Shopping is physical interaction, exercise of decision-making capacity, sating of the desire to acquire ...

J'ai eu le temps de réfléchir durant ces trois jours où nous ne nous sommes pas vus, et pourtant je ne me suis toujours pas décidée. Je ne sais toujours pas si je le crois ou non, si je lui fais confiance lorsqu'il m'assure n'avoir pas couché avec elle. Son empressement à démissionner, la façon si brusque dont il s'est mis en colère aussi, tout montre bien qu'il a quelque chose à se reprocher, ou en tout cas qu'il ne se sent lui-même pas vraiment droit dans ses pompes. Mais à cet instant précis ça n'a pas la moindre importance. Il m'a trop manqué, et j'ai au moins eu le temps de réaliser qu'il n'avait jamais cessé de me manquer, même depuis que nous nous sommes retrouvés.

Il vient de l'extérieur et pourtant ses mains sont chaudes sur ma peau glacée, sa bouche fond sur la mienne avec une volupté qui me damne et je glisse mes mains sous son pull pour sentir la chaleur de sa peau. Mon leggings n'a certainement pas suffit à me tenir froid, et mon débardeur remonte déjà haut sur mes hanches au contact de son corps contre le mien. J'aurais dû mettre un pull, sans doute, je crois que je voulais me faire du mal, encore un peu plus. Je passe mes mains gelées sur ses flancs, tire sur ses fringues pour lui ôter son haut, sans impatience pourtant, mes gestes grandement ralentis par la kétamine.

Ses mains gelées sur ma peau brûlante me font frémir, non seulement à cause de la chair de poule que ça déclenche mais surtout parce que ses mains sont douces, que je retrouve cette sensation oubliée et pourtant familière, désirée si ardemment que j'en perds souvent le sommeil quand je suis loin d'elle.

Avec mon aide, elle m'ôte mon pull et je suis heureux de n'avoir que quelques contusions qui dans la pénombre ne se remarquent pas vraiment. J'ai fait attention à moi, son texto m'a sans doute aidé à être moins téméraire que ce que j'aurais pu être sans, même si je suis d'une nature à vouloir survivre envers et contre tout. Je ne suis pas suicidaire, ni tête brûlée, encore moins si ça risque de nuire à mes camarades et encore moins si j'ai une chance, même infime, que Nina m'attende.

Ma bouche cherche la sienne, ma langue se noue à la sienne dans une fébrilité qui tranche avec la langueur de Nina. Je presse davantage mes lèvres contre les siennes, retrousse son débardeur, le passe par dessus sa tête pour le jeter à l'aveuglette. Je ramène son corps transi de froid vers le mien, le réchauffe de ma peau. S'il y a quelque chose de sur aujourd'hui c'est qu'il n'y auprès d'elle que je ressens ces choses si fortes, amour, passion, désir irrésistible. Aucune autre ne soutient la comparaison ni ne la soutiendra jamais. Son leggings déserte la scène quand je tire dessus jusqu'à passer ses pieds et libérer son corps. Je ne remonte qu'à moitié, ma bouche sur son ventre, embrassant d'un baiser mouillé et mordillant, la chair qui frémit. J'imprime un autre baiser sur son sexe cette fois, appuyant plus fort mes lèvres, glissant un bout de langue entre les petites lèvres où je m'immisce avidement.

Brièvement, lorsqu'il pose ses mains sur ma peau, je pense à Ymke, j'imagine ses doigts sur elle, son souffle dans le creux de son cou, instinctivement je voudrais chercher des traces de son passage sur sa peau mais je sais que je n'en trouverais aucune. On a fait l'amour tous les jours avant cette dispute, et je n'ai rien vu, rien senti, pas une odeur qui n'aurait pas été la sienne. Dieu bénisse la kétamine qui m'aide à chasser ces images fantasmées de mon esprit blessé, à les remplacer par la sensation délicieuse de sa bouche sur la mienne. C'est la même chose, chaque fois qu'on se retrouve après une séparation, qu'elle soit volontaire ou non, longue ou pas. Je retrouve la chaleur de ses bras et je ne sais plus comment j'ai fait pour croire que c'était fini, que je saurais vivre sans lui. Les rideaux sont tirés mais il fait encore jour et il ne pleut pas, la lumière du soleil filtre suffisamment pour que j'aperçoive les ecchymoses qui marbrent sa peau. Elles ne sont pas trop nombreuses, pas trop noires non plus mais leur vision suffit malgré tout à me serrer la poitrine. Je les effleure du bout des doigts. Slavenko... C'est toute mon inquiétude que je souffle, mes questionnements aussi, auxquels je sais pourtant qu'il ne répondra pas.

Je lève les bras, me laisse docilement déshabiller, les membres encore tremblants, les seins tendus par le froid, ma peau frémissant de retrouver la sienne. Je suis bien trop ailleurs pour tenter de prendre le contrôle de la situation ou l'empêcher de faire quoi que ce soit. Je ne parviens qu'à m'alanguir un peu plus sous ses caresses, à soulever mon bassin vers sa bouche lorsqu'il la glisse entre mes cuisses. Le plaisir décuple les effets de la drogue, de l'alcool, et je ferme les yeux en rejetant la tête en arrière, bercée par la sensation de m'enfoncer dans les coussins. Je perds l'usage de la parole, toute capacité à former des phrases censées, et les seuls sons qui s'échappent de ma bouche sont des soupirs de désir et des halètements excités. Je m'abandonne complètement à ses soins, mon corps n'opposant pas la moindre résistance quand le désir de lui appartenir me tenaille de toute façon bien trop fort.

