Octobre tiendra sa revanche - Slavina

Son baiser voluptueux me fait perdre la raison et les émotions qui éclatent dans ma poitrine comme des bulles de savon sont si puissantes que je pourrais me mettre à pleurer. On est tous les deux bien moins enclins à la douceur qu'autrefois et nos contacts, nos étreintes ont plus souvent des airs de lutte que de câlins. Pourtant je ne cesse d'avoir besoin de sa tendresse, de ses mots d'amour auxquels je ne veux plus croire et qui nourrissent mon âme meurtrie. Sa violence, sa possessivité me rendent dingue, le danger que je cours à le laisser m'approcher, la sensation de jouer avec le feu m'ont toujours été irrésistibles. Mais je ne peux supporter ça au quotidien qu'en ayant droit au reste, son attention, son amour, sa façon de prendre soin de moi comme si je risquais de me briser. Mes défenses sont tombées, anéanties jusqu'à ce que je les érige de nouveau et je souffle contre ses lèvres que je l'aime aussi.

Je me laisse déshabiller, princesse capricieuse et exigeante qui ne cherche absolument pas à l'aider, c'est à peine si je lève les jambes pour lui permettre d'ôter mes bas. Mais quand il remonte vers moi pour m'ordonner de sa voix rauque de lui rendre la pareille, je m'exécute. Dieu que le sentiment d'appartenance a pu me manquer ! Je dois d'abord m'attaquer à ses rangers qui rendent toujours le déshabillage fastidieux et cette fois n'y échappe pas. Quand j'en viens à bout, je remonte pour m'occuper du reste de ses fringues, bien plus faciles à ôter. Dans chaque geste, je prends le temps de caresser la peau que je dévoile, de la malaxer, de la presser sous mes doigts possessifs. À travers le mur, des bruits étouffés me parviennent, des pas lourds, des discussions dans cette langue que je ne comprends pas. Je demande en revenant me coller contre lui, mon corps brûlant contre le sien : On peut rester ici ? Je détesterais qu'on vienne nous déloger maintenant, je ne suis pas rassasiée de sa peau.

C'est ça que je veux, ses mains sur moi et ma peau contre la sienne. Il ne fait pas froid dans les locaux mais je rabats quand même la couette sur nous, par souci du confort de Nina. "On reste là" On peut rester la nuit, jusqu'à demain que je doive bosser. Je n'ai pas non plus envie de bouger de là, je ne saurais pas m'éloigner de son corps, pas déjà, pas quand elle me susurre enfin des mots d'amour, pas quand je lis dans son regard la même passion qui m'anime, le même besoin. Ma bouche retrouve rapidement la sienne pour des baisers plein de volupté sans une once de chasteté. Mon corps se presse au sien, recherche sa chaleur, lui donne la sienne. Les bruits dans le couloir me sont familiers, des camarades qui passent vers les putes ou vont dormir, parfois prendre une douche ou simplement récupérer des affaires. Ils ne me dérangent pas, je suis en confiance ici et mon attention est tournée vers Nina. Je ne me lasse pas de la toucher, avec cette admiration éblouie, cet amour si brutal qui m'oppresse, me bouleverse, me met dans cet état émotionnel si particulier.

Je me remets à parcourir son corps avec douceur et tendresse. Je l'étudie, me l'approprie, je l'apprends. C'est très sérieux. Je lui parle aussi - en serbe - je flatte ses seins, couvre de compliments la douceur de sa peau et sa nuque gracile, j'encense ses fesses et son ventre doux et chaud, j'embrasse la toison douce et son sexe avant de repartir à l'assaut d'autres coins de son corps. Même ses pieds menus sont félicités d'être aussi jolis ! J'ai complètement craqué.

Je ne me sens pas particulièrement à l'aise ici, mais paradoxalement je sais aussi que je ne risque rien, pas tant que Slavenko est avec moi en tout cas. Et puis d'une certaine manière, si on nous voit sortir ensemble de cette chambre, peut-être que les putes comprendront qu'il est à moi. (Quoi ? Qui a dit que j'étais naïve et que les putes s'en foutaient ?) Je ne me soucie pas vraiment du reste en cet instant, seulement de son corps qui se presse contre le mien, de la connexion retrouvée entre nous, enfin. Je n'ai pas envie de dormir ici, de me réveiller dans ces draps demain matin mais je ne me sens pas encore la force de bouger, de m'arracher à lui.

