Chiens errants - Slavo

Je remonte mon jean sur mon tibia et je serre les dents quand la matière rèche passe sur les morsures. J’ai déjà eu des tas de blessures, mais celle ci, je m’y attendais vraiment pas et je dois dire que ça fait pas du bien. Quand les chaussures s’arrêtent à mon niveau, je remonte les yeux sur la personne quand, dans un souffle coupé, je déglutis difficilement à la vue de Slavenko Kovacs. Y a sûrement des milliers de personnes dans cette putain de ville et faut que je tombe sur la dernière personne que j’ai envie de voir sur cette foutue planète. Kovacs… Que je déclare, pas vraiment enchanté. Je redescends mon pantalon et me redresse pour être à sa hauteur, manière d’éviter d’être à genoux devant lui quoi. Je ne sais strictement pas quoi dire ou faire, alors je me racle légèrement la gorge avant d’attraper dans mon blouson mon paquet de clope duquel je sors une cigarette que je glisse entre mes lèvres. Je l’allume rapidement, inspire la fumée et la recrache machinalement. Je me vois très mal lui demander comment il va, ce qu’il y a de neuf et si tout va bien dans sa vie… Honnêtement je préférerais crever que de devoir lui parler, là, maintenant. Merde… J’m’attendais pas à te voir... J’imagine que lui non plus puisque personne ne sait encore que je suis ici à part Maggy, ça doit lui faire bizarre et j’en ris un peu intérieurement… Avec tout ça, j'en oublie même que je viens de me faire bouffer le mollet...

Maintenant que Slavenko sait que je suis ici, il doit certainement se dire que la seule raison de ma présence est Nina sauf que ce n’est pas le cas. Au pire, il y a un tas de chose pour lesquelles on ne s’apprécie pas, celle-ci rajoutée ne changera rien à la donne, je suppose. Je reste con pendant quelques longues secondes et regarde mon tibia quand il l’indique de sa main. Ouais ouais ça va aller, j’ai connu pire. Même si actuellement, c’est comme une décharge électrique qui me lance dans toute la jambe, j’essaie de ne rien transparaître. Puis je ne sais pas pourquoi mais j’ai vraiment l’impression qu’il se fout de ma gueule avec le sourire ironique qui s’esquisse sur ses lèvres, comme si je ne l’avais pas remarqué ! Ouais, tu peux m’déposer, j’te dirais où. Parce qu’il croit vraiment que je vais lui faire ce plaisir là ? A lui étaler ma vie, l’endroit où je crèche et tout ça ? Il se fout le doigt dans l’oeil ! J’te déteste mec, pas besoin de faire comme si tout allait bien entre nous. D’ailleurs je serais même pas étonné que ce soit lui qui m’ait envoyé ce bâtard de chien pour me bouffer, quel connard !

Je lui emboite le pas en retenant ma respiration parce que putain de merde, ça fait un mal de… Chien ! On entre dans sa voiture et je sors mon portable pour envoyer un sms à Maggy, il me faut des bandages et de l’alcool. Pour désinfecter, pas pour me la coller. Tu peux aller vers le quartier de la nuit, je te dirais où m’arrêter. Un silence. Nina va bien ? Je ne le regarde pas, je fixe la route et bouge incessamment le pied où je ne suis pas blessé, nerveusement parce que la situation n’est strictement pas anodine. Il veut jouer, on va jouer.

Je sais dès lors que Slavenko ouvre la bouche avec ce ton qui a le don de m’énerver, que la situation risque de dégénérer rapidement si j’écoute mon instinct. Alors, je me renferme et serre les dents pour commander à mes poings de rester là où ils sont, sagement. La relation que j’entretiens avec Nina n’a jamais eu pour but de casser leur mariage et la plupart du temps, c’est elle qui est venue vers moi quand ça n’allait pas et bien sûr que ça a dérapé mais j’ai toujours laissé le choix à Nina tout en étant bienveillant pour leur mariage.

