L'humour noir c'est comme un enfant qui a un cancer ; ça vieillit jamais. / Slyna

« Je sais, débrouille-toi, je sais que tu sais faire. »

Elle a déjà fait repartir des mecs que j’avais filmés toute la journée alors qu’on était à court de viagra – bon, ils avaient pas cinquante berges parce que je les envoyais péter passés les vingt-cinq, mais c’est presque pareil, elle devrait s’en sortir. Je faire défiler nos jeunes années dans mon esprit fertile pour l’aider, repense à la fermeté de son cul à peine visité, à ses cris intimes à plat ventre sur le plan de travail de la cuisine, et j’arrive à quelque chose qui me permet de la faire se retourner contre le mur de la douche.
Le ballon va commencer à faiblir dans pas longtemps, et si je dois l’embrasser à nouveau sous l’eau froide, je crois que je vais crever.

« Ecarte les jambes. »

Sans rituel et sans ornenements préparatoires, je profite de la prendre comme la fille de joie qu’elle est, installant mes doigts à l’intérieur dans la science brusque et inexacte dont j’ai toujours fait preuve.

J’ai commencé à me faire Reina alors qu’elle était déjà grande et longiligne, ainsi il n’y a que les souvenirs et le ton de sa voix pour me rappeler que des années nous séparent de cette époque révolue. Elle est bien trop âgée pour mes habitudes mais il y a quelque chose, quelque chose qui ronfle là bas dessous, qui se tortille, se tisse de possessivité malvenue ainsi que d’habitude sécurisante. Elle appellerait ça l’amour, si je lui en confiais la description – je ne sais même pas si je suis capable de ce genre de choses.
Sans doute que si ? Est-ce qu’il est pas trop tard pour apprendre ce genre de choses originelles qui peuplent pourtant tellement le quotidien des gens à un point que j’exècre ?

Je lui rentre dedans avec impatience et la douleur manifeste qui accompagne ce genre de mouvements. La chaleur émanant de son corps est une brûlure si soudaine qu’elle manque de me faire retirer immédiatement. J’ai un grognement sous l’effort que l’acte me demande – trop vieux pour ces conneries.

« J’veux t’entendre. » j’ordonne, le souffle chaud frappant sa nuque.

Va falloir que tu m’aides petite Reina...

« Je suis certain qu’on entend rien avec cette douche. »

En vérité j’en suis pas certain du tout, mais le désir sexuel me rend invincible, et les ronronnements de Reina me ramènent à la période où elle était jeune, naïve, pleine d’espoirs, qu’elle piaillait de surprise et de plaisir quand je lui faisais découvrir de nouvelles choses. Quand j’avais l’impression de servir à quelque chose, et que son monde tournait autour de moi.
C’était un si bon temps.

Le corps de Reina prend place autour du mien, ou l’inverse, je ne sais pas. Mon torse cogne contre son dos et je la ceinture pour qu’elle ne tombe pas, ce qui est assez déstabilisant parce qu’elle a toujours été plus grande que moi. Mon autre main s’appuie contre l’émail, et les dents plantées dans son épaule je la pilonne durement et sans état d’âmes, pendant que le charme fait encore effet.

« Qui ça, il ? » je demande, souçonneux.

Tu parles il ne peut y avoir qu’un seul Il que Reina peut ne pas avoir envie de voir. Je devine sa silhouette là bas. Si le visage d’Azz m’amène une chaleur indécise dans le ventre – Reina n’était même pas encore née quand on couchait ensemble – la stature de Santiago m’aurait fait un cadeau de ne pas apparaître dans le décor.
Les enterrements c’est comme les mariages : ça réunit tout le monde pour une fête d’un goût douteux, même les gens qui s’entendent pas.
Chier.

Azz me remarque parce que sa sublime femme drapée dans ses résilles noires nous désigne, et tandis qu’il fait en sorte que Santiago se retourne, mon champ de vision est bouffé par deux immenses silhouettes. La plus massive des deux m’étreint, d’une étreinte chaude juste ce qu’il faut, pleine de dignité, de respect et d’un parfum musqué parfaitement dosé.

« Merci d’être venu Harley. » je finis par souffler.