Il ne semble de toute façon pas décidé à me laisser faire lui non plus et je rends les armes bien trop vite sous ses baisers, ses caresses, sa façon de parcourir ma peau en éveillant mes sens à nouveau. Comme toujours après l'orgasme, je suis infiniment plus sensible, à fleur de peau, les nerfs à vif et le moindre effleurement me fait frémir violemment. Je me crispe toute entière, me cambre quand il passe -pourtant brièvement- entre mes cuisses. Je n'ai pourtant de cesse d'essayer de l'attirer à moi, encore et encore, entêtée après sa bouche. Je croyais que tu voulais profiter du QG, faire la fête avec les Tigrovi... On peut redescendre tu sais...

"Je voulais et puis je t'ai trouvée toi nue, et t'es bien plus intéressante qu'un verre de vodka" Je l'ai dire avec un ton amusé, d'auto dérision aussi parce qu'il me semble quand même évident que je suis trop accroché à sa peau pour avoir la moindre volonté de sortir de ce lit maintenant ! "On fera encore la fête dimanche surement, après que Dodik soit élu. Mais je te veux toi maintenant, toi, c'est toi que je veux" Je le ronronne un millier de fois en embrassant ses lèvres, en effleurant ses sens, en laissant le désir m'envahir et renaitre. Il y a de la tendresse et de la douceur mais aussi du manque, des blessures du passé, de le culpabilité et des remords. Et de l'amour, infiniment. "J'ai envie de toi Nina, j'ai besoin de toi, ja zelim te, ja volim te, ti si moj andjeo."

Je soulève son menton, embrasse son cou dessous, le lèche,, reviens mordiller ses lèvres. Je la roule sur le dos, viens écraser son corps du mien. Je l'embrasse à perdre haleine, jusqu'à ce que je renaisse, que ma queue se fasse dure contre son ventre. Je cherche le regard de Nina et lentement, je la prends à nouveau en m'écrasant contre elle, presque sans bouger. C'est mon poids qui joue le rôle de la vague, et la chaleur qui me consume est exquise dans les pulsations du sexe de Nina contre moi. Je ne bouge quasiment pas, je n'en ai même pas besoin pour que mon érection se fasse plus ferme. Les baisers de Nina et son corps sous moi suffisent à me rendre fou de désir. J'accroche son regard encore, y plonge entre deux baisers où nos langues se cherchent voluptueusement. D'un coup de reins je vais un peu plus loin en elle, m'y fige dans un hoquet de plaisir. Je ne veux pas bouger, ni jouir, je veux planer de désir, de frustration partagée, de plaisir intense, grandissant comme une boule feu qui va exploser, comme un barrage sur le point de céder. "Volim te Nina, ja volim te andjeo. Ribica !"

J'écarquille les yeux, faussement outrée. Mais j'espère bien que je suis plus intéressante qu'un verre de vodka ! Et normalement il va me répondre que c'est le meilleur compliment qu'un serbe peut me faire, haha. Je souris malgré tout en revenant me presser contre lui, savourant le contact divin de ses bras autour de moi, de son corps chaud contre le mien. Bon sang que ça m'a manqué... Je n'arrête pas de me dire que s'il m'avait laissé la moindre chance, s'il avait eu le courage de me dire les choses en face, j'aurais pu le convaincre de rester avec moi... Ou de m'emmener avec lui. Et je ne serais pas là à souffrir des affres du manque alors qu'il est collé à moi. Je ne peux pas lui dire que j'ai besoin de lui, ça n'a plus le moindre sens, il n'a pas été là lorsque j'en avais le plus besoin et j'ai dû apprendre à me débrouiller sans lui. Je n'ai pas le droit d'avoir besoin de lui.

​La tristesse, la rancœur enflent dans mon ventre mais il suffit qu'il m'embrasse, qu'il revienne se perdre entre mes cuisses pour les faire refluer. Dieu que c'est déloyal. ​Je passe mes mains sous ses bras pour les ramener sur ses épaules et le maintenir contre moi, aussi proche que possible. Une liane de feu s'enroule autour de mes reins et je pulse douloureusement autour de lui en ramenant mes jambes contre ses hanches. Je pose mon front contre le sien, haletante, les sens en ébullition. C'est bon Slavo, c'est trop bon comme ça... Comment ai-je pu imaginer un seul instant que je retrouverais des sensations similaires dans les bras d'un autre ?! Je lèche sa bouche, lentement, me faisant pardonner mes morsures et quand il soupire contre mes lèvres, je soulève le bassin, me tend vers lui pour que sa queue bute plus loin, plus fort au fond de mon ventre.

