Tournez manège - Leo

Le temps est couvert mais on a de la chance, il ne pleut pas et le temps est même plutôt clément, on atteint presque les vingt degrés. Je suis arrivé en avance à l'heure du rendez-vous donné avec Leo et ma fille Mirajna rouspète. "S'il te plait Mira, ça ne va pas être comme ça toute la journée rassure-moi ? On a une chance extraordinaire, il fait beau et tu ne seras pas toute seule pour t'amuser. Fais-moi plaisir pour une fois." Réponse boudeuse de la princesse qu'est ma fille, trop gâtée par sa mère. "ah ouai super, avec un handicapé..." "Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je t'ai dis qu'il suivait un traitement, ça n'a rien à voir. Pas de réflexion de ce genre, Mira. Je te préviens ! Bon, je vais prendre les places tout de suite, ça évitera qu'on attende plus."

Quand Leo et son frère arrive devant l'entrée, j'ai les tickets que j'agite. "Leo, bonjour ! Et voici Miro, bien sur. Enchanté jeune homme. Je vous présente ma fille Mirajna." "lut" Ah le coté laconique des adolescentes, je ne m'y ferais jamais. Je souris à Leo, et après la poignée de main à son petit frère, je n'ose pas lui faire la bise. "J'ai pris les billets, on y va ?" Je donne l'impulsion de mouvement vers l'entrée laissant les adolescents pour prendre la tête de file au coté de Leo. "Est-ce que vous avez fait bonne route ? Il n'y a pas encore trop de monde à cette époque de l'année. " Je baisse d'un ton "et votre frère, comment se sent-il ?" Derrière après un silence, les adolescents rompent la glace. Mira a beau se la jouer rebelle avec son père, c'est à dire moi, elle est toutefois assez bien éduquée pour ne pas être méchante avec Miro, j'en suis soulagé.

Viens-là ! L’amouuuuur de ma vie ! Je prends mon petit frère dans les bras dès qu’il sort du bus dans lequel il a fait le voyage et embrasse sa joue à de multiples reprises, vraiment aux anges de le retrouver. Leo ! Arrête, tu me fous du rouge à lèvre partout, c’est dégueu ! Je ris légèrement et défait finalement mon étreinte serrée. Ca va ? Tu ne t’es pas trop ennuyé dans le bus ? Comment tu te sens ? Je sais que je ne devrais pas m’inquiéter autant parce que quand je le regarde, je vois immédiatement son état de santé et aujourd’hui, Miro m’a l’air plutôt en forme., en témoigne les couleurs sur ses joues -Pas dû à mon rouge à lèvres !-.  

Après une longue discussion sur la journée qui nous attend et toutes les attractions que mon petit frère veut absolument nous faire faire, nous arrivons finalement au lieu de notre rendez-vous, pile à l’heure et j’aperçois immédiatement la silhouette masculine du policier accompagné de sa fille. Je me hâte vers eux et souris à pleine dents. Bonjour ! Enchantée Mira. Je lui fais la bise et jette un oeil à Miro qui dévisage la jeune fille, vraisemblablement intimidé, ce qui ne lui ressemble pas du tout ! Salut. Dit-il, après avoir serré la main du grand blond. Mes yeux interrogés regardent Miro, inhabitués à ce genre de comportement, lui qui est toujours très expressif d’accoutumé. Oh, merci, c’est vraiment gentil mais il ne fallait pas. Je vous offrirai le déjeuner alors… Je regarde Malic, attendrie par cette attention qui me gêne légèrement, vraiment pas habituée à ce que l’on m’offre quoi que ce soit. On laisse les petits faire connaissance, Miro semblant avoir dépassé sa timidité en démarrant la conversation avec Mira. Très bien ! On a pris le bus parce qu’en fait je ne crois pas vous l’avoir dit mais je n’ai pas de voiture. Je lui souris tout en jetant un oeil derrière nous. Oh, eh bien, il a l’air en forme, il l’est depuis que je lui ai dit qu’on venait ici en fait. Et puis, il était vraiment impatient de faire la connaissance de Mira mais là, je crois qu’il est intimidé. Faut dire qu’elle est très belle votre fille. Je trouve qu’elle ressemble un peu à son père et comme Malic n’est pas trop déplaisant à regarder, il semblerait que Miro n’en pense pas moins de sa fille. Miro aussi ressemble plus à notre père, on n’a presque rien en commun. Je suis brune, il est blond avec des cheveux très fins puis mes yeux sont foncés quand les siens sont très clairs et très en amande. LEO ! Je me retourne, interloquée. Il faut qu’on fasse ça ! Il me montre du doigt une tour gigantesque où des sièges sont raccrochés, qui montent et descendent à une allure spectaculaire. Euh… Oui oui, vous pouvez y aller. Miro me regarde bizarrement et attrape mon avant-bras. Non mais vous venez avec nous. Non non, on vous regarde, allez-y. Je lance un regard désespéré à Malic tout en enlevant la petite main du petit blond qu’est mon frère. Leo ! Allez ! Je soupire quelque peu, tiraillée entre ma peur et l’envie de faire plaisir à Miro, me rappelant sans cesse que chaque activité avec lui est peut-être la dernière. Bon… -Je m’éclaircis la gorge.- D’accord… Mais c’est assez haut non ? Tu n’as pas peur ? Il se moque de moi. Leo t’es une trouillarde ! Mais j’ai pas peur, je dis juste que c’est assez haut… Je me résouds à suivre la mauvaise troupe et regarde Malic. Je peux pas lui dire non... Désespérée, je pose une main livide sur le bras de l’homme. Rassurez-moi, c’est pas si terrible que ça, hein ?

J'esquisse un sourire devant la gêne de Leo. "ce n'est pas la peine, ça me fait plaisir, vraiment." Je ne gagne pas ma vie comme un millionnaire, c'est sur mais assez pour vivre, payer la pension de ma fille. Pour moi-même, je n'ai pas beaucoup de frais. Je passe plus de temps à bosser qu'à dépenser, alors pour une fois que je fais une sortie, j'ai envie de faire plaisir.

"Ah pardon, non je ne savais pas que vous preniez le bus, sinon j'aurais proposé de passer vous prendre. C'est bête. Enfin, je peux toujours vous ramener à Sarajevo, que vous ne soyez pas dépendante de l'heure." J'ai un sourire entre le fier et le gêné quand elle dit que ma fille est belle. "Oui, merci, mais ne lui dites pas. C'est déjà assez de soucis comme ça."

