J'suis dans le Poudlard Express, t'es dans ta détresse. || Mishal

La planque actuelle, qui change perpétuellement comme on s’en doute en parlant de gamins, est actuellement le dessous de l’escalier d’une ancienne gare routière. Ca sent la pisse, la coke, la bière premier prix, tout ce que tu veux mais pas de bonnes augures. Qu’à cela ne tienne, comme on s’en doute je suis un homme de risques et je ne me laisse pas impressionner par le côté flippant du lieu, surtout qu’on est en plein jour et que j’y suis attendu. J’ai laissé toutefois de côté le risque de me fringuer aussi bien que d’habitude, paraissant en cuir jean et chaussures de sécu, les mains dans les poches avec en tête ce que je dois transmettre à la gamine. Et quelques pépettes pour le dernier service qu’elle m’a rendu.

Je descends donc les escaliers d’un pas bondissant, clope trop parfumée, trop cher, trop tout, au coin des lèvres et tourne en évitant du regard deux black dont je sens les yeux incendiaires dans mes omoplates tandis que je m’éloigne d’eux. Je gagne finalement la planque ; sur un matelas défoncé à côté d’un poste de musique dorment deux des danseurs que je connais, certainement des pauvres gamins qui ne savent pas où aller, et un autre est installé là, posé. Je crois l’avoir déjà vu mais pas avoir eu affaire à lui.

« Hey, Pédoncule est là ? » je demande dans le dialecte du coin.

C'est vrai, Pédoncule ne suce pas les vieux. C'est dommage, elle a une jolie bouche qui ferait fureur dans la rue des putes. Et si je disais que j'ai eu le plaisir de la filmer (en train de danser) sans donner de détails je sais que je ferais des jaloux. Et que je me ferais virer accessoirement. Non pas que ça dérange mon jeune patron qui a aussi pris quelques cartouches tandis que je profitais de sa naïveté, mais Babouchka est plus à cheval sur les législations que sur mes hanches si vous voyez ce que je veux dire.
Le temps que la phrase du gamin soit traduite par mon cerveau qui n'a pas l'habitude de son accent il est parti pisser. Je mate ce que je peux voir de sa queue avec une satisfaction manifeste mais sans commenter.

-J'ai la vidéo de votre dernière performance et la thune que je lui dois pour des infos qu'elle m'a donné. T'as une idée de quand elle repasse ?

« Normal, t’étais occupé. »

Pédoncule m’a choisi parce que son regard sauvage pourtant aiguisé n’avait pas su capter ma présence la première fois, quand j’ai filmé leur performance dans le métro devenue aujourd’hui virale et qui les a déclarés réellement au monde Balkan dans son ensemble, et même au-delà de certaines frontières. Donc oui, contrairement à ce qu’on peut penser, je peux me faire discret.
Comme je m’y attendais ce mec est son pote, pas son secrétaire, et je sais pas quand est-ce que Pédoncule va se repointer, je connais pas son emploi du temps, je connais pas sa vie. On travaille ensemble, mais j’suis pas son père.
Et soudain, le gamin il esquisse un sourire, probablement parce qu’au fond de lui il est pas méchant, il est juste sans thune et sans avenir. Ca me rappelle le Bronx.

« Ouais, ‘sûr. »

Je le rejoins sur le couvre lit sans une pensée tendre pour le costar que je suis en train de flinguer, et sors de mon sac pour plus de fun une grande tablette qu’il n’a du voir que dans les vitrines léchées l’œil vitreux les soirs de Noël où même les promos affichent des prix délirants parce que ce pays est en chute libre et ne peut pas se permettre de garder les plus faibles en son sein.
Je déverrouille l’objet qui s’ouvre en iris.

« Oops, désolé. » je ricane alors que nous tombons sur un porno gay dans les grandes largeurs, ferme le fichier, en ouvre un autre. « Tiens, voilà. »

« Mais non c’est pas dégueu. Ils se font plaisir et ne font de mal à personne. » je commente simplement.

Je ne suis pas particulièrement défenseur de la communauté LGBTQI+ ; disons que je la respecte et que j’en fais partie sans grande discrétion, mais contrairement à ceux qui luttent contre elle, je ne prêche aucune autre église que celle du plaisir au pieu et de l’acceptation de soi. Que chacun kiffe dans son coin ou avec d’autres comme il le souhaite, tant qu’il n’emmerde pas les autres sur leurs choix de vie. Je passe outre ce petit interlude pour montrer la vidéo que j’ai, avec mes habitudes de photographe, légèrement recoupée, montée et étalonnée sur un logiciel à la maison. Le gamin se présente rapidement, sourire aux lèvres.

« Oh, c’est bon à savoir. »

Comme chacun est grimé pour ne pas être reconnu et interpellé trop facilement, je n’aurais pas deviné qu’il s’agit de lui. Pédoncule, reine incontestée du bitume, occupe l’espace comme si elle était la reine du monde mais peu à peu elle s’efface au coin de mon attention tandis que j’essaie de choper les mouvements du gamin à mes côtés. Il n’a rien du môme à l’allure lâche et défensive que j’ai à côté de moi ; il s’exprime naturellement, avec aisance et volupté.

« Tu bouges bien. » je fais simplement remarquer.

Beau cul avec ça.

Pas dégueu, c'est vite dit, ça se fait pas et tu le dévisages à nouveau, curieux, à te demander : si c'est lui qui consomme ce genre de truc, alors du coup c'est qu'il aime ça. Tu laisses échapper un rire "au moins tu t'tapes pas Pédoncule si j'comprends bien." Remarque que toi non plus ! D'ailleurs ça fait bien longtemps que tu t'es tapé personne, les meuf sont parfois tellement compliquées à pécho que t'as pas tenté ta chance depuis un moment. Ça demande trop d'énergie.

