Tournez manège - Leo

Mira me fait sourire parce que je crois me revoir en elle parfois, dans son assurance et ses propos. Je me tourne du côté de Malic et lui fais un clin d’oeil. Ouhh, j’ai pas non plus la même assurance que Mira, j’te rassure. Je ne suis pas froussarde, j’adore regarder des films d’horreur mais je sais que la surprise va me faire crier, c’est évident.

On s’installe donc et Miro se met machinalement à côté de Mira, nous laissant donc le policier et moi. Le train n’avance pas encore, alors, nous en profitons pour discuter Malic et moi. J’ai pas fait ça depuis très longtemps aussi… Ah, non, Miro habite chez notre grand-mère à Foča. Quand je suis revenue des Etats-Unis j’ai décidé de m’installer dans la capitale, sinon je suis née là-bas aussi. Mais de toute façon Miro vient souvent parce qu’il est soigné ici. Donc, si tu t’inquiétais déjà pour nos deux tourtereaux, t’en fais pas. Je lance un grand sourire à Malic alors que le train commence à avancer en nous plongeant bientôt dans la pénombre. L’attraction est vraiment bien faite, les décors sont assez effrayants mais je me délecte de cette appréhension qu’à chaque seconde quelque chose puisse nous tomber dessus et c’est d’ailleurs ce qu’il se passe quand je sens une main contre mon épaule, une espèce de zombie poursuivant le wagon. Je crie mais ris ensuite en me rétractant contre mon partenaire. Oh mon Dieu un zombie ! Moi qui adore the walking dead, je ne fais pas la fière devant ce déguisement réaliste.

Au bout d’une quinzaine de minutes, nous ressortons, échaudés de peur mais à peu près tous d’accord sur le fait que ce train fantôme était vraiment effrayant. Moi j’ai adoré le chirurgien fou à la fin, c’était vraiment original ! Et toi Malic, t’as pas trop sursauté finalement.. Dis-je en lui tendant une énième cigarette que je partage immédiatement avec lui. On laisse les enfants aller sur une autre attraction pendant que nous fumions, ce qui nous permet de discuter librement. C’est vraiment une belle journée. Ça n’aurait pas été pareil si tu n’avais pas été là, alors merci.

"je m'inquiète surtout du fait que Mira risque de faire des pieds et des mains pour revoir ton frère et sa mère et ses oncles risquent de mal le prendre. S'il avait été à Sarajevo, elle aurait pu le voir en venant chez moi." Je ne crois pas que Leo se rende compte des obstacles mais sans doute est-ce moi qui vais trop vite. Les deux enfants n'ont fait que passer une journée ensemble en notre compagnie. Ce n'est pas parce qu'ils s'entendent bien qu'ils vont chercher à se revoir, se parler, ou se fréquenter. J'ai appris que cette génération était la génération next, comme sur les applications de rencontre à ce qu'on dit.


Le train fantôme est génial et je ris bien avec Leo, ayant tout de même ma part de sursaut même si je fais semblant que non ! "j'avoue que le type à la tronçonneuse m'a bien eu" Je regarde les enfants s'éloigner vers une énième attraction que je suis soulagé de ne pas faire, ravi de partager une cigarette avec Leo. Certains diraient que je suis d'une timidité maladive surtout avec les femmes. Ce n'est pas exactement ça. D'abord je suis naturellement quelqu'un de réservé, sans pour autant dire que je suis timide. Je n'ai pas peur des gens, ni de discuter. Je pense que c'est plus de la pudeur que de la timidité, j'estime qu'il y a une grande différence.

"Je suis très content aussi, Mira n'est pas si communicative quand nous ne sommes que tous les deux. Tu sais, je crois qu'elle m'en veut pour le divorce, ce que je peux comprendre. Mais votre présence à toi et ton frère avaient adouci ça. Alors merci à vous, à vous deux." J'adresse un sourire chaleureux à Leo, dont j'apprécie la présence.  Elle a une douceur et une retenue que j'aime beaucoup, et en même temps une force de vie, une joie discrète qui éclaire ma journée sans compter qu'elle est très jolie. Je me risque donc "Est-ce que ça vous dirait qu'un de ces soirs on aille au cinéma, ou je ne sais, manger un morceau quelque part ? Si...si vous êtes disponible bien sur. Enfin tu" je souris "je voulais dire tu"

Je dois bien avouer que j'ai un peu de mal à comprendre l'inquiétude de Malic mais il me semble que son histoire de vie est bien plus complexe que la mienne alors qu'il m'est arrivé mille choses. Je lui jette un regard compatissant et ajoute: J'espère qu'elle n'aura pas d'ennuis par rapport à ça alors… Si jamais elle veut le revoir, je ferai en sorte que Miro vienne chez moi si ça peut arranger le problème… Je n'ai aucune envie que Malic ait des différends avec son exe femme par ma faute, ni même Mira d'ailleurs.

