps d’un homme ou d’une femme d’ailleurs. Il n’y avait pas qu’un sujet sensible dans ce pays mais celui-là était une vraie épine dans mon pied par moment. Enfin, surtout pour ma grande gueule.

- « Exactement ! Le placard, c’est jamais une bonne idée pour se cacher. »

Première leçon que m’avait donnée Eddie. Pas qu’il ait jamais vraiment cherché à se planquer lui. L’imbécile se foutait pas mal d’être pris en flagrant délit. Pour ce que j’en savais en tout cas, monsieur était calmé maintenant qu’il avait enfin saisi où était son cœur et sa tête.

- « Ah, j’me disais aussi. Pour le fait que vous soyez américaine j’veux dire. »

J’aurais pas pu deviner qu’elle était de New York. J’y avais juste mis les pieds une fois avant de me rencontre compte que c’était pas pour moi. J’étais passée par pas mal d’endroits pendant ma fuite cela dit, donc rien d’étonnant que j’ai au moins vu cette ville quelques jours.

- « Nan, du tout. Américaine aussi mais j’vis ici. Enfin, à Sarajevo. »

Mais je ne précise pas d’où je viens. J’me fous qu’on sache que je sois de Vegas, aussi bien l’ancien moi que le moi de maintenant. C’est que j’adorais ma ville d’origine même si ma famille était une sale gangrène. J’avais entendu qu’ils avaient déménagé depuis que le géniteur était mort. Tant mieux. J’pourrais aller me faire un week-end un de ces quatre. Peut-être un petit road trip pour des vacances. Ce serait pas pour demain cela dit.

- « J’vous paie un verre pour le désagrément ? »

J’suis sociable, c’est pas nouveau. Bon, il est un peu tôt peut-être mais ça non plus, c’est pas comme si je m’en souciais.

- « Et un bout aussi peut-être... »

Quand même.

J'écarquille les yeux. C'est clair, je trouve ça fou que certaines personnes essaient réellement ! Parce que oui, je vous assure que ça arrive. Se cacher dans le placard pour éviter la femme de son amant, c'est un truc qui ne fonctionne jamais, même dans les films ! C'est toujours dans le placard que la maîtresse/l'amant se fait choper, et c'est à partir de là que ça part en couilles. Personnellement, ça me fait penser aux enfants qui se cachent derrière les rideaux en pensant ne pas être vus alors que leurs pieds dépassent. Le fait même d'y penser est ridicule.

Ouais, je crois que même si je savais parler serbe, mon accent me trahirait de toute façon. Je sais dire quelques mots, mais rien qui puisse me servir en société. Seulement des mots d'amour. Ridicule ça aussi, n'est-ce pas ? Et alors ? L'intégration n'est pas trop dure pour une américaine ici ? La langue est difficile à apprendre, je trouve. Et ils ont des idées bien trop arrêtées sur beaucoup de choses, je ne crois pas que j'aurais pu vivre ici.

Sa proposition me fait sourire, je me sens d'humeur sociable aujourd'hui. Un verre peut-être pas, non... Mais un café, oui, avec plaisir. Je crois que c'est le fait de tomber sur une compatriote américaine sur cette terre étrangère qui me rend si aimable, je me sens moins en terrain ennemi subitement et pour une fois ça fait du bien. Les slaves que je connais -ou que je connaissais- n'étaient pas fans des américains et vraiment, ça m'est resté.

À qui le dis-tu ma grande... Bon, l’option de l’escalier de secours n’était pas vraiment plus fameuse et la plupart du temps, le machin était tellement pourri qu’il valait mieux être doué pour jouer les équilibristes et les acrobates. J’avais failli me tuer une fois ou deux en passant par ces fameux escaliers quand c’était des vieux bâtiments. Mais en soit, le concept de se planquer dans la chambre pour échapper à l’époux ou l’épouse était stupide.