Les adolescents brisent la glace plus surement que nous. Je ne suis déjà pas doué pour les relations sociales mais avec une jeune femme plaisante, c'est encore pire, le manque d'habitude est flagrant. Alors je vais à mon rythme, laissant Miro intervenir en souriant, parce que je vois bien comme Leo essaye d'esquiver le manège. Elle m'a parlé de sa peur des manèges à sensations alors je comprends. Je ne suis pas sur d'aimer ça non plus mais ce n'est pas une question de peur, plutôt d'estomac ! "En toute franchise Léo ? Il vaut mieux le faire maintenant avant manger, que tout à l'heure, après manger" Je tapote sa main avec compassion. "On se soutiendra mutuellement." J'ai un sourire entendu. On a l'habitude de faire ça au groupe, alors pourquoi pas ici ? Les adolescents jubilent et nous précèdent dans la file. Ma fille Mira se pique d'aimer tous ces trucs à sensations. Elle n'a de cesse de dire qu'elle aimerait faire du parachute ou du saut à l’élastique. On s'installe dans les nacelles, Leo entre son frère et moi, Mira près de Miroslav. Je prête ma main à la jeune femme, en geste de soutien. "ça bien se passer. Ne regardez pas en bas."  

Plus le temps avance et plus je trouve de qualités à cet homme. Je le trouvais déjà très gentil lors de notre première rencontre mais là, je me rends compte que c’est certainement l’un des principaux points de sa personnalité, en plus d’être généreux. Je souris à son commentaire. Je vous le redevrais dans tous les cas et vous n’aurez rien à dire. Je lui confirme d’un hochement de tête convaincu et me rappelle toutefois que je lui ai menti et que donc, je lui dois bien plus que ça encore.

Oh ce n’est vraiment rien, j’ai l’habitude et Miro aussi… Mais je dois bien avouer que je suis tentée d’accepter pour le retour, ça nous permettra de passer sûrement plus de temps tous ensemble… Je suis rassurée de ne plus avoir à me soucier de l’heure et heureuse pour Miro qui pourra en profiter un peu plus grâce à Malic. Je ris légèrement à sa remarque quant à la jeune fille; J’ai l’impression que vous êtes très protecteur, non ? Cela dit, qui ne le serait pas avec son propre enfant ? Surtout un père envers sa fille et il y a certainement mille et une raisons de l’être plus envers une fille que vers un fils. Vous avez sûrement raison… Dis-je en soupirant mon désespoir. Je me rassure tant bien que mal en me disant que si je le fais maintenant, il n’y aura sûrement aucun risque que je vomisse mes entrailles devant qui que ce soit. J’entends jacasser Miro avec la fille de Malic et j’ai bel et bien l’impression que l’intimidation est passée beaucoup plus vite entre eux qu’entre le policier et moi ! En témoigne notre vouvoiement incessant…
On s’installe et étrangement, Mira ne s’est pas mise à côté de Malic, ce qui m’interpelle légèrement et je crois distinguer ce fameux éloignement dont on parlait la dernière fois. Je tique quand l’homme me donne sa main et je n’ose pas la laisser, alors je la saisi tout en n’ayant pas le temps de rougir au vue de la trouille qui commence à me paralyser. Miro nous regarde, enfin surtout nos mains et annonce, sans gêne: Comment ça se fait que vous vous vouvoyer ? Je souris légèrement tout en jetant un regard à Malic, silencieuse. Seulement, nous n’avons pas le temps de répondre que le manège commence, nous amenant tout en haut de la tour à la vitesse de la lumière. Un cri m’échappe alors que ma main, incontrôlable, vient littéralement de broyer celle de mon voisin. Mes yeux sont toujours fermés alors que l’attraction nous offre une pause d’une demi-seconde. Oh mon Dieu ! Puis il reprend, nous projetant vers le sol cette fois. J’entends Miro rire et se moquer de moi lorsque la machine nous donne du répit, commentant le fait que je n’ose pas ouvrir les yeux. Non ! J’ouvrirai pas les yeux ! Et un second cri sort involontairement de ma gorge parce qu’on se retrouve de nouveau tout en haut.

On sort ENFIN de cette horreur et machinalement je me tiens à Malic, descendu avant moi, parce que j’ai l’impression que mes jambes vont me lâcher tant elles étaient devenues cotonneuses. C’était horrible ! Miro rit de nouveau. C’était trop bien, oui ! On recommence ? Je m’égosille presque: Hors de question ! Il se tourne vers Mira, qui a l’air beaucoup plus sereine que moi. Tu viens avec moi ? Oui, voilà, allez y tous les deux, nous on vous regarde. J’inclus mon coéquipier dans mon désir de rester au sol parce que je crois qu’il ne souhaite pas recommencer. Je sors de mon sac mon paquet de cigarettes et le tends ouvert, à l’homme. On en mérite bien une… Je lui souris tout en prenant une clope pour moi, cette fois. On devrait arrêter de se vouvoyer Malic. Que je déclare de but en blanc, crachant la fumée blanche de mon rouleau toxique. C’est vrai que maintenant qu’on vient de se tenir la main en public, on pourrait au moins arrêter le “vous” !

"Protecteur ? Peut-être un peu...Je ne sais pas. Tous les parents le sont, non ?" Je ne le suis plus tellement puisque je ne vis plus avec Mira et que je n'ai plus mon mot à dire. Je ne la fois qu'un weekend tous les quinze jours au mieux. Parfois aux vacances, si je ne travaille pas. Je pense très sincèrement que ses oncles doivent être bien plus étouffants que moi auprès de ma fille. Je m'en inquiète souvent mais je n'ai malheureusement pas grand recours, mon ex femme étant très soumise à sa famille, comme moi autrefois.

J'ai rougi à la question de Miro, heureusement le manège m'a empêché de devoir répondre. Pourquoi tutoyer Leo ? Parce que c'est une femme, tout simplement. Qu'elle n'est pas de ma famille, ni ma femme, et qu'on m'a inculqué que c'était déplacé de tutoyer une femme. Je suis sans doute un peu trop old school si j'en juge par le fait que Leo me fait la même remarque en descendant du manège. Allons, Malic, ne dis pas que tu n'as pas apprécié tenir sa main et que la jeune femme t'es indifférente, ce serait tout à fait faux. Seulement tu marches sur des œufs, coincé entre une éducation traditionaliste et une situation personnelle compliquée.

Soulagé de ne pas remonter dans le manège avec les ados qui refont la file, je pioche une cigarette dans le paquet de Leo. "Oh merci. J'ai l'estomac qui m'est remonté dans la gorge." Je tire sur ma clope pour l'allumer et acquiesce avec cette hésitation maladroite que j'aimerais effacer. "bien sur, on peut tout à fait se tutoyer..." Petit moment d'embarras que je cache dans un sourire sincère. "Ce n'était quand même pas si terrible cette attraction mais..." Je fais mine de grimacer en tentant de me déboucher l'oreille "je crois que je suis sourd d'une oreille maintenant"Plaisanterie en référence à son cri aigu de terreur quand nous avons plongé vers le sol. "Après que nos aventuriers soient redescendus, si on allait plutôt faire du karting ou du pédalos électriques ?"