Nous sortons de la pénombre puis du wagon; les enfants se hâtant vers une attraction qu'ils partageront tous les deux, seuls, et de notre côté, nous savourons une cigarette en tête à tête.
Pendant un silence je réfléchis à cette journée et je me dis que cela fait bien longtemps que je n'avais pas été moi-même, que je n'avais pas ris avec autant d'honnêteté et que je n'avais pas savouré chaque seconde comme je suis en train de le faire avec Malic, sa fille et mon petit frère. Cette bouffée d'air frais mélangée à la fumée de cigarette me remplit d'un sentiment de bien être que j'avais même oublié tant il me paraît loin.
Je suis contente si ça vous a permis de vous retrouver un petit peu tous les deux… C'est normal qu'elle t'en veuille, tu sais. Mira est encore jeune mais elle comprendra plus tard. Je peux te demander pourquoi vous avez divorcé avec ton exe ? Tu n'es pas obligé de répondre, hein, si c'est trop personnel… Je crois avoir décelé chez Malic le même caractère que moi, un peu réservé et introverti, alors je ne lui en voudrais pas si il ne préfère pas répondre.

Quelques secondes après je pique un fard lorsque Malic me propose ce qui semblerait être un rencard. Je crache longuement la fumée de ma cigarette en tentant de contrôler les pulsations qui font battre mes tempes. Je ne relève d'ailleurs même pas son erreur entre tu et vous. Présentement; je vacille entre l'envie et la raison. Je crève d'envie de dire oui et de passer du temps avec Malic mais il y a toujours mon mensonge qui me rappelle à l'ordre et qui me fait croire que je ne devrais plus m'approcher de lui… Je… Je ne sais pas. Je vais avoir pas mal de travail cette semaine. J’ose à peine tourner le visage pour vérifier l'état de son faciès mais quand mes yeux rencontrent les siens je déglutis et ajoute, faible: Hum, vendredi je crois que ça ira en fait. Les deux idées me plaisent, alors choisi. Je lui adresse un sourire; infiniment désolée d'avance pour ce qui risque d’arriver.

"Le divorce...Tu n'es pas la seule à te poser la question." Tout le monde se la pose, ma femme, ma famille, ma fille."Je me suis marié très jeune. Je ne sais pas si tu sais comment ça se passe chez nous, mais souvent, on nous présente une connaissance, une cousine éloignée, la fille d'un ami proche. On nous dit bien assorti, et c'est la mariage. Tout semble couler de source, c'est comme ça... Je ne peux pas dire que je n'aimais pas ma femme mais au départ ça n'a pas été le coup foudre. Seulement à vivre ensemble, à fonder une famille, on apprend à s'apprécier,à s'aimer d'une certaine façon. Et puis parfois, il arrive un moment dans la vie où on se rend compte qu'elle est courte et qu'il y a peut-être plus que ça à vivre." J'ai un sourire amusé "Ils disent que je fais une crise de la de la trentaine, un peu en retard. Désolé, excuse-moi, je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça.  Je ne voulais pas être ennuyeux. Tu n'as jamais été mariée ?"


Le visage de Leo m'est dissimulé par ses longs cheveux, parce qu'elle ne me regarde pas, gardant la tête baissée. Je rougis en pensant que je l'ai mise mal à l'aise par une demande hâtive et sans doute inconsidérée. La jeune femme va au groupe pour trouver des amis, rompre sa solitude mais certainement pas comme un club de rencontre ou pour avoir un date ! Dès qu'elle marque son hésitation, je m'empresse d'ajouter "oui, bien sur je comprends...Ne te crois pas obligée d'accepter, je...c'était..." Je vais dire déplacé quand soudain au milieu de ses hésitations et de mes bafouillements, elle accepte. J'en suis très heureux et surpris et je cesse mes excuses. Un sourire sans doute trop large éclaire mon visage. "oh, vendredi soir ? super... c'est parfait. Je te textorerais ça alors, et je passerais te chercher si ça te va."

Je relève les mains et les agitent ensemble en souriant. Non non, tu n’as pas été ennuyeux, pas du tout même, t’inquiète pas. A vrai dire j’adore l’écouter mais ce serait prématuré de lui faire ce genre de compliment, alors je m’abstiens. Mariée ?! Non non, jamais. Je crois d’ailleurs que j’ai tellement peur du divorce que je n’oserai jamais le faire. Enfin, je veux dire par là que si je me marie ce sera avec l’homme de ma vie et personne d’autre… J’ai une vision très arrêtée sur le fait qu’il n’y ait qu’une seule personne nous étant destinée et que tant que je n’aurais pas trouvé cette personne je ne m’autoriserai jamais à donner ma main. Je regarde mon annulaire gauche pourtant serti d’une bague que je me mets à gigoter devant Malic. Mais je porte souvent une bague ici, ça permet que les mecs soient pas trop lourds avec moi ! Je te jure, des fois, c’est radical, comme de l’anti-moustique ! Je lui souris en riant, amusée de ma propre bêtise.

