Starting all over again - Slavina

Je secoue la tête à sa plaisanterie et répond au contraire très gravement : Tu m'as manqué, Slavenko, il va falloir plus de dix jours de vacances pour que je ne te supporte plus. Et comme on a passé beaucoup de temps ensemble ces derniers jours, il peut facilement deviner que ce n'est pas de ça que je parle en disant qu'il m'a manqué. Je parle des semaines précédentes où on n'a fait que se déchirer, et des quatorze mois durant lesquels je mourais à petit feu d'être loin de lui. Et puis je ne sais pas, j'ai l'impression qu'on s'entend plutôt bien, très bien même, ces derniers temps. Alors qu'on est ensemble presque toute la journée et qu'il est blessé, donc pas dans les meilleures dispositions en fait, en temps normal il est invivable quand il ne peut pas faire ce qu'il veut. On ne s'est plus disputés depuis qu'il a parlé avec son père, et on arrive même à faire des trucs de couplé normal comme juste manger sans se tripoter... Mouais bon ok, ses pelotages me manquent un peu m'enfin je me console comme je peux !

Dans ses bras, notamment, puisqu'il veut bien me serrer, toujours trop brièvement, contre lui. Ses doigts sur ma peau me font frémir, illuminent mon regard d'une lueur de pure passion. Je suis presque sûre qu'on va du bon côté... Vérifie l'adresse cette fois. J'échappe à ses bras puisqu'il le faut bien pour sortir de là et aller jusqu'à la voiture. Je suis contente qu'il se soit reposé, il sera en meilleure forme pour la visite de la maison. D'ailleurs une fois qu'on rentre l'adresse dans le GPS, on constate que cette fois c'est du bon côté de la frontière, Dieu merci je n'aurais pas voulu annuler cette visite ou la faire pour rien. Au volant je commente : Vivement que tu conduises à nouveau, j'aime bien pouvoir dormir à moitié avec les pieds sur le tableau de bord pendant que tu conduis.

Sa déclaration m'émeut plus que je ne veux bien le montrer et lui attire un ultime baiser avant qu'on ne décolle de l'appartement.

La discussion avec mon père a remis beaucoup de choses en perspective. Comme ce que je voulais pour l'avenir surtout en constatant qu'il pouvait s'arrêter d'un doigt pressant une gâchette. Si j'ai négocié un an - ce qui met Nina en colère - j'estime que c'est à moi de faire les preuves, pas à Nina. C'est à moi de montrer que je peux être un mari - et un père ? - capable de se donner pour sa famille au sens large puisque dans ce mot j'englobe les Drazavic et les Tigrovi. Et comme je ne suis pas l'être le plus patient au monde, un an c'est bien trop long ! En plus, cela m'affecte beaucoup que mon père soit fâché après moi, même si j'évite d'en parler à Nina, elle monterait dans les tours.

Coté passager, je m'offusque de sa remarque "Mais je pourrais conduire ! C'est toi qui ne veut pas !" Je ne prends presque plus de cachets, je ne risque pas la somnolence sur un trajet court avec ma co-pilote à mes cotés, et je vais tout à fait bien pour conduire sur quelques kilomètres ! Je me taperais pas huit heures au volant, mais une demi-heure sans problème ! Ma main glisse à nouveau sur sa cuisse, dans ce besoin d'un contact, même superficiel. Je fais une plaisanterie graveleuse, avec ce bête espoir qu'elle accepte ! "Pour rentrer je conduis pendant que tu me suces, deal ?"

Il pose sa main sur ma cuisse et j'éclate de rire à sa proposition salace. Non. Tu conduis et je te suce en rentrant, à la limite, mais pas pendant que tu conduis ! Je l'ai déjà fait a New-York dans de petites routes de campagnes où ça ne craignait pas grand chose, mais je ne m'y risquerais certainement pas dans un tel pays. Je secoue la tête malgré tout dans un sourire amusé. Tiens-toi tranquille on est presque arrivés. Je suis contente qu'il ne pleuve plus, je n'aime pas conduire sous la pluie mais en plus de ça, la maison qu'on va visiter possède un grand jardin avec une piscine et j'aimerais pouvoir en faire le tour. Je n'ai pu voir que peu de photos de celle-ci alors je ne sais pas trop à quoi m'attendre... Au moins est-elle du bon côté !