N’ayant jamais eu de vrai modèle parental, je ne sais pas réellement s’il est inscrit dans les gênes de tous les parents qu’il faille être protecteur envers ses enfants. Je crois que si notre mère l’avait été, elle n’aurait pas mis fin à ses jours et ne nous aurait jamais laissés seuls, Miro et moi. Je ne sais pas, honnêtement. J’y réfléchis quelques secondes avant de monter sur le manège et j’ai le souvenir que notre père l’était, lui.

Un poids s’enlève de mes épaules quand Miro accepte d’y retourner qu’avec la fille de Malic et je suis d’ailleurs assez heureuse qu’ils s’entendent aussi bien, ou en tout cas, qu’ils essaient d’en donner l’air ! Aussi, la cigarette que je commence à fumer me fait un bien phénoménal et il me semble qu’il en est de même pour l’homme. Moi aussi ! La sensation que tous les organes se surélèvent… Brr, horrible. Un sourire s’esquisse immédiatement sur mes lèvres quand Malic donne son approbation pour notre tutoiement mais j’espère intérieurement que l’habitude du “vous” ne reviendra pas comme un cheval au galop. Eh, j’ai pas crié si fort que ça… Dis-je, tout en riant, un peu honteuse. Oh oui ! On fera ça, c’est une activité moins stressante, je suis complètement d’accord. Par contre, je n’ai jamais fait de karting, alors je ne promets rien…

Les enfants reviennent près de nous et machinalement je pose une main protectrice sur l’épaule de Miro tout en me disant intérieurement que si, chaque parent est forcément protecteur envers son enfant et je m’en rends seulement compte quand je comprends que je me comporte comme une mère envers Miro. Je serre mon petit frère sur le côté tout en marchant puis défait mon étreinte presque immédiatement pour éviter de le gêner. Bon, puisque Mira et toi avez choisi la première attraction, Malic et moi avons choisi la deuxième; et ça sera du karting. Au moins, aucun risque de devenir complètement sourd. Je jette un regard amusé à l’homme tandis que le petit blond fronce les sourcils, en-dehors de notre plaisanterie. Ok, va pour le karting. On se dirige tous vers le dit Karting alors que je me retrouve seule derrière le peloton avec Mira, laissant les deux hommes discuter entre eux. Monsieur Stepanovic, ma soeur m’a dit que vous étiez flic, du coup, vous avez une arme sur vous et tout ?

Soudainement, je sens une étreinte sur mon bras qui m’empêche d’avancer en même temps que mes confrères et je suis stoppée nette quand j’aperçois devant moi le type qui m’a violentée la dernière fois. Je jette un regard désespéré vers Mira mais dis néanmoins: Allez y, j’arrive, je vous rejoins… Alors que très franchement, je n’aurais jamais voulu me retrouver de nouveau seule face à ce gars mais mon mensonge, Miro, la fille de Malic et Malic sont des raisons suffisantes pour qu’ils n’y soient pas du tout mêlés. Mon coeur se met à sauter dans ma poitrine et j’essaie de me défaire de sa prise quand ses yeux noirs me font trop peur pour que je puisse bouger. Je ne sais pas ce que vous me voulez mais vous feriez mieux de me lâcher. Les injures coulent de ses lèvres à flot alors que je reste bouche-bée, essayant tant bien que mal de retirer mon bras de sa main et les secondes se rallongent en heures tant la situation est insupportable à mon sens.

Le rire de Leo à ma plaisanterie me fait à la fois sourire et rougir, objectif atteint puisqu'elle partage un petit moment de complicité avec moi. "Je n'en ai jamais fait non plus, j'espère que c'est comme conduire une voiture. J'ai un avantage sur vo...sur toi " Je me rattrape en bafouillant avec un sourire d'excuse. Les enfants nous rejoignent et Leo leur explique la suite du programme. Mira défie le frère de Leo et en riant, on avance. C'est la première fois depuis très longtemps que je vois ma fille aussi joyeuse. Ça fait du bien.

En chemin je prends les devant avec Miro qui m'interroge. "oui, je suis policier, mais non, je n'ai pas mon arme avec moi. Je ne suis pas en service aujourd'hui, ce serait plus dangereux qu'autre chose de me promener avec une arme à feu. On n'est pas au Texas ici."  L'air déçu du gamin me fait sourire, ils sont tous les mêmes à cet âge là, ils pensent que l'arme fait le héros. Mais être flic, c'est être bien loin du mythe du sauveur. Mira se porte à notre hauteur et je m'attends à voir également Leo. Mais elle n'est pas là. Je me tourne pour la voir à plusieurs dizaine de mètres derrière nous avec un homme. "Allez choisir vos karts les enfants, on vous rejoint tout de suite"

Je rebrousse chemin pour aller chercher Leo. Sans doute est-ce une connaissance à elle, c'est ce que je me dis de loin mais en approchant, je lis clairement la posture menaçante de l'homme et celle effrayée de Leo. Malheureusement en Bosnie, l'alcool est un fléau et la violence en résulte largement. On nous apprend à désamorcer les conflits, surtout quand la victime est assez proche pour risquer un mauvais coup. Il faut juste s'imposer avec naturel=. Déjà il suffit que j’apparaisse pour créer une diversion, attirer l'attention de l'homme qui cesse ses insultes pour me jauger.  "Leo, les enfants t'attendent. Vas-y, j'arrive, je vais renseigner Monsieur. Vous êtes perdus Monsieur ?" "putain bougnoule m'adresse pas la parole, oh " Super, un serbe extrémiste, c'est bien ma veine. Je soupire discrètement en faisant signe à Leo d'y aller. Je devrais réussir à gérer la situation.

Un léger rire traverse ma gorge quand j’entends le vous s’initier de nouveau et j’aurais parié être la première à faire cette erreur; finalement, ce fût Malic le premier à fourcher de sa langue. Je me ravie de voir Miro aussi épanoui aujourd’hui et très heureuse que Malic soit là, avec nous. Non seulement le dicton “plus on est de fous, plus on rit” semble s’avérer vrai, mais je crois aussi que la présence d’un homme fait beaucoup de bien à mon petit frère qui n’a jamais connu notre père, malheureusement. Ensemble, on pourrait croire de l’extérieur que nous sommes une vraie famille et cette idée me plaît énormément, étrangement. Pourquoi ? Au Texas ils ont le droit, eux ? J’ai un sourire à l’écoute de leur discussion mais ce dernier s’efface bien vite lorsque mes yeux rencontrent ceux de l’homme qui s’accroche à mon bras.

