Love the way you hurt me - Slavina

24 mars ; 22h03

Mâchoires et poings serrés, je fixe par la fenêtre les routes qui défilent, et que je reconnais enfin. L'espace de quelques instants, je crois que je me suis sincèrement demandée s'ils allaient me ramener chez nous. La présence de Camenko, visiblement soucieux, à mes côtés, devrait me rassurer... Mais je n'ai pas une confiance aveugle en lui comme son frère peut l'avoir. J'étais pourtant soulagée qu'il soit à mes côtés durant ces quatre jours qui m'ont semblé durer une éternité, je ne suis pas sûre que j'aurais si bien supporté la pression s'il n'avait pas été là. Il n'a pourtant jamais contredit son oncle, il est bien plus proche de Mirko qu'il l'est de son père, je le sais, mais j'avais au moins la sensation de ne pas avoir que des ennemis... Et peut-être, cet espèce de voix dans ma tête qui me soufflait malgré tout qu'il préviendrait Slavenko s'il m'arrivait quelque chose.

Il m'interroge du regard lorsque je tourne la tête vers lui et je secoue la tête pour lui signifier que non, ça ne va pas. L'effet des antidouleurs commence à sérieusement se dissiper, et allongée sur la civière je commence à sérieusement douiller des secousses de la route. Je n'ai aucun souvenir du retour en avion, mais l'aéroport ne m'a jamais paru si loin de chez nous qu'en cet instant. Camenko fronce les sourcils et fait un signe au Doc', installé à l'arrière avec nous. J'aurais du être seule avec lui mais Camenko a insisté pour rester à mes côtés, sans doute par égard pour son frère, j'en sais foutre rien. J'ai le cerveau trop embrumé pour comprendre les quelques mots qu'il échange avec le Doc', mais quelques instants plus tard la douleur reflue à nouveau, se diluant dans le sommeil qui m'emporte sans que je l'ai vu venir, me faisant sombrer de nouveau.

24 mars ; 23h43

Deux jours que je ronge mon frein. Trois, quatre en fait. Depuis qu'elle a dit qu'elle m'appellerait et qu'elle ne l'a pas fait. Voilà pourquoi je ne dis jamais que je vais appeler ou écrire, parce que la déception est trop dure si on ne peut pas. Alors j'ai essayé de faire cette déception, le manque et l'inquiétude mais sans grand succès. Je savais que le test me concernait aussi alors j'ai fermé ma gueule. J'ai bu plus, fumé plus, je suis allé me défouler dans le sport jusqu'à l'épuisement, presque la rupture étant donné ma condition physique hésitante. J'ai très peu dormi, j'ai tourné en rond. Je suis au QG que je squatte depuis le départ de Nina ne rentrant que pour nourrir le chat quand j'apprends qu'ils arrivent au moment où la camionnette rentre dans le garage. J'apprends en même temps Nina est blessée et là je pète un plomb. Littéralement.

Quand la civière est déchargée, je fonce, écartant Camenko qui tente de m'éloigner ou me calmer, je ne sais pas trop. "Jebote mais qu'est-ce que vous avez foutu !!! Nina !" "Elle va bien, elle va bien j'te dis !" "Ta gueule, pousse-toi" Rageur, je n'écoute pas, réagissant avec violence aux injonctions de Camenko. Mirko a de la chance de ne pas être là. Je me retrouve près de Nina. Elle est allongé toute pâle et je pense que je vais ou tomber dans les pommes ou tout péter autour de moi. C'est une sensation de vertige, tant la peur de la perdre me frappe avec violence "srce, srce..." La voix apaisante et sereine de Doc me sort de ce drôle de coton qui atténue les bruits autour de moi, m'empêche de voir autre chose que Nina, (on appelle ça l'effet tunnel dans le jargon ) "Laisse-moi la mettre à l'infirmerie, elle est sous morphine, ne t'inquiète pas. Allez suis moi Svenko" Comme un enfant pataud, j'obéis avec cette sensation de déjà vu affreuse. Je m'accroche à la civière jusqu'à ce qu'on dépose Nina à l'infirmerie.

​Je rouvre les yeux sur une pièce à demi plongée dans la pénombre, seulement éclairée par la lueur faiblarde de la lampe de chevet posée à côté du lit. En clignant des yeux, je reprends conscience de mon corps ankylosé, la douleur en fond, constante mais grandement atténuée par les antidouleurs, je crois que j'ai eu droit à une dose de cheval. Sur la chaise à côté du lit, Slavenko attend, dans la même position que celle que j'avais quelques semaines auparavant, quand il était à ma place. Je cille sans comprendre ce qu'il fait ici, tourne la tête pour regarder autour de moi. Il me faut quelques instants pour émerger du brouillard dans lequel je me trouve et me souvenir que nous sommes rentrés à Sarajevo. Dans ma poitrine, mon cœur fait un bond douloureux, et je tends une main vers le slave pour effleurer ses doigts.