- « Oh, l’accent, je crois que la plupart s’en fiche tant qu’on fait l’effort. J’en ai chié au début c’est sûr mais j’suis têtue, j’ai fini par convaincre. »

Le fait que d’être une femme dans mon domaine n’avait pas aidé non plus mais je suis vraiment têtue... Une vraie mule avec une grande gueule. Ok, le fait que j’avais eu l’audace de taser un garde du corps parce qu’il m’avait pris pour un morceau de viande avait aussi un peu aidé. Même si je devais probablement ma survie à la surprise que ça avait généré sur le moment. Il s’en était jamais venté le grand gaillard. Un des raisons pour lesquels les gens qui m’employaient croyaient employer un mec. Bah.

- « Non seulement je suis américaine mais en plus je suis une femme. Bien sûr que c’était dur. Faut juste user de ce fait et profiter de l’avantage que ça donne. Ça rend la vie ici plus simple. » Être sous-estimée est étrangement plutôt pratique. « La langue est très difficile oui, il faut avoir ses raisons. »

Je suis étonnée qu’elle accepte ma proposition. Pas pour le refus du verre cela dit. Mais j’prends ce qui vient comme ça vient.

- « Venez, y a un petit café pas loin, c’est parfait. Oh, au fait. Moi c’est Roe. »

Après tout, les prénoms étaient de mises pour le partage d’un café et dans mon cas, un repas avec.

J'ai une grimace... D'excuse, je crois. Mouais, je suis pas sûre de pouvoir faire l'effort malheureusement, je ne reste ici que trois semaines, c'est un peu court pour apprendre la langue ! Surtout une langue aussi compliquée que le serbe, avec toutes les déclinaisons et pire encore, le cyrillique. Non mais leur alphabet n'est pas le même que le nôtre, vous imaginez le temps qu'il me faudrait pour déchiffrer ça ? Oh, j'étais prête à le faire à une époque, vraiment, parce que je voulais parler la même langue que mon mari, parce que c'était important pour moi... Mais vu la façon dont les choses se sont passées ensuite, vous pouvez être sûrs que le serbe est la dernière langue au monde que je veux apprendre.

J'arque un sourcil, sincèrement intéressée. Comment le fait d'être une femme américaine peut rendre votre vie ici plus simple ? S'il y a une recette miracle, un comportement à avoir, bon sang je veux son secret. Parce que Slavenko a passé sa vie à me dire que je ne serais jamais acceptée par sa famille, et c'est en partie à cause de ça qu'il s'est barré. Alors non, vraiment, j'aimerais percer le mystère !

Je hoche la tête, entreprenant de la suivre sans trop savoir pourquoi... Peut-être parce que soudain je suis intriguée par cette fille. Enchantée, moi c'est Nina. Roe, c'est un diminutif ?

Trois semaines, c’est vrai que c’était plutôt court pour apprendre la langue. Je continuais à me planter en cyrillique par exemple et j’étais là depuis plus d’un an. Raison pour laquelle je ne m’étais pas encore attaqué au russe. Je voulais maîtriser le serbe et ses différences bosniennes avant tout le reste. J’étais partie pour rester alors il le fallait.

- « Ah oui, un peu court. Cela dit, ça vous laisse le temps d’apprendre quelques mots, quelques phrases et quelques insultes. L’écrit serait probablement trop compliqué en si peu de temps par contre, c’est sûr. »

Il fallait une bonne raison pour apprendre le serbe ou alors un sacré amour des langues. Moi, j’avais eu la meilleure des raisons en vivant ici évidemment et je n’avais pas débarquer sans quelques bases. J’avais préparé le terrain.

- « Plus difficile mais plus facile aussi. Ce pays est machiste, les femmes sont sous-estimées, systématiquement, et les étrangères vues comme des proies ou des trophées. Il faut juste utiliser cette image à son avantage et décider à quel moment on accepte ou pas d’être un morceau de viande. Ne jamais cracher sur un avantage. Partant de là, le reste est simple avec une bonne dose d’improvisation. »

Pour moi ça l’était en tout cas. Bon Dieu, j’avais pu taser un type de la taille d’une armoire et m’en tirer à bon compte juste parce que j’avais osé et parce que j’aurais recommencé si nécessaire. Le fait que je sois faussaire avait aidé, c’est sûr. On ne tabasse pas un atout, surtout avec un joli minois. Toutes les femmes ne pouvaient pas s’en sortir comme moi je le faisais mais que je sois damnée si j’étais assez bête de ne pas utiliser les astuces de Theo.

