[FB] I can't feel anything, the morning after you - Rauera

Je hoche la tête et lève vaguement la main pour saluer mon partenaire. La journée est finie et elle a été éreintante. Il est déjà presque 22 heures, il faut encore que je rentre, que j’aille nourrir les chats, que je passe voir Nina.
En théorie tout devrait bien aller, lorsqu’elle est repartie de chez moi, hier, tout allait bien. Mais je n’ai pas envie de prendre le risque d’apprendre qu’elle a replongé sous prétexte que je n’ai pas eu le courage de venir. Je jette un œil à mon téléphone portable, avec l’espoir de voir un message de Lieven s’afficher. Rien. Je ne sais toujours pas où elle est, et je ne sais toujours pas si elle est encore enceinte ou si mon enfant n’est plus qu’un lointain souvenir.
Un soupir passe la barrière de mes lèvres.

Lorsque j’arrive en bas de l’immeuble, je n’ai pas très loin à aller pour trouver l’appartement de Nina. J’inspire profondément, installe un sourire sur mon visage pour donner le change, parce qu’elle n’a pas besoin d’un soutien dépressif, je ramène mes cheveux vers l’arrière après les avoir détachés et je sonne à la porte.
C’est devenu une sorte de rituel. Chaque soir - Ou presque - depuis les départs conjugués de Lieven et Slavenko, on se retrouve chez elle ou chez moi.
La porte s’ouvre et … - Nina? Je fronce les sourcils. Elle est belle comme un cœur, une robe sublime sur les épaules, le visage maquillé, les cheveux parfaitement apprêtés. -Tu attends quel… Cette fois ma mâchoire se serre. Et s’il était revenu? Son bras saigne. Je serré les dents, attrape délicatement son poignet: - Je viens voir si tout va bien. Qu’est ce qui se passe Nina? Laisse moi regarder. Si elle refuse, je retournerais l’appart’ pour trouver cet enfoiré de serbe. Je suis sur qu’il est revenu.
Et qu’il l’a encore blessé.

 
Un verre cassé? Si ça n'est que ça, pourquoi est-ce qu'elle me regarde comme si ma venue était une surprise? Elle sait que je passe généralement en sortant du travail, la plupart du temps elle m'attend. Mais je dois bien admettre que si Nina est toujours jolie, elle porte rarement des trucs aussi sexy quand je débarque le soir, et il y a forcément anguille sous roche, soit ce connard est de retour, soit... elle voit quelqu'un? Non, ça me semble totalement improbable, elle est encore bien trop fragile. Ce serait de la folie. Et non, ça n'a rien à voir avec de la jalousie. 
Je suis inquiet pour elle. C'est tout.

Je profite que son attention soit retenue ailleurs pour entrer dans l'appartement. Mon regard glisse sur la table. C'est clairement ce qu'on pourrait avoir préparé pour un diner romantique. Et le nom de l'alcool sur la bouteille n'a rien d'américain.
Lorsque la voix de Nina me sort de mes pensées, je fronce les sourcils, je pense commencer à comprendre, en voyant son regard inquiet se poser sur son téléphone. Comme le mien lorsque je cherchais un message de Lieven. - Nina... Je reviens chercher son poignet avec délicatesse: - Laisse moi te soigner d'accord? Il faut que je lui dise qu'il ne viendra pas, mais je dois d'abord m'assurer qu'elle aille bien, et je sais que dès que ces mots auront franchi mes lèvres, elle s'énervera.

Je soupire. Bien sûr que cette coupure n'est pas grave, mais elle va me permettre d'essayer d'instaurer le calme avant de devoir faire face à la tempête qui arrivera quand je vais devoir la ramener à la réalité, et je crois qu'il m'est nécéssaire de calmer le jeu avant de m'en prendre plein la gueule, parce que bien sûr, c'est moi qui vais prendre pour les conneries du serbe, parce que c'est moi qui suis là, et que c'est moi qui vais la sortir de ce joli délire qui a englouti son réel le temps d'une soirée. J'ai accepté de faire face à tout ça le jour où elle a débarqué chez moi en larmes.
C'est comme ça.