Y a rien à faire, je m'entête après son corps, après son regard, à me noyer dedans et dans toutes les émotions même les plus sombres, les noires, les plus douloureuses. Ma main encadre brutalement son visage, verrouillant nos regards alors qu'on commence à bouger, sur un rythme anarchique. On ne bouge que lorsque la tension est insoutenable, demande une décharge, une libération avant de pouvoir grimper à nouveau. Je transpire, la sueur roule dans mon dos, trempe mes cheveux trop longs sur la nuque. Je voudrais mourir maintenant, de plaisir entre ses cuisses, mon corps ramené contre le sien. J'ai tellement besoin qu'elle me veuille pour oublier mes fautes et le mal que je lui ai fait. Je souffle dans un gémissement "c'est bon, oui c'est bon srce." Je n'ai jamais fait l'amour comme ça avec personne d'autre. Les baises rapides, brutales, physiques disparaissent dans cette étreinte dont l'intensité ne perd rien à sa langueur. C'est tellement plus fort ! Mon âme m'échappe, se lie à celle de Nina, je meurs d'amour, de passion, de plaisir. Ma bouche cherche fiévreusement la sienne pour qu'elle me morde encore, m'embrasse, me désire, assouvisse ma soif d'elle.

Je ne sais pas quand ça nous échappe, qui jouit en premier mais l'orgasme a la puissance du désespoir et me laisse KO contre Nina. Je reste en elle, sans vouloir bouger, son souffle est mon souffle, les battements de son cœur les miens. Une boule d'émotion explose au creux de mon être et me coupe le souffle. Je me prends en pleine gueule ce que je lui ai fait et le mal que je lui - nous - ai infligé en partant, en restant quatorze moi me fait blêmir. Je roule sur le coté à la recherche de ma respiration, en rabattant un bras sur le haut de mon visage. J'ai la sensation bizarre d'avoir ouvert la boite de Pandore ce soir. Mon Dieu mais qu'est-ce que j'ai fait ? Il faut que je tienne le coup, je ne peux pas me permettre d'être faible ici, ni vulnérable pour demain.

Je ne peux pas avoir peur de lui quand il me tient comme ça. Que sa main soit sur ma gorge, tire sur mes cheveux, s'incruste dans ma chair... Il pourrait serrer à me faire mal que je n'aurais pas peur, je ne peux pas le craindre quand nos corps sont si étroitement liés. On est tous les deux à bout de souffle, incapables de reprendre notre respiration et pourtant on ne parvient pas à se lâcher la bouche. Je bois son souffle, dévore ses lèvres sans les mordre pour une fois, je ne cherche pas à le blesser, je ne veux pas lui faire de mal et ouais, c'est assez nouveau depuis nos retrouvailles pour être noté. Le contrôle m'échappe complètement et la tension est telle que mon corps tremble contre le sien. Je suis à deux doigts de pleurer, je le sais, mais je parviens à me maîtriser... Disons que je suis plus douée pour retenir mes larmes que je ne l'étais un an plus tôt.

L'orgasme est un flash blanc, incandescent qui fait imploser ma conscience et me fais perdre toute notion du temps. J'ai la sensation de mourir entre ses bras et un frisson glacial me submerge quand il s'écarte de moi. Sans réfléchir, sans comprendre même ce qu'il me prend, je me jette violemment contre lui, mes bras enserrant son torse à lui faire mal alors que je me recroqueville contre sa peau. Je secoue la tête, enfouis mon visage contre lui en balbutiant : Non, non, non, reste là, reste là, molim te... La pensée qu'il puisse s'éloigner de moi, ne serait-ce que pour reprendre son souffle, me fait perdre la raison et je suis à deux doigts d'hyper-ventiler tant j'angoisse. Il ne faut pas qu'il s'éloigne, je vais mourir s'il s'éloigne.

J'inspire quand elle se blottit avec force contre moi, j'ai les yeux qui piquent méchamment. Je referme mes bras sur elle avec fureur "Je suis là srce, je reste là..." je ne parle pas seulement de maintenant comme elle non plus, je le sais, je le sens. Souvent nos phrases ont de brusques double-sens qui me heurtent, me font mal. Je caresse le cou nu de Nina, chipote ses cheveux courts si on compare à avant. "Je t'aime Nina,je t'aime." C'est difficile d'expliquer que j'ai pu quitter quelqu'un que j'aime si fort, c'est difficilement justifiable aux yeux du monde, à ses yeux, au mien aussi. Mais de la passion la plus forte naît aussi les plus grandes souffrances et celles ci sont capables de vous aveugler. On en a bavé trop longtemps dans le Bronx, sans répit, sans relâche et je n'ai jamais été très fort au jeu des sentiments. je vais devoir faire des progrès. Je câline Nina en silence un moment, perdu dans mes pensées, le corps au repos gavé d'endorphine et apaisé contrairement à mon âme. J'ai envie de lui parler mais j'ai trop peur de la blesser encore plus alors je m'étouffe avec mes mots et mes émotions. C'est beaucoup mieux si je me tais en général !