- « Nina... Très joli. » Je tire sur ma cigarette en marchand, mes talons hauts martelant le bitume en rythme. « Pas du tout. C’est mon vrai prénom. Par contre, de là où ça vient, aucune idée de à quoi pensaient mes parents. Vraiment. »

L’ironie ? C’est que c’était un prénom de mec. J’avais choisi un prénom de mec en en changeant la prononciation. C’était aussi ce qui m’aidait. Mes clients ne s’attendaient pas à voir une femme et avec un tel nom, encore moins. Ça les prenait par surprise. À tous les coups.

Je nous guide jusqu’au petit café où je finis ma cigarette avant de m’engouffrer dedans avec la force de l’habitude et me pose à une table.

- « Y a pas de recette miracle dans le coin vous savez. Faut manipuler son monde. »

Et tu n’as aucune honte à le dire. Ça se voit à ton visage que ça n’a pas l’air de t’ébranler une seule seconde.

Je dodeline de la tête. Je sais dire quelques mots... Vraiment peu... Du genre salut, merci, s'il te plaît... Oh, je sais dire putain aussi. Non parce que si je devais compter le nombre de fois où j'ai entendu Slavenko lâcher un "jebote" je ne m'en sortirais pas. Mais j'suis pas contre l'idée d'apprendre de nouvelles insultes. Je fais remarquer dans un sourire amusé. Je ne précise pas que je sais aussi dire je t'aime, ou je te veux, ce genre de choses qui ne me serviront de toute façon à rien dans la vie de tous les jours. Je crois que les phrases que j'ai le plus entendues cela dit, c'est "je suis désolé" ou "ne pleure pas", ça donne une idée du rapport que j'entretiens avec le serbe, mh...

Les femmes sont sous-estimées partout. J'ai eu le même problème pour m'imposer à New-York. Je gère une agence d'escort-girls, mon travail n'existe que pour les hommes qui considèrent les femmes comme des trophées. Alors se faire respecter par les clients n'est pas une mince affaire, ils ont tendance à me traiter comme ils traiteraient une pute, le fait que je n'en sois pas une est souvent difficile à leur faire comprendre mais j'y parviens plutôt bien. Je n'ai jamais été du genre à me laisser faire.

Je souris pour la remercier de son compliment et hoche la tête aux précisions sur son prénom, sans insister. Je m'installe en face d'elle, arque un sourcil à son affirmation. je crois que c'est comme ça que ça fonctionne de partout.

Elle avait les bases, c’était déjà pas mal même si elle devait se sentir vachement seule. L’anglais était une langue répandue mais un paquet de mes nouveaux compatriotes ne voulaient ou ne pouvaient pas le parler. Il ne fallait pas se leurrer. Ou alors, ils faisaient l’effort quand il y avait une récompense à la clef.

- « La base de toutes les langues les insultes. »

Je pouvais jurer en plusieurs langues comme personne même si comme tout le monde, ma langue maternelle me revenait dès que j’étais agacée. En toute bonne foi... il m’arrivait maintenant de réagir en serbe. Fallait croire que j’avais ma vie ici réellement maintenant. M’enraciner ? Peut-être pas. Mais j’me sentais chez moi, pour sûr.

- « Très vrai. Mais c’est un vrai fléau ici. » En particulier dans certain milieu. « Vous faites quoi dans la vie ? Sans indiscrétion bien sûr. »

Hum... mauvaise idée de demander ça si je voulais pouvoir répondre. Authentificatrice ? Non. Autant reprendre ce bon vieux métier que j’avais laissé derrière moi avec mon ancienne vie. Je hausse les épaules, fataliste.

- « Encore une fois très vrai. »

Et encore une fois trop vrai ici plus qu’ailleurs peut-être. C’était jouer les funambules que de vivre comme je le faisais dans ce pays. Non seulement à cause de mon activité mais aussi à cause de mes désirs. Pourtant, je n’arrivais pas à m’en soucier.

- « Vous prenez quoi ? Seulement un café ? »

Je commanderai pour nous deux. Ce serait plus simple comme ça puisqu’elle avait admis que son serbe était basique, au mieux.

