Le goût prononcé de l'amertume. - Yuggy

La nuit a été courte et même si j’ai pu dormir quelques heures, la fatigue se lit sur mes traits tirés et mes cheveux toujours en bataille. Je m’affaire à préparer un café alors que l’après-midi vient tout juste de débuter. Mon boulot ne commence que le soir, alors la plupart du temps ma journée commence quand d’autres ont déjà presque fini leur service. Soudainement, j’entends frapper à la porte et laissant sur la table les comprimés que j m’apprêtais à prendre, je me dirige vers l’entrée. Ah. Salut. Je déclare en ouvrant la porte, étonné de voir Maggy devant chez moi. Je la laisse entrer et referme derrière elle en me dirigeant ensuite vers le canapé pour attraper un t-shirt à passer, torse-nu jusque là. Alors ça y’est, t’as trouvé du temps à m’accorder ? Ma voix est rauque du sommeil manquant mais de rancoeur aussi. Outre le fait qu’on ne se voie pas, Maggy est la personne qui me donne le moins de nouvelles alors qu’elle appartient à ma propre famille. Aussi, les derniers messages échangés n’étaient pas des plus clairs et m’ont laissés dans une inquiétude sans pareille. Ce n’est que lorsque je me tourne réellement vers elle que je m’aperçois de son bras en écharpe et de quelques autres choses que je remarque sur son visage sans savoir exactement quoi. Qu’est ce qu’il t’est arrivé ? Je fronce les sourcils instantanément.

Je ne me rends pas compte de l’air que j’arbore quand je croise le regard de la brune et j’espère intérieurement qu’elle me connaît assez pour passer outre et ne pas se sentir vexée. Ce qui m’a le plus dérangé ces temps-ci avec Maggy, ce n’était pas vraiment qu’elle ne me donne pas de nouvelle mais plutôt le fait qu’elle m’en donne tout en me précisant que quelque chose n’allait pas sans jamais me dire quoi. Je récupère le sac en papier qu’elle me tend et le dépose sur la table en même temps que j’attrape mon t-shirt. Je sais que t’as sûrement fait comme t’as pu mais franchement, je me suis inquiété… Et c’est l’inquiétude qui me rend désagréable, rien d’autre. Maggy est, sans déconner, la seule famille qui me reste et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Savoir que quelque chose lui est arrivé est insupportable pour moi. Mag’, putain, fais attention à toi… Je ne sais rien dire d’autre, ne trouve pas les mots et il devient vraiment douloureux de penser que je puisse la perdre si bêtement.

Ouais, mais pousse-toi, j’y arriverai mieux que toi. Je prends sa place en insistant pour qu’elle aille s’asseoir et relève les yeux quand mes mains ont terminé la préparation du café. T’as mal ? T’as eu quoi exactement ? Je m’empresse d’attraper deux tasses et de verser dans chacune d’entre elles le liquide sombre que je tend finalement à ma cousine avant de m’installer à côté d’elle.

J’ai un soupir à l’entente des mots de ma cousine un peu trop ennuyé par le fait qu’elle essaie sans cesse de me protéger de tout et n’importe quoi sans raison apparente puisque je ne suis plus un gamin. Mais Maggy, si t’as des ennuis tu peux toujours m’en parler. J’dis pas que je serais vachement utile mais voilà… Puis même ! Nous avons toujours eu une relation proximale avec la brune et même si nous avons été séparés pendant de longues années, je l’ai toujours plus considéré comme une soeur que comme la cousine qu’elle est. Ca doit pas être facile de cuisiner avec ton bras…

J’insiste pour qu’elle aille s’assoir et nous prépare deux cafés que j’apporte avant de m’installer avec Maggy. Je bois dans ma tasse avant de froncer le nez, le café est vachement chaud et la réflexion me fait froncer les sourcils. Je t’ai dit que j’étais garde du corps ? Je crois oui… Sinon, je suis sous traitement, ils m’ont trouvé une hépatite. Ca évolue bien à ce que le doc m’a dit… Je m’enfonce un peu dans le canapé avant de soupirer un peu. J’ai une amie, Nina, je t’ai déjà parlé de Nina, nan ? Elle est enceinte. Je regarde Maggy en esquissant un léger sourire. Tu sais que j’ai jamais, de ma vie, porté de bébé dans mes bras ? Ca craint.