Plusieurs longues secondes passent avant que je ne voie apparaître le policier et un soulagement se fait immédiatement en moi, laissant un soupir passer mes lèvres. Le mec en question finit par lâcher prise et je frotte machinalement mon bras avant de reculer, décontenancée. La situation m’échappe totalement et je crains que l’homme ne s’en prenne à Malic mais je m’éloigne tout de même, traumatisée de la dernière fois. “C’est ça, retourne faire le trottoir, pétasse.” Que j’entends alors que mes pas m’éloignent des deux hommes, regagnant rapidement les enfants qui m’attendent. Ma gorge est sèche et je dois ravaler plusieurs fois ma salive pour que la pression retombe finalement, afin que les larmes qui commençaient à arriver ne retournent de là où elles venaient. Inquiète, je regarde la scène de loin, totalement impuissante face à la situation et apeurée qu’il arrive quelque chose à mon ami. C’est qui celui-là Leo ? Tu le connais ? Qu’est-ce qu’il te veut ? J’observe Miro et ses sourcils froncés, l’air d’être prêt à intervenir, comme s’il en était capable, aussi protecteur envers moi que moi envers lui. Rien, il est fou, c’est tout… Je prie intérieurement pour que rien ne dégénère, que Malic revienne rapidement et que nous puissions continuer notre journée comme nous l’avions commencée: Sans embûches.

La discussion s’engage mal avec l’homme qui est non seulement agressif mais vulgaire, traitant Leo de putes. Je connais malheureusement ce genre d’homme, trop courant dans mon boulot. Sur de lui, de son argent, de son pouvoir. Sauf que je suis du genre pénible, parce que quand j’ai décidé de ne pas faire de fleur, je ne m’écrase pas. Je sors ma carte de police et lui montre. “Ecoutez, vous feriez mieux de partir et j’oublierais que vous venez d’émettre une insulte raciale à l’encontre d’un agent de police, d’accord. Je n’ai pas envie de me gâcher la journée avec de la paperasse, quant à vous, ce serait dommage de vous retrouver en cellule. Je sais que vous êtes surement quelqu’un d’important mais le temps que vos avocats vous sortent de là, vous allez y passer quelques heures. Ce n’est pas ce que vous voulez n’est-ce pas ?” Il crache au sol, à mes pieds mais je garde mon sang-froid. J’ai vu largement pire. “c’est ça tu peux la garder ta sale pute, toi et tes semblables vous êtes tout juste bon pour les rebuts des autres…” Je cille, est-ce un ex-éconduit de la jeune femme qui a cru que je sortais avec elle? Il semblerait bien.

Je le regarde partir en m’assurant qu’il s’éloigne bel et bien, et je rejoins ensuite Leo et les enfants. J’arbore un sourire pour chasser l’attente et la tension que je devine. Je lance avec plus d’enthousiasme que je n’en ressens “Bon alors, on roule en équipe ou c’est chacun pour soi ?” Mira enchérit aussitôt “En équipe ! Je tiens avec Miro !”

J’ai un regard attentif vers les deux hommes, comme si je m’étais dit que j’interviendrai si la situation dégénérerait et je vois Malic sortir son insigne; ce qui devrait calmer le jeu. Sans surprise, le gars en question s’éloigne après quelques mots que je ne peux entendre et le blond se dirige ensuite vers nous. Je reste terriblement gênée de ce qu’il vient de se passer et lorsque mon ami nous arrive à notre hauteur, j’ai un regard désolé à son encontre, presque bouleversée. Seulement, lorsqu’il parle, il semble bien plus serein que je ne peux l’être et bien que cela me rassure, je n’arrive pas à retrouver le sourire. Miro tend la main à Mira pour un “check” et ajoute: Tu vas voir, on va gagner. Ma soeur a jamais conduit de sa vie… Il se moque à nouveau et je me mords la lèvre inférieure tout en retenant un léger rire, me faisant bientôt oublier le précédent incident. Ah parce que toi oui peut-être ? Oui ! Moi oui. Oncle Václav m’a appris. Quoi ? Mais je suis pas au courant de ça, moi ?! Ben oui, si je te l’avais dit tu m’aurais interdit ! Mais quand même ! Je fais mine d’être vexée et en colère puis jette un regard à Malic en balançant la tête de gauche à droite. Mon pauvre, vous n’allez pas être servi avec moi dans votre équipe… Je vais être un boulet, je préfère vous avertir. Je me rends compte bien trop tard de mon omission du “tu” et ris légèrement, gênée, presque rougissante. Désolée c’est l’habitude…

Après avoir enfilé une combinaison des plus sexy et un casque pour nous protéger, chacun monte dans le kart que l’on nous indique. En plus d’être nulle, j’ai le kart qui se situe derrière, autant dire que les enfants risquent d’avoir plus de chance de gagner que nous ! La partie commence et comme je n’ai jamais fait de kart de ma vie, il ne me reste plus qu’à apprivoiser l’engin. J’essaie de rester concentrée pour éviter de me prendre les bordures et je dois dire que je m’en sors plutôt pas mal puisque même si je suis bonne dernière, je ne suis pas très loin de Mira et mon petit frère. D’ailleurs, je crois que cette activité plaît vraiment à Miro qui semble passer un bon moment. Je finis par dépasser Mira avec un peu de chance et me retrouve côte côte avec mon frère à qui je tire la langue. Sans surprise, Malic est devant.

Je vois bien l'embarras de Leo et si l'homme avait juste été un inconnu, elle aurait simplement été effrayée. Or elle est aussi bouleversée et embarrassée, j'en conclus dont qu'il y a une dimension très personnelle à sa frayeur. Elle se comporte presque comme une femme battue et cela me peine infiniment si elle a eu ce type violent comme petit ami. Comme je suis quelqu'un de discret, et que je veux pas mêler les enfants à une histoire sordide, je relance la conversation sur sur karting, souriant quand Leo me vouvoie. "tu es pardonnée, je vais faire l'erreur quelques fois moi aussi !" C'est ce que j'appelle la phase d'apprivoisement. Le casque solidement attaché sur le crâne, j'encourage ma partenaire d'un trait d'humour avant de grimper dans la voiture. "tu t'en sortiras très bien Leo, il suffit d'appuyer sur l'accélérateur et jamais sur le frein !"

