Happy birthday - Eliza

10/02 22h38

Pour l'anniversaire du père l'Eliza, nous avions été invités, nous les Drazavic, fidèles et loyaux amis à venir fêter ça autour d'un repas familial. Il aurait été hors de question de décliner et aussi Camenko et moi avions nous accompagné mon père, Jelenko, à ce repas traditionnel. A dire vrai, ça ne me dérangeait pas du tout parce que je savais qu'Eliza serait là et qu'elle m'avait en plus sorti récemment du pétrin ! Après le repas pantagruélique, les deux hommes se retirèrent dans le salon confortable à boire du cognac et fumer des cigares. Camenko - ce sale lâcheur -  prétexta une affaire de boulot hyper urgente (je savais pertinemment qu'il allait rejoindre une femme ce soir - une des filles de l'agence Come with me, pas farouche pour deux kopeks) et je restais donc en tête avec Eliza.

Durant le repas, c'était surtout les chefs de famille qui avaient parlé, alors enfin El et moi on peut causer tranquille. "Alors, quoi de neuf El' ? ça fait un bail qu'on s'est pas vu, je crois que la dernière fois c'était à la soirée à l'ambassade de Russie, un truc comme ça. Comment va ton fils ? J'imagine qu'il dort à cette heure ci ? Ton père doit être fier de son petit fils" J'aborde un sujet sensible pour ma pomme en fait, je viens de me mettre en terrain glissant tout seul ! Non mais bravo Drazavic ! C'est pas comme si mon père en voulait pas des petits enfants, c'est pas comme si je venais de divorcer de la femme que j'aime, que je vivais quand même avec elle en faisant tout par dessus la tête et qu'en plus à 40 balais, j'avais aucune descendance à offrir à ma famille. Mais quel crétin ! J'esquisse un sourire bizarre destiné à cacher le trouble qui brusquement m'agite.

"ouai c'est ça...tu sais depuis qu'on est macqué avec les russes..." Parler des affaires avec Eliza n'est pas un problème. Elle est quasiment un membre des Tigrovi puisqu'elle gère - avec son père - tous nos déboires avec la justice et il faut bien dire qu'on en a quelques-uns. Au niveau politique la Russie est un des soutiens du président serbe de la BiH qui se trouve être notre plus gros "mécène". En fait, on travaille pour Dodik. Alors du coup, on bosse souvent avec la Bratva et on rend des services à des "amis" russes, des diplomates, des hommes d'affaires...

Je souris quand elle parle de son fis, par mimétisme parce que je vois bien l'amour maternel qui transparait sur ses traits. L'instinct maternel chez une femme est puissant. Pendant qu'Eliza débarrasse, je nous dégote deux verres et une bouteille de vodka dans le bar, histoire de nous servir à boire. J'ai un grognement dubitatif étouffé et je sors une excuse "hé, à 40 piges, tu crois pas que c'est trop tard ? Je laisse ça à Camenko..." J'ai un geste vague, hésitation douloureuse que je noie dans un faux rire "Ouai...on peut dire ça... Je "fréquente" mon ex-femme. Elle est américaine. Enfin, c'est un peu plus que ça, on vit ensemble. C'est heu... compliqué... " Parce que oui c'est exactement le bon mot ! J'avale une gorgée de l'excellente vodka - le père d'Eliza a toujours eu bon gout et un bar bien achalandé, en même temps il a les moyens avec son cabinet. Je ne me gêne pas pour retourner la question à Eliza "Et toi ? Tu fréquentes personne ? A Londres peut-être ?"

"ça m'étonne pas que tu en vois passer ! Ils arrivent à être plus turbulents que nous !" Oui, bon, ici s'exprime la rivalité qui teinte l'alliance entre serbes et russes. Il faut bien qu'on montre qu'on est les meilleurs ! En plus on est sur notre territoire, faut bien qu'on le prouve, qu'on ne les laisse pas prendre l'ascendant sur nous, c'est de bonne guerre. Faudrait pas qu'ils croient qu'ils sont nos Boss.

"Hé, tu devrais sortir un peu, une belle femme comme toi peut pas rester seule, j'suis sur que ton père serait pas contre avoir un second petit fils." Mon regard accroche son geste, son alliance et je pense à celle qui ornait mon annulaire il n'y a pas si longtemps. Je comprends qu'on puisse vouloir la garder envers et contre tout, même si l'être aimé n'est plus là, même quand il est mort, même quand on l'a quitté. J'effleure l'épaule d'Eliza dans un geste de compréhension et d'empathie alors que je la suis au salon. J'ai un rire à sa remarque, fabule une réponse qui n'a rien à voir avec mon peu d'envie de paternité "humm j'ai pas envie qu'on me prenne pour un grand-père quand on jouera au foot, ce serait moche" Comme si mon père avait jamais joué au foot avec moi !

