Sur Thyrsis le chevrier pleurant une chèvre qu’un loup a dévorée - Elsie

« Ô malheureux Thyrsis, que te sert-il de rougir tes yeux à force de larmes ? Elle s’en est allée, la petite chèvre ; elle s’en est allée dans l’Hadès, la belle petite, car un loup féroce l’a saisie avec ses griffes, tandis que les chiens aboyaient. Que te sert-il de pleurer, puisqu’il ne te reste d’elle ni un os ni même un peu de cendre ? »

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31-08 08h30

Je suis au bord de péter les plombs, mais comme je n'ai strictement aucun exutoire ça se traduit par le fait que je fais crise d'angoisse sur crise d'angoisse. Deux fois j'ai tenté de me faire la belle et j'ai été refoulé par les hommes de Camenko qui leur a donné l'ordre qu'au besoin ils pouvaient me péter à nouveau le genou. Ils m'ont ramené et cette fois je suis solidement enfermé dans la chambre, n'ayant accès qu'aux toilettes. J'ai regardé par le fenêtre mais il me faudrait grimper sur la gouttière et je ne suis pas en état. Je sais j'ai quand même tenté, mais j'ai du rentré parce que la gouttière en étain s'est pliée sous mon poids et que j'ai failli tomber. Je crois que trois étages achèveraient mon calvaire. Mais je ne peux pas me le permettre. Nina est quelque part dans une des demeures de mon père, je ne sais même pas où.

Depuis hier soir, je suis là à tourner comme un ours en cage. Je n'ai eu que peu d'information. Deux sms laconiques de Nina - je n'ose plus l'appeler depuis - et deux autres de Camenko m'intimant de me tenir tranquille. Je ne suis au courant de rien et je deviens fou à imaginer Nina prisonnière chez l'homme qui a tenté de me faire assassiné : mon père. Mais qu'est-ce qui lui ai passé par la tête ? Je n'arrête pas de me le demander en gémissant de rage et de frustration. Au matin je suis dans un état déplorable. Ma virée à l'hôpital m'avait laissé épuisé et la nuit blanche ponctuée de crises et de tentatives désespérées n'arrangent rien. Je suis assis par terre , la tête baissée à essayer de reprendre ma respiration - encore une noyade, rien de nouveau mais toujours aussi désagréable - quand la porte s'ouvre. Je relève la tête, mais je n'ai même pas la force de bondir. Bien me fasse parce que ce n'est que la médecin ou apprenti médecin pour ce que j'en sais . Un des hommes l'accompagnent. Il la laisse entrer et referme la porte derrière lui, nous enfermant. Connaissant Camenko inutile de prendre la gamine en otage, ça ne prendra pas. Je baisse la tête à nouveau en grondant un "fous le camp" bas et surtout épuisé. En plus je sais qui elle est. Je l'ai déjà vue. C'est la sœur de Cvetko. Pourquoi ce choix ?

Je suis de mauvaise humeur, c'est un euphémisme. Ma femme et mon fils sont chez mon père. La nouvelle ne pourrait pas être pire. Ah si, mon frère a décidé que je ne ferais rien et son ton mordant m'a dissuadé d'insister. Je crois qu'il le prendrait mal et j'ai assez d'ennemis comme ça. Actuellement, il est mon seul allié. Je n'ose contacter personne. Legence est dans un sale état et mes autres contacts ne l'étaient que par le Klan. C'est vous dire la merde dans laquelle je suis. En plus je passe pour mort. Je crèverais maintenant que ça ne changerait rien pour la majorité des gens. C'est assez angoissant d'être déjà mort.

Au départ je veux faire ma mauvaise tête et je ne me lève pas, je serre juste les mâchoires. A la mention des cachets, cette fois je relève la tête, mauvais. "j'en prends déjà des putains d'foutu cachets ! ça fait rien !" Il y a une lueur de folie et de désespoir dans mon regard. Ça ne dure qu'une seconde avant que je soupire et que je ne me lève. Ok, elle ne doit pas y être pour grand chose la pauvrette. Elle aussi n'a pas choisi sa famille. Je peine à me relever. J'ai trop marché pour aller voir Nina, mon genou est gonflé, mes côtes me font un mal de chien et je suis tellement déprimé que je suis à fleur de peau et ça décuple la douleur. Dans un grondement furieux de douleur, je me mets sur pieds quand même avant de m'appuyer, tremblant, au lit.

