Je crains que vous placiez mal votre confiance || Yuna

Je suis comme un lion en cage quand je raccroche avec Nina. Je n’arrive pas à croire ce dont elle vient de m’informer et en suis dévasté. Pas le genre de dévastement quand on est à bout, triste, au fond du gouffre mais plutôt dévasté de la rage qui commence à me consumer de l’intérieur. Drazavic est un nom qui sonne comme un grincement strident à mes oreilles, des ongles sur un tableau, littéralement ! Je ne peux plus voir ce type en peinture et je crois l’avoir bien fait comprendre à Nina à l’autre bout du téléphone. J’ai cessé d’aimer Nina comme je l’aimais quand on était tous les deux paumés à NY. Je sais que cet amour s’est tout doucement transformé en quelque chose de beaucoup plus fraternel parce qu’il fallait bien que j’arrête de souffrir au bout d’un certain temps mais il me semble que c’est encore plus viscéral maintenant, d’où mes réactions quand Nina me dit que son putain de mari la trompe sûrement avec un autre type !

Je suis allé faire quelques courses avant qu’elle n’arrive comme convenu un peu plus tôt et je suis justement en train de ranger quand j’entends toquer. A l’apparition de la brune, mon visage se fend de douleur, je suis sûrement aussi triste qu’elle et je m’efforce à calmer mes nerfs pour ne pas complètement péter les plombs.  Pourtant, elle ne pleure pas et je crois deviner qu’elle s’est forcée à s’arrêter avant de venir ici, ce qui m’ennuie parce que je ne veux absolument pas qu’elle garde ses émotions pour m’éviter une quelconque gêne qu’elle se serait imaginée. Te faire pardonner de quoi ? Je suis contrarié et ça se voit à mon attitude assez froide, presque figée. J’attrape la bouteille de vodka et la remercie d’un signe de la tête. On se la boira quand on pourra tout les deux. J’esquisse un semblant de sourire, je suis toujours sous traitement et l’alcool m’est interdit, mais la vodka aura le temps de se bonifier et tant mieux. Bon, c’est quoi la suite ? La suite des événements à venir, ce qu’elle compte faire, ne pas faire… Je suis prêt à tout entendre mais pas qu’elle compte retourner avec ce taré.

Je ne m’en rends pas compte mais mon attitude doit être blessante pour la brune qui doit être bien plus emotive que d’habitude. J’ai un haussement d’épaules à ce qu’elle me rétorque. Je n’aime pas particulièrement la solitude et je préférerais justement que quelqu’un partage mes soirées alors sa présence est bien plus bénéfique que ce que Nina peut penser. Tu romps rien du tout, t’inquiète pas. Un silence et nos regards se croisent, je déglutis difficilement, la nausée toujours au fond de l’estomac, la tête toujours en vrac. La suite… Ce que tu comptes faire pour le bébé, toi, ton mari… Je sais pas, la suite… Je ne sais pas si je me fais bien comprendre mais j’aimerais savoir si elle compte divorcer, et ce serait légitime après ce que le slave lui a fait subir… Tu vas divorcer ? J’aimerais lui dire que c’est ce qu’il y a de mieux à faire mais ma parole n’a aucune valeur quand son amour pour Slavo est aussi grand que l’amour que je lui portais à elle fut un temps. Je sais que c’est compliqué avec le bébé… Mais Nina, tu mérites mieux que ça, je te jure. Un pli soucieux se dessine sur mon front et je me rapproche de la jeune femme avant d’attraper sa main entre les deux miennes, mes orbes dans les siennes. T’es censée être traitée… En princesse. Tu mérites qu’on te traite avec respect, qu’on te soit fidèle et qu’on te donne plus que ce que t’as maintenant... Si Slavenko agit comme ça aujourd’hui, il continuera quand tu auras accouché et quand votre enfant grandira aussi. Je soupire, transpirant de la colère qui dégorge enfin de moi. Réfléchis… Je laisse retomber sa main après l’avoir serrée et m’écarte pour aviser ses affaires. Je t’ai fais de la place dans la chambre. Je dormirais sur le canapé. J’attrape sa valise et la fais disparaître dans l’autre pièce. Tu veux manger quoi ?