J'ai voulu t'appeler... Je souffle d'une voix plaintive et confuse, le regard encore brumeux. C'est une pensée qui tourne en boucle dans mon esprit depuis quatre jours, le fait que j'ai voulu l'appeler et qu'on ne m'a pas autorisée à le faire. Ce n'était pas une question de manque de temps, j'ai eu des moments où j'aurais pu lui envoyer un message, ne serait-ce que pour le rassurer. Non, on ne m'a pas laissée le contacter, et je hais Mirko pour ça.

Dès qu'elle ouvre les yeux, je m'avance vers elle, manquant presque de tomber de ma chaise. "Moje ljubavi ! " pose ma main sur son front pour lisser ses cheveux "Chuuut, je sais, je sais moj andjeo. C'est rien, c'est pas grave." Je sais très bien comment sont les missions. Ça me tue, mais c'est comme ça, les consignes sont souvent strictes et on nous demande une obéissance absolue. La dernière fois, j'avais dérogé à ça en achetant rapidement un jetable, ce qui est strictement interdit bien sur, j'aurais pu me faire chopper, j'aurais été mis à pied. J'imagine bien que Nina a été strictement surveillée. Avec Camenko en qui elle a le plus confiance chez les Tigrovi, c'était facile, et j'en veux à mon frère de jouer ce jeu trouble.

"Repose toi mon ange ... tu as mal ? tu veux que j'appelle le doc ?" Je m'inquiète furieusement pour elle et surtout, une nouvelle fois, je me sens terriblement impuissant. Je crois que c'est ça le pire, ne rien pouvoir faire qu'attendre. Je n'attends pas la réponse d'ailleurs, je suis trop inquiet "Doc ? Doc! Elle est réveillée ! Est-ce que c'est grave ? Elle est blessée où ? "

Les sourcils froncés, je secoue la tête parce que moi, je trouve ça terriblement grave. Je n'aurais pas pu acheter un jetable pour le joindre, je n'ai pas été seule dehors une seule seconde, je ne serais même pas surprise d'apprendre qu'un Tigrovi surveillait la porte pendant que je prenais ma douche, je vous jure. Et ça m'a tuée d'inquiétude parce que je voulais l'appeler, lui parler, lui dire comme j'avais envie d'être avec lui, lui rappeler de penser à moi parce que je sais bien qu'autrement il me met de côté... C'est ce qu'il a du faire durant quatre jours, s'occuper pour ne pas penser à moi, pour que je ne lui manque pas, et je suis convaincue que mes craintes se sont réalisées, l'euphorie de Bali est retombée. Ça me donne envie de pleurer, et ma vision se brouille d'ailleurs.

Je secoue la tête, mais n'ai pas le temps de répondre qu'il appelle le médecin sans me demander mon avis. Je m'affole en tentant de me redresser dans le lit, ce qui m'arrache un grognement de douleur malgré les médocs. Je retombe en arrière aussitôt, tandis que le Doc' nous rejoint, il ne devait pas être loin. Je me renfonce dans le matelas tandis qu'il explique à Slavenko que j'ai pris une balle dans le haut de la poitrine, près de l'épaule droite, mais qu'aucun organe vital n'a été touché. Slavenko je t'assure que ça va... Le Doc' dodeline de la tête et précise quand même : On va la garder ici cette nuit, mais tu devrais pouvoir la ramener demain.

Elle s'est pris une balle dans l'épaule, ça n'est pas rien, et sa douleur, je la ressens quasiment physiquement même si devant le Doc' j'essaye de ne pas craquer. On m'impose de tenir bon finalement, de me comporter en homme et c'est ce que je fais en serrant les dents et en acquiesçant sagement d'un bref hochement de tête. J'ai tellement d'amertume en cet instant que je pourrait m'étouffer avec. Je reviens m'asseoir, uniquement pour que Nina s'apaise. Je lui prends la main, et je fais en sorte qu'elle se rendorme, la rassurant alors qu'un pli soucieux me barre le front.