Il faut que l'agent immobilier nous ouvre le portail, pas automatique hein, pour qu'on puisse entrer et se garer. De l'extérieur la maison me plaît beaucoup, et elle semble entourée par un terrain immense ! Je sors la première de la voiture, me retrouvant une fois de plus dans une herbe boueuse mais ce n'est pas très grave. Je souris à Slavenko quand il sort à son tour. Je me souviens plus trop, je crois que celle-ci a quatre chambres...

Je vais faussement mine de me vexer, mais mon rire retenu, grondant, me trahit "A la limite ? Hé ! Je conduis pas pour un à la limite. Je veux une promesse ferme. Comme ma queue" J'ai un rire d'auto dérision et je ne me tiens pas du tout tranquille en pétrissant sa cuisse. Ma sieste et le réveil merveilleux m'ont redonné la pêche, ainsi que la perspective du voyage. Je bouillonne d'impatience que je peine à contenir.

Quand on arrive, de l'extérieur, ce n'est pas le coup de cœur comme celle de ce matin. C'est assez irrationnel, parce que si je liste ses avantages, ils sont bien plus nombreux. Elle est isolée de ses voisins mais pas trop, en RS, pas trop loin de Sarajevo, et visiblement grande. Bon, je lui laisse le bénéfice du doute. Je m'extirpe de la voiture, le nez et le regard vers la maison. "quatre ? ça fait de la place au moins !" Après les présentations d'usage avec l'agent immobilier, on entre dans la maison. Déjà ça me plait mieux. Bien sur il y a parfois un agencement bizarre comme cette pièce longue avec un billard que je prends d'abord pour le salon avant que l'agent ne démente ma supposition. Et au détour du salon et de la cuisine, je tombe amoureux de l'endroit. La terrasse en surplomb de l'immense jardin et de la piscine en est stupidement la cause. Je me plante devant la porte fenêtre. De l'extérieur la terrasse donnait cet air biscornue à la baraque qui me déplaisait, de l'intérieur, elle prend toute sa valeur.

J'acquiesce, quatre chambres ça ne me paraît pas excessif, on n'est pas forcées de les utiliser comme telles. Déjà, l'une me servira de bureau à coup sûr, j'ai besoin d'un endroit pour bosser au calme, notamment sur les missions de hacking que je ne fais certainement pas à l'agence ! Ensuite notre chambre, une chambre d'amis... Reste une pièce dont il faut déterminer l'utilité mais je ne m'inquiète pas pour ça, on trouvera forcément. Au pire, j'en ferais un dressing, je veux bien me sacrifier haha. Je laisse Slavenko faire les présentations, ne me hasardant pas trop à parler serbe cette fois, j'ai de toute façon l'intention de laisser Slavenko poser les questions. De ce que je peux voir de l'extérieur, la maison me plaît vraiment beaucoup, le jardin notamment qui est immense. Je m'y projette bien plus facilement que dans celle de tout à l'heure, imaginant aisément une cuisine extérieure par exemple. Et un jacuzzi, bien entendu. La piscine est déjà construite, en plus, que demander de mieux ?!

À l'intérieur, je suis sous le charme de cet immense salon avec cuisine ouverte. La cheminée me plaît vraiment beaucoup, le mur de pierres également. J'ai un sourire en faisant remarquer au slave, tout bas : Ici il n'y a pas de bar mais on peut en installer un... En tout cas, il y aurait la place ! La terrasse est plus grande encore que je ne le pensais, on pourrait très facilement installer une table et des chaises, même un barbecue pourquoi pas ! Au rez-de-chaussée, il y a une première chambre, suite parentale avec une salle de bain accolée. S'il y a une grande baignoire, le sol et les murs ne me plaisent pas mais c'est un détail. À l'étage se trouvent les trois autres chambres, la seconde salle de bain et un balcon. Je me tourne vers Slavenko, guette ses réactions mais je crois que mon amour pour cette maison se lit dans mon regard. L'agent immobilier nous propose d'aller voir l'extérieur.