Je n’arrive définitivement pas à me mettre à la place de Nina, c’est bien trop compliqué et de ce fait, je ne crois pas pouvoir être très objectif par rapport à la situation. J’ai une opinion très tronquée en ce qui concerne Slavenko parce que dès le départ, je le détestais. Pas parce qu’il m’a arraché la possibilité de sortir avec Nina quand on s’est connus, mais plutôt parce qu’il la traite trop différemment de la manière dont moi je l’aurais fait et je trouve ça tout simplement injuste. J’ai du mal à comprendre… Tu serais prête à rester mariée à cette ordure avec toutes les souffrances que ça implique juste pour le nom ? Crois moi que si ton fils connaît les travers de son père, il ne voudra pas de son nom de toute façon... Mes traits sont tirés et à l’instant, déçus et fatigués. J’ai repris le nom de ma mère justement parce que mon père était l’une de ces ordures aussi, alors qu’est-ce que ça pourrait bien avoir de différent pour lui ? Mon regard se pose sur son ventre arrondi et j’imagine automatiquement les souffrances que ce bébé aura et qu’il n’aura jamais demandé. Je ne peux pas choisir à ta place, bien que ce serait peut-être plus simple si je pouvais, mais au bout d’un moment, je crois qu’il faut arrêter les frais. T’as assez payé pour lui Nina… Je lui dis sans arrêt, lui répète toujours les mêmes choses sans que jamais rien ne change mais ma persévérance semble être intacte quand il s’agit de la brune.

On se fera des raviolis… Comme avant. Je fais référence aux trop nombreuses fois où Nina venait chez moi pour briser la solitude, quand on picolait et qu’on partageait nos joints, finissant généralement dans un état pitoyable. Et j’ai un dessert. J’ai trouvé une boîte remplies de mignardises et comme je n’étais plus sûr de ce que Nina aimait, ça me semblait être un bon compromis.

Il ne m’est pas difficile de parler en mal de Slavenko, néanmoins, je sais que cela doit être difficile à entendre pour Nina qui grimace à mesure que je l’assène des vérités douloureuses concernant son mari. Elle est consciente que je n’ai jamais pu encadrer le slave, et c’est bien réciproque d’ailleurs mais jamais je n’abandonnerai Nina parce qu’elle décide de rester avec lui, absolument jamais. Alors, quand elle commence à parler, j’ai le coeur qui se fend encore un petit peu plus à l’écoute de ses mots qui se veulent pourtant rassurant puisque si ce n’est pas moi qui la rejette, ce ne sera pas elle qui le fera non plus.

Instinctivement, je m’approche d’elle, cet air soucieux qui ne me quitte plus et je finis par attraper sa main pour la serrer contre mon estomac. Tu sais très bien que je suis incapable de vivre sans toi Nina. Je te laisserai jamais, je continuerai d’essuyer ses crasses et j’encaisserai, c’est tout. Je déglutis un peu difficilement parce qu’une émotion soudaine me prend aux tripes. Ma main quitte la sienne, se loge hasardement sur son crâne et tout en fronçant les sourcils, j’approche mon visage pour embrasser sa tempe. Je t’aime très fort aussi, Nina. Je n’ose pas citer les trois mots seuls parce qu’il y a longtemps, j’aurais pu les lui dire de manière claire et spontanée, sans qu’il n’y ait aucune autre signification derrière mais aujourd’hui, l’un comme l’autre, nous savons que tout est différent. J’attrape Nina dans un geste affectueux et l’enlace en restant précautionneux face à son ventre qui nous oblige à garder une certaine distance. J’aimerais juste que tu ne sois pas obligée de subir tout ça, c’est tout… J’voudrais te protéger mais j’ai bien compris que c’est pas en t’éloignant de lui que j’y arriverais. Je m’écarte finalement pour observer ses yeux, un léger sourire étirant mes lippes un peu déçues. Je devrais plus avoir à te dire que je serai toujours là pour toi, hein… Tu sais que je tiens mes promesses, non ? Je mets un petit temps de pause avant de reprendre. Du coup… Des raviolis ?

Je ne peux pas nier le fait que de voir Nina et son mari se déchirer me déchire moi-même, surtout parce que ça fait souffrir la brune et que je ne peux pas supporter ça. Jamais, depuis que l’on se connaît, je n’ai réussi à faire abstraction de ses problèmes à elle et tout ce qui l’a touchée m’a touché aussi, un peu comme si un lien invisible nous unissait pour qu’on ne fasse qu’un seul puit à sentiments. Ma main, liée à la sienne se reserre contre ses doigts et je souffle, doucement, décontenancé par la situation: T’as pas à t’inquiéter pour ça Nina… Souffrir a été dans ma vie la chose qui m’a été le plus accordé, alors, si c’est pour Nina que je le fais, je crois que ça ne me dérange même pas.