Je me claque dans le canapé près d'Eliza, me calant de coté pour la regarder en discutant "oh bah si c'est ça, tu gagnes haut la main. Encore que Camenko se débrouille bien." Sauf que Eliza est une fille et Camenko pour le dire vulgairement est un bâtard même s'il porte le nom de mon père. Quant à moi je pourrait faire figure d'héritier idéal sauf ce sont mes performances qui laissent à désirer : mon manque d'ambition, ma façon d'être, entêté, pas assez impliqué pour ma famille au yeux de Jelenko - il en accuse entre autre chose ces années passées à NY - bref pas du tout comme mon père l'espérait je crois. "J'imagine que ton père est fier de toi. Et toi, c'est ce que tu voulais faire ? Ça te plait de revenir à Sarajevo ? "

"J'en suis sur, il a déjà plus que mon père. Et je sais qu'il l'envie." Je me demande si mon père ne m'a pas imaginé un jour avec Eliza. Que ce soit avant son mariage - on est plus ou moins sorti deux semaines ensemble avant que je ne parte pour NY pour échapper aux enquêtes du TPIY - ou après son veuvage à son retour à Sarajevo. Deux empires liés par le mariage. Mais si j'ai de l'affection pour Eliza, ce n'est en rien de l'amour comme la passion qui me lie à Nina. Certains diraient que c'est déjà bien pour un mariage, et même beaucoup mieux que de la passion, si dévastatrice parfois mais je suis un être entier. Alors oui mon père doit bien envier ce petit-enfant mâle, héritier des Markovic. Et je sais que le père d'Eliza est fier d'elle, il n'y a qu'à voir comment il couve sa fille du regard.

Je hoche la tête, je suis bien placé qu'on subit les aléas de la vie plus qu'on ne les maîtrise, il n'y a qu'à retomber sur ses pattes ensuite, pas le choix. "C'est bien d'être revenue, au moins t'as ta famille ici. Et ton père ? Sa santé va mieux ? " J'ai de l'affection pour Markovic, c'est une sorte d'oncle pour moi, et je vous jure qu'il est bien pus cool que mon oncle Mirko ! Je me souviens des friandises qu'il me donnait à la Slava, malgré les injonctions de mon père à ne pas me pourrir. A treize ans j'étais censé me comporter en petit homme et si je ne le disais pas, les bonbons qu'il me donnait me faisaient plaisir.

"Oh, si, si, je comprends." Je soupire de mon long exil. "Je suis resté vingt ans loin d'ici et je pensais à Sarajevo tous les jours. Dans mon appartement, j'avais une des photos en noir et blanc d'Ornella Alexandrevic, . C'est une photo du quartier de Pâle en 92'. Tu te souviens d'Ornella, elle se fait appeler Nell Alexander maintenant. Elle est devenue célèbre avec ses photos" Elle était plus âgée qu'Eliza mais j'étais sorti avec Nell durant quatre mois au tout début de la guerre, avant qu'elle ne parte avec sa famille. Avec cette photo, la nostalgie s'est faite ma compagne de tous les jours. "Mais le pire c'est seulement quand je suis revenu ici que j'ai vraiment réalisé comme ça me manquait, c'est étrange hein ?"

Avec Eliza, j'ai ce sentiment rare de confiance, et de pouvoir faire des confidences. Sans doute parce qu'elle a souffert et que je la sens toujours écorchée vive comme je le suis aussi. On a beaucoup de points communs sans pour autant avoir vécu les mêmes choses. Il y a cette résilience et cette nostalgie en nous qui se font un agréable écho et donnent le sentiment de ne pas être seul.

"Pourquoi ? Humm...la question piège !" j'ai un rire embarrassé. "Je t'ai parlé de mon ex-femme ? Nina... Bah à l'époque ça marchait pas trop et tout ce que je voyais pour notre avenir se finissait très mal. Je.. Je lui ai même demandé d'avorter Eli, je crois que j'aurais pas du. et j'oublie le reste, mon père qui sortait de taule, Camenko, non la vérité se situe dans la grossesse surprise de Nina et ma réaction extrême. "J'ai fait une connerie"
Étrange que cet aveu m'échappe ce soir.

"Ce sera difficile de lui faire arrêter ça. Et puis, à quoi bon vivre sans les petits plaisirs de la vie ? Je suis sur que c'est ce qu'il te dit. Mais au moins il a la motivation de voir grandir on petit-fils." Est-ce quelque chose qui manque à mon père ? J'aurais dit que non - je pensais jusqu'ici qu'il ne voulait un petit-enfant que pour une question de perpétuation du nom - mais ce soir j'ai un aperçu différent au travers d'Eliza et sa famille. C'est presque dérangeant dans mes certitudes.