"Le bar n'est pas indispensable zlato..." La cuisine est un peu ouverte dans le sens où on voit le salon et qu'il n'y a pas de porte, juste un demi-mur. On explore la maison, et elle est confortable et chaleureuse, je dois l'admettre. Les salles de bain sont chouettes, les chambres simples mais fonctionnelles. J'aime beaucoup les parquets chaleureux. En plus il y a une cheminée dans le salon et ça me plait, je suis sur que Nina le sait. Je l'accompagne à l'extérieur, la terrasse est splendide, le barbecue, cet espèce de pièce semi-fermée aussi. Les pierres bleues rehaussent le coté banal du crépit saumon.

On s'éloigne de l'agent immobilier en faisant le tour de la piscine, ce qui nous donne l'occasion de voir la maison de derrière dans son entier. "Alors ? Elle est pas mal celle là non ? " Je me tourne vers Nina pour observer si elle ressent la même chose que moi à savoir que dans cette maison je nous imagine bien construire une famille, à deux ou à trois si un jour j'arrive à la persuader. Je tente ma chance pas très subtilement mais avec douceur, en venant la prendre dans mes bras. "Moi elle me plait, elle a tout ce qu'il faut et pas trop de travaux, on pourrait emménager vite. Elle a une cheminée, une piscine, le salon et la terrasse sont supers. On dirait vraiment une maison pour nous... pour notre famille... toi, moi et qui sait, un ... petit nous ?"

Je suis en adoration devant le jardin, immense, avec le joli puit et ce petit pont en bois qui me donne l'impression d'être dans un décor de film. C'est dingue parce que je ne m'imaginais plus vivre dans une telle maison depuis longtemps, Slavenko fait ressurgir en moi des désirs que je pensais profondément enfouis. Enfant, je rêvais d'une maison similaire à celle-ci, en version typiquement américaine bien-sûr. Je rêvais d'un jardin, d'une grande famille, de longs dîners où nous serions nombreux... Je voulais appartenir à une famille, heureuse évidemment, et vivre dans la maison qui représentait cet idéal. En grandissant j'ai compris que je n'aurais jamais de famille, et je me suis inventé un nouveau rêve, celui d'une vie luxueuse, pour prendre ma revanche sur la misère qui avait toujours été la mienne. Mais dans ces rêves-là, je ne parvenais toujours qu'à m'imaginer seule. Avec lui, je me suis toujours surprise à rêver de nouveau cette famille, que je suis pourtant certaine de ne pas mériter. Je réponds, le regard brillant : Elle me plaît vraiment, vraiment beaucoup...

L'agent immobilier nous laisse un peu d'intimité pour discuter et Slavenko me prend dans ses bras. Je me niche contre lui, heureuse qu'on soit sur la même longueur d'ondes jusqu'à ce qu'il parle d'un "petit nous". Si ça ne faisait pas si mal, je me moquerais de lui pour cette formulation ridicule. Je voudrais lui dire que la maison me plaît, que je veux l'acheter tout de suite, emménager le plus rapidement possible. Mais il n'y a rien d'autre qu'un bourdonnement désagréable dans mes oreilles et je blêmis. De quoi... De quoi est-ce que tu parles ?

Evidemment que ça suscite une réaction, des questions. On s'est fait trop de mal avec ce sujet pour qu'il devienne simple d'en parler. Je n'ose même plus prononcer le mot bébé, ou avec cette prudence nécessaire, prêt à esquiver "Ecoute Nina, je voulais t'en parler mais j'y arrive pas quand on est à l'appart...Je sais que ça l'air heu...bizarre." Bizarre. Quel beau choix de mot Slavenko, elle doit vraiment te prendre pour un putain de taré de psycho. Peut-être que c'est vrai après tout si tout le monde s'entête à le dire. J'y réfléchirais une prochaine fois. "Je... quand c'est arrivé à NY, j'étais pas prêt, ça m'a pris de court, je..." Ouai j'ai paniqué de fou mais j'ai changé non ? Les circonstances sont différentes aujourd'hui. J'ai cette sensation que je peux construire, aller de l'avant. "On va acheter cette maison." Voilà la conclusion et le reste suivra, je ne vais surement pas réussir à m'expliquer mieux que ça.