Je hoche la tête, compréhensif, face aux propos très pragmatiques de la brune et j’inspire un coup avant de répondre: Je sais que tu peux pas en parler… Tu me l’as déjà dit. Ca n’empêche pas à mon cerveau de s’inquiéter pour Maggy Malgré tout. Si jamais t’as besoin pour un truc, tu m’appelles. Un long trajet en voiture, un truc particulier qui demande une grande souplesse du bras… J’en sais rien, je sais juste que je serais prêt à aider ma cousine si besoin est.

Je lève les yeux au ciel en soupirant. Je te chie pas une pendule, je te dis juste que t’aurais pu me prévenir parce que… Parce que voilà. J’ai pas d’autres arguments désolé. Il y a un tort des deux côtés, ma foi, on sera au moins quitte. J’ai pas pensé à te prévenir, c’est tout. J’ai un traitement, faut attendre pour le moment. C’est un peu compliqué, j’ai pas tout compris. J’ai des prises de sang régulièrement et je retourne faire un scanner dans pas longtemps. Si t’es dispo ce jour-là, t’auras qu’à venir avec moi. Que je lui propose, manière de nous faire croire qu’on est réellement proches tous les deux malgré tout ce qui nous sépare réellement.

Hum, j’en sais rien, j’pense pas. Disons que c’est compliqué entre son mec et moi, on peut pas se voir, alors je pense pas. Parfois je m’imagine avec des gamins dans les pattes et très franchement, je ne suis pas sûr d’avoir l’étoffe d’un père ! De toute façon, au vue du cercle familial bancal que j’ai eu, je ne vois pas comment je pourrais devenir un bon père. On verra au moment venu…

Un sourire s’éclipse sur mes lèvres avec un soupir en même temps, bien trop attaché à Maggy pour lui en vouloir une seconde de plus. Je ne sais pas si c’est pareil pour elle, mais je ne suis pas sûr de pouvoir vivre dans un monde où elle ne serait pas là mais je me garde bien de lui dire, je ne peux pas être fleur bleue avec Maggy tant elle est beaucoup plus dure que moi émotionnellement. Un vrai mec.

Oui, bon, ça va. Tu penses que ça m’aurait fait plaisir de te le dire ? Ca me renvoyait automatiquement à trois ans en arrière et tu sais que c’était difficile pour moi à ce moment-là… Je sais pas… J’ai eu honte en fait. Être malade par malchance ça arrive, être malade parce qu’on l’a cherché c’est bien différent et toutes ces années que j’ai passé à me piquer et à ingérer des trucs dont mon corps n’en pouvait plus me sont revenues en pleine gueule quand je suis allé consulter. J’te tiendrai au courant. T’en fais pas. Que je souffle, un peu plus conciliant avec la brune.

Ouais, c’est vrai. De toute façon, ça me posera pas vraiment de problème, j’ai pas l’intention de faire de gamin. En y réfléchissant, la famille Aleksandrov s’arrêtera bien vite, entre Maggy qui ne peut pas avoir d’enfant et moi qui n’en veut simplement pas...