Je frémis quand elle prononce mon nom. Mon regard dilaté par l'ombre et le désir, grave, s'adoucit parce que ses doigts m'effleurent. Je m'émerveille qu'elle puisse encore s'inquiéter de moi. J'embrasse ses doigts pour lui signifier que tout va bien, que ce n'est rien, qu'elle n'a pas à s'en faire, et ma bouche part vers d'autres horizons, lui faisant oublier ces jours loin de moi, me les faisant oublier ! Rien ne me plait davantage que lorsqu'elle se laisse aller au plaisir que je peux lui donner, et c'est vrai que la drogue aide sans doute. J'aime assez baiser sous influence parce qu'alors elle a tendance à rendre les armes dès le départ, à ma laisser le seul maître de son plaisir et c'est quand elle a joui une première fois que je reviens sur elle pour nous unir. La vague de plaisir me submerge, familière et nos corps s'accordent. Mes mouvements ne sont pas doux pourtant, ils ont cette exigence dure née du désir brut. Pourtant je tente de repousser le moment où je rendrais les armes. Mon visage s'enfouit dans son cou, mon corps s'arque contre le sien avec une régularité qui évoque le flux et le reflux des vagues. L'orgasme enfle dans mes reins, et je gronde contre la peau de Nina, expirant dans un dernier râle le plaisir qui explose et me laisse démuni face au flot d'émotions qui succèdent inévitablement.

Je m'effondre contre son corps, ma bouche sur la sienne dans un autre baiser, voluptueux cette fois. Il n'y a rien que je ne veuille plus que la paix avec Nina. Ma main se glisse dans son cou, sous ses cheveux, en une caresse aimante. Je roule sur le coté, le cœur battant trop fort pour que ça ne soit pas douloureux, délicieux et que ça ne donne pas le vertige. Mes doigts se promènent sur la peau de Nina, la caresse, l'apprenne par cœur une nouvelle fois. Je me vautre dans nos odeurs mêlées, dans le calme avant que la tempête ne revienne, parce qu'elle revient toujours.

J'ai honte de l'admettre mais j'oublie ses blessures à la seconde où il se perd entre mes cuisses. Je ne suis plus focalisée que sur le plaisir égoïste qu'il me procure, et qui enfle avec un naturel qui en serait déstabilisant si je n'étais pas si stone. Inconsciemment même lorsque j'aspire à la délivrance, mon corps lutte toujours naturellement contre les contractions qui me secouent. Pas cette fois. La vague m'emporte en quelques minutes seulement dans un long feulement de soulagement qui me fait me tendre vers lui un peu plus fort. J'expire encore de plaisir quand il se loge au creux de mon ventre, faisant flamber les sensations qui me cramaient déjà les nerfs. L'étreinte prolonge délicieusement l'orgasme, et je susurre des "encore" contre sa peau pour qu'il ne songe pas à s'éloigner de moi. Il exulte dans le creux de mon cou et je me penche sur son épaule, gronde d'approbation en le serrant contre moi. Dans un élan de possessivité maladive, je darde ma langue sur sa peau pour en lécher le sel, les yeux clos, savourant les palpitations de son corps qui rend les armes contre le mien.

Nos corps restent soudés, liés dans cette position où pour une fois la gravité ne nous pose pas de problème. Je pose le bout de mes doigts sur sa mâchoire, inspire brusquement sous la fatigue qui me submerge soudain et à laquelle je ne veux pourtant pas céder, parce que je suis incapable de renoncer à lui. Reprenant mon souffle enfin, je m'étire contre son corps dont les muscles dessinés contrastent toujours avec la souplesse de ma peau. L'alcool, la drogue, les endorphines aidant, je souffle cet aveu que mon ego devrait faire taire : Je te veux à moi... C'est ce que j'ai toujours voulu, tout ou rien, depuis le premier jour. J'aurais préféré me passer de lui, quand c'était encore possible, que de devoir le partager.

Je devrais être content de son aveu, satisfait, en éprouver de l'arrogance peut-être mais ce n'est rien de tout ça. C'est de la tristesse que j'éprouve, qui me poigne le cœur. J'enlace Nina, câline son dos, sa nuque. Nos corps alanguis sont allongés l'un contre l'autre, s'épousant, peau contre peau. Mon front se pose sur le sien, mon corps se soulève dans un soupir. "Je suis à toi" Tant qu'elle veut de moi, je suis à elle. Mais les moments où je pense qu'elle ne me veut plus vraiment sont de plus en plus nombreux et le doute me ronge bien souvent. Depuis qu'elle s'est installée à Sarajevo, on dirait qu'elle se défend de m'aimer, qu'elle préférerait se libérer de cette emprise sans y parvenir, qu'elle attend seulement avec espoir que cela arrive. Est-ce seulement mon imagination? Une mauvaise interprétation des signes tels que sa volonté de divorcer malgré tout.

Je voudrais réellement éviter la discussion parce qu'il me semble qu'à chaque fois je dis le contraire de ce qu'il faudrait. C'est une malédiction, quelque chose comme ça. Mais depuis le temps je sais que me taire n'a jamais rien résolu entre nous, Nina ne supporte pas mon mutisme et là, j'ai une chance qu'on se comprenne, c'est toujours plus facile quand on vient de faire l'amour. "Je suis désolé de t'avoir blessée, srce moje." J'entortille une mèche de ses cheveux sombres autour de mon index "tu sais que je t'aime, pas vrai ? Je couche pas avec cette femme, je couche avec personne d'autre que toi. Je suis à toi"

Ce n'est peut-être pas évident d'un regard extérieur, mais je ne cherche pas à crever l'abcès ou à parler à tout prix de ce qu'il s'est passé. Je suis bien au-delà de ce niveau de réflexion, et le fil de mes pensées est décousu, incohérent. Je n'ai pas pris que de la kétamine, c'est ce qui explique que je sois si réceptive d'ailleurs, on m'a filé du rach, un opiacé bas de gamme qui fait bien son taf pour apaiser les sens, désensibiliser à la douleur aussi. Je pallie à la souffrance comme je peux. Il a raison au fond, je ne suis pas sevrée, peu importe ce que je me raconte en me berçant d'illusions supposées me rassurer.

