Monster / Deirdre

Un flingue dont le calibre ne rentrait pas dans ses cordes lui fut mis en main ; elle saisit toutefois le message et le cala dans son jean avant de se saisir du sien. Le poids de Leg, alourdi par la douleur et la fatigue de son comparse, lui évoquait une tonne de gravats pesant sur ses épaules. Elle se stabilisa à grand peine, le souffle déjà court, pour les empêcher de se carapater sur le sol.
Il était effectivement très probable que la Lambo ait été prise pour cible car c’était en quelque sorte le meilleur moyen de tuer Leg. Deirdre aurait pris le risque de la conduire si Leg n’était pas aussi mal en point contre son épaule.
Le seul moyen de s’échapper c’était la moto.
Ca allait être la merde, mais c’était tout ce qu’elle avait en magasin.

« J’vais les éloigner. Reste là, et interdit de mourir. »

Elle lâcha le corps de Leg derrière un mur en oubliant de songer que le voir dans cet état lui donnait une impression pathétique de fin du monde, et fit du Dei pur jus en prenant des risques pour sa vie dans une rue certes étroite mais polluée par les balles. L’une d’elles l’atteignit à la cuisse, ce qui était douloureux, agaçant, énervant au possible, mais ne l’empêcherait pas de conduire. Son souffle se coupa, sa vision se brouilla, et son corps lança dans son myocarde une décharge d’adrénaline qui lui permit d’atteindre la Lambo, d’ouvrir le clapet à essence, et y glisser une grenade.
Comme d’habitude : si Deirdre ne pouvait obtenir quelque chose, personne ne l’aurait.

Elle se replia derrière le mur où elle avait largué Leg.

« Attention à tes oreilles. »

Elle boucha les siennes au moment où une tonitruante explosion retentissait juste à côté, piquetant les façades d’éclats de carlingue et de braises. Un mythe disparut dans un gigantesque mur de flammes qui coupait l’avancée de leurs adversaires, tandis que la plaque d’immatriculation léchée par le feu se plantait dans les graviers comme une ultime carte postale envoyée de l’enfer.

« J’ai qu’une moto pour te ramener donc il va falloir que tu tiennes encore cinq minutes, frère. » lâcha Deirdre.

Elle rengaina son flingue qui finalement ne lui avait pas tant servi que ça, se pencha pour terminer d’arracher un lambeau de la veste de Legence afin de le nouer autour de sa propre jambe qui commençait à la tirailler alors que l’adrénaline se faisait la malle.

« Aller lève toi, moi aussi j’ai mal. »

Elle le souleva avec une force qui n’appartenait qu’à son instinct de survie et claudiqua en sa compagnie sans plus de commentaires. Ils gagnèrent lourdement la moto de Dei cachée là bas et Dei du faire preuve de tout son discernement possible pour retirer la sécurité qu’elle enclenchait traditionnellement sur ses bolides. Elle fit chevaucher la moto à Leg et passa devant lui, devant lui accrocher elle-même les bras autour de son tronc trop maigre.
Elle démarra en trombe sans un regard pour la scène d’apocalypse qu’elle laissait derrière elle. Si Leg perdit connaissance pendant le voyage elle ne le remarqua pas, concentrée sur la route du mieux que lui permettait son mollet qui s’engourdissait.



« Mais qu’est-ce que t’as encore foutu ?! »

Pas impressionnée par le mètre quatre-vingt-deux chargé de muscles carrés que lui imposait un Hypérion vaguement agacé, Deirdre lui lança un regard glacial avant de donner un coup de menton au corps amorphe de Legence qu’elle trainait-portait sur le sol.

« Non mais moi ça va. »

« Bah non ça va pas tu salopes mon carrelage. » répondit factuellement l’américain que le néon grésillant des caves dans lequel l’hosto clandestin avait été aménagé rendait vaguement flippant.

« Ca va jte dis, occupe-toi de lui. » Deux mecs programmés comme des robots attrapaient déjà le corps de Leg. « Et tu me le rends avec tous ses organes ! »

« Ca je peux pas te le promettre... » lança l’autre qui lui tournait le dos, ourlé de la fumée de sa cigarette.