Dans mes bras, je crois que Nina se détend un peu et ma main continue d’effleurer son dos alors que notre respiration respective se ralenti au fur et à mesure que les secondes passent. Je défais notre étreinte, recule quelque peu et observe la brune sans réellement comprendre ce qu’il se passe quand elle se tend vers moi pour finalement se rétracter. Mon coeur s’est accéléré d’un coup sans vraiment que je puisse y faire quelque chose, sans que je puisse bouger ou faire quoi que ce soit avant qu’il ne décélère en voyant Nina s’éloigner de nouveau. Une tension particulière s’est créée en quelques secondes seulement et mes muscles se sont tendus les uns après les autres en imaginant Nina vouloir m’embrasser. Je finis par faire comme si de rien n’était en m’éloignant. Bon, euh… J’nous prépare ça alors ! Vas-y, met toi à l’aise. Tu veux boire quoi ? J’ai ça. Je lui montre une bouteille d’un smoothie que j’ai choisi au hasard plus tôt dans l’après-midi.

On finit par manger, un peu tôt mais de toute façon il fallait bien que je détourne l’attention, se mettre sur le canapé et tout comme le smoothie, j’ai choisi une chaîne au hasard où passent des sortes d’enquêtes criminelles, émission que j’ai vue et revue. La pénombre s’est installée tout doucement et il n’y a plus que la lumière de la télévision qui nous éclaire. Ca va, t’es bien installée ? Tu veux une couverture ? Un coussin…? Il ne fait pas si froid mais la sensation est tout autre quand on reste immobile pendant longtemps.

Tout en servant le smoothie dans deux verres assez hauts, j’avise Nina qui s’installe sur le canapé et la voir ici me réconforte étrangement. Je n’étais pas bien sûr qu’elle accepte de venir chez moi, encore moins de me faire autant confiance mais tout ça me prouve que rien n’a réellement changé entre nous, si ce n’est l’éloignement que son ventre maintenant tendu nous impose.

Nous mangeons avant de nous installer plus ou moins confortablement sur mon canapé trois places et puis lorsque Nina s’autorise à poser son crâne contre mon épaule, je m’autorise à mon tour à passer un bras derrière elle, lui accordant de se lover contre moi dans un geste de réconfort seulement. Je jette un oeil à son ventre que je vois grossir à chaque fois que l’on se voie et m’interroge subitement. Il bouge maintenant ? Ou c’est encore trop tôt ? Ca fait quelle taille à cet âge-là ? Pas très doué dans la matière, j’imagine tout un tas de chose comme pourrait le faire un nouveau papa et je me demande ce que j’aurais fait si, à mon tour, j’aurais mis une de mes -nombreuses- conquêtes enceintes. Une image floue de moi portant un gamin dans mes bras s’affiche brutalement à mon esprit et j’essaie de chasser cette pensée en reportant mon attention sur les réponses de la brune.

Je ne peux pas nier que la position qu’on prend me fait du bien à moi aussi qui n’ai pas connu ce genre de moment depuis un bail, même si je sais qu’avec Nina, ça sera toujours différent. Ma main bouge en caresse sur son épaule et un soupir de soulagement traverse ma gorge quand je remarque qu’elle n’a plus l’air si dévastée que lorsqu’elle est arrivée tout à l’heure.

Je n’ai jamais touché un bébé de ma vie et cette idée m’effraie rien que d’y penser. En réalité, je ne suis pas sûr d’être très à l’aise avec les enfants. Le peu de fois où j’ai dû interagir avec eux, j’avais l’impression de marcher sur des oeufs de peur de mal faire. Tu… Tu me fais toucher si tu sens qu’il bouge ? Demandé-je, les sourcils froncés, réellement effrayé à l’idée de sentir un être vivant sous ma paume coincé dans le ventre de Nina. Un kilo pour 35 centimètres… Mon regard se fixe sur son ventre, comme si d’un instant à l’autre je pourrais voir à travers sa peau pour y apercevoir le foetus. C’est vraiment dingue… Je crois pas que je réalise vraiment. J’avoue être sur le cul à chaque fois que j’imagine la brune avec un bébé dans les bras, comme si c’était un événement historique, comme si on allait annoncer de la neige en été… Non, j’ai jamais touché de bébé de ma vie, je suis pas sûr d’être capable d’en porter un, tu vois ? Je sais pas, je pense pas être à la hauteur… J’avoue, à demi-mot, que je ne souhaite pas vraiment devenir père et enfanter dans ce monde de dingue me paraît être d’une connerie sans nom, je le tais bien sûr à Nina. Je pense que j’aurais trop peur de lui faire mal ou de faire une connerie, tu vois ?