Le classement se dessine rapidement mais Leo réussit un joli coup pour se placer troisième. "Hey ! 1 et 3 contre 2 et 4, je crois qu'on a gagné !" Même si Mira est un peu vexée ce n'est pas assez pour que cela entache sa bonne humeur surtout avec Miro qui est rieur et taquin. Voilà un bon exemple à suivre pour mon ombrageuse adolescente de fille. "Papa, quand est-ce que je prends des cours pour passer mon permis ?" "Alors ça ma grande, je verrais avec ta mère. Tu voudrais déjà apprendre à conduire ? Tu sais, une voiture, ce n'est pas un kart ! C'est moins fun." Sauf dans la police, nous avons plusieurs stages par an pour les courses-poursuites, c'est assez amusant. "on refait un tour ?!" "Vas-y avec Miro, profitez qu'il n'y a pas de trop de file, on de la chance aujourd'hui, il n'y a pas trop de monde. Je fais une pause. Leo ? Tu les accompagnes ?" Je ne veux pas qu'elle se pense obligée de me tenir compagnie, je peux très bien attendre un quart d'heure tout seul.

Je ne peux m’empêcher de sourire quand Malic me parle parce qu’il a dans sa communication toujours quelque chose de gentil et de bienveillant. Cet homme m’apaise et je dois bien avouer que je commence à apprécier grandement sa compagnie. Merci, mais ça je savais ! Que je crie tout en riant, manière d’élever ma voix plus haut que la musique qui nous rempli les oreilles.

La partie finie, je retire mon casque tout en secouant mon crâne de gauche à droite pour remettre tous mes cheveux en place. Je tends une main victorieuse à Malic pour qu’il l’a frappe et souris quand Mira demande à son père pour l’apprentissage de la conduite. Je vois que les jeunes sont tous fasciné par les voitures, y compris les filles. De mon côté, ce n’est pas quelque chose qui m’attire énormément. Certes, avoir un véhicule permet de se déplacer facilement mais quand on habite à quelques pas de son lieu de travail, pas besoin de voiture, les transports en commun font aussi l’affaire. Oh euh… Non non, je suis sûre de perdre si je recommence. Que je plaisante. J’ai toujours préféré les activités calmes aux activités de ce genre et c’est bien pour faire plaisir à Miro que je suis venue, sinon, un cinéma m’aurait peut-être même plus contentée. Ok, tant pis pour vous ! Miro se précipite pour refaire la file avec Mira et je suis vraiment heureuse que les deux s’entendent bien, il me semble même qu’ils aient échangés leur numéro juste avant, quand nous patientions. Ils ont vraiment l’air de bien s’entendre, ça fait plaisir. Je souris à Malic tout en nous dirigeant vers un banc vacant après que l’on se soit débarrassé de notre accoutrement. Lorsqu’on se retrouve assis, un petit blanc se coince dans la conversation et je renoue mon foulard correctement autour de mon cou avant de déclarer, timidement. Merci et… Désolée pour tout à l’heure. Mon regard fuit celui de mon ami et ne cesse de regarder les enfants qui sont toujours en train d’attendre. Je ne sais pas quoi dire d’autre alors je préfère me taire avant de dire des bêtises, essayant de soustraire cette gêne que j’ai encore à propos de ce qu’il s’est passé.

"Je suis content, c'est très rare que Mira soit aussi joyeuse quand elle est avec moi. Je savais bien que vous inviter, toi et ton frère, était une bonne idée." Je suis content que Mira sorte un peu de notre communauté. Peut-être comprendra-t-elle mieux pourquoi je préfère être yougoslave que musulman de Bosnie, pourquoi je ne veux pas laisser des notions d'ethnie nous séparer des autres.

Léo me remercie avec une timidité, une gêne adorable. "Ce n'est vraiment rien." Bien sur j'ai envie de poser des questions, de savoir si c'est son ex-petit ami ou pas par exemple. Cela doit s'entendre dans le silence qui plane. Pourtant la discrétion prime sur la curiosité. Je crois qu'elle me parlera peut-être quand elle aura confiance, on se connait finalement peu même si je l'apprécie déjà. Je lui tends le paquet de cigarette. "vous en voulez une ?" Je tique en réalisant la persistance de ce "vous" qui revient s'immiscer, perfide et souris, amusé "tu en veux une ? Désolé, j'y arriverais d'ici la fin de journée, promis. C'est juste...ce n'est pas une pratique courante chez moi de tutoyer les femmes qui ne sont pas de la famille." J'allume les cigarettes, la regardant pencher la tête avec une grâce qui me touche. Ensemble on fume, le regard rivé sur les adolescents mais même si on ne se regarde pas, je suis sensible à la présence de Léo. Ne pas être seul, c'est un petit miracle. Je laisse ma curiosité s'exercer sur un terrain neutre "Pourquoi tu n'as jamais appris à conduire ? Tu n'aimes pas ça, ou c'est juste...pas eu l'occasion ?"

Ca aurait pu agacer Malic, ça aurait pu l’énerver ou le rendre curieux mais non, il se contente simplement de répondre toujours avec ce même ton et cette même bienveillance. Ca me touche et plus les heures avancent et plus je suis heureuse de l’avoir rencontré bien que cela ne fasse pas une éternité que l’on se connaît. J’éclate de rire quand il me vouvoie parce que finalement, il semblerait qu’éviter les vous soit devenu un véritable jeu entre nous. C’est adorable et peut-être qu’on semble niais mais moi, ça me plaît. Je suis convaincue qu’on va y arriver. Je lui souris avant de le remercier pour la cigarette que je prends bien évidemment, j’adore fumer. Tu n’as qu’à imaginer que je suis de ta famille… (Peut-être une mauvaise idée s’il s’imagine que je suis sa soeur parce que présentement, je ressens une espèce d’attirance envers lui et tout ça deviendrait donc un peu bizarre.) Je souris toujours autant avant de rejeter un regard vers les enfants, toujours soucieuse qu’il n’arrive quelque chose. Un blanc se glisse de nouveau et je finis par tourner le visage vers Malic quand il me pose cette question somme toute légitime. Mhhh… Je pense que c’est un concours de circonstances parce que… Je suis partie aux Etats-Unis pendant un moment et je ne pensais pas du tout à ça. Quand on habite dans une grande ville comme New-York on a tout sur place donc c’est facile… Puis je crois que j’ai un peu peur parce que notre mère prenait beaucoup de médicaments et un jour on a eu un grave accident. Je crois que Miro ne s’en rappelle pas, il était tout petit mais par miracle il n’a rien eu. Je baisse la tête et joue inlassablement avec les bagues qui entourent mes doigts. C’était très difficile de vivre avec notre mère parce qu’elle était très dépressive et elle n’a jamais réussi à dépasser ça, ça la rendait extrêmement égoïste. Elle n’a jamais été heureuse d’être avec nous et de nous avoir malgré la perte de notre père. Et je suis vraiment fière de Miro qui, au contraire, essaie d’apprécier même les choses les plus simples de la vie. Après… Peut-être que je réagirais pareil qu’elle si je perdais l’amour de ma vie mais je crois que je lui en ai toujours un peu voulu. Je me livre complètement à Malic parce que je crois que c’est un moment propice et parce que j’ai envie d’être plus sincère que la première fois que l’on s’est rencontrés même si ça n’effacera jamais mon mensonge qu’il faudra que je me résoude à lui avouer.