Quand Nina est endormie à nouveau, je me lève pour aller trouver mon père. Mon pas est décidé et mon regard sombre. Il n'est pas là mais son appartement est en face alors je le lui envoie un sms qui fait office d'ultimatum. Il met quinze minutes pour arriver, quinze minutes que je passe dans son bureau à tourner comme un lion en cage. Mon père s'attend sans doute à me trouver sous pression parce que dès qu'il entre, il parle de ce ton ferme et calme, et je reconnais là sa façon de faire pour calmer les soldats hors de contrôle. "Le Docteur m'a dit que ça allait, ce n'est pas le cas ?" Sa façon de vouloir me couper l'herbe sous le pied en faisant passer ma réaction pour disproportionnée m'agace. "Stop, inutile de jouer à ça, je connais tes trucs, maintenant je veux savoir ce qui s'est passé." mon père répond avec ce ton glacial qui fait reculer les plus braves, mais pas les plus inconscients "Tu veux soldat ?" "Oui je veux ! J'exige, et va te faire foutre avec ta hiérarchie papa. Nina est ma femme, elle le sera, et j'ai le droit de savoir ce qui a merdé. C'était ça le but, la faire tuer en mission, tu pensais quoi ? Que je la pleurerais et épouserais la première venue ?" Mon ton monte crescendo. Je lis la dureté dans le regard de mon père, dans son attitude, le point de rupture qui approche mais il tente encore "Svenko, qu'est-ce que tu vas chercher, mais pas du tout ! Je ne vais pas prétendre que ce mariage m'enchante mais je l'ai accepté." "Accepté ? Tu te fous de moi ? Tu viens d'envoyer ma fiancé à la boucherie ! Elle fait tout pour que vous l'acceptiez, pour que MA famille l'accepte et c'est ça ce que tu fais toi ?!!! Tu l'envoies dans une mission merdique" "Ça suffit maintenant, ne joue pas les hystériques ! La mission ne devait pas se passer comme ça. Parfois les missions dérapent, tu le sais." "Et tu vas me dire que les renseignements de Mirko étaient merdique ? Ils sont jamais merdiques ! " Je suis à deux doigts d'accuser mon oncle mais Camenko entre dans le bureau à ce moment là, attiré par nos éclats de voix qui font trembler le bâtiment.

​Je lis ​l'inquiétude dans le regard de Slavenko, la colère aussi mais je ne suis pas sûre d'être capable de l'apaiser maintenant, je suis trop fatiguée pour ça. Il revient s'asseoir près de moi et je fronce les sourcils, anxieuse à mon tour, contaminée par ses états d'âme qui me touchent toujours de trop près. Je suis surprise qu'il ne me demande pas ce qu'il s'est passé, qu'il ne cherche pas à savoir comment c'est arrivé mais je réalise que j'ai dormi quelques temps, et qu'il a du avoir les échos de ses camarades déjà, de son frère même sans doute. Leur version des événements sera sans doute plus objective que la mienne. Il est trop silencieux pour que sa présence m'apaise réellement, malheureusement je ne suis pas capable de lutter contre la fatigue. Je n'ai quasiment pas dormi durant ces quatre jours, ou si peu, et avec le contrecoup de la blessure, je ne tiens pas longtemps les yeux ouverts.

Je ne sais pas l'heure qu'il est lorsque je m'éveille à nouveau, les volets sont tirés et je ne saurais dire s'il fait jour ou non. A côté de moi, la chaise est vide et l'anxiété m'envahit toute entière. La raison la plus plausible, c'est qu'il soit parti pisser, se doucher, manger un truc, ou même qu'il soit allé chercher des fringues à la maison. Pour ce que j'en sais j'ai peut-être dormi douze heures et je ne peux pas lui demander de rester à côté de moi tout ce temps ! Mais non, les pensées qui m'agitent sont bien plus sombres, moins rationnelles aussi. Les mains moites, le coeur battant un peu trop fort, je me repasse le film des derniers jours. La mission, en tout cas celle qu'on m'a confiée, a été un succès, je n'ai pas failli, j'ai suivi les ordres, j'ai rongé mon frein même quand j'avais envie de tout péter, persuadée que c'était ce que Slavenko attendait de moi, qu'il serait fier de moi... Mais je n'ai pas été suffisamment docile, pas suffisamment muette sans doute... Et puis je rentre blessée, stupidement, et je l'imagine déçu à présent, tout comme doit l'être le reste de sa famille... A l'exception de Mirko, qui doit se faire une joie d'affirmer qu'il avait raison, je ne suis d'aucune utilité. Pire, je suis devenu un fardeau dont il faut s'occuper ! Je m'agite dans le lit, tâtonne en quête de mon téléphone que je ne trouve pas. Furieusement angoissée à présent, j'appelle, en espérant que quelqu'un passe dans le couloir. Slavenko !?

Dans le bureau, l'entrée de Camenko a calmé momentanément le jeu. Il raconte ce qui s'est passé. L'arrivée de la police au cimetière - de nuit - et il est plus que probable qu'ils ont été rencardés, sinon pourquoi être là alors que l'enterrement avait eu lieu le matin même. Ce que je ne savais pas c'est que Mirko avait décidé de non seulement poser les micro, mais aussi de subtiliser le corps de David et de laisser le cercueil vide. Ainsi si une exhumation avait été demandé pour une troisième autopsie, il n'y aurait plus rien eu, aucune preuve. Les deux premières autopsies se contredisant, il y aurait alors toujours eu un doute. Je rage parce que ce n'est pas du tout la mission de départ (même si ce genre de cas arrive tout le temps, c'est mon quotidien mais j'aurais voulu que ce ne soit pas celui de Nina)