Je baisse les yeux, frotte mon nez contre son épaule où je me cache en haussant négligemment les épaules à ses excuses. C'est quand même incroyable qu'il faille toujours en arriver à de telles extrémités pour lui en tirer. Tu ne m'aimes plus depuis qu'on a divorcé... Les mots sortent sans filtre, mais sans mensonges également. Je n'ai jamais rien voulu détruire, sinon lui faire comprendre qu'il ne pouvait pas continuer à fêter un engagement qu'il avait bafoué de toutes les façons possibles. C'est lui qui ajoute à cet acte toutes les significations que je ne voulais pas lui donner, qui se comporte désormais comme si nous n'étions plus rien d'autre que des amants. C'est pas juste une question de sexe, tu le sais... Ce n'est pas seulement le fait qu'il ait ou non couché avec elle, c'est ce qu'il lui a permis de s'imaginer, ce qu'il l'a laissée faire, ce qu'il a encouragé.

"bien sur que je t'aime toujours. c'est pas ça..." Je secoue la tête négativement. Mais je suis d'accord avec elle, ce n'est pas juste une question de sexe, non bien sur que non, sinon je n'aurais pas ce sentiment d'être mal à l'aise en pensant à Ymke. Je n'ai pas baisé avec elle mais il est certain que son insistance m'a flatté, a réparé une blessure d'ego, je ne peux pas me mentir au point de ne pas m'en rendre compte. "c'était...c'était agréable de sentir que quelqu'un me voulait, même si c'était pas celle que moi je voulais." Je me tais, laissant l'amertume de la phrase devenir supportable pour pouvoir continuer "j'ai l'impression que tu ne me veux plus. Ou plutôt qu'un part de toi me veut mais que ça emmerde l'autre, que tu es là seulement pour chercher à te... "libérer" ?" Et que le moment venu, elle y parviendra et partira à son tour. Pour la consoler ou me rassurer, je ne sais pas, je me penche et embrasse son front, caresse son épaule douce "mais je t'aime." J'esquisse un sourire penaud "je n'aurais pas du continuer à travailler pour elle, je crois... ça me flattait, c'était stupide." Ce n'était qu'une pure question d'ego, je dois bien l'admettre, et c'est là où c'est ridicule!

Je soupire, désolé de mon attitude depuis le divorce mais c'est plus fort que moi. Tout m'échappe, je ne contrôle rien et j'ai la sensation d'être emporté par un torrent où je me noie. Je n'ai jamais aimé ne pas contrôler les choses, ça m'effraye même si je ne l'admets pas à haute voix. C'était déjà la même chose avec l'avortement. Je ne contrôlais rien : ni l'événement en lui-même, ni la douleur de Nina, ni la mienne, et ça m'a fait partir en vrille. Je déteste cette sensation du sol qui se dérobe sous moi. "C'est le réveillon ce soir... je dois y aller..." ma phrase est en suspension, interrogative parce que je ne sais pas si elle vient, si elle veut venir, si elle est en état de venir. Malgré mon désir qu'elle m'accompagne, je n'ose pas lui demander pour ne rien lui imposer.

Ses explications ne soulagent en rien mes blessures, au contraire je crois qu'elles les creusent un peu plus encore. J'arrive pas à croire que tu puisses dire une chose pareille... Comment peut-il seulement prétendre, et pire encore l'exprimer à voix haute, que je ne le veux pas ? Je n'ai de cesse de le réclamer, de revenir vers lui même lorsqu'il me fuit, je ne me suis pas éloignée de lui, même après avoir envoyé les papiers du divorce. Et s'il ne s'agit pas de savoir s'il a ou non couché avec elle, il est bien question d'attirance physique pourtant, de désir charnel. Je les ai vus ensemble, j'ai lu les messages qu'elle lui a envoyés et c'est tout ce qu'elle avait à l'esprit. On passe notre temps au pieu, accrochés l'un à l'autre, je réclame sa peau inlassablement, comment pourrait-il ne pas se sentir désiré ?!

Je tourne la tête dans un mouvement d'humeur pour me soustraire à sa bouche, instable. Si je voulais me libérer je serais restée à New-York. J'en ai eu l'occasion plus d'une fois. J'aurais pu ne pas le suivre lorsqu'il est venu jusqu'à Brooklyn pour me demander de le suivre à Sarajevo, quand on s'est disputés au sujet du divorce, j'aurais pu le laisser prendre l'avion pour rentrer, après tout il m'a prévenue qu'il voulait le faire. Et durant les deux jours qu'il a passés en mission, j'aurais pu rentrer également. Vue la piètre opinion qu'il a de moi, j'ai de plus en plus de doutes concernant l'amour qu'il m'assure pourtant ressentir.

Je roule sur le dos, les larmes aux yeux, la poitrine soulevée par un lourd soupir et je pose mon bras sur mon front. Je sais. Ce n'est pas pour moi qu'il est rentré ce soir, c'est pour ne pas louper le Réveillon de Noël avec les siens. Je souffle avec amertume : Tu ne me considères déjà plus comme ta famille, alors vas-y sans moi.