Je ne sais pas par quel miracle je ne fonds pas en larmes contre lui. Peut-être parce que je suis tellement shootée d'émotions contradictoires que je me sens comme anesthésiée, physiquement incapable de bouger quand c'est la tempête la plus noire au creux de mon être. Jamais de la vie je n'oserais lui demander de ne pas partir, de ne plus m'abandonner, pas autrement que de cette façon-là, avec ambivalence. Je serais bien incapable d'être claire sur le sujet, de parler de façon générale et pas seulement de l'instant présent. Parce que j'aurais l'impression de me trahir, de m'arracher le cœur. Combien de fois lui avais-je demandé de ne pas me laisser toute seule ? Il savait tout, pourtant, de mes tendances autodestructrices, de mes addictions, de l'épreuve que l'avortement représentait pour moi, de l'épreuve que son départ représenterait aussi. Mais il est parti quand même. C'est ça le plus douloureux au quotidien, le fait de savoir que je ne peux plus me permettre d'être vulnérable dans ses bras.

Et pourtant je sens bien que ma carapace cède, que j'ai l'âme écorchée vive à cet instant précis. J'ai envie de pleurer, de lui dire comme je lui en veux, comme j'ai eu mal, comme j'ai encore mal. J'ai envie de l'implorer de ne pas me laisser, de lui dire que j'ai failli mourir sans lui, que j'ai encore l'impression de mourir chaque fois qu'il s'en va. Et c'est justement parce que j'ai ces envies-là que je sais que je dois me taire. Je me sens mal, nauséeuse, à bout d'énergie et je finis par demander tout bas : Je voudrais rentrer... Retrouver notre lit, un lieu qui soit neutre, ne pas entendre les Tigrovi tout autour et puis surtout, surtout... Je voudrais de la kétamine.

"On va rentrer mon cœur, tout ce que tu veux zlato. Ça va pas mon ange ? " j'ose le demander parce que je suis follement inquiet à son visage pâlot, à ses grand yeux sombre et brillant. Je l'attire contre moi, la réchauffe de mon corps. C'est son visage que je caresse avec inquiétude et tendresse. Je ne me suis jamais inquiété de ma vie que pour elle, ça a toujours été une drôle de sensation. Je prends ses mains, les réchauffe, les embrasse. je lève les yeux vers elle, pour croiser son regard. "Nina..." je mords ma lèvre, désemparé au possible mais je n'arrive plus à lutter contre sa mine chiffonnée et ses yeux remplis de larmes. "Je t'aime Nina, toujours, à jamais, j'ai jamais cessé de t'aimer. J'te demande pardon srce, je sais que j'ai merdé, que j'arrive pas à te faire oublier mais je vais quand même essayer moj andjeo. Je passerais ma vie à essayer. "

Je ne m'éternise pas sur cette douloureuse sentence, et j'embrasse rapidement son front avant de faire mine de chercher nos fringues "tiens, mets ta jupe et mon sous pull. Je vais prendre un tee-shirt quelque part et après je te ramène mon amour. " Il y a quelques fringues tigrovi dans le placard de la salle de bain, je me dégote un tee-shirt après avoir remis mon froc et mes rangers. Je reviens vers Nina pour la prendre dans mes bras et la soulever. "Je te ramène, accroche toi zlato ! "

Bien-sûr qu'il n'est pas dupe, j'ai beau parvenir à retenir mes larmes mon expression est assez éloquente et il me connaît de toute façon trop bien, même après tout ce temps. Je secoue doucement la tête en me serrant plus fort contre lui. C'est rien, ça va passer... Je commence à m'habituer à la douleur omniprésente, qui éclate parfois violemment avant de refluer pour sommeiller et me laisser quelques instants de répits. Elle finit toujours par passer. Mais elle finit aussi toujours par revenir. Croiser son regard sans éclater en sanglots est une épreuve terriblement difficile et mes doigts se crispent douloureusement sur les siens, à m'en faire blanchir les phalanges. Je ne sais pas quoi lui répondre, alors je me contente de hocher la tête, le regard empli de cet espoir ridicule qui m'habite encore, celui qu'il parvienne à me faire oublier, parce que je ne demande que ça.

