Yuri & Dei

L’irlandaise faisait partie des quelques rares personnes qui ne savaient pas du tout ce qu'elle venait glander ici. Elle avait beau être là depuis peu de temps, les nouvelles allaient vite dans le réseau illégal de Sarajevo dont tous les maillons étaient strictement reliés les uns aux autres même si on ne s’en rendait pas compte au départ. C'est comme ça que le message était passé jusqu'à lui parvenir, après avoir sillonné les rues détrempées par un automne qui s'était abattu soudainement sur la ville.
On ne lui dit rien quand elle passa les grilles monumentales du lieu, il fallait dire qu'elle se faisait toute petite. Mais bien évidemment, on l’intercepta quand elle voulut pénétrer dans le lieu mega luxueux dont les multiples couleurs agressaient sa rétine. C’était l'inconvénient d’aller quelque part quand c'était pas Leg qui traçait la route avec ses talents d’orateur et ses relations.

-J’viens voir…

Niiique c'était quoi son nom déjà. Mala… Truc. Merde. Ils pouvaient pas se donner rendez vous dans un endroit plus tranquille et plus simple d’accès non ? Les agents de sécurité entamèrent un dialogue en russe d'une voix qui ne plut pas du tout à Dei.

-Bon arrêtez de déconner là, laissez moi passer cassez pas les couilles.

Elle sortir son flingue ; elle allait les envoyer, elle, dans leur putain de goulag.

Devant la tirade du hurluberlu, Deirdre baissa son arme, aussi agacée que méfiante.

« Si tu veux, mais steup’, arrête de parler autant, putain. »

Elle plaqua son arme durement contre le poitrail de l’une des armoires à glace et se fraya un chemin avant même qu’ils ne lui en aient donné l’autorisation entre leurs corps musculeux qui n’attiraient chez elle plus la moindre convoitise depuis que son esprit s’était séparé entre Legence et Aidan – et oui, il l’était encore quoique discrètement. Ses cheveux tournoyèrent dans le reste de mouvement imprimé par le vent dans son dos, et avant que les deux gardes du corps s’occupant de l’entrée n’aient eu l’idée de la retenir pour la fouiller, elle avait déjà disparu dans la foule nourrie et bruyante de cette soirée diplomatique.
Deirdre ne se présenta pas, jugeant que celui qui s’était présenté comme l’hôte savait parfaitement qui elle était ; elle avait du culot mais pas au point de se planter ici sans n’avoir rien prévu d’y faire au préalable de sérieux pour le boulot. Elle s’empara d’une coupe de champagne qu’elle commença à vider sans grâce.

« T’avais besoin de moi, à ce qu’on m’a dit. »

L’Irlandaise gratifia Malatchenko d’un long et pesant regard d’une noirceur de néant.

« Est-ce que t’es en train de sous-entendre que je suis venue me faire sauter ? » demanda-t-elle lentement d’un ton qui sous-entendait très clairement que la réponse n’avait pas intérêt à être positive.

Elle haussa toutefois les sourcils quand il lui proposa de se retirer, afin qu’il puisse prendre cette réaction pour une agréable surprise et non pour ce que c’était réellement : une irréfutable paranoïa d’animal qui se sentait menacé. Le gar lui proposait très clairement de se retirer dans un coin plus intime, qui devait être certainement bardé de discrets gardes du corps prêt à la prendre en embuscade, désarmée.
Elle détestait ça.
Et en même temps ce genre de conversation appelait les oreilles indiscrètes et donc, les emmerdes. Et après s’être froissée avec Ellroy, elle pouvait crever pour appeler à l’aide.

« Faisons ça. » finit-elle toutefois par accepter en déposant son verre déjà vide sur le plateau qu’il avait quitté voilà trente secondes, sous l’œil poliment ébahi du serveur.

Très pince-sans rire, Yuri répond avec sérieux "Ça dépend, vous parlez de vous faire sauter avec du C4 ou par un des invités ? Suivez-moi je vous prie."

Dans le salon, Yuri se dirige vers le minibar et la boite hygrométrique qui contient des cigares hors de prix venus de Cuba, leurs chers amis. Il présente la boite à la jeune femme sans s'offusquer de ses manières avant de se servir à son tour et de prendre le coupe-cigare, œuvrant dans les règles de l'art comme il ne doute pas que la jeune femme ne fera pas. Il les sert en whisky, devinant une préférence à la vodka et quant à lui, n'étant pas contre un bon single malt écossais.

Installé dans un fauteuil en cuir craquant, Yuri croise élégamment les jambes avant de faire un geste vers la jeune femme. "Des services contre paiement qui n'inclut pas l'usage de vos charmes mais plutôt vos talents de... straight to the point ? Je ne sais pas qui vous a adressé à moi mais primo ce point m'intéresse grandement et je suis prêt à payer pour savoir, et secondo, j'ai besoin de logistique locale et entre ici et Moscou."

Deirdre laissa le point à Mala-truc ; les joutes verbales n’étaient pas son genre, c’était plutôt celui de son partenaire en affaires, et c’était sans doute pour ça qu’ils bossaient si bien ensemble. Elle suivit le gusse sans se faire prier.
Dans son salon, elle déclina le cigare, préférant sortir sa pipe, et elle vit quand il lui sortit de la vodka et qu’il se sortit de l’écossais qu’elle avait bien fait. Ce type avait décidément très mauvais goût en matière d’alcool.

Le laissant s’asseoir, elle préféra poser le pied sur un repose pied disposé là juste à côté des fauteuils pour étaler à même sa jambe un tabac qu’elle fit rouler contre son jean pour le faire sécher, avant de s’en servir pour bourrer tranquillement et avec une concentration fascinante sa pipe de voyage, sculptée et courbée, mais aussi de petite taille. L’oreille tendue, elle écouta la palabre de son vis à vis, et mit un terme à son silence en repliant ses affaires.

« Combien tu payes ? »

Straight to the point, comme il l’avait dit. Deirdre se servit de deux allumettes pour faire crépiter et se recroqueviller le tabac dans le foyer de la pipe puis pour allumer cette dernière.

« Qu’est-ce que tu entends par logistique ? » poursuivit-elle à travers sa fumée.

Cette dernière s’éleva au dessus de sa tête, âcre et épaisse, et se mélangea à celle, plus voluptueuse, du cigare de Malatchenko, en un début de contrat.