On a l’air vraiment de deux ados complètement gênés, lui à trente deux ans et moi à vingt cinq. C’est triste à dire ainsi mais j’ai tellement l’habitude d’être fausse avec les hommes que je ne sais plus du tout comment me comporter avec quelqu’un qui me plaît vraiment. D’ailleurs, tout se passe très rapidement dans mon esprit quand je lui dis non, puis oui. A la base, nous venions ici en tant qu’amis et à ce moment-là, mon mensonge avait peu d’importance. Mais maintenant que je me rends compte que Malic me plaît et que je crois que je lui plais aussi, ça change complètement tout. Je suis dans une impasse dont je vais avoir du mal à me sortir !
Seulement, quand je vois son sourire, je ne peux que le copier en retour. Il aurait été certainement méchant de ma part de lui mettre un râteau après qu’il m’aie payé cette journée et m’être complètement laissée aller à lui tenir la main ou me rapprocher de lui dans la dernière attraction… Oui, ça aurait été méchant et complètement incohérent, il faut que je me rassure. J’attends ton sms alors… Je ne rajoute pas impatiemment mais c’est ce que je ressens.

Les jeunes nous reviennent et comme l’après-midi est presque terminée, on est tous d’accord sur le fait que nous devrions rentrer, la journée ayant été bien chargée. Je laisse Mira monter aux côtés de son papa dans la voiture et nous nous installons derrière avec Miro que je prends tout contre moi pour le câliner et pour une fois, il se laisse faire. Je lui murmure: J’ai pas eu mon quota de câlins aujourd’hui… Comme il est très fatigué, il ne relève pas et ferme les yeux contre mon épaule. Le chemin est assez silencieux et après les kilomètres parcourus, j’indique l’adresse de mon appartement au chauffeur. Sur le point de sortir de la voiture et avant de saluer tout le monde, je prends une inspiration et dis: Vous montez cinq minutes ? Boire un verre…?

Je suis surpris du regard qu'elle porte sur l'amour. Un grand A, c'est quelque chose d'unique, de presque magique.Est-ce que j'y crois aussi ? Est-ce pour ça que j'ai divorcé ? Je ne pense pas être dans cette démarche. Ce que je voulais avant tout c'est faire mes propres choix, pour moi. On me reproche d'ailleurs cet égoïsme mais c'est la première fois de ma vie que je me mets en premier. Je ne pense pas que ce soit mal. Leo me distrait de mes pensées avec une drôlerie amusante. "Vraiment ? Le coup de l'alliance ? Je n'avais même pas remarqué, je fais un piètre détective ! Il y a vraiment des hommes qui pensent à regarder ? Tu sais, je ne suis pas sur que ce soit dissuasif." Je connais même quelques collègues que ça arrangerait, une maitresse mariée est une maitresse parfaite car peu encombrante, elle ne vous demandera pas de divorcer. Quant à moi j'ai cet idéal de fidélité que d'aucuns jugent démodé. Ça ne me dérange pas d'être démodé.

Que Leo accepte me remplit d'une joie simple, de ce truc qui fait battre le cœur plus vite. C'est vrai, c'est très adolescent dans la démarche mais quelque soit l'âge, les premiers émois envers une personne ont le même gout. Je suis à la fois intimidé et empressé. Même si cette belle journée est finie, je ne suis pas triste car la perspective d'une soirée avec Leo, vendredi prochain, me remplit de joie.

J'arrête la voiture en bas de l'immeuble de Leo, elle me propose de monter boire un verre. J'ai un sourire de gratitude pour elle mais je secoue la tête pour refuser. "je pense que la journée a été longue pour Miro, c'est mieux si on rentre tout de suite." Devant Mira je n'ose pas faire un rappel de notre rendez-vous, ce qui aurait adouci mon refus. Je me contente d'accentuer mon sourire et de lancer un regard à la jeune femme. "Au revoir...à bientôt" "A demain Miro, sur messenger ok ?"

Peut-être ou peut-être pas… En tout cas, j’aimais croire que ça m’aidait ! Je lui souris tout en jetant un regard à mes doigts puis de nouveau à ses yeux. J’ai peut-être l’air idiote, là. J’ai peut-être pas la bonne technique, ni même la bonne pensée parce que je suis inlassablement trop naïve mais soit, ma relation avec les hommes a toujours été compliquée et je crois que ce n’est pas prêt de changer.

J’avoue que je suis un peu déçue quand Malic préfère rentrer mais je comprends et je les salue avant de sortir de la voiture. A demain Mira. A bientôt Monsieur ! Mon petit frère se hâte de sortir de la voiture et nous leur faisons signe pendant qu’ils commencent à s’éloigner de nous. Et si on se commandait des pizzas ? Que je lance à Miro tout en passant un bras autour de ses épaules, nous dirigeant vers la porte d’entrée.