Je n'ai aucune envie de me lever, mais comme c'est pour mieux rentrer chez nous je m'exécute. Je me rhabille docilement, ferme les yeux quelque secondes pour humer son parfum qui s'accroche au sous-pull que j'adore porter rien que pour ça. Il me soulève dans ses bras et je l'enlace, viens chercher sa bouche pour un baiser langoureux où je lui demande pardon, je crois, de ne pas parvenir à faire semblant. Quand nos lèvres se séparent enfin, je souffle tout bas : Repose-moi, mon amour, je veux pas qu'on me voit comme ça, mh...? J'aimerais autant garder un minimum de fierté, si c'est possible, et éviter de me faire porter devant ses camardes.

Je suis triste, de la blesser encore, éternellement mais je ravale cette tristesse comme je l'ai ravalée durant quatorze mois parce que je suis le fautif et donc je n'ai pas ce droit, je ne me le donne pas. Son baiser me fait mourir un peu plus et j'y mets toute mon âme, tout mon amour en priant pour que ça aille mieux, pour qu'elle me laisse l'aimer, lui faire oublier. Je suis perdu quand elle me dit qu'elle veut marcher mais j'obtempère, mes bras orphelins. Je lui tends ses escarpins, n'ose pas lui offrir mon flanc ni le secours de mon torse, je la laisse décider de ce qui est bien en restant proche d'elle.

On traverse le QG et je réponds brièvement à quelques salutations quand on croise des camarades survoltés, les pupilles dilatées de vodka et d'adrénaline. On croise un couple déjà occupé entre deux gloussements et tentative de la fille de mener son compagnon dans une chambre. La musique de la boite m'agresse, j'aperçois de loin mon père et je lui fais un signe au revoir, les gens s'amusent, rient et j'envie leur insouciance qui me blesse pourtant. Les sourcils froncés, je récupère les clefs de la voiture dans le sac de Nina et je prends le volant.

Je sais pas quelle heure il est quand on gagne le silence de l'appartement. Je sors une clope en allant vers la porte fenêtre qui donne sur le toit, l'envie de fumer me poignant douloureusement malgré le fait que je vienne juste de jeter un mégot dehors. Dans quelques heures je vais partir bosser pour quarante-huit heures, je sais que je ne verrais pas Nina durant ce laps de temps, ça va être compliqué ! Ça me mine, me plombe le moral.

Je vois bien la déception dans son regard mais je ne peux pas prendre ce risque, je ne veux pas être vue comme ça ici, comme la femme-enfant dont il prend soin, surtout pas. Que ce soit les Tigrovi, sa famille ou les putes, je ne veux pas qu'ils puissent m'atteindre, qu'ils entrevoient mes failles et pourtant Dieu sait qu'elles sont nombreuses. Alors je me rhabille, même si ça me coûte, même si j'aurais préféré rester dans ses bras. Je lui pique sa veste pour l'enfiler par-dessus mes vêtements parce que je sais qu'à l'extérieur je vais mourir de froid. En revanche je ne le laisse pas s'éloigner, pas trop en tout cas et je m'accroche à son bras, m'appuie contre son épaule tout le temps qu'on marche pour se frayer un chemin hors du club. Moi aussi, la musique, la fumée, les lumières m'agressent et je baisse le nez pour me soustraire à tout ça, impatiente de rentrer.

Une fois chez nous, je refuse de le laisser s'écarter encore... Ou plutôt j'aimerais bien mais je n'en ai pas la force, je me sens toujours trop vulnérable, à fleur de peau, oscillant entre envie de pleurer et besoin de ses bras. Je prends seulement le temps d'ôter mes escarpins pour venir me glisser dans son dos, entourer sa taille de mes bras, poser ma joue contre son dos. Viens dans le lit avec moi... Molim te... J'ai besoin de tes bras encore... L'aveu de faiblesse est douloureux mais au point où j'en suis ! Je baisse les yeux sur sa cigarette : Tu pourras même fumer dans le lit si tu veux.

Je suis surpris qu'elle vienne contre moi, qu'elle me retienne. Je pensais qu'elle voulait un moment de solitude, un moment sans moi surtout. Je ne sais pas pourquoi ces pensées négatives m'assaillissent alors qu'on vient de passer une soirée à baiser de cette façon intime, bien plus intime que seulement du sexe. Je tire une grande latte et je jette ma clope à peine entamée sur le toit. "Non c'est bon, je veux pas que ça pue dans la chambre." Parce qu'elle n'aime pas ça. C'est pour elle que je fumais sur le balcon dans le Bronx, que j'essayais de réduire ma consommation aussi. Je me tourne vers elle, me voûte sur elle en levant la main pour caresser sa joue. J'esquisse un sourire, le regard adouci. Je voudrais tellement qu'elle se sente bien, mieux, qu'elle y croit que ici c'est chez elle, avec moi.