Elle ne comprend pas ce que je veux dire et je doute d'y arriver. Elle ne se rend pas du tout compte de l'impact que le divorce a eu sur moi et je regrette amèrement d'avoir cédé, même si elle aurait de toute façon pu envoyer quand même les papiers puisque je les avais signés avant qu'on se remette ensemble. Je réponds seulement dans une dernière tentative de "j'ai dit que tu luttais contre, je sais pas... une sorte d'emprise malgré toi ? pas que tu y arrivais..." Je soupire. "ok laisse tomber..." Je n'arrive décidément pas à m'exprimer, comme d'habitude. Je ne sais pas pourquoi j'essaye encore.

Elle roule sur le dos et je me redresse, assis dans le pieu, le visage tourné vers elle qui cache le sien. Il y a un gouffre d'incompréhension entre nous. "Comment veux-tu que je te considère Nina ? Je peux dire que tu es la femme que j'aime, qu'on vit ensemble, c'est tout. C'est ce que je dirais si tu viens avec moi à cette fête." J'y ai réfléchis longtemps. La femme que j'aime, et pas ma femme comme je ne suis plus son mari. Et après elle ose dire qu'elle n'a pas rompu le lien d'appartenance ? Comment est-ce qu'elle ne s'en rend pas compte ? Ymke n'est qu'un symptôme de ma souffrance, comme la drogue est celui de Nina. Jusqu'où va-t-on se détruire comme ça ? C'est la question.

Il a raison, mieux vaut laisser tomber parce qu'on ne parviendra pas à se mettre d'accord à ce sujet. Il pensait déjà ça du temps où on était ensemble à New-York, et si j'étais légèrement plus réfléchie je tairais les mots qui passent pourtant mes lèvres : Tu auras passé ta vie à penser que je reste avec toi seulement parce que j'ai envie de me barrer mais que je n'y arrive pas. C'est bien, continue, c'est exactement le genre de raisonnement qui t'a poussé à partir parce que tu étais convaincu que c'était ce que je voulais que tu fasses, et que j'avais juste pas les couilles de te le demander. C'est lui qui s'est barré, lui qui se plie à sa famille depuis le départ plutôt que de se battre pour imposer notre mariage, et pourtant c'est moi qui suis vue comme lâche et faible parce que je n'arrive soi-disant pas à le quitter. L'idée que malgré la douleur j'ai peut-être seulement envie que ça fonctionne ne lui effleure donc jamais l'esprit.

Les substances ingérées me conférant un tempérament plus immature encore qu'à l'ordinaire, j'espérais qu'il me contredise. Qu'il m'assure que si, bien-sûr, je suis encore sa famille, que j'ai toujours été sa famille. Au lieu de ça, il affirme exactement l'inverse, et le vide dans ma poitrine se creuse plus profondément. On vit ensemble, c'est tout... Je répète tout bas, à la fois incrédule et blessée, pas par moquerie mais pour m'imprégner de ces mots que je redoutais tant. Il peut dire ce qu'il veut, notre mariage n'était qu'un ridicule bout de papier sans la moindre valeur. Il aurait eu de l'importance s'il n'avait pas rompu ses vœux. Il a beau jouer les hommes blessés, bafoués, c'est lui qui a brisé notre mariage, je n'ai fait que rendre ses actes officiels, charge à lui d'en assumer les conséquences. Alors tu n'as qu'à me considérer comme ta colocataire. C'est ce que je suis désormais, il m'a fallu un temps fou pour le comprendre. Une colocataire, avec laquelle il couche. C'est tout.

"Pourquoi je le pense à ton avis ?" C'est la grande question non ? Je ne suis pas que parano, ou en manque de confiance, je crois que j'ai aussi des raisons avec son comportement d'être en insécurité. Est-ce que réellement elle ne voit les torts que de mon coté ? Est-ce je suis juste taré ? Peut-être que c'est ce qu'elle pense. Peut-être que c'est vrai après tout !

Elle retient le vivre ensemble mais pas qu'elle est la femme que j'aime. Et sa répartie me heurte. colocataire ? Sans rire ? Le mot me blesse et si c'est ce qu'elle cherchait, c'est réussi. Mon visage se ferme complètement et je regimbe, le ton bref comme toujours quand je suis vexé ou blessé. "Non. Je ne veux pas d'une colocataire, je n'ai pas besoin d'une colocataire. J'ai besoin de toi et que tu sois ma femme mais visiblement, c'est trop pour toi." Je me lève du lit dans un geste saccadé, étouffant à rester ici et je quitte la chambre, désespéré. Je me réfugie dans la salle de bain, m'appuie contre la porte que j'ai refermée pour reprendre mon souffle, tenter d'endiguer l'angoisse mêlée de colère que je ne peux pas me permettre de laisser monter. Je frappe brutalement du poing contre la porte derrière moi, pour me faire mal, que la douleur stoppe mes pensées, et je décolle mon corps pour aller me coller sous la douche. Je dois de toute façon me préparer pour ce soir, même si je n'ai plus vraiment envie d'aller fêter Noël !

Je ne lui réponds même pas. Contrairement à ce qu'il s'imagine, je suis loin de penser qu'il est le seul à être en tort dans l'échec cuisant que représente notre mariage. En revanche je ne crois pas avoir fait autre chose que lui donner des preuves, inlassablement, que j'avais réellement envie d'être avec lui. Si tous les sacrifices auxquels je me suis pliée ne suffisent pas à l'en convaincre, je ne peux plus rien faire pour lui et alors oui, certainement que nous sommes foutus.