Je sais Mag’, j’ai plus l’habitude de parler des choses importantes, tu sais… Indéniablement, un truc s’est littéralement brisé en moi et c’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à agir comme une coquille qui se referme à chaque fois qu’il faut parler des choses difficiles, des choses qu’il est vital de signifier. Maggy n’y est pour rien là-dedans et d’ailleurs, personne n’y est pour rien; c’est tout ce mélange de malheurs et de drogues qui ont fait de moi ce que je suis et si je ne suis pas facile à vivre, c’est uniquement parce que mon cerveau me dicte de me préserver pour éviter de devenir complètement taré. Ca n’a rien à voir avec toi ou avec qui que ce soit d’ailleurs, c’est comme ça, c’est tout. Désolé, okay ? Je t’en parlerai, la prochaine fois. En espérant qu’il n’y ai plus de mauvaise nouvelle après celle infligée quelques temps plus tôt, avec Nina.

Parler d’enfant avec Maggy est toujours compliqué mais je sais que ma cousine s’est faite à l’idée de ne jamais pouvoir en avoir ou en tout cas, elle cache bien son jeu. Je fronce instinctivement les sourcils pour regarder la brune avec un air amusé. La bonne personne ? Tu penses que je crois encore en ces trucs-là ? Je l’ai laissée s’échapper quelques années plus tôt, la bonne personne, et je suis pas sûr de pouvoir en retrouver une comme elle. C’est même impossible... Je soupir en pensant à Nina, indéniablement. Tu sais quoi ? Il serait même possible que la lignée des Aleksandrov s’arrête après nous. A moins qu’on ai un ou une cousine qui compte faire perdurer la famille ? Et dire que je les connais même pas… Vivre à l’opposé de la Russie a été assez compliqué pour garder contact et j’ai très peu d’idée sur l’apparence qu’ils doivent tous avoir aujourd’hui.

Je reste dubitatif sur l’arrêt de notre lignée et suis bien d’accord avec Maggy; notre famille n’est pas des plus importantes sur cette Terre et sa disparition serait bénéfique à pas mal de monde. Tu m’étonnes. A part toi et moi, pas sûr que le restant de la famille soit nécessaire. Mes sourcils se sont machinalement froncés et je soupire avant de manger une viennoiserie rapportée par la brune. C’est pas qu’elle s’est barrée, un autre mec a été plus vite que moi et l’a demandée en mariage sans que j’ai le temps de faire quoi que ce soit, c’est con ! Ecoute, on verra, hum. Je n’ose pas lui parler de son couple à elle, sachant ce qu’il est même si j’aimerais que Maggy se confie à moi si quelque chose n’allait pas.

Tu restes pour manger ? Je peux nous préparer quelque chose si t’en as envie. Il y a bien quelques trucs qui trainent dans le frigo mais je ne pourrais certainement pas lui préparer une haute gastronomie. Etant seul, rares sont les fois où je mange quelque chose d’élaboré, j’ai plutôt tendance à faire des micro-repas à n’importe quelle heure avec n’importe quoi.

Un sourire déplaisant s’esquisse machinalement sur mes lèvres quand Maggy et moi parlons de ce qu’il s’est passé avec Nina. On était pas vraiment ensemble, non. Je sais pertinemment ce que Maggy se dit, et à en juger ce qui loge sur son visage, elle a du comprendre que j’ai de nouveau merder avec la brune. Si, j’ai rencontré quelques filles, mais je dois surement être un peu trop exigeant. Je ne suis pas du genre à accepter de faire rentrer quelqu’un dans ma vie facilement et je dois réfléchir un peu trop longuement avant de faire quoi que ce soit de réel avec une fille. Et par réel je veux bien sûr parler de sentiment.

Tu restes pas longtemps, c’est ça ? Je sais la vie de ma cousine très chargée et c’est une bourreau du travail, elle ne se permettrait pas de passer plus de quelques heures avec moi sans que ce soit un minimum productif. J’adore Maggy mais il me semble que ses priorités restent un peu trop axées sur sa vie professionnelle. J’ai rien d’autre à raconter, non. Je hausse les épaules en soupirant. Tu sais, j’ai pas encore tous mes repères ici, je vais essayer d’apprendre la langue mais ça me paraît un peu compliqué alors bon, je fais ce que je peux. Les gens ont souvent du mal avec l’anglais, des fois je leur parle en russe et ça passe un peu mieux même si je suis pas sûr qu’on soit vraiment apprécié ici. Je finis mon café et le pose sur la table basse avant de regarder Maggy. Et toi, rien à me raconter ? Je trouve qu’on parle beaucoup de moi. Et c’est assez suspect.