On est chez nous et personne ne peut nous voir alors je la porte cette fois, je la soulève pour qu'elle s'accroche à moi, ses jambes passées à mes hanches, comme un sac à dos inversé. Je nous ramène dans le cocon de notre lit, la dépose avant d'ôter ses escarpins, à genoux devant elle. Ma bouche se pose sur ses tibias, ses genoux, ses cuisses. Je relève la tête, les mains posées sur ses hanches, pour quémander silencieusement un baiser. C'est moi qui demande pardon cette fois.

Ce n'est pas la première fois depuis qu'on se retrouve que j'ai envie de tendresse, loin de là, mais c'est la première fois que je m'autorise à le formuler, à le réclamer. La caresse de ses doigts sur ma joue me poigne la poitrine, bien trop fort pour que ça n'embue pas mon regard de nouveau. La même phrase tourne en boucle, inlassablement dans ma tête : Dieu qu'il m'a manqué. Je m'accroche à lui avec désespoir, le visage caché contre son épaule, comme une enfant, comme avant. Maintenant que je me suis laissée aller, que j'ai baissé ma garde, j'ai un mal fou à retrouver la raison.

​Fait immensément surprenant, je n'ai pas envie de sexe. Mon désir est entièrement rassasié. En revanche j'aspire toujours autant à ses caresses, sa bouche, ses mains sur ma peau. Assise sur le lit, je me noie dans son regard quand il lève les yeux vers moi, et je tends la main pour caresser ses cheveux avant de me voûter sur lui. J'encadre sa joue de ma paume quand je cueille sa bouche dans un baiser aussi tendre que les précédents, avec cette impression douloureuse de déposer mon cœur à ses pieds. Je suis terrifiée à l'idée des jours à venir, parce que je sais qu'il ne rentrera pas pendant deux jours, et je crains qu'il ne rentre pas tout court. Parce qu'il lui serait arrivé quelque chose, ou bien seulement parce qu'il décidera qu'il ne veut plus rentrer. J'ai envie de lui demander de me promettre de revenir, mais le serment rompu n'en serait que plus douloureux. Ainsi s'il ne rentre pas, je pourrais toujours me dire qu'il n'avait rien dit, rien promis...

Je flotte dans sa veste dix fois trop grande pour moi, dans son pull, mais tout porte son odeur alors je ne veux pas les ôter déjà. Je passe mes mains sur ses bras, le tire à moi pour qu'il se lève et me rejoigne. S'il te plaît... J'ai un besoin viscéral, douloureux de me blottir contre lui. Plus on approche de son départ, plus j'ai peur.

Elle m'octroie mon baiser et c'est tout ce qui compte. Peu importe la raison pour laquelle elle m'embrasse, tout ce qui compte c'est la volupté de sa bouche, et ses mains dans mes cheveux. J'avais oublié comme c'est difficile d'être aussi amoureux que ça au quotidien, mais je ne regrette rien. Contrairement à ce qu'elle croit, je n'ai nulle envie de faire machine arrière. J'ai fait machine arrière durant quatorze mois c'est bien assez !

Elle m'attire vers elle et j'obtempère sans résistance, venant me vautrer près d'elle pour lui offrir le secours de mes bras. je me couche tout habillé, rangers incluses parce que sinon ça me forcerait à m'éloigner trop longtemps. Je sens sa peur et elle m'étreint le cœur d'amour, de désir de la protéger, de remords aussi. Je cherche une nouvelle fois son regard, lisse ses cheveux en arrière et je la gronde gentiment, amoureusement "je suis là srce." Je la cale contre mon corps et je rabats les couettes, pour la tenir dans un cocon chaud vu que j'ai pas pu allumer la cheminée ! Le chauffage de l'immeuble a heureusement été remis en route. "Je dois partir pour huit heures demain, t'inquiète pas pour moi, je serais à Sarajevo, y a toutes les chances que ce soit calme. Je serais autour du siège du parti au cas où y a des petits malins qui viendraient faire des jets de pierre ou ce genre de connerie. C'est à Banja Luka que ça risque de chauffer mais ça c'est Camenko qui s'en occupe tu vois... Je voulais rester ici, à Sarajevo... près de toi moj andjeo. Si tu as un problème tu m'appelles. Tu me le promets srce ? "