Je sais que je suis injuste, que je crie sur cette fille qui n'y peut rien parce que je suis coincé ici, que je ne sais pas où est Nina, qu'elle refuse de me parler. Son ton froid dans les messages m'a glacé. J'ai cru que pourtant on voulait se réparer, tenter de garder les morceaux épars de notre mariage mais tout est remis en question et surtout, surtout je suis terrifié pour sa sécurité. Nina passe bien avant le bébé, je suis au regret de le dire. Je sais que ce n'est surement pas la même chose pour elle, mais je m'en fous, j'accepte les règles du jeu, mais je ne peux pas avoir un fils et perdre Nina, ce n'est pas envisageable. Absolument pas. "Il faudra bien, il faut que je sois sur pied le plus vite possible." Dans deux heures ce serait bien. Je rêve ? Bon ok... trois heures.

Je m'allonge roulant sur le dos dans un soupir et je tâche d'inspirer aussi fort que ces foutues côtes me le permettent. Je hoche la tête "vas-y." Elle est là pour me soigner parait-il. "J'en sais rien...ça va passer non ? Question de temps... Mais c'est quoi les effets secondaires ?"

"Je ne me suis pas enfui !" Je ne suis pas prisonnier ici, je refuse de le penser mais dans les faits, j'ai deux geôliers qui m'empêchent de me tirer à nouveau. De toute façon soyons sérieux où irais-je cette fois? Je ne sais même pas où Nina se trouve. "Je devais aller voir quelqu'un... " J'ai une mimique de contrition parce que je sais que ça lui donne du fil à retordre dans mes soins et ma guérison. "Dans combien de temps je serais sur pieds ?"

Mon visage doit certainement changé à l'évocation de Nina. Douleur qui me crispe de l'intérieur. Un millier d'images d'elle me traverse en une seconde - de ses sourires à ses larmes - et dont les dernières sont celles de l'hôpital et puis ses sms désespérés et le silence alors qu'elle s'est livrée au mains de mon père. J'oscille, sur la corde raide, avant de suivre le regard de la rouquine sur mon alliance que je touche instinctivement du pouce. M'a-t-telle seulement pardonné Nina ? Mes mâchoires saillent douloureusement avant que je ne dise avec une forme de regret qui sonne étrangement "non, ce n'est pas possible à ma femme." Je souris d'un sourire qui n'a rien de beau, amer et fatigué. Je crois devoir expliquer, donner une excuse qu'on ne me demande pas. "Elle est enceinte. La grossesse ne se passe pas très bien."

Je soupire légèrement même si la mention de la libido m'arrache un nouveau sourire amer. "J'peux pas me permettre d'être somnolent. Ni...moins ... vigilant." Je détourne le regard, hausse un peu les épaules en affirmant d'un ton pourtant peu assuré "ça ira". Quand je suis épuisé je parviens à m'endormir quelques heures avant de me réveiller, toujours le même cauchemar. Je pense encore à Nina qui elle aussi a toujours des cauchemars. Elle n'a plus personne pour les éloigner, pour la bercer et ça me brise le cœur de l'imaginer dans la maison inconnue de ses ennemis en proie à ses démons. Je déglutis en baissant le regard. Je compte mentalement jusque dix avant de relever la tête. "Tu es la petite sœur de Cevtko, c'est bien ça ?"

Deux semaines. Encore deux semaines. Nina ne doit pas accoucher d'ici là et il faut que je prenne sur moi pour prendre le temps de guérir. Je suis inutile autrement, complètement inutile, c'est le plus dur à gérer. "De la kiné ? Donnez moi des exercices, je les ferais." Parce que personne d'autres ne viendra je le sais. Moins de gens sont au courant mieux s'est. Il n'y a déjà que trop de personnes impliquées.

Parler de Nina serre ma gorge et je parle pour éviter de me laisser submerger par l'émotion. "Elle est la la clinique européenne...Elle est américaine. C'était mieux avec une gynéco qui parle sa langue. Le bébé risque d'arriver trop tôt. Ça fait pas sept mois... Si ça arrive, on ne sait pas s'il tiendra le coup. Elle n'a pas pris beaucoup de poids pendant la grossesse. Trop de stress..."

J'hésite mais cette fille m'a vu faire plus de crises d'angoisse que Nina ou n'importe qui au monde. Je les enchaîne de façon aléatoires, sans contrôle. Ma première douche a été un calvaire. Je hais le bruit de l'eau, la sensation sur ma peau. "Ouai... Je veux bien...merci."