Evidemment, il s'emporte, comme toujours dans ces cas-là, il est bien connu que le sexe ne parvient qu'à nous réconcilier provisoirement, pas à panser nos blessures. C'est toi qui me traites comme si je n'étais que ça ! J'aimerais bien savoir comment il parlait de moi à Ymke, avait-elle seulement connaissance de mon existence ? Peut-être qu'il n'a jamais parlé de moi, peut-être que c'est exactement ce qu'il lui a dit... "Je vis avec elle, c'est tout." Je suis vraiment tentée de le laisser se barrer mais on ne peut pas continuer à simplement prendre la fuite tout le temps, parce qu'on est en train de foncer droit dans le mur. A quoi ça rime ? Je me barre encore de mon côté, il va au Réveillon, on se retrouve ici dans deux jours, on baise et ça recommence ? Alors je me lève, le rejoins dans la salle de bain sans me soucier du fait qu'il veuille être seul, qu'il aille se faire foutre. Je ne pousse pas le vice jusqu'à le rejoindre sous la douche, je m'adosse au mur à côté de la cabine, mon regard braqué sur lui. J'essaie de mesurer ma voix quand je reprends. Moi aussi, je voulais être ta femme... Je veux être ta femme... Mais pas comme ça. Je pensais pourtant avoir été suffisamment claire, qu'on s'était enfin compris.

Je fais volte face quand la porte s'ouvre, comme un animal aux abois. Je suis nu et Nina se trouve entre moi et la porte, et j'ai vraiment cette sensation d'être acculé. Je la regarde se déplacer jusqu'au mur où elle s'adosse et son regard posé sur moi me rend méfiant, crispé, sur la défensive. Une nouvelle fois sa phrase me heurte par le passé employé, c'est comme si elle s'évertuait sans cesse à vouloir me blesser. Je devrais pourtant être blindé, mais je n'y arrive pas, vulnérable. Puis elle change la formulation et je me tais d'abord prudemment, essayant de comprendre ce qu'elle essaye de me dire. Enfin, je dois être trop con parce que je n'y arrive pas et la colère cède brusquement la place au désarroi et au découragement dans ces montagnes russes émotionnelles typiques de mon amour pour Nina.

Je réponds d'une voix basse et contrainte, mesurée pour suivre son exemple "C'est quoi pas comme ça ? Et c'est quoi pour toi être ma femme ?" Je crois que nos définitions sont bien loin l'une de l'autre. Je dois être foutrement plus romantique ou traditionnel qu'elle mais c'est pas vraiment une nouveauté. "Je ne comprends pas ce que tu veux Nina, ni ce que je suis censé faire. Je..." Je secoue la tête en faisant le constat d'un air triste, dépité, amer. "J'arrive pas à encaisser ce divorce. Je croyais que c'était pas grave, mais si..."

Moi aussi je suis complètement à poil, mais disons que la pudeur que je ressens habituellement dans ce genre de moments est inhibée par tout ce que j'ai ingéré. Pour une fois, ça m'arrange bien si vous voulez savoir. J'aurais dû me douter qu'il ne comprendrait pas, je pensais pourtant avoir été claire notamment lorsqu'il m'a dit qu'il ne promettait pas de ne jamais me redemander en mariage, et que j'ai répondu que je ne lui demandais pas de le faire... Je ne dis pas que je ne veux plus jamais être mariée, ce n'est jamais ce que j'ai voulu dire. Je crois que si j'ai tant de mal à me faire comprendre, à exprimer ce que je ressens, c'est avant tout parce que j'ai quand même conscience que ça peut sembler absolument ridicule, et j'ai peur qu'il ne parvienne jamais à se mettre à ma place.

Je soupire en secouant la tête, cherche mes mots sans en trouver d'autres que ceux déjà utilisés par le passé. Je ne dis pas ça pour te blesser, ni même avec rancœur mais... Que ça te plaise ou non, que tu l'acceptes ou non, tu as détruit notre mariage le jour où tu es parti. Je ne peux pas juste reprendre les choses là où on les a laissées, je te l'ai déjà dit... C'est faire comme s'il ne s'était rien passé et c'est trop difficile pour moi, trop douloureux. Je ne veux pas nous faire régresser, qu'on ait moins qu'avant, c'est juste... Je passe une main sur mon front, l'esprit trop embrumé pour être certaine de m'exprimer clairement. J'ai besoin de repartir à zéro, j'ai besoin d'une relation, d'un mariage qui ait du sens, pas de quelque chose qui soit construit sur des mensonges, des rancœurs et des abandons... Je voudrais juste faire les choses correctement cette fois, ne pas vivre une histoire dans laquelle tu me jettes six mois après m'avoir épousée. Les dents plantées dans ma lèvre inférieure, je me décide enfin à relever le visage pour tenter de croiser son regard.

Je me crispe, mais je ne suis pas surpris de ses paroles parce qu'elle me les a déjà dite, sauf que je n'ai pas du tout le même ressenti qu'elle. "Je sais ce que tu m'as dit et je peux comprendre ton point de vue d'une certaine façon. Mais je n'arrive pas à faire ce que tu veux, je ne peux pas repartir à zéro, pas comme ça, pas... Tu dis que tu as besoin de repartir à zéro mais d'un autre coté, il s'est passé quelque chose. Y aura... y aura toujours un avant et un après, quoique je fasse. " Je n'arrive pas à me faire à ce paradoxe, cette ambivalence. Détruire le reste de notre mariage pour repartir à zéro. Je le vis réellement comme ce qu'elle appelle une régression. Elle a trouvé le mot juste. Et ce qui fonctionne pour elle ne fonctionne pas pour moi, je pensais sincèrement y arriver mais visiblement pas. C'est à mon tour de me sentir démuni, je me sens peut-être abandonné mais laissé pour compte. Parce que là quoiqu'elle dise, on vit ensemble mais et quoi ? Quoi d'autre ? Si c'est pas une colocation avec avantages c'est quoi ?