Dieu merci il ne cherche pas à protester et il vient se coucher près de moi. Je porte encore mes fringues -et les siennes- moi aussi mais le déshabillage attendra. Je pourrais presque dormir tout habillée si je n'avais pas tant besoin de sentir sa peau chaude contre la mienne. Mais pas maintenant, pas encore. Je ferme les yeux en me nichant contre lui, hume son odeur en essayant de faire refluer l'angoisse. J'ai rêvé d'un moment pareil tous les jours, toutes les nuits durant quatorze mois. Il n'imagine pas à quel point le gouffre créé par son absence a pu être profond, comme j'ai pu souffrir de la solitude loin de ses bras. J'ai cru mourir cent fois, j'ai souhaité mourir bien plus souvent que ça encore. Peu importe les défenses que je tente d'ériger, les barrières que je dresse entre nous, je sais déjà que s'il s'en va une nouvelle fois je n'y survivrais pas.

Il doit sentir ma peur parce qu'il aborde de lui-même le sujet qui m'angoisse. Je ne sais pas vraiment si je suis soulagée qu'il reste à Sarajevo. Dans tous les cas je ne pourrais pas le voir. Alors qu'il soit dans le quartier voisin ou sur un autre continent, à mes yeux c'est pareil, le manque aura le même goût amer. Je fourre mes mains sous son tee-shirt, en quête de sa chaleur. Pourquoi veux-tu que j'ai un problème ? Ça va aller, t'en fais pas... Et je crois malheureusement que si j'avais un problème, je ne l'appellerais pas. Pas pendant qu'il est en mission en tout cas. Il y a cette hiérarchie désormais très claire pour moi, gravée au fer rouge dans mon esprit qui veut que les Tigrovi, son taf, sa famille passent avant moi. Je me range d'office au second plan plutôt que de laisser l'espoir me gagner, la chute n'en serait que trop douloureuse. C'est bien pour ça que je suis venue chez lui le soir où je me suis retrouvée au milieu de la baston en boîte. J'aurais pu l'appeler, mais ç'aurait été prendre le risque qu'il ne décroche pas, ou qu'il ne veuille pas se libérer pour moi. En passant directement, son absence n'aurait pas vraiment été un refus, et ç'aurait été plus facile à gérer. Il est là pour moi... Tant qu'on est ensemble. Le reste du temps je me débrouille seule, et mieux vaut ne pas perdre cette habitude parce qu'il pourrait partir demain.

Pourquoi je veux que ça n'aille pas ? Je retiens une moue. Peut-être parce qu'elle atterrit en pleurs chez moi en ayant manqué se faire violer ! Peut-être parce que je ne sais pas si les élections vont engendrées des manifs, si les soirées où vont les filles de Nina seront dangereuses ou non, je préfère pallier à toute éventualité. Je sens bien que malgré le fait qu'elle se colle à moi, me touche, elle est réticente. C'est comme un double langage et ça me perturbe beaucoup parce qu'auquel me fier ? "Il est toujours là ton garde du corps ? " Je ne veux pas qu'elle sorte en soirée seule.

Je soupire et j'entortille mes doigts dans ses cheveux courts. C'est une sensation étrange. Les choses changent, évoluent, on ne peut pas juste faire marche arrière. Je dois bien me résigner à ça et à laisser Nina se débrouiller, elle l'a fait quatorze mois Slavo, pourquoi aurait-elle besoin de toi maintenant, juste parce que tu reviens la bouche en cœur ? Alors je prends sur moi et je ne dis rien, je la tiens dans mes bras dans un silence lourd de non-dit jusqu'à ce que je commence à somnoler, vaincu par trop d'émotion.

Jusqu'à la fin des élections, oui. Maxim rentre à New-York avec les filles juste après. Dans tous les cas, même celles qui voudraient rester vont retourner à NY ne serait-ce que pour récupérer leurs affaires, prévenir leurs proches, ce genre de choses. Ce qui signifie que d'ici quelques jours je serais complètement seule ici, parce que j'ai compris que Slavenko ne serait pas forcément libre dès les élections terminées, malheureusement. Je ne le dis pas pour ne pas l'inquiéter, mais Maxim n'est pas mon garde du corps personnel et si je décide de sortir en son absence, il ne m'accompagnera pas. Il n'est pas là pour ça, et surtout il n'est pas payé pour ça. En plus de ça je ne suis pas une personnalité publique, je crois que je peux encore me balader seule en ville.