Je n'ose pas le dire de peur de la vexer, mais j'ai très sincèrement envie de lancer que les insultes sont surtout, surtout importantes en serbe, ouais. Parce que les slaves donnent constamment envie de les insulter et de les étrangler. En tout cas quand on est une femme. Je suis bien placée pour le savoir, j'ai fait l'erreur incroyable d'épouser l'un d'entre eux. Je n'ai encore jamais rencontré personne qui soit si ridiculement borné qu'un slave. C'est fou, je leur trouvais plein de qualités pourtant quand Slavenko était encore là, aujourd'hui je ne leur trouve plus que des défauts. Se pourrait-il que je ne sois pas tout à fait objective ?

Je gère une agence d'escort-girls. On est là pour le congrès, les élections et tout le reste... Période faste et stressante pour les hommes politiques qui ont besoin de se montrer bien accompagnés et de se décharger (au sens propre) le soir de la tension accumulée dans la journée... Et vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie ?

J'acquiesce à sa question, je n'ai pas faim et j'ajoute seulement : Avec de l'eau aussi. Tenez, si vous n'êtes pas pressée vous pouvez toujours m'apprendre à le dire et je passe la commande ? Quoi ? Il faut bien que je mette à profit mon séjour ici, non ? Il y a de grandes chances que la serveuse se foute de ma gueule mais je prends le risque malgré tout.

Je ne savais évidemment pas à quel point elle avait envie d’insulter quelqu’un dans sa langue d’origine mais les insultes restaient une base assez commune à l’apprentissage. Parfois même avant les politesses quand on avait des locaux à disposition.

Quand elle me répond avec franchise ce qu’elle fait pour vivre, j’ai envie d’éclater d’un rire franc mais je me contiens. Oh bon Dieu... Eddie et Theo s’amuseraient follement de cette situation. Moi en tout cas, ça m’amusait. J’avais appris ce que je savais aujourd’hui en matière de faux de la part d’Eddie et Theo avait fait tout fait pour m’enseigner le sérieux, la manipulation et l’invisibilité même quand on était pas censé l’être. L’un comme l’autre avaient été des escortes de luxe ce qui rendait cette rencontre hautement comique. D’ailleurs, je ne peux pas me retenir et j’éclate finalement de rire.

- « Pardon, je ne me moque pas de vous, je vous assure. C’est juste... J’ai des amis qui étaient dans le métier. »

Ils n’avaient été que très peu de temps dans une agence, voire pas du tout pour ce que j’en savais et autant Eddie faisait ça par ennui, par plaisir et pour emmerder son père, autant Theo en avait tiré des ressources et des informations incroyables.

- « Bonne chance pour les affaires alors. Moi, je suis prof. Les arts plastiques, l’histoire de l’art, ces choses-là. »

On annonce pas qu’on est faussaire comme ça. Il ne fallait pas déconner.

- « Oh, j’ai le temps. Je n’ai pas de cours aujourd’hui. »

Ni aujourd’hui ni jamais, probablement en tout cas. Je lui dis donc comment passer la commande, la sienne comme la mienne, lui inscrivant même en phonétique sur une serviette en le lui disant une fois à voix haute en attendant qu’elle répète, sans hésiter à la corriger. J’opte pour un simple steak, patates et salade avec une bière d’ici. Je pourrais manger bien mieux chez moi mais j’ai la dalle.

- « À vous de jouer Nina. »

Quand je lui dis ce que je fais dans la vie, elle éclate brusquement de rire et j'arque un sourcil, surprise. J'ai l'habitude que mon job provoque différentes réactions, mais le rire n'en a jusque là jamais fait partie et j'admets que ça me met automatiquement sur mes gardes. Je plisse les yeux, sur la défensive quand elle m'explique ce qu'il se passe. Je ne comprends pas bien en quoi le fait qu'elle connaisse des gens qui fassent la même chose rend la situation hilarante... Mais soit. Je me contente de hausser les épaules sans faire de commentaires.

Prof d'arts plastiques ? Je répète avec un sourire. Je ne m'attendais étrangement pas à ça mais je ne pense pas pour autant à remettre en cause ses propos ! Vous faites ça dans un collège ou... Enfin j'ai vu qu'il y avait les Beaux Arts ici. Je n'y suis pas allée mais j'en ai entendu parler.