Je la laisse s'installer dans le canapé, et disparais dans la salle de bain quelques instants pour revenir avec le nécessaire. Je reviens m'asseoir auprès d'elle. - Tu permets? J'écarte doucement sa main de sa robe que le carmin a désormais imbibé et je viens passer soigneusement un coton que j'ai trempé dans le désinfectant. - Nina, tu sais que je suis ton ami n'est-ce pas? Est-ce que tu as confiance en moi? Je chasse délicatement le sang, sentant sa peau se crisper, sans doute parce que le produit pique un peu.
Toutes mes précautions ne serviront à rien mais il faut que j'essaie de rendre ça un peu moins violent, pour son bien à elle. Ce soir, je ne sortirais pas d'ici, c'est une certitude. Pas sans elle en tout cas.

Je fronce le nez dans une grimace qui montre que ce qu'elle dit ne me plait pas du tout. Ca veut dire que ce soir, je vais devoir m'imposer, ça veut dire que la nuit va être une lutte constante contre ses illusions, ça veut dire qu'il va falloir veiller sur elle, et encaisser les coups sans ciller.
La fatigue de cette semaine me pèse encore sur les épaules, mais on va faire avec, parce qu'elle a besoin que quelqu'un soit là, et que je sais que personne d'autre ne sonnera ce soir, parce que personne n'imagine la détresse dans laquelle elle se trouve actuellement, sans même en avoir conscience.

- Nina, je ne vais pas partir. Je reste là. Ca n'est pas une question. J'attrape un pansement que je pose soigneusement sur la coupure, au moins, elle arrêtera de foutre du sang partout, et j'espère qu'elle ne se fera pas plus mal en entendant ce que je vais lui dire. - Il ne viendra pas. Slavenko est parti, il est dans un autre pays, et il ne viendra pas ce soir. Je ne suis pas désolé, je ne suis pas sentimental, je suis pragmatique, parce qu'il faut bien que l'un de nous deux continue à garder la raison, sinon, on va sombrer tout les deux.
- Il est parti Nina. Slavenko ne viendra pas. Ni ce soir, ni celui d'après. J'attends l'avalanche de coup, d'insulte, droit comme un i.

Je serre les dents, écoute. Je crois que j'aurais préféré qu'elle s'agace et qu'elle me cogne. Parce que cette illusion dans laquelle elle se berce est d'une violence assez inouïe. Je sais que le moment où elle va en sortir sera violent, douloureux et difficile. En attendant, je ne peux que me battre pour essayer de provoquer cette descente brutale. Une énième raison d'en vouloir à ce con qui n'a laissé derrière lui que le chaos de la tristesse de Nina.
Je prends le sac, le dépose aussitôt sur le sol avec délicatesse pour ne rien abimer, soucieux de ne pas la brusquer. Mes mains se posent délicatement sur ses épaules et ja la tiens avec fermeté pour la forcer à me regarder dans les yeux. - Je vais m'occuper de débarrasser, et aller balancer tout ça aux ordures. Il ne viendra pas Nina. Vous n'êtes plus ensemble, Slavenko t'a abandonné. Je choisis mes mots avec fermeté pour ne pas lui laisser la moindre chance de déformer mes propos. - Slavenko a refait sa vie. Je sais même pas où il est, mais je veux qu'elle comprenne, qu'elle revienne, qu'elle arrête d'y croire, parce que tout ça ne mènera à rien. - Je vais te faire couler un bain, et je vais tout faire disparaître. D'accord? Bien sûr qu'elle va refuser. C'est une telle évidence.