Entre ses bras je me radis, secoue la tête sans comprendre. Il faut dire que ses explications n'en sont pas vraiment, et ne m'aident en rien à comprendre ce qu'il veut. Enfin si, ce qu'il veut est plutôt clair, mais je ne comprends pas comment c'est possible ! Avec notre passif, il va me falloir un peu plus qu'un "eh finalement je veux un bébé". Je serais bien incapable de me contenter de ça. Ça t'a pris de court ?! Parce que moi je n'ai pas été prise de court ? Par cette grossesse, par l'avortement forcé, par son départ précipité quelques jours après seulement. Non, non tu peux pas... Tu peux pas me balancer un truc pareil et juste dire qu'on va acheter cette maison en espérant passer à autre chose !

"Non, non j'ai pas dit ça. Je sais bien que toi aussi...On n'était pas préparé et moi, j'ai réagi comme un con. Pas toi. " Je ne la relâche, peut-être que je sais que mon salut est dans le fait de ne pas la lâcher. "Je sais que je vais p'tre un peu vite là. Mais Nina, je déconne pas et je crois que tu le sais. peut-être que ça te fait peur d'ailleurs, moi ça me fait peur." Droit au but Drazavic, bordel, tu vas encore te perdre dans les mots. "Quoi, est-ce qu'on est pas parti pour ça au fond ? Acheter une maison, se remarier, fonder une famille, et ça veut bien dire ce que ça veut dire. On peut p'tre l'envisager ce - attention mot interdit - bébé ? J't'en prie te fâche pas, réfléchis-y..."

Bien-sûr que je suis fâchée, que je me braque, comment pourrait-il en être autrement ? Comme un con le mot est faible. Ma voix est sèche, dure parce que la blessure est encore trop douloureuse. Il a été lâche, mais il a aussi été égoïste, et cruel. M'abandonner après cet avortement, en sachant dans quel état de désespoir j'étais, c'était plus que de l'idiotie ou un manque de maturité. Si ça me fait peur ? Je ne suis capable que de répéter ses mots tant je les trouve insensés. Qu'est-ce qui a changé, et si rapidement ? Comment pourrais-je faire autrement que de ne pas avoir peur ? Non, contrairement à ce qu'il pense, je n'ai jamais imaginé qu'on était partis pour avoir une famille ensemble, pas depuis qu'on s'est retrouvés en tout cas. Il a très bien fait passer son message la dernière fois sur son désir d'enfant inexistant.

Sous la colère, l'angoisse et l'incompréhension, les larmes me montent aux yeux et je me défais de ses bras. Je crois les miens sur ma poitrine dans un vain geste de protection. Je voulais juste... J'aimais beaucoup cette maison... Comme les larmes roulent sur mes joues, je pivote pour lui tourner le dos. Voilà, c'est tout ce que je voulais, je voulais juste qu'on trouve une maison.

Je reviens vers elle, patiemment, parce que je sais déjà qu'il me faudra des montagnes, des océans de patience. Je viens dans son dos, l'enlacer malgré son corps qui se raidit. Je me penche vers son cou si gracile pour lui parler tout bas, comme on calme un cheval rétif. "srce moje... j'aime beaucoup cette maison et je t'aime toi." Je viens essuyer une joue mouillée de larmes. Je n'aurais peut-être pas du parler de ça maintenant, mais ça me semblait d'une importance capitale. Je fais un geste à l'agent immobilier qui ne comprend pas sans doute ou s'impatiente. "Moj andjeo, écoute, ne pleure pas...on en reparlera et si c'est pas ce que tu veux, ça ne sera vraiment pas grave parce que c'est toi seule que je veux. Ja volim te mon ange, ja volim te. Mais cette maison, elle est déjà parfaite pour nous deux. On va pas la laisser passer ? J'ai envie de vivre avec toi ici, srce... Je ne veux pas te faire de la peine, ne placi moj ljubavi. "

