Nina & Leo

Je reprends tout juste mes esprits après avoir ingurgité un litre de soda dès lors que l’homme m’aie quitté. Aussi, je m’approche d’un des serveurs pour attraper une coupe de champagne qui m’aidera certainement à affronter le reste de la soirée. C’est certainement un non-sens que d’avoir accepté ce job qui a pris mes valeurs pour les réduire en cendre mais je dois bien avouer que la salaire plutôt correct me permet d’avoir une bien meilleure vie que celle que j’aurais pu avoir sans cette opportunité. J’appelle ça une opportunité désormais parce qu’être payée à accompagner des messieurs en ayant le choix de vendre son corps ou pas, n’est vraisemblablement pas si dur que ce qu’il n’y paraissait au départ.

Je ne suis pas du genre très sociable, c’est sûrement ça qui me bloque le plus et certainement aussi la raison pour laquelle j’ingurgite quelques verres d’alcool à chaque fois avant de commencer à travailler et pouvoir parler si facilement avec des hommes que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam. Là, j’en repère quelques uns qui pourraient finir dans mon carnet d’adresse quand mon regard tombe dans celui de Nina. Par pure politesse, je m’approche d’elle pour la saluer et dis, d’un ton solennel et professionnel: “Bonsoir Nina, comment allez-vous ?” J’ai toujours eu la descence de la vouvoyer, parce que dans ma tête il est clair qu’elle n’est que ma supérieure et la maîtresse de mon argent, je ne me vois pas copiner avec elle même si de par nos âges respectifs, il serait simple de devenir amies.

Je ne suis pas sûre d’apprécier le regard que Nina me lance juste avant que je ne lui parle, comme si elle jugeait ma tenue et ma façon de me tenir. Non seulement je ne l’aime pas, mais en plus elle a cette manière d’agir qui me freine à me sociabiliser avec elle. “Ça va.” Je réponds avec une certaine froideur tout en allongeant mon bras discrètement afin d’attraper un petit-four que j’ingurgite immédiatement, de manière...boulimique. “Ça ne fait pas longtemps que je suis arrivée…” Je rétorque, essuyant les coins de ma bouche avec une serviette attrapée plus tôt. Je veux signaler par là que je n’ai encore eu le temps que de m’évanouir, me faire réveiller par un des hommes qui gardent les extérieurs et avaler une quantité astronomique de soda pour pouvoir donner à mon cerveau autant de sucre possible afin de rester debout encore au moins jusqu’au milieu de la nuit. Et là je me laisse tenter par le buffet qui sent rudement bon... Est-ce que ça se voit que je suis plus attirée par la bouffe que par les mecs que je suis censée draguer ?

Un peu déstabilisée par la situation parce que je dois bien admettre que je ne me sens pas à l’aise aux côtés de ma boss, je fais mine de chercher quelque chose dans mon sac tout en me rendant compte qu’en réalité il me manque bel et bien mon paquet de clopes, si vital à mes yeux. “Mince, excusez-moi mais j’ai oublié quelque chose dehors. On se voit plus tard dans la soirée ?” J’ignore complètement ce qu’il se passe après puisque mon regard d’incompréhension se fige sur Nina qui me tient par le bras, comme pour me retenir de faire un pas de plus.

Je ne suis pas sûre d’être la plus agréable à ce moment précis et à vrai dire, je ne sais même pas pourquoi j’ai autant de mal à accepter le fait que je bosse en tant qu’escort puisque c’est bel et bien moi qui ai choisi ce boulot. Peut-être que j’en fais un peu trop et que la rancoeur que je traîne face à Nina est en fait un sentiment que j’éprouve envers moi-même…