Je ne soutiens pas son regard, je suis trop tourmenté et malheureux pour réussir à le faire. Fait exceptionnel, c'est moi qui me sens vulnérable parce que je suis nu, et elle qui s'en fout, fait abstraction de la situation. J'ai tout eu d'elle, j'ai tout cassé, et pourtant je veux encore tout. Je saisis bien ce que ma réaction peut avoir d'égoïste mais je n'arrive pas à faire autrement, et avec toute la bonne volonté du monde, je ne vois pas comment faire autrement. C'est tout ou rien, ça a toujours été comme ça, je n'ai pas appris à composer avec la violence de mes émotions et dès qu'elle se dérobe, même pour se protéger, même parce que je l'ai blessée, je vrille. Seulement cette fois, ce n'est pas par la violence, seulement par ce sentiment constant de noyade. Je finis par m'asseoir par terre, pour me sentir moins exposé. Je baisse la tête, frotte ma nuque avec ma main, sans trouver de solution à notre problème.

Le simple fait qu'il soit au moins capable de comprendre ce que j'essaie de dire, même s'il n'est pas d'accord avec moi, est déjà rassurant. Au moins n'ai-je pas encore l'impression de m'exprimer dans le vide. Et moi aussi, je comprends ce qu'il veut dire. C'est complètement paradoxal de vouloir repartir en zéro, tout en admettant que je refuse de faire comme si rien ne s'était passé avant. Pourtant c'est ce à quoi j'aspire, ce que j'essaie de mettre en place pour tenir le coup. Bien-sûr qu'il y aura toujours un avant et un après, que rien ne sera plus jamais pareil, qu'il ne regagnera jamais tout à fait ma confiance, qu'une partie de moi lui en voudra éternellement... Mais j'aimerais, sans rien oublier, parvenir à dissocier l'avant et l'après. J'y suis déjà parvenue par le passé, en dissociant la vie menée à la Nouvelle-Orléans et celle menée à New-York. Je suis consciente de ce qu'il m'est arrivé, certaines séquelles sont encore gravées en moi, mais je ne pourrais pas vivre au quotidien sans cette carapace qui me permet presque d'imaginer que c'est arriver à une autre que moi. Je suis folle à lier mais c'est ça que je veux, imaginer qu'il a quitté une autre que moi.

Comme il se laisse glisser au sol, je me décolle du mur pour le rejoindre, m'étirant vers lui dans un mouvement lent mais irrésistible. C'est merveilleux, la kétamine annihile la colère et me laisse avec cette sensation d'intense clarté. Au milieu du bordel sans nom que représente notre relation, persiste la certitude que je veux être avec lui, que je veux être à lui, et tout est plus simple lorsque la rancœur ne vient pas obscurcir mon jugement comme elle le fait d'ordinaire. Je prends la place qui est la mienne sans demander la permission, m'asseyant sur ses cuisses, et la chaleur de son ventre contre mon sexe envoie une décharge électrique dans mes nerfs. Tu dis que tu ne peux pas repartir à zéro comme ça... Alors comment ? Dis-moi quoi faire Slavenko, dis-moi comment faire... Je prends sa main dans la mienne, noue mes doigts aux siens. Dis-moi ce que tu veux...

C'est moi qui créé des boites mais c'est elle qui veut effacer, mettre à l'écart, dissocier, c'est le monde à l'envers. Depuis le début, les repères sont flous, changés. Moi qui suit plus câlin, moins dans le sexe et la domination, et elle distante, qui se protège bien sur. Et pourtant c'est elle qui vient, qui s'installe avec son air de chatte ronronnante sur moi et mon cœur fond douloureusement d'amour. Sa peau nue glisse sur la mienne et soudain ça ne me semble plus incongru d'être nu, je ne me sens plus si vulnérable mais plutôt à ma place. J'enroule un bras dans son dos et je me voûte jusqu'à poser mon front sur son épaule. Je hume son parfum, je me repais de sa chaleur en lui abandonnant une main.

A sa question, je secoue doucement la tête contre elle. Après un silence, je finis par admettre "je ne sais pas. Ce serait plus facile si je savais." J'embrasse un coin de peau, juste à ma portée, sans que j'ai à bouger. La main dans la sienne presse ses doigts, l'autre dans son dos glisse sur sa peau de soie jusqu'à ses reins. Elle est belle, douce, rebelle, indépendante, bien plus forte que moi et je suis amoureux d'elle à en mourir. Je sais au moins certaines choses, évidentes et si les premiers mot coulent lentement, le flot devient plus fluide "Je ne veux pas être ton colocataire. Je ne veux pas que tu me quittes. Je ne veux pas que tu crois que je te trompes. Je ne veux pas que tu détricotes tout ce qu'on a été, tout ce qu'on est encore. Je ne veux pas qu'on vive côte à côte sans être vraiment ensemble. Je te veux Nina, toute entière. J'ai changé. Je veux que tu sois ma famille, je veux construire quelque chose avec toi, je veux qu'on ait une maison, je veux pouvoir fêter nos anniversaires sans que je me demande si tu y crois vraiment, je veux qu'on aille au resto comme on allait chez les Paki, qu'on dévalise une bijouterie avant d'aller bouffer au Mc Do, qu'on aille au ski ou à la mer, qu'on fasse l'amour sous la douche, dans la cuisine, qu'on aille au ciné, je veux tout." Voilà je veux tout. Maintenant, tout de suite. Comme un gosse capricieux. Son corps chaud a réveillé mon désir, son sexe mouillé contre mon ventre plus encore et ma tirade n'a fait qu'exacerbé ce désir. Ma queue est dure contre sa peau et je grogne, empli de pulsions à assouvir, de désir, de besoin de la posséder d'une façon ou d'une autre. "Viens sur moi"