Le ton monte à nouveau quand je mets les choses à nouveau au point avec mon père. Nina n'est pas une tigrovi, elle n'a accepté cette mission que pour moi, et surtout pour leur plaire, leur prouver qu'elle était digne de confiance. Je trouve qu'elle a fait plus que ces preuves et je suis furieux de l'attitude jean-foutiste de mon père. Dressés, l'un contre l'autre mon regard noir - que je tiens de ma mère - croise le sien, acier "On va se marier en juillet, ça te laisse trois mois pour te faire à l'idée, et tu as plutôt intérêt à ce que ça marche sinon tu peux faire une croix sur l'invitation ou sur le fait de voir un jour tes petits enfants." "Stop Slavenko, tu vas trop loin" "Svenko, arrête" Camenko panique, personne ne parle comme ça à mon père, mais ce soir il me parait petit et faible, et je n'ai plus ni peur ni respect pour lui, elles se sont toutes les deux évanouies dans la colère "Non, toi ça suffit. C'est ma vie, et ma femme. Maintenant on va faire l'inverse, tu vas faire tes preuves, vous allez tous faire vos preuves vis à vis de Nina. Sinon je me barre, et s'il lui arrive la moindre chose, vous serez tous responsables." Je crois que la présence de mon frère empêche Jelenko de plier "Tu es suspendu pour insubordination." "C'est ça, papa... Va te faire foutre". Je me tire en claquant la porte.

Je tombe nez à nez avec Nina qui est dans le couloir, un Tigrovi est avec elle, un lieutenant. "Nina !" Je me précipite vers elle, le cœur battant trop fort, la colère encore au fond des tripes.

Personne ne répond à mon appel et mon rythme cardiaque s'emballe furieusement. Slavenko est parti, c'est sûr, pourquoi serait-il resté quand je suis une telle déception pour lui et pour les Tigrovi ? Je ne suis pas serbe, et je refuse d'être une parfaite épouse au foyer. Alors si je ne peux pas me montrer utile en mission, à quoi bon m'accepter au sein de cette famille ? Mais peut-être qu'il n'a jamais été là... On n'a pas réellement parlé tout à l'heure, j'ai peut-être halluciné sa présence, imaginé ce dont j'avais envie alors qu'ils ne l'ont pas appelé. Il ne sait peut-être même pas que je suis blessée. Mon souffle se fait plus court, le sang bat mes tempes furieusement à mesure que l'angoisse prend de l'ampleur dans mon ventre et me retourne les tripes. Je repousse vivement la couverture, et remarque que mes mouvements son entravés par la perfusion dans mon bras. D'une main tremblante j'arrache le pansement, tire sur les fils sans précaution pour m'en débarrasser. Le geste me fait si mal que j'en gémis de surprise, attirant l'attention d'un Tigrovi dans le couloir.

Bon sang Nina mais qu'est-ce que tu fous ? Ne bouge pas ! Je secoue la tête, ignorant les injonctions de Bran qui a pourtant été mon seul véritable allié durant ces quatre jours, plus encore que Camenko. Il faut que je sorte d'ici. Il se précipite vers moi en me voyant me redresser dans le lit, et il m'a suffisamment vue à l'œuvre durant la mission pour savoir à quel point je peux être bornée. Il glisse donc son bras contre ma taille pour que je puisse m'accrocher à lui et prendre appui sur son corps pour me lever. Putain t'es pas censée bouger d'ici, t'es blessée merde. Si j'étais un Tigrovi, il m'ordonnerait de rester couchée. Mais je n'en suis pas une et je me lève en serrant les dents, titubant jusqu'à la porte. La douleur me vrille la poitrine et je suis anormalement blême quand Slavenko surgit, bondissant vers moi. Sans réfléchir je lâche Bran pour tendre la main vers Slavenko sur lequel je manque de m'effondrer. Je balbutie d'une voix blanche : J'ai cru que t'étais parti...

Je suis hors de moi même si je dois contenir la fureur qui bouillonne et qui rejaillit quand je voir Bran tenant une Nina blême. Bien que le geste n'ait rien d'amoureux ça me choque, me déplait et j'entre aussitôt dans l'espace qu'ils forment, repoussant Bran de ma carrure, sans autre forme de procès. Je crois que j'irradie tellement de colère que naturellement il fait un pas en arrière. J'enveloppe Nina dans mes bras, la soulève en poids plume, en grondant d'un ton dénué de tact "dis pas de conneries." Je fais demi-tour, abandonnant Bran - qui reste les yeux écarquillés - et m'éloigne de l'infirmerie. Dans le garage, je jette mon dévolu sur une de nos camionnettes. J'installe Nina sur le siège passager avant de prendre le volant pour rentrer à la maison. Je n'ai pas les clefs mais démarrer une caisse n'a jamais été un problème et nous quittons le QG avant même que quelqu'un nous rejoigne. Tout le long du trajet, je ne dégoise pas un mot, trop furieux pour dire quoi que ce soit sans exploser.