La surprise me gagne quand je sens sa main frôler la mienne et immédiatement mes yeux se teintent de l’incompréhension qui grise mon cerveau. Pourtant, j’ai ce regard insistant qui se loge dans ses yeux et quelque chose d’électrisant se passe à ce même instant. Je ne bouge plus et l’écoute simplement parler de son... mari. Merde ! Je ne savais pas du tout que Nina pouvait avoir un mari, encore moins qu’il serait ici. Instinctivement, je regarde ses doigts et apparaît immédiatement sous mes iris l’alliance à son annulaire. Je la pensais frivole, amante et en fait, tout l’inverse de ce qu’elle doit être en réalité. “Ah ? C’est votre mari ?” Je ne sais pas si elle peut lire la surprise dans l’intonation de ma voix mais étrangement, je me radoucis un peu à cette idée et me résigne finalement à retourner à l’extérieur. Je ne suis pas dupe, si elle a remarqué que j’étais avec lui c’est que d’une certaine manière, elle le surveille et si elle m’a arrêtée c’est qu’elle ne veut pas que je le rencontre à nouveau. “Je ne savais pas que vous étiez mariée…” J’ajoute, de manière très détachée et certainement aussi, simplement pour faire la discussion. “Eh bien, sachez qu’il a été très gentil avec moi.” J’avale ma salive avant d’attraper un second verre de champagne que je tends immédiatement à Nina par politesse. Tout en en prenant un pour moi, je continue. J’ai un mouvement de tête et un léger soupir en repensant à la scène grotesque qui s’est déroulée quelques minutes plus tôt. “Je suis tombée tout à l’heure et c’est lui qui m’a relevée en fait.” Je crois que c’est assez clair et qu’il n’y a pas besoin de plus d’informations pour qu’elle comprenne qu’il ne s’est rien passé entre lui et moi ! “Ca fait longtemps que vous êtes mariés ?” D’un instant à l’autre la vision que j’avais de Nina a complètement changé, certainement parce que la vie qu’elle a aujourd’hui est le reflet de ce que j’aimerais avoir dans un futur proche et qu’en tant qu’escort, elle me montre qu’il est possible de trouver quelqu’un même en étant ce que nous sommes. (J’imagine qu’avant d’être à la tête de cette “entreprise” elle fut elle-même escort ?)

Mon rêve, et ce depuis toute petite, a toujours été de trouver un homme bon et attentionné avec lequel je me marierai dans la plus pure des tradition. Malheureusement, quand je pense à ce que je suis aujourd’hui, ce rêve s’éloigne de plus en plus à chaque fois qu’un homme différent me tient le bras. Alors, savoir que Nina est mariée est quelque chose de rassurant pour moi. J’esquisse un sourire léger quand elle assure que c’est un vrai gentleman et c’est à ce moment précis que je me rends compte du côté étrange qu’à cette conversation.

Je réfléchis courtement à ma dernière relation qui remonte à presque un an et ça me fait vraiment bizarre de me dire qu’il n’y a véritablement eu personne entre temps. “Personne. J’aimerai bien franchement, mais c’est assez compliqué, je cache toujours ce que je fais alors c’est difficile pour que quelqu’un m’accorde sa confiance.” Et je ne comprends pas pourquoi j’entame la conversation avec Nina alors qu’il y a surement des dizaines de mecs qui seraient prêts à payer pour que je discute avec eux à la place ! “Enfin bon, mes priorités sont ailleurs alors ça peut bien attendre.” J’esquisse un sourire toujours léger en pensant à mon frère tandis que je reste sur place me demandant qu’est ce que je fais encore là.

Je suis d’accord avec Nina, il y a beaucoup d’hommes à qui ça ne dérangerait pas que je sois ce que je suis mais d’un autre côté, je crois que mon type d’homme n’est pas du genre à apprécier le côté volage de la profession. “Oui j’imagine mais ça me paraît quand même assez compliqué.” Je lui souris légèrement tout en baissant le regard sur le verre que je tiens dans la main. “Je ne fais jamais d’extra, en fait. Disons que, pour le moment je n’en ai pas besoin.” Je dis bien pour le moment puisque notre grand-mère travaille encore pour pouvoir pallier à nos besoins, Miro et moi, puis mon boulot arrondit nos fins de mois en général mais j’ai bien conscience que ses mains et ses yeux ne pourront bientôt plus s’agiter comme ils le font encore. Grand-mère est une véritable artiste, elle confectionne des tas de choses différentes pouvant aller d’un simple napperon à un petit haut en dentelle tendance, j’adore ce qu’elle fait. Je regarde Nina, presque bouche-bée qu’on ait cette conversation si sérieuse et si personnelle, ça remue quelque chose en moi et ça me fait du bien, finalement. “Je… J’ai commencé pour financer mes études puis finalement j’ai dû continuer parce qu’on a découvert à mon petit frère une leucémie, alors, j’aide ma grand-mère à payer les frais de soins et ça arrondit nos fins de mois on va dire.” J’ai loupé les examens et je n’ai pas renouvelé mon inscription à la faculté, ce qui revient à dire que j’ai abandonné mes études pour devenir escort, ce qui me rend un peu moins fière quand j’y repense. “Désolée, je voulais pas plomber l’ambiance, mais je me voyais mal te mentir à ce sujet.” J’ai débordé, j’ai finalement tutoyé Nina, c’est signe qu’elle m’a mise en confiance, enfin, je crois. Je souris légèrement et ajoute, sincère: “Ca me fait plaisir qu’on discute, c’est la première fois qu’on en a l’occasion… Et toi, tu es arrivée là comment ?”