On ne s’est pas parlé depuis un moment. Elle ne sait même pas que je suis ici d’ailleurs. Que j’avoue sans donner la vraie raison de ma présence à Sarajevo. J’ai préféré lui faire la surprise. Tu peux tourner par là. Je lui indique de la main où aller en souriant intérieurement parce que je sais que mes mots vont attiser sa colère et puis j’y ai bien le droit étant donné le comportement que le slave a envers moi présentement. Eh oui, il y a d’autres hommes capables de faire sourire Nina, désolé de te l’apprendre mec. Elle doit être contente. Pour une fois qu’elle sera heureuse avec toi, que je pense tout bas.
J’aimerais continuer en disant que la brune a toujours voulu une vie de famille stable avec maison et tout ce qui va avec, mais je ne voudrais pas déclencher un cataclysme, connaissant leurs antécédents.

Comment on peut vivre avec un type complètement psychotique comme Slavenko ? Comment Nina fait pour oublier tout ce qu’il lui a fait subir et toutes les atrocités qu’elle a endurées depuis qu’ils sont ensemble ? C’est une chose que je n’arriverais jamais à comprendre. Cela dit, c’est pas la première fois que je vois une meuf s’accrocher autant à un mec qui lui fait plus de mal que de bien… Rien qu’à voir la manière dont ma mère surprotégeait mon père malgré les os brisés, les coquards et les insultes. C’est ça, je vois en Nina une version 2.0 de ma mère et c’est sûrement pour cette raison que j’ai ce besoin aussi viscéral de garder un oeil sur elle -quand on sait comment ma maternelle a fini-.

Qu’est-ce qu’il en sait si le tourisme sexuel c’est pas mon genre ? Comme si on se connaissait bien ! La blague. Ce que je fous ici ? C’est simple, Eden s’est barrée mais ça tu le sais déjà, je me suis retrouvé comme un con tout seul dans le Bronx, limite, même toi tu me manquais ! -Grosse plaisanterie- Bref, j’ai une cousine ici et j’avais envie de prendre un nouveau départ. Wow, mais c’est qu’on aurait une conversation plutôt sérieuse le serbe et moi, est-ce qu’on serait pas devenu un peu plus sociables ? Bon, j’ai l’impression qu’il a vraiment envie de faire un effort, étrange mais pas dérangeant. Dans un hôtel pas loin. Je ne m’expanse pas parce que je sais que la question est certainement de l’ordre de la curiosité mal placée mais je regarde ma jambe et je suis quand même bien content de pouvoir être dans sa caisse actuellement. T’as des nouvelles d’Eden, d’ailleurs ? Puis merde, la question me démangeait depuis tout à l’heure. Je peux pas le voir mais je nous vois mal rester muets jusqu’à ce qu’on arrive.

J’ai un regard un peu surpris aux paroles du serbe parce qu’il est plutôt sympa, me propose de l’aide et paraîtrait même… Bienveillant. C’est que je serais presque sur le cul ! Ouais… Elle travaille ici depuis un moment. Ah… Vache c’est vraiment sympa. Doit forcément y’avoir un truc dans son intérêt derrière tout ça mais si j’y gagne quelque chose aussi, c’est peut-être pas plus mal. J’aurais sûrement besoin d’un appart ouais… Mais comme j’ai pas de boulot pour le moment ça paraît compliqué. J’ai de quoi me payer quelques semaines d’hôtel mais pas plus alors pour le moment la priorité c’est le taf. Que je déclare et j’aurais peut-être besoin d’un médecin aussi… Manière d’éviter d’avoir la rage quoi.

J’ai les boules, vraiment. J’ai les boules parce que ma relation avec Eden était bénéfique, parce qu’elle faisait ressortir ce qu’il y avait de meilleur en moi et maintenant, c’est tout l’inverse. L’impression chaque jour de tituber un peu plus, l’impression d’avoir à tout jamais ce trou béant dans la poitrine qui me fera toujours un mal de chien. Ça fait un moment que j’ai pas eu de nouvelles… Mais ouais, tant mieux pour elle, c’était ce qu’elle voulait de toute façon. Il suffit que je me souvienne de la manière dont elle a réagi quand je lui ai demandé de sortir avec elle pour être pleinement convaincu de ce que j’avance. J’ai toujours été jaloux de la relation qu’ils entretenaient et j’ai jamais rien dit parce que j’avais trop peur de perdre Eden maintenant que c’est fait, je me rends compte que laisser faire ma nature n’aurait vraiment rien changé. Je jette un oeil à ma jambe et soupire légèrement, me demandant si je devrais pas aller voir un médecin de suite…