Moi aussi, la fatigue me gagne mais je lutte aussi longtemps que je peux, parce que je sais que lorsque j'ouvrirai les yeux, il sera l'heure pour lui de partir et je veux profiter de chaque seconde. Les fringues finissent par me gêner alors quand je suis capable de le faire sans suffoquer, je m'écarte de lui, juste assez pour les ôter et le déshabiller en retour. J'essaie d'être aussi rapide que possible pour revenir me coller à lui. Je rabats les draps, la couverture sur nous avant de me glisser entre ses bras brûlants. La sensation exquise m'arrache un profond soupir de contentement et je ferme les yeux en me blottissant contre lui. Longtemps, je hume son odeur, caresse sa peau, l'embrasse au hasard, avant que le sommeil n'ait raison de moi. La nuit est agitée, je n'ai pas trouvé le courage de me lever pour aller prendre la kétamine et je sens bien la différence ! Je me réveille plusieurs fois, secouée de cauchemars que je tente de repousser à son contact.

Inconscient du fait que le garde du corps n'est pas réellement son garde du corps, je suis rassuré. Bien que ces élections soient sous haute surveillance, on est tous conscient que ça peut déraper. En plus Nina étant américaine et ne parlant pas serbe, elle devient une proie facile, presque idéale et moi je m'en inquiète. Un peu plus tard j'émerge pour l'aider plus ou moins à nous désaper, je meurs de chaud. Durant la nuit - trop courte et pas assez reposant - je n'ai de cesse de la consoler et de tenter de calmer ses cauchemars en la ramenant vers moi. Ma peau frissonne sous ses baisers, sous ses caresses que je rends sur le même rythme lent, endormi. La matin nous voit glisser au sexe, sans brusquerie, c'est un juste achèvement de la tendresse et de la tension de nos câlins. Je m'éveille après ça, soupire parce qu'il est l'heure, je dois partir. J'embrasse Nina et je m'extirpe du pieu en me faisant violence quand je voudrais rester contre elle toute la journée !

Je vais prendre une douche et je fouine dans le frigo pour avaler un jus de fruit et prendre un truc à manger. Je prépare aussi du café et un plateau pour Nina que je lui apporte au lit. Je pose délicatement le plateau sur la table de nuit avant de m'asseoir au bord du matelas. "srce, je dois y aller... Je te tiens au courant ok ? Ja volim te moj andjeo"

Je suis trop mal pour me soucier de ma vulnérabilité et je le laisse me réconforter toute la nuit, parce que j'en ai foutrement besoin. Je me promets pourtant que ça ne se reproduira plus, que je n'oublierais plus de prendre les cachets, que je serais plus forte que ça la prochaine fois. Une nouvelle vague d'angoisse m'envahit quand il se lève pour quitter le lit. Je voudrais l'accompagner sous la douche, rester encore dans ses bras mais je sais que ça ne ferait que rendre les choses plus difficiles alors je reste sagement sous les draps, parfaitement réveillée pourtant.

J'ai un sourire tendre quand il revient dans la chambre avec un plateau pour moi, je craignais qu'il s'en aille sans même me dire au revoir. Je me redresse tout tirant la couverture parce que j'ai froid maintenant que le lit est vide de sa présence, et je hoche la tête. Sois prudent, d'accord ? La phrase est vaine, je le sais bien, si dans le feu de l'action il décide de faire n'importe quoi, il ne va pas subitement s'arrêter en songeant qu'il m'a promis de faire attention ! Mais je le lui demande malgré tout... Je tends la main, caresse sa joue du bout des doigts avant de réclamer un long baiser. Je ne lui dis pas qu'il va me manquer, pourtant je sais que c'est vrai. File, tu vas être en retard.

Elle est absolument divine roulée dans la couette avec ses cheveux ébouriffés, son regard sombre, ses épaules nues et j'ai une douloureuse bouffée d'amour "T'en fais pas, je serais pas tout seul. Toi aussi sois prudente, ok ? je suis sérieux Nina..." Je ne sais pas j'ai l'impression qu'elle s'en fout d'elle ou alors elle ne prend pas la mesure des risques et je suis inquiet de la laisser. Pourtant, elle s'en est bien sortie sans moi durant quatorze moi mais c'était aux États-Unis. Je retiens un soupir, baisse la tête en me résignant à la laisser. Un dernier baiser, encore, un regard - long et intense. C'est bien plus difficile de la laisser que je ne l'aurais cru. Ses mains qui chipotent mes cheveux ne m'aident pas. J'ai trop de mal à verrouiller mes émotions à nouveau, à ne pas me laisser toucher mais il le faut bien. De nous deux, elle est la plus raisonnable et j'acquiesce avec un sourire "Ok, j'y vais. A demain zlato...." Demain c'est une éternité. Je me lève et je récupère ma veste qui traine par terre avant de sortir bosser.