Ses mots résonnent dans mon esprit en un drôle d'écho, parce que je les lui ai déjà dit cent fois moi-même... Chaque fois que je suis triste, en colère, que les blessures qu'il m'a faites se réveillent et me heurtent à nouveau. Chaque fois que je me souviens qu'il est parti, que je me retrouve à pleurer dans ses bras de ne pas parvenir à oublier... Chaque fois qu'il me demande ce qu'il doit faire pour que j'aille mieux, pour m'aider à le pardonner, pour qu'on puisse passer à autre chose. C'est ce que je lui ai répondu, toutes ces fois-là. Je ne sais pas, et ce serait tellement plus simple si je savais...

Mais tout est déjà tellement plus simple quand nos peaux sont en contacts, nos corps l'un contre l'autre. Pas après l'amour, non, parce qu'alors le plaisir reflue lentement et laisse les émotions délétères revenir. Mais juste avant, quand le désir enfle dans nos ventres et brouille les signaux négatifs. Son discours m'émeut et me fait sourire à la fois, parce que c'est si facile finalement... J'abandonne sa main pour pouvoir, en me soulevant, guider sa queue entre mes cuisses brûlantes, encore moites de nos retrouvailles, et le loger au fond de mon ventre. Je m'immobilise dans un soupir extatique, prends son visage en coupe entre mes mains, mon front se posant sur le sien. C'est ce que je veux aussi, moja duša, c'est tout ce que je veux... Je donne une légère impulsion du bassin, seulement pour le sentir frémir entre mes cuisses. Tu peux tout avoir, Slavenko, je suis à toi, ja sam tvoj.

Evidemment, ce serait facile si on avait un mode d'emploi, mais à 40 balais, Nina est ma première relation sérieuse et je n'ai jamais eu d'exemple probant sous les yeux. Quant à elle, elle m'a répété plusieurs fois que j'étais le premier amour de sa vie. Notre passion est de toute façon unique, explosive, intense, décuplant toute joie et toute peine. J'expire un grondement rauque quand elle s'empale sur moi, mes mains se posant aussitôt sur ses hanches, exigeantes, avides. Je relève le visage quand elle le prend entre ses mains. Enfin je soutiens son regard, parce que je suis logé au fond de son corps accueillant et je crois bien que malgré moi mes yeux s'embuent à sa déclaration, parce que je veux qu'elle soit à moi avec cette folie délirante. Avec un gémissement de bête blessée je m'empare de sa bouche, lie ma langue la sienne en la pressant contre moi, en m'enfonçant plus fort en elle avant d'haleter contre sa bouche. "C'est toi que je veux, toi... Nina, volim te, zelim da za sebe, reci mi ponovo. Molim te srce, molim te, ti si moja, ti si moj andjeo."

Mes mains sont crispées sur sa chair, l'aidant à bouger en essayant de respecter son rythme même si fatalement, je cherche plus de sensations, de plaisir, je cherche le rush, la délivrance. Pourtant, je n'ai pas envie que ça s'arrête, c'est tout le paradoxe de nos étreintes, encore plaisir brut et désir d'appartenance éternel.

Au fil des semaines qui s'écoulent à Sarajevo, je constate enfin les résultats des efforts fournis pour apprendre sa langue, et si je ne suis pas encore capable de tenir une conversation, je comprends aujourd'hui tous les mots d'amour qui passent la barrière de ses lèvres... Et c'est au départ la seule raison qui m'a poussée à vouloir apprendre. Je mords sa bouche, gémis d'une voix rauque : Sam tvoj, sam tvoj... Je le répète inlassablement, comme une litanie, entre chaque coup de rein qui le pousse plus loin en moi, plus fort. Je ferme les yeux sous l'afflux de sensations et d'émotions trop fortes, laisse mon instinct prendre le dessus et faire bouger mes hanches dans ces mouvements désespérés qui caractérisent toutes nos étreintes. Ma respiration se perd en accrocs saccadés contre sa bouche jusqu'à ce que je bascule dans un cri.

L'orgasme me ravage les nerfs, vrille ma conscience et je plonge mon visage quelque part dans le creux de son épaule, haletante, les cuisses tremblant spasmodiquement. Le temps se fige à l'image de nos corps immobiles, tétanisés, jusqu'à ce que, après une inspiration plus brusque, je ne revienne chercher ses lèvres de miennes. Je suçote sa langue avidement, dans un baiser à la fois désespéré, triste, reconnaissant et tout un tas d'autres émotions que je n'analyse pas très bien. Ce faisant je cherche ses doigts pour les guider vers ma poitrine et je susurre : Ja sam tvoj... Marque-moi...

"Je t'aime srce, je t'aime" C'est ce que je dis dès que l'orgasme a reflué et me laisse avoir à nouveau recours à des mots intelligibles, avant que ses baisers ne me retournent le cœur et ne me brouillent l'esprit. Je soupire contre sa bouche, mordille ses lèvres, gémit encore. Mes mains s'emparent de ses seins que je pétris avec force, je baisse la tête pour m'emparer du renflement que j'amplifie de mes paumes. La marque de mes doigts, de mes dents s'impriment dans sa chair à la blancheur délicate. Traces rouges qui bientôt seront bleues, traces qui la déclarent mienne. Je tends la main vers le bouton de la douche et l'eau s'écoule en un flot froid qui hérisse nos peaux. Je protège Nina de mon corps, mes bras autour d'elle, et l'eau devient chaude en nous enveloppant.