Quand t’approche de la trentaine, j’suis pas sûr que ce soit bon d’être exigeant, en fait. Mais bon, quand j’aurais trouvé quelqu’un je te tiendrais au courant, qu’on fête ça tous ensemble. Je plaisante sans trop me prendre au sérieux. Je sais que je trouverai quelqu’un comme j’avais cru trouver une relation stable aux US, mais les filles d’aujourd’hui me semblent toutes un peu trop fades…

Alors, quand est-ce que tu pourras venir manger ici ? Que je te montre au moins mes talents de cuisto. Je lui souris, bien trop conscient qu’il est compliqué pour elle de se dégager du temps. Tu vois, j’aurais parié le contraire… Mais c’est vrai que j’ai pas eu de problème depuis que je suis ici… Après, je ne crie pas sur tous les toits que je suis russe non plus. D’ailleurs, je ne suis même pas russe, mes papiers sont américains donc. Je me ferais presque la conversation à moi-même mais je relève le nez vers la brune et ajoute: C’est dommage Maggy, t’es la seule personne de la famille à qui je parle et encore, t’as pas le droit de me parler de ta vie. J’ai un léger rire jaune doublé de nervosité. Je sais pas ce que tu crains, en fait. Je sais que ça a l’air d’être un reproche et que je n’arrête pas de lui en faire depuis tout à l’heure mais la relation qu’on entretient -ou qu’on essaie d’entretenir- manque de sens pour moi. C’est juste… Ca me déçoit.

Je fronce les sourcils à l’écoute des propos de Maggy. A quel moment la brune et moi nous sommes assez éloignés pour qu’on soit en désaccord comme c’est le cas présentement ? Je soupire intérieurement sans donner l’occasion à la noiraude d’entendre mon désarroi. T’as sûrement raison. Lui donner tort ne ferait qu’augmenter l’agacement qu’elle ressent déjà. Mes yeux planent sur Margherita un instant, me demandant si elle se rend compte de la sagesse qu’elle peut dégager sans vraiment être très crédible. Je ne crois pas que sa vie sentimentale soit si épanouie que ça et je ne crois pas non plus qu’elle soit bien placée pour me donner des conseils.

Quoi qu’il en soit, j'opine du chef sans vraiment prendre en considération ce que ma cousine dit. Mais la conversation tourne subitement en quelque chose qui me déplaît et même si j’essaie de rester calme, je n’arrive pas à masquer mon désaccord. Personne ne sait qu’on est de la même famille. Et figure toi que j’ai pas souffert d’avoir vécu dans le Bronx. Mon regard se teinte d’une amertume que je n’arrive plus à dissimuler. Je ne suis pas d’accord avec ce que tu fais, même si je sais pas vraiment ce que ça implique. Bien que je sache de quoi il en retourne, je n’arrive pas vraiment à imaginer ce que ça vaut et dans mon esprit, Maggy est en quelque sorte reliée à mon père, que je déteste plus que tout au monde.

Si Maggy croit que le Bronx m’a plus écorché que le fait que mon père soit un enfoiré, elle se trompe complètement. J’ai bien plus souffert toute ma vie de ce qu’il était et ce dans quoi il bossait que toutes les merdes que j’ai pu accumuler à NY. Mag, j’t’ai pas demandé de me raconter de détails… Enfin, laisse tomber. J’avise la tasse qu’elle tient en main pour lui proposer: Tu reveux du café ? Manière aussi de changer de sujet.