Je crois que je pourrais le tuer, s'il avait seulement l'idée de se mettre en colère contre moi. J'ai mérité ma colère, j'ai gagné le droit d'être furieuse après lui. Et oui, en ce qui concerne ce sujet précis, il a plutôt intérêt à faire preuve de beaucoup de patience s'il espère arriver à quoi que ce soit. Parce que même si j'accepte l'idée que peut-être, éventuellement ce serait envisageable, il va falloir qu'il gagne ma confiance à ce sujet et Dieu sait que ce n'est pas gagné, bien au contraire ! Je ne le pense pas capable de m'épauler dans une grossesse, et encore moins dans l'épreuve de la maternité. A ce stade je suis persuadée qu'il se tirerait sans réfléchir au moindre obstacle, dès qu'il aurait le sentiment d'être prisonnier et ça arrive forcément quand on devient parent.

Je fronce les sourcils, ce n'était vraiment pas le moment pour parler de ça, vraiment pas. Parce que nous ne sommes pas seuls et je lui en veux de me rendre si vulnérable dans un lieu que je ne connais pas, face à un inconnu. Je secoue la tête, renifle en essuyant mes yeux mouillés. Non, on va pas la laisser passer. Moi aussi j'aime beaucoup cette maison et je lui en veux, encore, parce qu'il vient de tout gâcher quand ce moment aurait pu être absolument parfait. Je m'écarte une nouvelle fois de ses bras, fais un geste vers la voiture. Je te laisse... Gérer le reste, je t'attends dans la voiture.

"Ok, ok je m'en occupe." Je ne vais pas insister, j'ai déjà été plus loin que ce que je pensais et sa réaction n'est pas si mauvaise pour l'avenir. Bien sur c’est un choc mais disons que je m'attendais à pire. Je vais parler avec l'agent immobilier un bon moment, on refait même un tour et je pose des questions. Je joue à l'équilibre subtil entre le gars intéressé mais pas trop pour la négociation. Je n'excelle habituellement dans ce genre d'exercice mais là je me surpasse et l'agent va rappeler les proprio pour faire baisser les prix. Comme on part en vacances très bientôt, soit elle appellera demain, soit ce sera à Bali, et on avisera à notre retour. Si on fait une offre ferme assez vite, elle est prête à bloquer la vente quinze jours. On conclue sur une poignée de main et je regagne la voiture où je me glisse à la place du conducteur, c'est mieux de toute façon, je ne crois pas que Nina soit en état de conduire.

"Bon il va rappeler demain s'il a réussi à contacter les proprio. Sinon on aura des nouvelles à Bali et on verra au retour. Ils bloqueront les visites durant ce temps si on est sur qu''on la veut. Celle là me plait beaucoup mais est-ce que tu n'en avais pas sélectionnée encore une ? Tu veux qu'on la voit avant de se décider ? " Non je ne parle pas de bébé, parce que je veux la laisser respirer. Ça ne sert à rien de l'acculer. J'ai conscience de la soudaineté de ma remarque, bien que j'ai déjà fait quelques réflexions discrètes.

Dieu merci il n'insiste pas et je peux m'éloigner pour sortir de la maison. L'agent immobilier, en voyant ma mine chiffonnée et mes joues baignées de larmes, ne songe même pas à m'adresser la parole, heureusement, et je peux laisser Slavenko s'occuper du reste pour retourner près de la voiture. On l'a laissée ouverte, elle ne risque rien avec le portail fermée et je m'installe sur le siège passager, me ramassant sur moi-même en fermant les yeux pour me ressaisir. J'essaie d'assimiler ce qu'il vient de m'annoncer, et surtout à quel point cette envie nouvelle m'effraie. Je ne sais pas comment il est humainement possible d'être aussi peu doué à la fois pour s'exprimer, mais aussi pour choisir de tels moments pour annoncer les choses ! Quand a-t-il cru que ce ne serait pas mieux qu'on soit seuls, dans l'intimité ? Pourquoi n'a-t-il pas doucement amené le sujet au lieu de balancer ça comme ça ? Je ne sais même pas comment il en est venu à cette réflexion et soudain je pense que c'est à cause de Jelenko. Tout s'éclaire. Son père l'a convaincu qu'il avait besoin d'un héritier pour être un digne membre de la famille Drazavic. C'est la seule explication possible.