Je reviens poser mon front contre le sien, frotter mon nez sensuellement avant de chercher à nouveau ses lèvres beaucoup plus tendrement. De ma large main, je frotte sa peau, son dos, je lisse ses cheveux en arrière pour éviter qu'elle n'ait de l'eau dans les yeux. Je prends soin d'elle, la câline avec tout l'amour qu'elle est capable de susciter en moi. Nous n'avons pas vraiment réglé nos problèmes mais au moins on sait qu'on s'aime mutuellement, c'est déjà un grand pas.

Les marques que je réclame, ou celles qu'il m'inflige de lui-même, ne sont plus comme autrefois teintées de violence et de rage. Elles sont parfois encore faites dans la brutalité d'une étreinte sauvage, mais il n'a plus ce désir de me blesser pour prouver que je lui appartiens, je le sais, je ne lis plus la même colère constante dans son regard... Et ça fait du bien de ne plus l'y voir. Ma peau rougit sous ses dents et je soupire longuement, comme apaisée de retrouver ces marques d'appartenance auxquelles je n'ai jamais cessé d'aspirer.

On reste un moment assis au sol à se caresser mutuellement, jusqu'à ce que ça devienne réellement inconfortable. Alors on se lève, je chancelle légèrement, et je lui tends le gel douche dans une invitation silencieuse à ce qu'il s'occupe de moi encore. Je pivote pour pouvoir m'adosser au mur carrelé, mes mains posées sur son torse. Je veux venir avec toi ce soir... Je me hisse sur la pointe des pieds, tends le cou pour réclamer un baiser où je souffle contre ses lèvres, tout bas : Et je ne suis pas ta colocataire, on n'est pas juste... Amants... Je passe mes mains sur ses joues râpeuses, il ne s'est pas rasé depuis sa démission. Tu es l'amour de ma vie... On fera comme tu veux, Slavenko, je veux seulement être avec toi... Toujours.

Debout, je la savonne lentement, explorant doucement sa peau, glissant de l'index et de la paume, frémissant à la soie de la sensation délicieuse, les pupilles dilatées de plaisir. Je suis heureux qu'elle décide de venir finalement et un rayon de lumière intérieur éclaire mes traits graves. "Je veux être avec toi aussi, zlato" je me promets intérieurement d'essayer plus fort encore pour qu'on se reconstruise. Je l'aime et quand elle est pendue à mon cou, quand je lis son regard sans colère à présent je sais qu'elle m'aime aussi. "tu es mon amour, moja dusa, et je suis à toi aussi." Me tâche achevée je lui donne le gel douche à mon tour, dans un geste rare qui lui demande de renverser les rôles un instant. "Tu viens avec moi, bien sur tu viens avec moi, c'est Noël et tu es ma femme. Même sans mariage tu es ma femme. Tu es à moi" Je ferais taire les mauvaises langues, les détracteurs, les sceptiques. Nina sera la plus belle, étincelante à mon bras, j'en suis persuadé. Mon regard l'enveloppe, protecteur, plus confiant aussi.

Un très bref instant, mon regard se voile lorsqu'il me dit qu'il est à moi, parce qu'alors je pense à Ymke, à la façon encore dont elle a remis son noeud de cravate en place comme s'ils étaient ensemble. Je répète d'une voix plus basse : Tu es à moi... Si cette femme n'était pas si inatteignable, si je ne craignais pas tant de me faire buter par les Tigrovi aussi, je chercherais à la blesser, je le sais. L'idée tourne en boucle dans mon esprit, le besoin de lui faire payer son arrogance et les droits qu'elle s'est octroyée. Et ça ne me ressemble pas, ce désir de vengeance, d'autant plus ridicule qu'il ne s'est rien passé d'autre que des sous-entendus graveleux. Une bouffée de tristesse m'envahit, je crois que je commence aussi à redescendre de mes prises, et j'enfouis mon visage dans son cou en répétant d'une voix légèrement tremblante : À moi... Pas à elle, ni à personne d'autre... J'inspire à fond, me shoote à son odeur pour tenter de me ressaisir. C'est avec moi qu'il est ce soir, dans mes bras qu'il s'endormira cette nuit, et ça devrait suffire, n'est-ce pas...?

Je relève le nez en reniflant piteusement, avise le gel douche sans comprendre tant le geste est inattendu avant de m'en emparer brusquement, de crainte qu'il ne change d'avis. J'en verse généreusement dans mes paumes, les pose sur ses bras en répétant comme un mantra : Je suis ta femme... C'est moi qui ai demandé le divorce et pourtant je n'ai jamais réussi à me voir autrement. Je suis sa femme, presque depuis le premier jour, je ne supporte pas d'autre vérité que celle-ci, ce qui me fait d'ailleurs réaliser toute mon ambivalence ! Je suis complètement cinglée. Je le savonne lentement, mon front posé sur son épaule pour que son corps continue malgré tout d'envelopper le mien. Je suis ta femme, je serais toujours ta femme... Un jour, peut-être qu'on se mariera à nouveau, correctement cette fois, et qu'on achètera cette maison qu'il veut tant. Je l'enlace soudainement dans un élan désespéré. Bon sang si tu savais comme tu m'as manqué, comme je me suis inquiétée pour toi ! Je ne sais oas pas d'où ça sort, sans doute parce que je viens de passer mes mains mousseuses sur ses bleus et de réaliser par la même occasion que j'aurais pu ne pas le retrouver.