Oui, ma cousine. Que je confirme tout en jetant un regard vers le principal intéressé. Mes sourcils se froncent dès lors que le nom Bratva passe la barrière des lèvres du slave parce que franchement, je n’ai plus envie d’avoir à faire à ces enculés. Ok pour l’appart, pour le taf je me démerde. J’ai plus envie de me taper ce genre de boulot. Pour l’instant j’préfère rester loin des emmerdes, me montrer plutôt discret en fait. Je le remercie pour le numéro qu’il me donne afin que je puisse me loger le plus rapidement possible et c’est étrange comme la méfiance que j’avais envers lui il y a encore quelques grosses minutes s’est quasiment envolée avec sa supposée gentillesse, ma naïveté me perdra. Ouais ouais, continue. Le chemin me paraît plus long que d’habitude, certainement parce que la personne qui m’accompagne n’est pas réellement de celles que j’attendais, mais soit.

Parler d’Eden répand une chaleur qui me paraît bien lointaine juste au creux de mon thorax et honnêtement, j’avais oublié le sentiment que cela était de penser à elle si fort que mon coeur en sautillait. Mhh… Elle sera choquée de savoir qu’on s’est vus sans que l’un de nous deux ne se jette sur l’autre. J’ai un léger sourire à cette pensée puis soupire légèrement, comme me remémorant le manque que la blonde a créé en moi. Tourne à droite et tu peux me déposer au bout de la rue. Je me demande si après cette courte entrevue, la relation que j’ai avec Slavenko ne s’est pas subitement transformée parcequ’une étrange sensation m'envahit alors que je n’attendais que la haine.

Je sais aussi bien chercher les emmerdes que de ne pas les chercher et ici, j’ai lu sur quelques forums, qu’il valait mieux rester dans son coin sans attirer l’attention de quiconque. Puis maintenant, j’ai passé le cap d’avoir envie qu’on me fasse chier, c’était drôle avant, mais maintenant j’ai évolué et quitte a avoir une vie monotone, tant pis. Ouais, c’est exactement ça. J’ai eu assez d’emmerdes dans le passé pour savoir qu’ici j’ai plus envie de ça de toute façon. Je me surprends à avoir une conversation normale avec le serbe et encore plus de savoir que ça ne me dérange pas ou que ça ne m’énerve pas. Abusé…

Putain, Eden est exactement comme ça, j’me rends compte qu’il la connaît aussi bien que moi et très honnêtement, ça me fout un peu les boules sachant qu’on sortait ensemble et qu’eux ne sont jamais restés qu’amis. Je ris légèrement quant au fait qu’il ne veuille pas me péter la gueule uniquement parce que Nina n’est pas dans l’affaire et j’avoue que ça m’aurait saoulé autant que lui d’apprendre qu’Eden aurait pieuté avec le serbe. BREF. Ouais j’imagine… Après, franchement, même si ce qui est arrivé, est arrivé, on sait tous les deux que Nina n’existe que pour toi, c’est évident. Pas l’habitude d’être aussi poétique mais il faut bien l’admettre, Nina ne respire que par Slavo, son coeur ne bat que pour lui et rien de ce qui se passe entre eux ne pourra faire changer ça, j’en ai eu la preuve à de trop nombreuses reprises.

Il m’arrête au bout de la rue que je lui ai indiquée et je m’apprête à sortir quand il me tend un bout de papier, certaines coordonnées qui pourraient m’être utiles écrites dessus. Encore une fois surpris, je le prends, presque bouche-bée. Merci, c’est… Sympa. Je dis simplement tout en observant les écritures, étonné encore une fois. Bon… A la prochaine, ciao. Je sors de la voiture du serbe, déstabilisé, me demandant si ce qu’il vient de se passer est bienveillant de sa part ou si ce n’est qu’encore fourberie. Je me hâte chez Maggy que je sais seule et me fait soigner la blessure canine qui me fait tant souffrir.