Je suis encore plus troublée quand il remonte en voiture un long moment plus tard. J'essuie une dernière fois mes yeux encore humides, bien que j'ai cessé de pleurer, et hoche la tête à ses explications. Ma voix est un peu rauque lorsque je réponds. Il en restait une autre, oui, mais je ne suis pas sûre qu'elle te plaise, elle n'a pas le même charme, c'est plus... Moderne. Et pour le coup, elle est vraiment grande, il y a cinq chambres, ça fait beaucoup. C'était au cas où on ne trouverait rien d'autre. On verra si on n'arrive pas à avoir celle-ci. Je sais ce qu'il aime maintenant, et je devine facilement que l'autre ne sera pas du tout son style. Elle aurait pu être le mien par contre mais celle qu'on vient de voir me plaît énormément. On rentre...?

Je démarre la voiture et j'attends que l'agent immobilier ouvre le portail pour m'engager vers la sortie. Je lui adresse un dernier signe avec un sourire, signe que j'ai bien appris ma leçon en travaillant avec un promoteur immobilier. "On rentre si tu veux mon ange. Mais si tu veux visiter la maison plus "moderne" je ne suis pas contre. Maintenant ou plus tard. Tu sais quoi, tu pourrais déjà me montrer les photos quand on rentre." Je crois que c'est bien comme ça, le temps qu'elle se remette de ma déclaration fracassante. J'ai conscience aussi de ne pas avoir aborder la question de la meilleure façon qui soit mais en général, je saisis juste le créneau quand ma capacité à parler de chose intime se débloque. Ça arrive rarement au bon moment.

Je me tais cette fois durant le reste du voyage. On arrive assez vite à la maison, ce qui prouve bien que celle qu'on vient de visiter est parfaitement située. "C'est vraiment pas loin en fait !" A l'appartement, j'esquisse un geste vers Nina "Repose-toi moj andjeo, je te fais un thé." C'est ma façon de dire que je suis désolé sans remettre le sujet sur le tapis. je vais vérifier la cheminée et remettre une bûche avant d'aller à la cuisine mettre de l'eau à bouillir.

Je ne cherche pas à rompre le silence qui envahit l'habitacle, et je ne suis pas mécontente de rentrer. Je ne me sens absolument pas d'attaque pour une autre visite maintenant, et comme on part dans deux jours, à moins de la planifier demain, il faudra attendre qu'on soit rentrés de Bali pour ça. Est-ce que c'est pour ça que j'ai si bien gardé mon sang-froid ? Parce que je me dis qu'il serait dommage de gâcher notre voyage avant même qu'on soit partis ? Franchement je n'en sais strictement rien. Tout ce que je sais, là, c'est que je suis secouée, et que j'ai besoin de me poser et de faire le vide dans ma tête. A l'appartement je le laisse aller dans la cuisine pendant que je retire chaussures et manteau pour aller dans la salle de bain. J'y récupère la boîte en bois dont j'ai soudain douloureusement besoin, et même si je n'en suis pas fière je prends mes cachets en avance, je ne crois pas que je dormirais ce soir sans leur aide, ni que j'arriverais à rester sereine sans les prendre.

Quand je reviens dans le salon, il est encore en train de s'affairer et je m'allonge sur le canapé, ramenant le plaid sur moi, et mes jambes contre ma poitrine. Le sujet me démange et à la fois je ne suis pas sûre d'être capable d'en parler maintenant, ce qui fait que je me tais.

Je prépare ce thé, y ajoute un biscuit près de la tasse, sur un plateau que j'amène à Nina qui s'est réfugiée sur le canapé. J'amène la table basse près d'elle et y pose le plateau avant de m'asseoir moi aussi. J'entoure ses épaules de mon bras pour venir câlinement frotter mon nez contre son cou, dans un geste qui dit que tout ira bien. Nous ne sommes pas obligé de parler ou de décider quoique ce soit aujourd'hui et j'ai bon espoir que notre voyage nous rapprochera un peu plus. Je décide simplement de rester près d'elle, attentif et disponible.