Je m'amuse avec Leo sur le fait qu'on ne cesse de se tromper, passant du vouvoiement au tutoiement avec une maladresse qui au final est touchante. A sa phrase, j'ai un sourire sibyllin car je suis sans le savoir sur la même longueur d'onde qu'elle et il m'est venue la même réflexion qu'il serait étrange de la traiter en sœur quand j'éprouve une attirance certaine quoique discrète et timide. "j'aimerais autant pas." Je me rattrape en ajoutant de l'air du frère agacé par ses sœurs, jouant un peu la comédie parce que j'adore mes deux sœurs. "Tu ne connais pas mes sœurs..."

"New-York ? Oui ça doit faire une grande ville." Je n'ai jamais quitté la Bosnie, en comparaison NY me semble immense, il n'y a qu'à regarder les séries américaines. La grosse pomme, tout ça me parait faire partie d'un autre monde. Comme les livres policiers, j'adore les séries et celles américaines sont toujours tellement...surréalistes. Ici on n'a déjà pas toujours les budgets pour les relever d'empreintes, alors pour les analyses ADN ou les bases de données croisées, je ne vous en parle même pas. Je suis intimidé par Léo qui a vécu là-bas, je me sens très provincial tout à coup. "Est-ce ça t'a plu, cette ville ? Tu es revenue pour Miro, c'est bien ça ? Après le décès de ta mère ? Je crois comprendre qu'elle est décédée, je m'excuse si j'ai mal compris. "

Je suis tout de suite intéressée quand le blond me confie avoir des soeurs parce que j’aurais adoré en avoir même si Miro me suffit largement en préoccupations. Ah bon ? Je ne savais pas que tu avais des soeurs. Elles sont plus jeunes que toi ? J’imagine très bien Malic en grand frère très protecteur et donneur de leçon aux petites filles que seraient ses soeur et cette idée me donne un sourire attendri.

Oui ! Ca fait partie des expériences les plus folles de ma vie. C’était génial, j’en garde un très bon souvenir mais oui, je suis revenue pour Miro parce qu’il est tombé malade à ce moment-là. Et non, ne t’excuse pas, ne t’en fais pas. Notre mère s’est suicidée quand il avait trois ans à peu près et c’est notre grand-mère qui nous a recueilli. Enfin bon… La vie est faite de bons et mauvais moments, les pires sont derrière nous, j’espère. Je garde toujours espoir pour Miro et quand je le vois s’amuser sans fatiguer, c’est encore une petite victoire pour lui mais aussi pour moi. Je souris à Malic pour contraster avec toute la noirceur que je viens de déballer. D’ailleurs, je passe un très bon moment avec vous. Je me reprends, rougis légèrement parce que je ne voulais pas utiliser le vouvoiement mais n’ose plus revenir sur mes mots. Ta fille et toi, je veux dire. Je m’éclaircis la gorge et replace une mèche de cheveux rebelle derrière mon oreille avant de fuire le regard de l’homme à nouveau. Ah, je crois qu’ils ont fini. Je termine ma cigarette et me redresse pour écraser le mégot un peu plus loin dans un cendrier prévu à cet effet, complètement déstabilisée par la simple présence du policier. Je soupire un bon coup avant de me dire qu’il faudrait que je me ressaisisse en n’oubliant pas que je n’ai pas été très sincère avec lui et qu’il ne le mérite vraiment pas.

"Oui, oui deux sœurs ! Une ainée, et une plus jeune que moi. Mais peu importe, des sœurs restent des sœurs ! "

"Tu es très courageuse d'être partie à NY. Tu avais quel âge ?"  Je n'aurais jamais pu quitter la Bosnie, je n'en aurais pas eu le courage. Pas à l'époque. Plus jeune, j'ai préféré faire des sacrifices personnels plutôt que m'éloigner de ma communauté et si aujourd'hui j'en paye le prix, je n'aurais pas pu faire autrement. Il m'a fallu mûrir. "Je pensais que c'était plus récent, je suis désolé pour votre mère. Ce n'est pas évident de perdre quelqu'un, mais ça doit être encore plus compliqué quand il s'agit d'un suicide." Comme il n'est pas non plus facile de s'occuper d'une mère malade dont les capacités mentales s'étiolent. J'ai envie de dire tant mieux pour elle vu les choses horribles qu'il vaut certainement mieux oublier, mais pour nous, pour moi, ne plus être reconnu par sa propre mère ou seulement une fois sur deux, c'est dur.

"Moi aussi" La conversation trop sérieuse s'arrête avec le retour des enfants. Je propose que nous allions manger mais ils veulent encore faire une attraction sensationnelle, le grand huit et c'est vrai qu'une fois encore c'est mieux avant le repas qu'après ! J'accepte d'y aller cette fois, nous montons à quatre dans une nacelle, Miro et moi ayant usé de persuasion pour Léo. Après ça, les adolescents daignent nous laisser souffler. "Il parait que le restaurant du parc propose de supers hamburgers. Tout le monde aime ça j'imagine ?"

J'aurais adoré avoir une ou deux soeurs. Même si Miro me suffit déjà, parfois je me dis que nous aurions pu avoir plus de centres d'intérêt en commun s'il avait été une fille... J'ai un sourire angélique envers le policier et la conversation tourne à quelque chose d'un peu plus sérieux, certainement le signe que je lui fais réellement confiance et que d'un autre côté, cela est réciproque. Mon visage se met seulement à hocher de bas en haut à ses excuses et je ne réponds rien, ne sachant pas vraiment quoi rajouter à cela.  

Une petite gêne se glisse entre nous deux, surtout venant de moi je dois dire et les enfants nous rejoignent, m'aidant immédiatement à oublier cet inconfort.

Miro et la fille de Malic insistent ensuite pour que nous allions faire une autre attraction à nous arracher les boyaux et encore une fois; je ne résiste pas longtemps aux beaux yeux de mon petit frère qui mène la danse pour nous faire monter sur les montagnes russes. Sans surprise; je me cache dans l'épaule de mon voisin de siège durant toute l'attraction et à nouveau; je me sens gênée d'avoir été si proche de Malic (même si c'était très involontaire...).

Lorsqu'on se retrouve tous ensemble à table, je sors de mon sac une petite boîte en métal qui contient le traitement de Miro et la lui présente pour qu'il n'oublie pas. J'ai un regard vers la jeune Mirjana et je lui souris délicatement avant de lancer: Alors, tu as déjà décidé ce que tu voudrais faire plus tard ?  À son âge je voulais être professeur et plus le temps a avancé, plus cette idée m'a échappée et je me retrouve aujourd'hui à cacher à ma famille et à  l'homme qui m'intéresse mon véritable gagne-pain; me rendant en mon for intérieur extrêmement honteuse.