A la confirmation ma main tremble et je la passe sur mon visage pour me maitriser. Des quatre agresseurs, c'est la présence de Cvetko qui m'a le plus surpris et surtout blessé - si on excepte le moment où j'ai compris qui était le commanditaire. Il a été sous mes ordres, je l'ai formé, j'étais comme son mentor, et la trahison est amère. Il était là justement pour endormir ma méfiance car même avec Damir, je serais resté sur mes gardes. C'est à nouveau avec une agressivité teintée d'angoisse que je demande. "Et il va comment ton frère ?"

"d'accord, tout ce que tu peux me montrer et me donner à faire pour retrouver mes forces est utile." Je suis prêt à souffrir pour me remettre au plus vite sur pied. Je dois absolument être opérationnel le plus tôt possible, je ne veux pas être laissé de côté, être inutile au plan que prépare Camenko. Je veux être au mieux quand l'action arrivera et mon regard se fait plus déterminé quoique toujours sombre.

Je dévisage la rouquine, surpris de sa gentillesse et des explications qu'elle me donne et auxquelles je ne crois pas. Je sais qu'elle a tort, que la vie menée ici par Nina depuis le début de sa grossesse est à l'origine des complications de celle-ci. Je n'ai pas été le mari dont elle avait besoin, le compagnon dont elle avait besoin et je sais bien que tout est ma faute, comme cette situation dans laquelle je suis plongé. Les cauchemars qui me hantent n'ont pas tous trait à la Miljacka. Mais comme je ne veux pas ennuyer plus avant la rousse, je ne m'épanche pas davantage, il est des choses que la pudeur et la honte me font taire.

C'est aussi la raison pour laquelle je hausse les épaules, minimisant mes crises d'angoisse. "Non ça ira, je fais ce qu'il faut déjà" Ce qui est dans la tête n'existe pas vraiment. Je ne veux pas avoir l'air d'y prêter plus d'importance que nécessaire et peut-être que ses plantes feront effet après tout. Un petit joint n'a jamais fait de mal, ha ha, si seulement c'était aussi simple, je préférerais rester défoncé toute la journée.

Mon regard s'étrécit sur la jeune femme. Je me demande quels sont ses liens avec son frère, sa famille. Cvetko ne m'a jamais vraiment parlé de sa sœur si ce n'est pour mentionner ses études justement. Je crois qu'il en était fier mais je ne suis pas sur que la réciproque était vraie. Que pense-t-elle du fait que son frère doit un Tigrovi ? J'ai un rire amer. "Je crois que c'est trop tard pour ça. Tu y es mêlée parce qu'il y est mêlé et que tu es sa sœur. On ne choisit pas sa famille, pas vrai ?" Dès qu'elle se relève, je m'écarte et lui tourne à moitié le dos pour rabaisser le tissu sur ma jambe. "Merci en tout cas, même si tu fais parce que..." J'ai un geste vague, j'imagine que Camenko a été persuasif.

Une sorte de statu quo s'établit dès le moment où je me fais moins incisif, la jeune femme semblant comprendre que ma grogne provient plus de mon état que de sa présence. Mais il est vrai aussi que cette dernière n'y ait pas pour rien, simplement par le fait qu'il s'agit de la sœur de Cveko. Des quatre hommes qui m'ont attaqué, c'est celui dont j'accepte le plus difficilement la trahison. Je pensais sincèrement que nous étions amis, assez en tout cas pour qu'il me prévienne de ce coup-là ou à tout le moins qu'il refuse d'y participer. Mais non, il s'est fait le judas de l'équipe et sans lui j'aurais été beaucoup plus sur mes gardes.

Je hausse les épaules dans un geste qui trahit ma mauvaise humeur à sa remarque. "Toi ? Non. Je n'ai pas besoin de toi pour régler mes comptes avec ton frère et lui rendre la monnaie de ce qu'il m'a fait." Je ne sais pas si elle sait que c'est lui - entre autres - qui m'a balancé inconscient et battu dans la rivière, mais la voilà qui ne peut plus guère l'ignorer. "C'est entre lui et moi." Je hausse à nouveau les épaules, de lassitude cette fois. "mais mon frère semble penser que tu es utile ici, voilà..." Je n'ai pas les méthodes de Camenko mais je m'y plie, je n'ai pas trop le choix dans mon état. Ce qui me contrarie. D'un air buté, j'ajoute alors "Je crois que je vais assez bien pour que tu ne sois pas obligée de revenir. L'infirmière suffira."