Sa réaction donne corps à mes craintes, à toutes mes angoisses. Je ne comprends pas la colère noire, froide que je lis dans ses yeux, dans sa posture fermée, sa mâchoire crispée. Je suis encore à moitié shootée par les cachets, épuisée, assommée par la douleur aussi et je ne comprends absolument rien de ce qu'il se passe. Il me soulève dans ses bras sans douceur, me plongeant dans une incompréhension plus grande encore. Je me retrouve installée dans une caisse qui n'est pas la nôtre, sans avoir la moindre idée de ce qu'il se passe. J'étais censée rester au QG jusqu'à ce que le Doc' m'autorise à partir, et même si je préférerais être chez nous, j'avoue que j'appréhende la gestion de la douleur, parce qu'elle commence à sérieusement se réveiller ! La seule chose rassurante, c'est que je reconnais la route, on se rend bien à l'appartement. Enfoncée dans mon siège, crispée pour tenter de maîtriser mes tremblements, je braque sur Slavenko un regard écarquillé qu'il ne remarque même pas. Je finis par oser demander quand il se gare : Qu'est-ce qu'il se passe...?

"Rien, on rentre." Le ton est sec, laconique, agacé. Je suis sans doute injuste mais je ne m'en rend pas vraiment compte, tourné vers ma colère intérieure que je rumine. Elle n'est pas dirigée contre Nina -au contraire- mais elle obscurcit mon jugement et je ne réalise pas qu'elle est sans doute déboussolée. En ayant "volé" la camionnette du taf, je peux vous dire que ma mise à pied - c'est la troisième depuis que je suis à nouveau avec Nina alors que je n'avais jamais eu une seule remarque avant, autant dire que ça ne va pas amadouer mon père - va être salée. Mais en l'occurrence ce n'est pas ce qui m'importe. Non ce qui me met hors de moi c'est l'attitude de mon père qui ne fait pas la part des choses entre sa famille et ses hommes. Jusque là ça ne m'avait jamais dérangé, j'ai toujours été un bon soldat et je trouvais ça naturel. Ma perspective de la situation a brusquement basculé parce que j'aurais pu perdre Nina et que mon père trouve ça normal, et en prime trouve ma réaction hystérique.

Je me gare au pied de l'immeuble, à cheval sur le trottoir, je me fous que la camionnette soit enlevée à la fourrière. Je sors de là, ouvre la portière pour porter Nina à nouveau et l'amener à l'appartement quelque peu glacial vu que je n'ai pas été là de quatre jours. Mais c'est toujours mieux que de rester à l'infirmerie et près de ma "famille". Entre temps, j'ai ignorer les vibrations incessantes de mon téléphone, je soupçonne Camenko d'essayer de me joindre mais je suis également furieux contre lui.

Sa réponse est sèche, froide et je cille en clignant des yeux, me ramassant sur le siège. Mon angoisse, née en grande partie de l'incompréhension mais aussi de la peur que je ressens face à sa réaction, ne cesse de croître au fil des minutes qui défilent. Je n'ose plus ouvrir la bouche, c'est à peine si j'ose bouger à vrai dire. Je voudrais le repousser quand il ouvre ma portière pour me soulever dans ses bras à nouveau, mais je ne suis objectivement pas en état de marcher. J'ai déjà du mal à garder les yeux ouverts mais je crois que c'est le stress qui me maintient en éveil pour le moment.

L'appartement est plongé dans la pénombre et il y règne une température absolument insupportable pour moi, qui frissonne dès l'instant où il ferme la porte derrière nous. Je me retrouve dans la chambre, dont le lit n'est pas défait et je commence à réaliser qu'il n'a sans doute pas dormi ici en mon absence. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, est-ce qu'il m'en veut d'être partie, de ne pas l'avoir appelé peut-être ? C'est pourtant lui qui a insisté pour que je fasse cette mission quand moi-même je n'étais au départ pas convaincue de cette nécessité. Je me retrouve assise sur le lit et porte une main à mon front, la tête me tournant violemment. La douleur pulse fort dans ma poitrine, à me filer des sueurs froides, et je ne sais pas si je suis sur le point de vomir... ou de tomber dans les pommes.

La porte refermée, je vais déposer Nina sur le lit. Je vois bien qu'elle est toute pâle alors je lui intime fermement "Allonge-toi, je vais mettre le radiateur" Je l'aide, allume le chauffage puis pour ne pas qu'elle ait froid j'arrange les couvertures trop bien ordonnées . Je ne reste jamais à la maison si Nina n'y est pas, je préfère alors rester au QG, d'autant que j'espérais peut-être pouvoir grappiller des infos - vain espoir. Au moins étais-je là quand ils sont rentrés. Je pose une main sur son front en fronçant les sourcils, mais il n'est pas chaud. J'imagine que le Doc lui a donné tout ce qu'il faut mais il faudra que je passe chercher le reste des médicaments. A moins que je lui demande de les déposer. Je pense que je vais faire ça... je n'ai pas envie de devoir repasser au QG pour le moment, je suis encore trop en colère.

Quand je prends mon téléphone pour j'ai une convocation de Damir, qui est mon supérieur direct, des messages en absence de Camenko et silence radio de mon père... Génial. J'ignore le tout pour juste envoyer un sms au Doc. Je sais qu'il me donnera ce que je veux parce que ce n'est pas un mauvais bougre, il a à cœur de soigner tous ceux qui sont blessés au service des Tigrovi, c'est le cas de Nina. Je jette à coup d’œil à Nina en relevant le nez de mon sms "Dors, je vais voir avec le Doc pour les médocs."

