[Rauera] Demain dès l'aube.

J’avais arrêté de faire de la photo depuis New-York.
Ca fait quoi, un an maintenant ?

Il me semble pourtant que c’était il y a une éternité, que je grimpais le long des bâtiments avec tout un jeu de cordes, le plus souvent sans permission, juste pour capter le bon angle et la bonne lumière. C’était...Ouais, pour moi c’était il y a longtemps. Le temps n’est pas passé pareil pendant mon petit exil à la frontière du Mexique. Le temps ne passe pas pareil à Sarajevo. Il est gris, noirâtre, et il se traîne, un peu comme cette espèce de rivière qui traverse toute la vielle, aux berges desquelles je suis descendu tôt ce matin.

Il ne doit pas être loin de six heures, le jour dort encore un petit peu. Il appuie sur snooze en permanence et à chaque fois une étoile de plus s’éteint. Le temps se traîne interminablement, quoi qu’on y fasse et moi hier soir, j’ai retrouvé mon appareil qui marchait encore. Je l’ai chargé toute la nuit, et je suis descendu.
J’ai peut-être perdu mon compas dans l’œil va savoir, tant pis on teste. Ce n’est pas de l’argentique alors on fait ce qu’on veut. Il n’y a personne autour de moi pour juger et puis de toute façon, les mains gantées, le nez dans mon écharpe, qui me reconnaîtra ?

Je me demande si ils se sont rendus compte que j’étais parti. Peut-être pas. Ces cons sont tellement pris dans leurs paperasses qu’il leur faudra probablement quelques temps avant de réaliser que je ne serais pas là pour la prochaine séance de mon procès. C’était plus facile de fuir que ce que j’avais pensé, sans doute parce que j’ai encore quelques faussaires capables de me fournir des faux-papiers dans mes contacts du Bronx. C’est un drôle de truc d’être fugitif quand on a passé la moitié de sa vie à être flic, aussi corrompu que j’étais, j’ai jamais aidé quiconque a fuir.
Mais ce coup-ci, c’est moi qu’on a aidé à fuir.

Ce matin, je me suis levé tôt, démarrer une nouvelle vie ce n’est pas une raison pour me laisser couler. Depuis le départ de Lieven, j’ai eu tendance à me laisser aller, il est temps de me secouer.
Le soleil n’est pas encore très haut, et je découvre l’air pollué de Sarajevo que j’ai à peine eu le temps d’inhaler lors de mon premier séjour dans la capitale. Il faudra que je pense à appeler Nina.
Pas maintenant. J’imagine que de toute façon, à cette heure, elle doit être dans les bras du slave. Je pose les écouteurs dans mes oreilles, et je commence à courir. Le paysage est gris, la température est froide mais mes muscles s’échauffent déjà.

Je perd rapidement pied avec la réalité, le monde défile sans que je ne le vois vraiment.
Je pense à tout ce que va impliquer cette nouvelle vie, est ce que je dois garder mon ancienne identité? M’en créer une nouvelle? J’en sais r…
-Merde! Je heurte quelqu’un de plein fouet. Un espece d’individu aussi couverts que je ne suis découverts. - Excusez moi, j’espère que c’est pas cassé. Je sais même pas s’il comprend l’anglais, mais je m’agite pour ramasser ce que j’ai fait tombé, un appareil photo.
Ça aussi, ça me rappelle des trucs.
Une vie d’il y a au moins mille ans.

Prêtant attention à la ville qui s’éveille j’entends vaguement quelqu’un venir en courant sur les berges, ce qui n’a rien d’étonnant depuis que je les côtoie. Retenant mon souffle je magnifie ma mise au point, manque d’appuyer sur le déclencheur et BAM ! Je me fais percuter. Je perds complètement l’équilibre et si je n’avais pas conservé des réflexes d’acrobate du temps où j’escaladais les bâtiments du Bronx, j’aurais probablement fini dans la flotte. Brrr, rien que la pensée me fait me sentir bizarrement très vivant.
Mon appareil lui s’est éclaté sur le sol ; heureusement que ce n’est que le sol, si c’était la flotte c’était foutu.

« Oh euh, c’est rien. Plus de peur que de mal. »

Je ne comprends que quelques instants plus tard que j’ai répondu en anglais de la même manière qu’il m’a adressé la parole. Saisissant l’appareil, je l’inspecte.

« Non ça devrait aller, il en a vu d’autres. »

Je redresse la tête, esquisse un sourire.

« On se connaît, hein. »

Je regarde le boîtier d’appareil photo sur le sol, sans faire attention à la personne dont il provient, et je songe que le machin a eu un bon coup de bol, parce que vu mon gabari, me heurter peut s’avérer un peu risquer. Mais même le mec a réussi à tenir sur ses pieds, donc je suppose que ça a dû être un choc raisonnable, et que ce qui a été le plus violent est la manière dont cela m’a ramené à la réalité. - Vous êtes sur hein? J’ai appris, auprès de Sly, que ces machins pouvaient coûter un bras (et deux testicules) et j’ai pas envie d’avoir flingué un truc qui ne m’appartient pas, mais comme j’y connais rien, je ne peux pas juger de l’état dans lequel il se trouve.

Attends. Il a répondu en anglais la?
Et cette voix?...
Je relève les yeux, attrape son sourire qui fait fleurir le mien en réponse. - Bordel de merde. Qu’est-ce que tu fous la? Sans Sly juste après le départ de Lieven, je me serais foutu en l’air.
Je crois que c’est ce qu’on appelle un ami. J’ouvre mes grands bras pour l’enlacer pour le saluer avec soulagement. Retrouver une tête familière dans ce paysage étrange est un vrai soulagement.

Je fronce le nez, faussement vexé.

« Mon cher Rauera tu mets un peu de temps à te souvenir de ma sublime personne. »

Mais finalement ça revient, son beau visage bien sculpté s’éclaire, sa bouche créée pour les pipes en diable s’étire en un sourire et je me rapproche vers lui pour capter son embrassade, tapotant son omoplate pour lui témoigner mon affection. Reculant légèrement ensuite, je remets à l’appareil son cache pour préserver l’objectif autant que faire se peut et passe la dragonne autour de mon cou.

« Je travaille ici. J’ai été appelé pour aider le neveu d’un ami alors je l’aide dans ses petites affaires. Et toi qu’est-ce que tu glandes dans le coin ? »