WANNA AVOCUDDLE? • Nina

Je plante les yeux dans les siens pendant une seconde. Je ne sais pas si Slavo serait heureux de me voir, je sais que si je me retrouvais dans la même pièce que lui, j’aurais beaucoup de mal à me retenir de le provoquer. Faut croire que derrière la carapace du gentil garçon, il y a toujours ce quelque chose, prêt à sortir les crocs, douloureusement. « J’ai pas envie d’le voir. » C’est tres resumé et très édulcoré mais Nina n’a pas besoin de savoir ce que j’ai envie de faire à ce mec. Ce type qui ne représente pas que ce qu’elle a dû endurer elle, mais qui incarne aussi parfaitement l’enflure qui a abusé de ma sœur sans plus jamais lui adresser un regard. Sauf le jour de son enterrement. Qu’on me fasse croire que ce genre de mec a des remords, je vous rirais au nez.

J’ai un rire nerveux en l’entendant me demander de ne pas l’insulter: « Parle pas de lui comme ça? Tu t’rends compte de ce que tu me demandes un peu, ou pas? J’ai cru te voir crever sous mes yeux Nina. Me demande pas de respecter le type qui t’a mis dans cet état. » Je souffle doucement en avalant une nouvelle rasade de whisky. Je la laisse se nicher contre moi et ferme les yeux une minute. Là, tout est normal. Il ne manque plus qu’un grimpe sur mes genoux, que j’embrasse son cou, que… saloperie de souvenirs. Je rouvre les yeux, les plante dans les siens: « De pas avoir su te dire non. Ou de l’avoir fait trop tard. J’en sais rien. » Ma main se glisse dans un automatisme dans les creux de sa taille, et je me lève brutalement en en prenant conscience: « Je vais prendre une douche. Tu me montres où c’est? » C’est comme si sa peau m’avait brûlé les doigts.
Non on était pas ensemble, et on ne l’aurait probablement jamais été… mais on était quelque chose. Et je sais que Slavo remet en cause, par sa simple existence dans ces lieux, tout ce que nous avons été.

Je hausse les épaules et plante mes yeux dans les siens, avec un air sévère qu’elle ne m’a jamais connu je crois. Un rire nerveux claque dans ma gorge alors que je la relâche presque en sursaut: « Et quand t’avais envie de moi et que je te demandais d’arrêter, tu les as garde pour toi tes pensées?!» La bile me remonte amèrement dans la bouche et je profite de cette histoire de douche pour disparaître et me soustraire du regard de Nina. Si seulement elle avait pu garder tout ça pour elle, si seulement je n’avais pas cèdé, si seulement j’avais su lui dire non. J’en crevais d’envie, moi aussi. Mais je suis dans l’obligation de me rendre compte que je n’étais rien d’autre que le pansement qu’on retire une fois que ça va mieux. On en garde toujours un dans sa poche, c’est rassurant et ça fait du bien. Mais c’est tout.

Je ferme la porte et la verrouille derrière elle. Mes fringues tombent sur le sol et je me glisse sous l’eau chaude en fermant les yeux. Je ne sais pas pourquoi j’y ai cru. Mais je crois que vraiment, de tout ce qu’il y a de pire pouvant arriver, le retour de Slavo dans la vie de Nina est au sommet de ce que je pouvais imaginer. Je l’avais imaginée déprimée, déçue, un peu perdue. Pour tout ça. Je savais faire, je pouvais gérer le contre coup. Mais la? Rien. Il n’y a qu’a attendre qu’il la fasse souffrir encore - parce qu’il le fera - et être là, à ce moment là.
Je finis par rouvrir les yeux. L’eau chaude coule sur ma peau. Un instant j’oublie ou je suis, j’oublie qu’on est dans un autre pays et je me surprends à vouloir souffler son nom pour qu’elle me rejoigne.
Elle ne le fera pas. Alors je me tais.

Ses morts frappent dans mon esprit et je referme les yeux. Une seconde, deux, j'inspire, j'expire, j'essaie de me calmer. En vain. Au goût salé qui se démarque de celui de l'eau, il me semble sentir qu'une larme a dû couler sur mon visage. Je n'en sais plus rien. Mon poing frappe le carrelage, et je ne ressens même pas la douleur, c'est comme si tout ça m'avait finalement anesthésié. J'en ai vu d'autres, ça ira. J'ignore pourquoi je prends autant les choses à cœur. Sans doute parce que j'ai cru que de toutes nos blessures réunies pourrait naître quelque chose de différent, que j'ai cru qu'avec tout le mal qu'on lui avait fait, elle ne pourrait pas m'en faire autant. Bien-sûr qu'elle n'est pas responsable, bien sûr que je le savais, bien sûr, bien sûr. Mais j'ai oublié, je me suis laissé aller, j'ai voulu être heureux.

Pourtant, je ne peux m'empêcher de peser à elle, et je sais qu'elle ne peut pas bien vivre ce qui est en train de se passer, parce que nous étions si complémentaires que ça ne peut pas avoir changer du tout au tout. Je sors de la douche, arrête l'eau et en enroule la serviette autour de ma taille après avoir brièvement séché mon visage. Je sors de la salle de bain sans un mot, une larme coule encore le long de ma joue, et je vois Nina, penchée au dessus de l'évier. Mon coeur fait un bon dans ma poitrine, et je m''approche d'elle. Mes bras passent au dessus de ses fines, je la ramène fermement - mais avec douceur - contre moi en nichant mon visage humide dans son cou. Je souffle doucement contre sa peau, et j'inspire en soufflant à son oreille: - Pardon... Ma voix se brise et je referme les yeux sans me rendre compte que mes cheveux goûtent sur le sol, et que mon torse encore humide détrempe sa robe. - Aroha ahau ki a koe mo te anahera iti Elle ne sait pas ce que ça veut dire, et c'est très bien comme ça.