"C'est amusant, je me dis la même chose avec mes sœurs. Ah si seulement j'avais eu un frère avec qui jouer au handball ! On a jamais ce qu'on veut. Elles n'ont plus, elles m'ont longtemps reproché de couper les cheveux de leurs poupées ou de les jeter dans le puits. Oui je faisais ça." L'anecdote est amusante, familiale balayée par ma curiosité sans doute mal placée.

Les enfants sont insouciants et balayent nos gênes, nos silences. Chacun prend un plateau à la cafétéria self-service et on nous sert des hamburgers et des frites au stand de grillades. Il n'y a plus qu'à prendre place à l'intérieur, près de la fenêtre qui donne sur la terrasse. C'est plus lumineux. Mira répond avec aplomb à Léo. "je veux travailler dans l'administration de l'ONU. Il y a une division au district de Brcko et puis comme ça je pourrais voyager." Depuis quand ma fille sait-elle ce qu'elle veut faire dans la vie. Depuis quand devient-elle cette petite femme décidée ? Est-ce que sa mère est au courant de tout ça ? Je n'ose pas poser la question de peur de plomber l'ambiance. J'opte pour une question plus neutre "Et qu'est-ce qu'il faut faire comme études pour ça Mira ?" "Au moins trois ans de fac." "A Sarajevo ?" L'adolescente vacille dans sa belle assurance. "J'sais pas..." Je n'insiste pas parce qu'il y a Leo et que ce n'est pas le moment mais je suis sidéré de découvrir ça sur ma propre fille. "Et toi Miro, tu as une idée de ce que tu veux faire comme métier ?"

Je ris de bon coeur en écoutant les péripéties du policier. Non, sérieux ? C’est cruel ! C’est sûr, je t’aurais détesté en tant que frère. Je souris de manière bon enfant parce que je ne fais que taquiner Malic et Dieu sait à quel point j’adorais mes poupées étant petite.

Par la suite, j’écoute Mirjana avec attention et la jeune fille semble bien déterminée à avoir ce qu’elle veut, j’aime son assurance mais je crois que cela ne doit pas rendre la vie facile à Malic non plus. L’ONU ? Wow, c’est une belle ambition et puis je suis bien d’accord avec toi, y’a rien de mieux que de voyager. Je finis en laissant la parole à mon voisin d’en face, puisque nous avons décidé de se mettre chacun à côté de “notre” enfant et je vois Malic assez surpris d’avoir appris ce genre de chose sur sa propre fille mais je ne juge en aucun cas car je sais à quel point la communication peut être difficile entre une fille et son père. J’ai un regard pour Miro quand vient son tour de parler de ce qu’il aimerait faire et je suis surprise de sa réponse. Je sais pas… Je fronce un peu les sourcils d’incompréhension et ajoute: Tu ne m’avais pas dit que tu voulais faire graphiste ou architecte ? -Je regarde Malic, une lueur de fierté sur mon visage- Miro dessine super bien. D’ailleurs, il se met à froncer les sourcils aussi mais bizarrement j’ai plutôt l’impression que c’est parce que la discussion l’énerve. Je t’ai dit ça comme ça mais j’en sais rien. Je sais que le jeune blond déteste parler du futur comme si quelque chose lui faisait peur. Je me rappelle de ce médecin qui lui avait donné un pronostic catastrophique, ce qui nous avait tous mis dans un état lamentable et peut-être que c’en sont les stigmates. Ah… Bon d’accord. De toute façon tu as encore le temps de décider… Je l’observe toujours du coin de l’oeil pendant qu’il est en train de manger et sur le ton de la plaisanterie je lance: Au pire, tu auras toujours moyen de faire du mannequinat, t’es aussi beau que ta soeur ! Je souris tout en tenant mon hamburger dans mes deux mains, fière de ma vanne, pendant que le jeune blond m’observe, désespéré. Soudain je sens un amas de ketchup tomber sur mon haut rose poudré -que j’adore-; Miro éclate de rire. En tout cas, heureusement que je suis pas aussi cruche que toi. Je m’essuie en cherchant du réconfort dans le regard de mon voisin de table, dégoutée d’avoir fichu ce vêtement que j’avais mis trois heures à choisir plus tôt dans la journée.

Je suis surpris de la mauvaise humeur soudaine de l'adolescent et je réalise que j'ai du dire quelque chose qu'il ne fallait pas. Ma question l'a troublé mais je ne sais pas pourquoi. Est-ce parce que Mira sait déjà avec une belle assurance ce qu'elle veut - même si à mes yeux, ce sont des rêves - tandis qu'il n'est pas fixé ? Est-ce à cause de sa sœur ? Je n'ose pas intervenir dans ce qui semble une tension entre le frère et la sœur. Mon habituelle pudeur me rend le moment mal à l'aise.

Pourtant Leo sait manœuvrer son frère, nul doute qu'il y a assez de complicité entre eux pour qu'elle le comprenne, et l'éclat de rire de Miro me tire un sourire à mon tour. Je suis soulagé que l'adolescent ne reste pas campé sur cette mauvaise note. Même si je ne cautionne pas sa phrase. Je trouve que Leo est loin d'être une cruche ! Seulement protester, ne serait-ce pas avouer mon attirance ? Et devant ma fille en plus, ce serait tout bonnement impossible. Alors je dis seulement, doucement "ta sœur a un bon métier déjà, c'est très rare de nos jours quand on voit le taux de chômage." Malic, te voilà à parler de taux de chômage ? Je rougis de ma bêtise, essaye de me rattraper aux branches. "et vous... tu as fait du mannequinat ?" Personnellement Leo est très belle et elle pourrait tout à fait faire ce métier en plus d'être vendeuse. Ce n'est pas un métier où il est facile de percer, alors il doit souvent être nécessaire de faire autre chose à coté.

la tâche catastrophe tombe sur le chemisier pâle. "Mince...vous devriez aller aux toilettes éponger ça. J'ai entendu dire que le truc de grand mère avec le sel était complètement faux."

Je réussi à effacer ce moment d'incompréhension entre mon frère et moi et de plus, même si nous ne sommes que frère et soeur, je dois bien avouer qu'une certaine alchimie se fait entre nous, exactement comme si j'avais conçu Miro. C'est donc de cette manière que j'arrive si bien à manier les humeurs de l'adolescent et à faire en sorte que nous ne nous effritions jamais.