En parallèle de l'angoisse, c'est l'agacement qui commence à enfler dans mon ventre aussi face à sa colère que je trouve injuste. Je sais que j'ai merdé, visiblement je n'ai pas été assez prudente et je comprends bien que j'ai déçu tout le monde en me faisant tirer dessus, aussi bien son père, son oncle que lui. Mais j'y suis allée, j'ai bossé dur, j'ai fait tout ce qu'on a attendu de moi et merde, ce n'est pas comme si j'avais pris une balle volontairement non plus ! Alors je ne comprends pas son ton dur et froid, presque militaire quand il m'ordonne de m'allonger. Il me borde comme une enfant, mais sans aucune douceur pourtant, sans tendresse. Nos regards se sont à peine croisés depuis que je suis arrivée et c'est une douleur plus vive encore que celle qui pulse dans ma poitrine.

Il s'éloigne de moi sans considération, le nez sur son téléphone, m'adressant à peine quelques mots qui sont toujours des ordres. Un nœud douloureux se forme dans ma gorge, mon ventre bouillonne de sentiments délétères qui se mélangent et me heurtent et je secoue la tête, les larmes aux yeux. Je veux pas dormir, je veux savoir ce qu'il se passe. Je voudrais hausser le ton mais ma voix tremble trop pour que ce soit convaincant. Appuyée contre l'oreiller, je serre les draps entre mes doigts, essayant de réprimer mes larmes.

Comme je suis en mode bulldozer de destruction massive, avançant sans considération pour ce qui m'entoure, je suis surpris qu'elle proteste et me contredise. tellement surpris que je cille sans comprendre. Je ne comprends pas les larmes dans son regard, ni son ton tremblant. Mon ton est légèrement étonné même si c'est peut-être un effet du choc qui fait qu'elle me pose cette question "Quoi ce qui se passe ? Tu t'es pris une balle, tu sais quand même bien ce qui se qui se passe ?" Parce que tout découle de là, de cette mission ridicule qui a merdé, du fait qu'elle est blessée et que tout le monde, même elle, semble s'en foutre. Cette mission était mal coordonnée et surtout elle n'aurait jamais du y aller. Je suis furieux aussi après moi d'avoir cautionné et même encouragé cette "épreuve" qui aurait pu me priver à jamais de Nina. Je conviens d'un ton sombre, admettant mes torts "J'aurais jamais du accepter que tu y ailles. En tout cas pas sans moi. Voilà le résultat, et encore tu as de la chance de t'en tirer à si bon compte, vingt centimètres à droite et... " Et je pense qu'elle ne serait pas revenu. Je contiens la douleur d'une telle éventualité en me barricadant, mâchoire crispée et regard noir.

Il me regarde comme s'il était étonné que j'ose ouvrir la bouche ! Je me souviens parfaitement de la dernière fois que je l'ai vu ainsi, furieux contre le monde entier, enragé au point de ne pas se soucier de ma détresse, de ne plus voir mes larmes... C'est le jour où je lui ai annoncé que j'étais enceinte, et on sait tous comment cette histoire s'est finie. Ce jour-là non plus, ce n'était pas de ma faute, j'ai fait tout ce qu'on m'a dit, je me suis débarrassée du bébé aussi rapidement que j'ai pu pour ne pas le voir s'éloigner de moi, et il est parti quand même. Mes mains se mettent à trembler spasmodiquement, je secoue la tête, impuissante face à sa colère. Je devrais sans doute me mettre en colère moi aussi, parce qu'il n'a pas le droit de me traiter de cette façon, mais la peur qui gronde en moi supplante le reste.

Je pensais que la mission s'était bien passée, puisque j'ai réalisé les tâches qu'on m'a confiées sans jamais me planter, mais je réalise que ce n'est peut-être pas ce qu'on attendait de moi finalement. L'esprit embrumé, les larmes débordent de mes yeux quand je balbutie des excuses incohérentes. Je suis désolée... Je voulais pas... J'aurais pas du... Je recommencerais pas, j'te promets... Je me redresse encore un peu, replie mes jambes pour les ramer contre moi. Dans un sanglot je supplie : T'en va pas... J't'en prie t'en va pas...