Il n’y a aucune garantie que je ne panique pas dès que j’aurais posé la main sur le ventre rond de Nina en sentant bouger son minuscule bébé à l’intérieur d’elle. La sensation doit être tellement étrange que j’appréhende même de le faire. Ceci dit, à défaut de ne jamais être père, le fils de Nina semble être un bon compromis pour mes premiers émois néonataux.

Tu dois te poser un milliard de questions… Et encore, j’dois pas m’y connaître assez pour aller très loin dans mes réflexions. Mais je crois qu’à ta place, je serais en train de paniquer largement. A ce qu’il paraît, les femmes ont naturellement l’instinct maternel, ce qui est plutôt pratique, mais qu’en est-il de l’instinct paternel ? Je ne crois pas que ce soit inné pour tout le monde, sinon y’aurait pas autant de pères indignes. Non mécontent de la confiance qui règne dans la voix de Nina je secoue un peu la tête de haut en bas pour lui signifier mon accord. Ouais… T’as sûrement raison, on fera comme ça. Puis si je me sens mal à l’aise ou que j’y arrive pas, tu seras à côté donc… Je ne vois pas vraiment comment je pourrais faire tomber un bébé, à moins que je développe des capacités dignes d’un homme tronc d’ici-là… Oui, je pense pas qu’ils te laissent galérer toute seule… Un sourire s’esquisse sur mes lèvres alors que mon bras se resserre sur l’emprise que j’ai sur Nina. La discussion m’a l’air de lui faire du bien et je suis d’ailleurs plutôt content que la brune se calme, doucement.

Je réfrène un léger soupir en ôtant une mèche de ses cheveux venue obstruer son regard. Pense pas au pire Nina, t’accoucheras pas plus tôt si tu te reposes et si tu restes au calme… Enfin, je sais que j’en sais pas grand chose mais ça me paraît logique. Tu peux rester ici le temps que ça prendra, ok ? Je ne sais pas ce que ça implique, d’accoucher trop tôt. Je sais évidemment que la survie du bébé est en jeu à ces moments-là mais foncièrement, si elle accouche plus tôt et qu’elle est dans un bon hôpital, il me semble qu’ils gèrent assez bien les prématurés.

Quand Nina est dans mes bras et qu’elle se resserre contre moi, j’ai encore l’impression de revenir un an plus tôt et même si j’ai essuyé pas mal de tristesse en m’obligeant à l’oublier, je constate qu’il est vraiment très dur de mettre un terme à tout ça. Avec un mari comme le tien, ça pouvais pas rester facile à gérer… Désolé de te le dire comme ça mais c’est vrai. Y’a pas une seule chose qui a été simple avec lui et c’est pas de ta faute, à toi. C’est juste lui, ça doit être dans sa nature de tout compliquer comme ça… Ca doit être dans sa nature d’être tout simplement un salopard, je le sous-entends très bien d’ailleurs. Ecoute, évitons de parler de tout ça, on a qu’à faire comme avant, se mettre un film ou jouer aux cartes ? Ca aura au moins le mérite de nous changer les idées, nan ?

Je ne préfère pas m'étaler sur le sujet parce que je ne sais définitivement pas de quoi je parle et c’est bien la première fois que je côtoie une femme enceinte. Je suppose et suis certain, d’ailleurs, que Nina est bien mieux placée que moi pour dire ce qui est bon ou mauvais pour elle. Je me contente de caresser sa peau en signe de réconfort et de resserrer mon étreinte quand je sens Nina se crisper de crainte.

La conversation meurt finalement et je ne me rends pas compte de tous les commentaires négatifs que j’ai bien pu déblatérer sur Slavenko depuis que Nina est arrivée. Je ne m’excuse néanmoins pas mais me fais tout de même la réflexion qu’il serait bienveillant que j’arrête puisqu’au vue du silence de la brune, je sais pertinemment que ça la heurte et c’est légitime. Il reste son mari et si je me mettais une seconde à sa place, je me rendrais compte de toute la difficulté que ça impose de détester son propre époux malgré toutes les misères qui lui fait voir.

Je nous mets un film et blottis l’un contre l’autre, il m’est difficile de me concentrer pleinement sur l’intrigue. Malgré tout, je reste droit et ne m’égare pas à faire quoi que ce soit qui pourrait déplaire à Nina.


Je lui ai laissé mon lit pour la nuit et ai opté pour le canapé bien que l’idée de rester avec elle m’ait effleuré l’esprit. Slavenko a tous les torts mais je suis persuadé que Nina ne se comporterait jamais comme lui le fait et c’est bien pour cette raison que je laisse sa femme seule ce soir.