Je m'épanche auprès d'Eliza et ça me fait du bien. Malgré la peur du jugement, je crois que j'avais besoin de me confier, et de le faire auprès d'une femme ayant un enfant, d'une amie. Parce qu'elle peut comprendre Nina et que j'ai besoin de cette vision là, féminine, maternelle. La vodka est bienvenue et je l'avale cul sec, sans même grimacer - l'habitude me trahissant. J'ai un drôle de sourire, Eliza me voit encore d'une façon trop gentille. "Elle l'a fait...et je suis parti." C'est ce qui s'est réellement passé, j'ai beau enrober la situation d'excuse, de "timing" comme le retour de mon père ou encore les ennuis dans le Bronx, la vérité c'est que Nina est tombée enceinte, je lui ai dit d'avorter, elle l'a fait, et je suis parti, je l'ai quitté sans un mot. C'est plus que compliqué.

Une nouvelle fois un drôle de sourire étire mes lèvres, entre l'amer et l'ironie brute quand je pense que mon problème c'est surement que j'ai besoin d'être un connard. Je me secoue intérieurement pour expliquer à Eliza. "Tu te doutes que mon père ne le sait pas. Il me foutrait la raclée de ma vie je crois ! J'ai un petit rire façon de signifier que ce n'est pas le plus grave de l'histoire. "Ça fait presque deux ans que je suis à Sarajevo et seulement quelques mois que Nina et moi on tente de se remettre ensemble. On s'est retrouvé par hasard ici...et voilà... Je crois bien que c’est la femme de ma vie si ça veut dire quelque chose. Personne ne soupçonne que je suis furieusement romantique dans le sens le plus tragique du terme. Presque à la russe ! Bon, maintenant Eliza va s'en douter mais tant pis. Je me ressers de la vodka !

La réaction d'Eliza me coupe le sifflet avant de me faire rire, un fou rire étrange, presque inadéquat, mais elle a au moins eu le mérite de me sortir de mon auto-flagellation qui confine à l'auto-apitoiement surtout ! "Parce que tu en doutais encore ! Ha merci Eliza, tes illusions me flattent. Mais t'inquiète pas, je rame encore et je crois que j'ai pas fini. Tu vas me dire que c'est de bonne guerre sans doute." Je ne reproche rien à Nina, je ne lui ai d'ailleurs jamais rien reproché, sauf peut-être à l'époque où elle se droguait, quand je risquais de la retrouver tabasser par un dealer qui n'avait pas été payé ou que je la retrouvais au bord de l'overdose sur le parquet du salon. Mais concernant l'avortement et ma fuite, il n'y a jamais eu qu'un seul fautif et c'est moi.

"Hé ! Émasculer, rien que ça, bah je suis bien content que Nina n'ait pas voulu me priver du matériel, tu vois ! Ça peut encore servir. J'ai toujours su que t'avais un tempérament" Mon regard s'attarde sur Eliza. Je sais que Camenko la connait bien, ils se voyaient à Londres. Moi, j'ai vingt ans à rattraper. Sa remarque m'émeut bizarrement. Je demande d'une voix adoucie, qui ne me ressemble pas "toi c'était comme ça avec ton mari ?"

Ma grande déesse féminine intérieure est ravie de savoir qu'il rame dans sa tentative de reconquérir sa femme. Mais la vieille amie est peinée par son air de chien battue. Sa question fait ressurgir la tristesse de l'absence que je tente depuis ses dernières années de tenir à distance.
Ce n'était aussi dramatique que toi

Je tente de lui sourire mais n'y arrive pas aussi bien que je le voudrais.
Nous étions amoureux et heureux parents d'un petit garçon. Bien sûr parfois on se disputait mais j'avais l'impression d'avoir trouvé mon âme sœur.

Je ricane un peu avant d'ajouter.. Oui je sais, c'est fleur bleue …

Un regard suffisait parfois pour qu'on se comprenne. Nous partagions tout. Avec lui j'avais l'impression que j'étais capable de surmonter toutes les épreuves. Et que cela durerait pour toujours. Mon père l'appréciait malgré qu'il soit Anglais. 

Je bois une gorgée de mon verre avant de continuer.
Puis quand il est mort. C'était comme si on m'arrachait la moitié du cœur. Qu'une partie de moi était morte avec lui.


Je lève les yeux aux plafonds, histoire de ravaler les larmes qui menacent de couler. Et tente de changer de sujet.
Elle fait quoi dans la vie ta Nina ?