Je suis dans un état tel que je pourrais tuer quelqu'un juste pour soulager ma rage, comme cette fois où j'ai méthodiquement frappé le latino qui avait osé draguer Nina. J'aurais besoin d'un exécutoire c'est certain, mais pas elle, non pas elle. A ses sanglots qui n'ont n'y queue n'y tête, je blêmis. Pour moi aussi il y a un relent de déjà vu, quelque chose mais je n'identifie pas le moment, je ne pense pas à ces jours qui ont suivi l'annonce de sa grossesse ni à l'avortement, il y a juste ce sentiment d'inconfort, de malaise profond. Alors j'explose. "Mais qu'est-ce que tu racontes ? Où veux-tu que j'aille ?! Ils ont failli te faire tuer Nina ! Dis pas ça Jebote ! " Je me suis levé du lit, dans le besoin de bouger, parce que mes muscles se bandent mais que je ne peux rien faire. "Il a foutu quoi Mirko avec sa mission de merde là ?!! Et Cam ? " Je suis frissonnant d'indignation, pâle de rage, de peur. Je préfère mille fois me faire tirer dessus qu'elle ne soit égratignée. Est-ce que quelqu'un comprend ça ?! A priori personne et je suis frustré, écœuré que l'on dise juste que je dramatise. Je me jette à genoux près du lit "Je ne veux plus que tu ailles au QG, je ne veux plus que tu fasses quoi que ce soit pour les Tigrovi ou mon père. Tu m'entends Nina ? Jamais !" Vous en voulez de la dramatisation, voilà !

Il hausse le ton, s'emporte, explose sans que je comprenne pourquoi, à mes oreilles même ses paroles n'ont pas de sens parce que je ne vois pas les choses comme lui visiblement. Je ne comprends pas comment il peut se mettre dans un tel état, ce sont les risques quand on part en mission, il passe sa vie à me le répéter, on peut être blessé à tout moment. Je le savais en partant, même si j'imaginais plutôt être derrière un ordi à vrai dire, mais il le savait aussi en me demandant d'y aller. Il ne comprend pas ce que je dis lui non plus, ne me promet pas de ne pas partir, de la même façon qu'il n'a pas pu me le promettre quand je lui ai dit que j'étais enceinte. Je revois la scène en surimpression derrière mes paupières, avec une clarté douloureuse. Moi recroquevillée sur le lit, comme maintenant, à lui promettre de faire ce qu'il faut, à le supplier de ne pas m'abandonner. Et lui enfermé dans une carapace de rage que je ne sais pas percer.

Il se précipite vers le lit en beuglant des ordres, ou des interdictions cette fois, et je sursaute en me ramassant sur moi-même. Arrête de crier, s'il te plaît, s'il te plaît arrête... J'ai le visage tellement baigné de larmes, le regard tellement trouble que je ne le vois même pas. Mon esprit bloque sur les souvenirs de l'événement qui a entraîné son départ, le traumatisme me frappant en pleine figure, me coupant le souffle. Il va partir. La certitude s'imprime dans mon crâne à présent. Dans une heure, demain, dans une semaine, il va partir. Tendue à l'extrême, je ne parviens pourtant pas à réprimer mes sanglots, les tremblements qui agitent ma poitrine et réveillent ma blessure si fort que j'ai l'impression d'un couteau enfoncé dans la plaie.

Je ne comprends absolument pas sa réaction, elle devrait être aussi en colère que moi et ses larmes sont autant de blessures supplémentaires. Brusquement la fureur se mue en colère froide qui me glace parce que j'ai l'impression qu'elle tient avec eux, qu'elle me trouve excessif, que je n'ai pas le droit d'avoir mal qu'elle ait failli crever loin de moi. Je n'ai réussi qu'à la faire pleurer des larmes sont le sens m'échappe. Allez, sois donc un homme Slavo. Je me renferme, verrouille douloureusement le tourbillon d'émotions troubles. Je quitte ma posture dramatique en me relevant péniblement. Je me tais. Chaque mot que j'ai dit a paru la blesser, alors je me tais. Je n'ai pas de mot de réconfort, je n'en trouve pas. J'ai ce sentiment - très fréquent chez moi - d'être inadapté pour la situation, de ne rien faire de ce qu'on attend de moi, de ne pas du tout être à la hauteur.

Ravalant mon amertume, je cherche machinalement mes cigarettes dans ma poche et mon briquet. Je répète tout bas "tu devrais te reposer." Je montre le paquet de cigarettes et esquisse un haussement d'épaules en me dirigeant vers la porte de la chambre. Je ne fume jamais dans la chambre, toujours sur le toit, ou parfois dans le salon.

Il se lève, sa colère se diluant dans la froideur, cette carapace d'indifférence que je ne pensais plus voir chez lui un jour, et j'ai l'impression de mourir quand il s'éloigne du lit pour sortir de la chambre. Il a raison, j'aurais pu mourir et il ne fait rien. Rien d'autre que me hurler dessus avant de me laisser me démerder seule avec ma douleur, m'abandonnant encore une fois. Le désespoir s'abat sur moi avec la violence d'un ouragan et je me retrouve le souffle couper, à haleter pour tenter de prendre ma respiration. Je repousse les couvertures dans lesquelles j'ai l'impression atroce d'étouffer, et je me lève pour sortir du lit. Je titube, chancelle jusqu'à la commode dont j'ouvre tous les tiroirs, retournant les fringues en quête de cachets, de n'importe quoi pour apaiser la douleur qui me vrille le ventre, mais je ne trouve rien. Slavenko a du s'empresser de virer tout ce que j'avais quand nous sommes rentrés de Bali, et il ne reste plus un seul cacheton, ni kétamine ni même somnifères dont je pourrais abuser, et l'angoisse monte d'un cran à ce constat. Je crois que je pars en tachycardie, des sueurs froides me coulant dans le dos. Chancelante, je me traîne jusqu'à la salle de bain, et je me colle toute habillée sous l'eau glaciale.