Mon visage s'illumine et j'oublie le malaise de tout à l'heure quand elle prend le temps de me faire répéter la phrase en serbe. La voir noter la phonétique me fait sourire parce qu'ils sont rares, ceux qui ont la patience de faire ça. Peut-être que c'est parce qu'elle sait comme la langue peut être difficile pour une américaine. Quand la serveuse arrive, je prends mon courage à deux mains pour répéter la commande. J'ai un peu l'impression de réciter une poésie qui n'aurait aucun sens, mais Roe semble satisfaite et la serveuse repart alors j'imagine que je ne m'en suis pas trop mal sortie. Un jour je prendrais des cours !

Rien qu’à sa tête, je vois qu’elle ne comprend pas pourquoi je ris et c’est parfaitement normal. Ça n’a rien de drôle au fond. Le fait que je croise une gérante d’agence d’escorts avait pourtant quelque chose de très... je ne sais pas. Moi ça me faisait rire. Et puis je ne pensais pas vraiment rencontrer quelqu’un qui exerçait ce métier. Par contre me concernant, il fallait vraiment que je couvre un peu mieux que ça. J’étais bien censée donner des cours mais je ne les donnais pas. Une bonne vieille façade. Cela dit, si quelqu’un creusait, ce serait problématique.

- « Non, des ateliers par-ci par-là, je me suis dis que les Beaux Arts serait une assez mauvaise idée tant que je ne maîtriserai pas la langue. »

Mieux que maintenant s’entend. Je faisais quand même encore de sacrées erreurs et en tant que prof, ce serait assez mal vu. Pas que je manquais d’argent de toute façon. C’était purement pratique et un peu... optionnel, j’devais admettre que ça me manquait quand même. Puis franchement, ce serait toujours plus sympa que de donner cours à des petits merdeux qui avait pris ce cours parce qu’ils pensaient que ce serait facile de barbouiller. J’en aurais bien claqué la langue de frustration. Ah... jamais cours hein ? Il semblerait qu’une meilleure couverture soit quand même de mise finalement. Vraiment.

Je laisse donc commander Nina qui se débrouille pas mal pour quelqu’un qui ne parle pas. En tout cas, elle s’applique et c’est un très bon point. La serveuse a pu prendre la commande sans se planter alors oui, c’est pas mal du tout.

- « Rien de tel que la vie sur place pour ça mais j’imagine que vous n’êtes que de passage ? »

À moins qu’elle cherchait à s’établir ici. Ce serait surprenant mais pas une première. Les américains -non, je ne me comptais pas dedans- avaient tendance à porter des jugements hâtifs sur ce pays. Vacances oui, y vivre... pas tellement.

J'ai un haussement d'épaules. Je ne crois pas que ça poserait problème aux élèves... Mais à la direction oui, sans doute c'est vrai. Surtout qu'on n'est pas dans le pays le plus ouvert d'esprit qui soit, je ne suis pas sûre qu'ils apprécieraient que leurs cours ne soient pas donnés en serbe... En-dehors des cours de langue ! En tous les cas à mes yeux elle a l'air de parfaitement maîtriser la langue, mais puisque je ne comprends absolument rien, peut-être bien qu'elle raconte n'importe quoi et joue seulement très bien la comédie, on ne le saura jamais.

Je relève sur Roe un regard satisfait de ma performance et j'explique quand même : Je ne parle pas la langue mais je s... J'ai été mariée avec un serbe alors j'ai pu pratiquer mon accent. Je perçois les différents accents maintenant, les intonations aussi... Et puis j'ai appris à m'habituer à cette langue surtout, à force d'entendre Slavenko et ses hommes la parler. Les rugosités de la langue serbe n'ont rien à voir avec l'anglais, je trouve que le serbe est bien plus poétique. Je suis seulement de passage, oui... Et puis je crois qu'il faudrait vraiment rester longtemps pour s'imprégner de la langue. Ca ne ressemble pas du tout à l'anglais, même au niveau des sonorités... Difficile de deviner le sens des phrases !