J'écoute avec une attention soutenue les paroles d'Eliza. Parce que c'est à peu près ma seule référence saine de couple, avec mon meilleur ami Stefan et sa femme mais comme il la trompe, je crois que Nina n'approuverait pas que je considère ça comme une référence saine. Et puis aussi Eliza et son mari formait un couple mixte, comme quoi on peut dépasser les barrières culturelles, et il y en a plus qu'on ne croit !

J'esquisse une grimace entendue, oui avec Nina, tout est dramatique, extrême, passionnel. C'est parfois épuisant, mais il y a des moments de félicité tellement intense que ça efface toujours tout le reste. Sans interrompre Eliza, j'écoute son histoire. Je crois à l'âme sœur, c'est ce que je ressens pour Nina, les mots me frappent avec cette évidence. Pourtant, je ne me sens pas toujours capable de surmonter toutes les épreuves, loin de là. Je n'insiste pas trop parce que je vois les larmes dans les yeux d'Eliza et je suis toujours mal à l'aise devant les émotions d'autrui. Avec les miennes aussi d'ailleurs.

Comme Eliza me pose la question, je réponds volontiers, un sourire aux lèvres. "Elle tient une agence d'escort dont le siège est à NY mais qui a une succursale ici. Come With Me, tu connais p'tre ? Ca marche bien dans le monde des affaires et la politique. Et je peux l'aider pour des contacts, alors c'est plutôt bien. Elle est implantée près de l'Hôtel Europe."

Pendant que Slavenko me raconte ce que fait sa femme dans la vie, je tente tant bien que mal de refouler la tristesse qui pèse sur mon cœur depuis des mois. Parfois, je me demande si j'arriverais à me remettre de la mort de mon mari un jour. Je ne m'attarde pas sur cette question, car il est plus facile pour moi de détourner mon attention sur Slavenko et ses problèmes de couple.
Non je ne connais pas. L'Hôtel Europe est une bonne place dans ce “genre” de branche.

Je ne suis nullement étonnée que sa femme travaille dans le domaine de l'escortes girls. Je sais dans quel monde évolue mon ami de longue date.

Vous êtes rencontré … je me mets à mimer les guillemets avec mes doigts “au travail”
Je lui adresse un sourire avec plein de sous-entendue.


En dehors de la plaisanterie, elle a une carte de visite ou un numéro ou la contacter. J'aurais peut-être quelques personnes à lui adresser. Enfin si , elle sait rester discrète. 
Il lui arrive pour certain de ses clients étrangers de faire appel à des professionnelles. Soit pour les contenter, soit pour les piéger. Bien sûr, elle le fait de façon discrète. Puis si cela aide la femme de Slavenko a se faire une places , pourquoi pas l'aider.

"Au travail ? ouai en quelque sorte mais pas comme tu crois. Elle est pas escort... c'était à NY, et elle avait quelques dettes envers mon boss de l'époque." J'ai un mince sourire, c'est moi avait été chargé de récupérer le pognon auprès de la junkie que Nina était alors. En y repensant, on a fait foutrement du chemin depuis. Surtout elle en fait, moi je suis toujours le même connard capable de terroriser une femme pour quelques dollars.

Je cherche dans ma poche mon portefeuille et en tire une carte de l'agence de Nina. J'en ai toujours plusieurs sur moi pour pouvoir donner à mes clients quand je joue les garde du corps pour nos politiques et précieux hommes d'affaire. "t'inquiète, c'est son boulot d'être discrète."

Je souris à Eliza, content de la soirée passée avec elle. "Allez je vais y aller, je passe dire au revoir à ton père et je rentre. Je crois que Mon père et lui en ont encore pour un moment !" Je serre Eliza dans mes bras, l'embrasse dans les cheveux. "Prends soin de toi, Liz."

Je tenais toujours la carte de visite qu'il m'avait donnée lorsqu'il me prend dans ses bras pour me dire au revoir. Je lui rends son étreinte AMICALE (<=pour nina).

Fait attention à toi aussi répondis-je en m'écartant. Je suis contente que vous soyez venue … Dommage que Cam n'est pu rester..

Je profite de l'incursion de Slavenko dans le bureau pour dire bonne nuit à Jelenko et mon père. Il n'avait pas tort que ces deux-là allaient veiller tard. Enfant, j'imaginé qu'ils inventaient des plans pour dominer le monde dans ce bureau. Je n'étais peut-être pas loin de la vérité.

Je raccompagne mon ami a la porte puis monte à l'étage. Après avoir vérifié que mon fils Luka dormait bien, je regagne ma chambre pour aller me coucher. Demain, je devais etre en forme pour livrer des bataille juridique.