J'm'en fous que ce gars là sache qui je suis, c'est Pédoncule qui veut qu'on se cache. Bon pour les tags j'comprends, mais pour la danse. Moi j'voudrais être connu. Le rêve grossier d'être une star, c'est con. Un sourire fiérot illumine ton visage quand il te complimente, t'es toujours à quémander des compliments, même quand tu t'en défends. Ah mais qu'est-ce que t'aimerais te la jouer pokerface, gros dur, mais y a rien à faire, tout se lit sur ton visage, t'es un putain de livre ouvert, un putain de môme aussi. Tu mords ta lèvre inférieure, si la weed coule dans tes veines, t'es pourtant pas, plus, trop défoncé. Ce gars là il filme, et sur youtube y a moyen de s'faire un nom. Quand on pense à ceux qui avec trois fois rien cartonne tellement qu'ils ont les poches pleins de billets verts que "hé, tu veux voir un truc ? Bouge ton cul, j't'emmène. Y a une battle dans l'subway. J'suis sur que t'as jamais vu...Tu pourras filme si tu fais ça discret, mais planque ta tablette sinon tu vas t'l'as faire chourave" Tu te redresse, bondissant sur tes pieds dans un mouvement de hip hop, juste pour la frime, juste parce qu'il a dit que tu bougeais bien. Tu prends ton sac en toile chargé de quelques bouteilles de peinture et de bricole. "hé t'as pas une clope ?"

« Non jeune homme. » j’affirme. « Pédoncule est une collègue de travail. »

Et même si je suis attiré par les jolis petits bruns de nymphe, leur intérêt est bien moindre s’ils ont un vagin entre les jambes, ça c’est clair et net. Le gamin semble se satisfaire de ce que je lui montre et apparemment ma compagnie ne lui est plus si désagréable puisqu’il propose de me faire faire une petite balade. Je comprends pas le quart du dialecte mais je suppose que ça ne va pas tarder.

« Bien mon cher. »

Me redressant, je glisse effectivement l’onéreux objet dans ma veste où il ne tiendra que dans un équilibre relatif mais suffisant ; tant que personne ne sait que cette tablette est là, je n’ai pas de raisons de me la faire chourave. Je me relève et vérifie que je n’ai rien oublié ici, sors de sous ce proche dont l’odeur de pisse commençait à sérieusement me tourner la tête quand le gamin me demande une cigarette.
Il me suffit alors de sortir un étui de métal gavé de ces bâton de cancer trop chers.

« C’est quoi une battle ? » je demande alors, m’en grillant une.

J’en ai bien une petite idée, mais autant demander.

Putain c'est la deuxième fois qu'on te demande ça, ce que c'est qu'une battle. Toujours des vieux et des étrangers ceci dit, ceci explique sans doute cela. T'espères en tout cas. "Y a une rouquine qui m'a posé la question y a pas très longtemps...J'sais comment t'expliquer, c'est...bah tu verras, c'sera plus simple que t'expliquer..." Le Subway, c'est un coin entre les égouts et le métro. C'est pas beaucoup plus classe qu'ici, c'est juste que les tags d'Etoile décorent l'endroit. Etoile, c'est un des famous taggueurs de la ville. Une. Faut pas croire que les meufs ont pas leur place; entre Pédoncule et Etoile,  tu peux dire qu'elles vous tiennent sévèrement par les couilles et pas pour vous faire du bien. Tu entraines le vieux dans les ruelles, descend un escalier improbables, pousse une porte en fer, saute par dessus une barrière en fer haute d'un peu plus d'un mètre. a clope est finie et comme il a été sympa, tu demandes sans espièglerie (ou presque pas, juste pour faire briller tes yeux et creuser une fossette) "tu veux un coup d'main ou tu vas savoir sauter ?"

« Ca ira mon gars, c’est pas parce que je pourrais être ton père que j’ai pas de forme physique. »

En l’occurrence je n’ai pas fait de cabrioles depuis que je grimpais le long des bâtiments du Bronx pour prendre les meilleures photos possibles mais mes parties de baise toujours acrobatiques m’aident à me propulser par dessus la barrière. Avec moins d’adresse que le gamin, mais quand même. Je vérifie que la tablette est bien calée, et mains dans les poches, sillonne les couloirs du métro en compagnie du gamin ; je suis quasi certain qu’on a pas le droit d’être ici et c’est ce qui donne encore plus de saveur à l’événement. Ca me rappelle quand Wyatt m’avait tiré jusque dans le monde d’en dessous, dans les égouts, pour rencontrer une toute nouvelle population dont tout le monde se fiche, qui n’est pas méchante mais qu’il ne faut pas essayer d’emmerder. Ah le Wyatt, un bon coup celui-là, encore, je me demande bien ce qu’il est devenu.
Je penche la tête dans un couloir, où une rumeur monte et se répercute en écho.

Les basses ont beau avoir une modernité dans laquelle j’ai moins trempé puisque j’ai fait la fin de mon adolescence dans les clubs des années 1980, je me sens tout de suite dans mon élément. Je n’ai toutefois jamais réellement su danser, m’étant limité à un déhanché allumeur dont la qualité dans le regard des autres était vaguement favorisée par la cocke, l’alcool et la proportion dénudée de mon corps autrefois si bien entendu. C’est ainsi que je peux me faufiler derrière le gamin, prenant le temps de mater sa silhouette pendant qu’il ne me regarde pas. Les autres me barrent naturellement le passage mais finissent par s’écarter avec une curiosité tantôt moqueuse, tantôt dégoûtée. Rien de nouveau sous le soleil blafard des néons de l’underworld.