Et de retarder ma confrontation avec l’autre, soi dit en passant. Je prends la main d’Ophelia dans la mienne et embrasse ses jointures, pour ne pas humidifier mes joues des sillons de larmes qui creusent les siennes.

« Bonjour Zara. Tu es ravissante ; elle serait fière de toi. »

Ophelia éclate en sanglots à ce commentaire, et je me garde d’en faire un supplémentaire. Ca va être un long et difficile moment à passer vu la figure que Bianca était pour nous tous, superbe amante pour les uns, mentor pour les autres, excellente amis pour la plupart d’entre nous, icône dans son domaine et pour tous ceux qu’elle connaissait.
Azz s’est détourné sans nous saluer – sournois comme il est, il est capable de venir me voir quand personne ne regardera. On évite de se faire voir ensemble désormais. C’est mieux pour ce qu’on a vécu tous les deux.

Je balaie l’environnement qui nous entoure. Certaines comme Peppermint ou Sasha manquent à l’appel, d’autres comme Zara et Scarlet sont des surprises. Au loin une voiture se gare et la chevelure dorée de Dee apparaît. J’imagine Salomé se glisser dans son ombre.
Pourquoi est-ce qu’il faut attendre de tels événements pour que nous nous retrouvions tous ? C’est comme si on pouvait plus s’amuser tous ensemble maintenant, comme si la période de notre bonheur était définitivement révolue.

Harley me sort de mes pensées en me tendant une cigarette que j’accepte bien volontiers, m’ancrant dans les conventions pour ne pas avoir à penser à la raison de ma présence ici.

Je ne me force pas à rester dans la proximité de Reina quand elle va voir Santiago à qui je n’ai rien à dire. J’ai beau être un parfait connard je ne veux pas passer cette journée, en l’honneur d’une figure décédée que nous honorons de tout notre cœur, à me pavaner en montrant que désormais Reina m’appartient et que je l’ai victorieusement volée à un autre parfait connard qui ne sait pas quoi faire de lui.

« Tu as une mine affreuse. »

Je sursaute brutalement, les nerfs à vifs pour me retourner vers celui qui m’adresse la parole.

« Balthazar bordel ! »

Ce dernier étire un sourire, le premier de la journée, l’un des seuls je pense. Drapé dans son costard bleu marine parfaitement coupé, parfaitement accordé à la tenue de Zara comme en montrent les petits détails de résille noire sur ses manches, son col et sa poche pectorale. Enfoiré d’être aussi beau, même dans de telles circonstances.

« Je ne pensais pas que tu viendrais, que tu en avais fini avec tout ça. »

« Ne dis pas de bêtises. » je lâche à travers la fumée de ma clope. « Tu as arrêté ton voyage pour ça ? »

« Moi je n’en ai pas fini avec tout ça, il y a des choses qui ne changent pas. Certains n’oublient pas les autres aussi vite qu’ils sortent de leur champ de vision. »

Je lui balance un regard noir qu’il évite en levant les yeux vers une berline énorme qui vient se garer.

« Ah, mon très cher frère, on avait vraiment pas besoin de ça. » commente-t-il.

Je lève les yeux au ciel.
Il a payé les trois quarts de ces obsèques ; bien sûr qu’on avait besoin de ça.

Hypérion pénètre sur les lieux comme dans son royaume accompagné de son Roi. Ils transpirent le charme du fric par tous les pores et tout le monde les regarde tant ils dégagent des émotions contradictoires et négatives. Moi-même j’admire quelques secondes l’ensemble presque démoniaque qu’ils forment. Je connais le rôle qu’ils ont joué durant la dernière course qui s’est tenue dans le terrain vague et je sais de quoi ils sont capables. Ce serait totalement le genre d’Hypérion de faire sauter le cercueil pour offrir un digne hommage à celle que nous aimions tant.

« Tu mates, Sly ? »

« Je mate toujours. »

« Tu t’inspires d’une grandeur que tu n’atteindras jamais ? »

« Que tu es ingrat, Azz. » je soupire en écrasant ma cigarette d’un coup de talon.

Hypérion et Kirill pénètrent dans les locaux, nous snobant tous royalement comme les maîtres des lieux qu’ils sont. J’adresse un regard à Reina pour lui indiquer que je crois qu’il faut qu’on rentre.