Je souris délicatement à Malic qui, comme je l'ai compris, essaie de prendre ma défense; de manière maladroite et assez amusante mais ça reste de la défense. Puis je trouve ça mignon. Je murmure Le taux de chômage, hum... J'ai un sourire amusé envers Malic à qui j'adresse, inconsciemment, de plus en plus de regard affirmés. Le problème c'est qu'il défend un mensonge et qu'à ce moment précis, même si je ne le montre pas, mon coeur se serre un peu douloureusement.

Du mannequinat ?! Non ! Je disais ça pour rire. C'est vraiment pas pour moi ce genre de chose... Même si j'adore les belles robes et les talons hauts, la superficialité du domaine me fais hérisser les poils.

A la fin du repas, je me sens complètement repus et il est difficile de se dire que nous devons bouger. Je jette un regard à Miro qui semble légèrement somnolent. Ça va Miro ? tu es fatigué ? Il hoche la tête en me disant que oui et je conclus donc: On va trouver quelque chose d'un peu plus calme. Il y a peut être un spectacle ou quelque chose du genre ? Je regarde Malic qui devrait être plus au courant que moi étant donné qu'il a gardé le plan du parc, contrairement à moi.

Leo relève ma bêtise et je lui adresse un petit sourire grimaçant, en autodérision complice de mon idiotie. Par contre, je maintiens qu'elle pourrait faire du mannequinat "mais non, le mannequinat ce serait tout à fait possible..." Et même Mira me soutient en ce sens, ce qui est assez étonnant.

Comme Miro est fatigué et que Léo me demande une activité calme, je sors le plan de ma poche de veste pour vérifier les activités que j'avais repéré. "Il y a une petite salle qui projette des films en 3D et même 4D, je ne sais pas trop ce que c'est. Est-ce que ça vous tente ? Oui ? " Les adolescents sont d'accord avec ça, Mira assez gentille pour penser à son nouvel ami. Même ma fille peut se montrer altruiste. Elle n'est vraiment peste que lorsque ça concerne uniquement son père à ce qu'il semblerait et je ne regrette pas cette sortie à quatre.

Je débarrasse les plateaux et après un détour par les toilettes nous sortons pour remonter une allée qui nous mène directement au cinéma où une affiche s'étale "Spiderman en 4D. Un super héros en collant, ça convient à tout le monde ?" Nous avons un quart d'heure avant le début de la séance, de quoi acheter des bonbons aux enfants, et pour moi de prendre un gobelet de café. On s'installe dans les fauteuils old school de velours rouges, et cette fois je m'assieds à coté de ma fille, qui elle se place bien sur près de Miro ! Je ne suis pas sur de vouloir laisser les deux adolescents fricoter !

Je réfléchis quant à l’idée du mannequinat tout en étant un peu embarrassée. Ca voudrait dire que Malic me trouve vraiment jolie pour me sortir ce genre de chose et ça me gêne réellement un petit peu. J’ajoute, souriante: C’est gentil… Mais c’est l’univers qui ne me plaît pas, je crois que c’est trop exigeant pour moi. Je salue le compliment quand même, en tout cas.

Le policier sort son guide et nous choisi la prochaine activité, qui convient visiblement à tout le monde. Je le remercie pour avoir débarrassé les plateaux et nous suivi le chemin, direction la petite salle de cinéma. Oh Spiderman, c’est parfait. Je sais que Miro est un fan inconditionnel des Marvel et même s’il a déjà vu l’homme-araignée dix mille fois, ça ne l’empêchera pas d’apprécier cette séance. On se retrouve tous à choisir nos pêchés-mignons et même si je n'ai vraiment plus faim après ce déjeuner copieux; je m'autorise un petit paquet de pop corn que j’aurais déjà presque fini avant le commencement du film.

Les enfants se mettent l'un à côté de l'autre et nous, adultes, de part et d'autre d’eux. Je crois que la disposition me convient mais que j'aurais tout de même aimé me retrouver à côté de Malic, à qui je lance un petit regard quand on se retrouve dans la pénombre. Ça sera pour une prochaine, quand nous ne serons que tous les deux, j'imagine. Je passe un bras autour de Miro même si je remarque que ça le dérange et le câline avant de le laisser tranquille.

Miro ne s'est pas endormi de la séance et je pense que cette coupure lui a permis de se reposer tout de même un petit peu. C'était génial ! La 4D c'est trop bien. Je souris à mon petit frère tout en marchant vers la sortie. Oui, c’est vrai que c’était bien. Je me rapproche naturellement du policier et Mira de Miro entre qui la discussion tourne vers les Avengers, je crois entendre. On regarde tous les deux le plan du parc et je repère le train fantôme. Oh ! On devrait faire le train fantôme ! Je relève la tête vers le blond et lui souris, les yeux pétillants. Ca m’a toujours fait plus rire qu’autre chose ce genre de truc. Miro rajoute: Oh ouais, trop bien ! Tu veux y aller Mira ou t’as trop peur ? Adorable mon petit frère, il s’inquiète pour sa nouvelle copine, je fonds.

Je n’ai jamais été voir un film en 4D et le résultat est surprenant avec l'intervention du siège qui bouge, des odeurs et même de ce jet de fumée sortant du siège de devant lors de l'attaque d'un méchant ! Je ne suis pas sur d'apprécier autant que Miro et ma fille qui font eux, preuve d'un bel enthousiasme face à cette débauche de technologie. Par contre, j'admets volontiers que les effets 3D sont époustouflants. On croirait vraiment voir le héros voler d'immeubles en immeubles.

"peuh, je n'ai pas peur, le train fantômes, même les enfants n'ont pas peur." Sur cette fanfaronnade de ma fille qui oublie qu'il y a peu elle était encore de ces enfants, nous nous dirigeons vers le train fantômes. J'ai un sourire en coin en admettant "moi je risque d'avoir peur." Les trains fantômes ne font pas vraiment "peur" mais leur mécanique pour faire sursauter de surprise est bien rodé. Il est réellement possible que je sursaute !

Les nacelles du train sont deux par deux, les "enfants" - j'ai un peu de mal à les voir comme des adolescents en passe de devenir adultes d'ici deux ans, je ne pense pas être prêt à voir ma fille s'émanciper - montent ensemble et Leo et moi prenons celle juste derrière eux. "Je n'ai pas fait ça depuis une éternité ! La dernère fois Mira était réellement une petite fille. Elle fait la maligne maintenant, mais à l'époque, elle n'en menait pas large. c'était à la fête foraine de Srebrenica. Elle a lieu tous les ans. Est-ce que Miro habite à Sarajevo ?  " Je ne suis pas sur d'avoir compris ce point et puisque ma fille semble vouloir se lier d'amitié avec le jeune homme, autant savoir à quoi m'attendre.Ce n'est pas facile d'être père, et un père qui ne vit pas avec sa fille en plus !