Une fois qu’il eu disparu à l’angle du couloir, laissant Deirdre dans la froideur de ce dernier, l’irlandaise s’écroula sur le sol, la vision moins floue par la douleur que par les larmes d’amertume.
Elle avait fait sauter une Lambo à deux millions de dollars , MERDE !

Hypérion n’était effectivement pas très loin de ce que l’on pouvait appeler un démon. Sa psychopathie n’avait d’égale que la cruauté névrotique avec laquelle il gérait son couple. S’il était précis dans sa connaissance du corps, il restait aussi mauvais tireur que celle qu’il pourchassait. Toutefois le bâtiment, piégé de toutes parts, résistait à ses victimes qui la plupart du temps ne ressortaient pas vivantes.
Aussi un piège à loup avait menacé Dei de longues minutes avant que les hommes de Kirill n’arrivent pour empêcher l’irlandaise de s’amputer toute seule avec l’un des nombreux couteaux qu’elle portait sur elle.

L’avantage quand on pesait 45kg toute mouillée c’était qu’il était facile de vous shooter pour que vous vous teniez tranquille. Deirdre apparut sur une civière enchaînée comme une condamnée à mort tandis que le lit coulissait à côté de celui de Leg.

« Yo. » croassa-t-elle lorsqu’elle entrevit ce dernier. « Alors, qu’est-ce qu’on t’a piqué ? A quel point Hyp t’a baisé ? »

Son compagnon jaloux lui flanqua une branlée qui déposa un voile opaque sur ses yeux, et eut le mérite de lui faire fermer sa gueule.

Deirdre se battit comme une sale bestiole contre les deux phases de réveil inhérentes à une anesthésie puissante et Kirill la laissa ramper sur le sol avec un soupir en songeant qu’il avait autre chose à foutre – ou peut-être était-ce Hypérion, en tout cas ni l’un ni l’autre n’eut la volonté de faire garderie une fois leur tâche accomplie. La petite silhouette de Deirdre encaissa difficilement les quelques points de suture nécessaires à l’extraction de la balle qu’elle avait pris dans la jambe, et sans réellement s’inquiéter pour la survie de Legence qui s’en sortait toujours, aussi bien que les chats qui ont des vies en réserve, elle cogitait désormais sur la raison qui avait jeté si facilement une embuscade sur celui qui avait toujours une longueur d’avance.

Assise sur le lit voisin du sien, elle avait réussi à choper une tablette qui figurait parmi les seules que le bunker ne bridait pas, et après en avoir chassé des onglets ouverts sur un darknet répugnant, s’occupait à fouiller comme la fouine qu’elle pouvait être quand on s’attaquait à la famille.
La plus mauvaise idée du monde.

Ses doigts agrandissaient la photo d’un article de journal quand Leg émit quelques mouvements à ses côtés.

« Hey. » salua-t-elle distraitement.

« Ca ne t’est jamais arrivé, sinon tu ne dirais pas ça. En fait tu serais même pas là pour en parler. » répondit factuellement Deirdre avec son habituel premier degré totalement dénué du moindre sens de l’humour. « Non, ça va pas. »

Elle avait pas envie de mentir ce soir – on était le soir ? Elle savait plus, y’avait pas de fenêtres et on l’empêchait de sortir pour le moment. Et c’était bien chiant d’ailleurs, pour une hyperactive comme elle. Elle avait juste pris une balle dans la jambe, c’était bon, non ? Et elle pouvait bien laisser Leg ici, après tout il avait pas besoin d’une gardienne, et jusqu’à ce que quelqu’un arrive à rentrer dans un bunker gardé par deux terroristes, fallait qu’il soit franchement motivé. Donc elle était encore là, drapée dans son indéfectible loyauté de merde.
Deirdre se redressa, repoussant la tablette entre ses jambes, et s’adossa contre le mur.

« Ca va pas parce que j’trouve aucune info sur les mecs qui te sont tombés dessus et j’aimerais bien sortir et leur latter la gueule. Mais de nous deux c’est pas moi l’informatrice. Alors, du coup, c’étaient qui ces gars ? T’as foutu quoi encore ? »

Comment ça il venait de se réveiller ? Rien à foutre.