Je sens très nettement son corps se crisper sous mes mains, et je sais qu'il ne faut plus que je la lâche, parce que dès lors que je ne serais plus là pour encaisser, c'est contre elle-même qu'elle se retournera, et c'est exactement ce que j'ai envie d'éviter. - Nina, calme toi. Mes mots seront surement vain, mais il faut bien essayer de faire quelque chose.
Ses yeux se remplissent de larmes, et elle me fend le coeur. Elle est foutrement belle dans cette robe, et son maquillage aura bientôt coulé. Il faut que je gomme toutes ces choses là. - Nina, tu ne fais plus partie de sa vie. J'inspire profondèment, je sens ses mains sur mon torse, mais j'abuse de ma stature pour l'empêcher de me repousser, et je décide de hausser le ton: - C'est comme ça Nina! Il s'est barré! Tu dois continuer sans lui! Putain Nina, il est parti! Je la secoue, aussi fermement que je le peux, mais en essayant de ne pas la blesser, parce que je n'ai pas envie de lui faire de mal. - Il s'est cassé Nina! Je viens saisir sa mâchoire de l'une de mes mains pour la forcer à me regarder dans les yeux: - Il ne viendra pas. La condamnation est tombée.

Nina est enfermée dans une fantaisie dont elle ne sortira pas seule. Le délire est trop agréable pour qu’elle veuille s’en échapper par elle-même et je suis le seul qui puisse faire quelque chose, parce que si je repars maintenant, elle va continuer à attendre, à espérer, et je ne peux pas lui faire ça. Ce serait d’une cruauté absolue. Bien plus que de la forcer à affronter la réalité. - Non. Non je ne me tairais pas. Pas avant d’être sûre qu’elle ait compris et intègre chacune de mes paroles. Je suis prête à affronter ses larmes, à les sécher, à prendre soin d’elle comme d’une enfant mais il n’est pas question que je la laisse. C’est aussi simple que ça. Que cela lui plaise ou non.

Elle me demande de sortir comme je l’avais pressenti et je maintiens doucement sa mâchoires pour la regarder dans les yeux : - Je ne bougerais pas. Slavenko n’est plus la, mais moi oui. Je vais m’occuper de toi. Je souffle doucement en venant chasser une larme de la pulpe de mon pouce. - Je vais te faire couler un bain, et pendant ce temps je vais te préparer un thé. On va trouver un truc à faire tout les deux d’accord? Je suis la. Mes bras se referment sur elle, je la ramène contre moi pour la serrer dans mes bras, lui rappeler qu’elle n’est pas seule, même si je sais, pour avoir si souvent dû lui résister depuis cette séparation, que je ne suis qu’une illusion dans le fond.

Je serre Nina contre moi, comme j’aurais pu serrer ma soeur, comme j’aurais pu serrer Lieven, en leur disant que j’étais là. Perdre ces deux femmes a été nécessaire pour que je comprenne qu’il ne pouvait pas être suffisant de penser que l’autre sait qu’on est là. Il faut lui dire. Je veux que Nina le sache, parce que même si je ne suis pas celui qu’elle veut à ses côtés, je suis là malgré tout, pour l’aider à tenir la tête hors de l’eau.

Je sens ses larmes couler doucement contre le tissu de moon t-shirt. Ma main se referme dans ses cheveux bruns et je ne la lâche pas, même lorsque j’entends sa voix: - Tu n’as rien fait Nina. Parfois… Parfois les gens ne savent pas apprécier la chance qu’ils ont. Je ne parle sans doute pas que de Slavenko, mais ça, ça n’est pas important pour l’instant. - Je vais m’occuper de tout. Aller viens. Sans attendre, je la soulève, l’enveloppe de mes bras, et esquisse un sourire doux: - Je vais te faire couler un bain. On va y mettre plein de mousse. Tu t’y glisses, je m’occupe de tout ça et je te rejoins dans la salle de bain d’accord? Je fais claquer mes lèvres sur sa tempe, et la dépose sur le sol en lançant le robinet de la baignoire. Il n’est pas question de profiter de la situation, je ne vais pas me baigner avec elle, mais je ne veux pas qu’elle se sente seule. Je lui tourne le dos pour ne pas qu’elle ait l’impression que je la regarde, et vide un peu de gel douche dans l’eau qui coule. Je me retourne, lui fait face, embrasse le haut de son crane et sors de la salle de bain, laissant la porte entrouverte si elle avait besoin de moi, alors que je me presse pour effacer les stigmates de cette soirée romantique qu’elle avait préparé avec tant de soin.