Je vais fumer sur ce que j'appelle terrasse et qui n'est rien d'autre qu'une corniche sur les toits. J'essaye de me calmer mais je suis en roue libre et quand c'est comme ça, je m'auto-alimente avec une facilité déconcertante. Je me repasse l'affrontement avec mon père, son regard, ses mots et surtout les non-dits que je devine. C'est le bruit de l'eau qui me fait sursauter brusquement. Clope au bec, je me précipite vers la salle de bain pour y découvrir Nina habillée sous l'eau. Un juron m'échappe et je la rejoins sous l'eau, me trempant, mon pull, mes godasses. Je gronde entre mes dents - je n'ai pas le droit de crier a priori donc je ne crie pas. "Mais qu'est-ce que tu fous ?" La flotte dans la gueule, j'essaye d'éteindre ce foutu robinet qui glisse. J'y parviens après deux essais, avant de tenter de récupérer Nina dans mes bras avant qu'elle ne me fasse un malaise.

​Je suffoque, irradie de chaleur comme si j'avais de la fièvre, à tel point que même l'eau glacée qui trempe mes fringues ne m'apaise pas. Je ne suis pas en état pour supporter sa colère, je n'ai pas les épaules assez solides pour le voir s'éloigner de moi à nouveau, et le leitmotiv qui tourne en boucle dans mon crâne est que je ne veux pas revivre ce que j'ai vécu il y a deux ans, plus jamais. Je n'y survivrais pas, et je n'ai pas envie d'y survivre. Je peine à aligner deux pensées cohérentes, et surtout je ne parviens pas à apaiser les sanglots qui me soulèvent la poitrine. Je sursaute quand il me rejoint dans la douche avec la même brusquerie que celle dont il fait preuve depuis que je suis rentrée. Quoiqu'il en soit le cocktail d'émotions qui m'agite est mortel. Après les quatre jours que je viens de passer à être sous pression constante, à encaisser les piques de son oncle, à ne presque pas dormir, après la balle que je me suis prise, le trajet du retour, la froide distance imposée par Slavenko, les antidouleurs qui cessent de faire effet, le contrecoup du choc, et sans doute une légère hypothermie... Je perds connaissance quand il me réceptionne contre lui.

Je me doutais que ça arriverait, elle est blessée et vu sa pâleur un peu plus tôt, je m'y attendais. Je la réceptionne, évitant qu'elle ne se fracasse au sol et je la porte en la ramenant dans la chambre. Je me retrouve à me battre avec ses fringues mouillées pour la déshabiller avec le maximum de précautions pour ne pas lui faire de mal à l'épaule. Parallèlement à ça j'appelle Doc en haut parleur et tandis que je vérifie le pouls de Nina - je suis fou d'inquiétude - je lui demande de passer urgemment. Il me calme en me demandant son pouls, des trucs à la con qui me force à garder mon sang froid pour pouvoir compter les pulsations, ce genre de choses. Il me dit se mettre en route tout de suite.

Je vais chercher des serviettes et j'essuie Nina après avoir laissé ses vêtements au sol. je pâlis à la vue du pansement taché de sang, mes barrières menaçant de craquer alors je m'investis dans les gestes plutôt que l'émotionnel. Je la recouche, rabat les couvertures sur elle avant de m'asseoir au bord du lit, d'écarter les mèches mouillées de son visage. Quand ça sonne, je bondis pour aller ouvrir. C'est le Doc et Camenko. Je foudroie le second du regard mais j'ai trop besoin du premier pour ne pas les laisser entrer. "Comment va-t-elle ? " je grince des dents "Pas très bien figure-toi. par ici Doc..." "Allons voir ça..."

Je ne reste pas complètement inconsciente très longtemps, en revanche je peine malgré tout à me réveiller tout à fait. Garder les yeux ouverts me demande un effort surhumain, et je ne cligne des paupières que de temps à autre pour entrevoir des images dont je ne saisis pas le sens. Les bruits qui m'entourent me parviennent étouffés, comme très lointains et je n'ai pas la force d'ouvrir la bouche pour parler, ou même de bouger le petit doigt. C'est pour éviter ce genre de choses que le Doc aurait préféré que je reste au QG jusqu'à nouvel ordre, mais ça aurait néanmoins pu ne pas arriver si la crise de panique n'avait pas pris le pas sur le reste. Outre la poussée de fièvre qui était à prévoir, j'ai également rouvert ma cicatrice bien trop fraîche en ne faisant clairement pas attention, et le Doc est obligé de s'en occuper avant de refaire mon pansement. Soucieux, il insiste. Ce serait quand même plus sage de la ramener à l'infirmerie, qu'elle reste sous surveillance...