Golden Fort Knox - Slavina

02 Août, 11h37

Le portail se referme derrière la Mercedes noire qui roule fluide et nerveuse dans l'allée. Je m'arrête sur le parking privé au plus près de la maison qui en quelques jours est devenue une vraie forteresse. A l'aide l'Aleska sous les ordres de Nina, j'ai fait sécuriser la maison. Je suis silencieux, le visage fermé. C'est au cours de ces trois jours que j'ai appris par "mégarde" qu'Aleska s'était tapé ma femme. Oui bien sur, on dira que c'était avant que Nina et moi nous remettions ensemble, mais c'était quand même ici à Sarajevo, et Aleska est un tigrovi travaillant dans le renseignement sous les ordres de Camenko. Je ne crois pas qu'il n'était pas au courant de qui était Nina. Je ne crois pas que ce soit le fruit du hasard, ni de sa part, ni même de la part de Nina. Il est possible que mon oncle ait voulu tuer dans l’œuf toute tentative que je me remette avec Nina en me blessant. Et que cette dernière quant à elle ait juste voulu se venger et me faire d mal aussi. Et vous savez quoi ? A un an et demi d'intervalle, ils ont réussi. Ils auront mis le temps mais la blessure depuis ne cesse de suppurer. J'ai coupé court à la moindre explication, me jetant dans le projet du renforcement de la sécurité de Nina, de la nôtre, bébé inclus. J'ai d'autres chats à fouetter, trouver qui nous a canardé et pourquoi, et puis une campagne électorale qui commence, avec pas mal de taf à la clef. Et surtout, je n'ai pas envie d'en parler. Ça m'obligerait surement à tuer un "camarade", ce serait mal vu sans doute.

Je coupe le moteur, mets le frein à main avant de descendre de voiture pour sortir le fauteuil roulant avant que Nina s'y installe pour faire les cinquante mètres qui nous séparent de la maison. Elle doit marcher le moins possible pour ne pas risquer de déclencher des contractions. Mais la bonne nouvelle c'est que c'est juste encore pour quelques jours. C'est grâce à ça qu'on a eu l'autorisation de sortir avant le week-end plutôt que après. Je la laisse dans le hall en compagnie d'un des hommes qui garde l'entrée et je vais rechercher son sac. Je vérifie les positions des caméras et jette un coup d’œil inquisiteur autour de nous. La propriété est truffée de micros, d'alarmes, de caméra et de six hommes qui sont constamment en poste. Le beretta logé bien au chaud contre mes reins, je retourne dans la maison pour rejoindre Nina. "Tout est installé. Tu seras mieux ici." Le salon et la chambre ainsi que le bureau de Nina ont tous les trois été aménagés. Elle peut également aller dans le jardin d'hiver, j'ai fait remplacer les fenêtres par du verre blindé. J'avais déjà fait ça pour le chalet, et l'idée m'est revenue. Je n'ai lésiné à aucune dépense avec l'aide de l'argent de mon père.

"Ninaaaaaaaaa je suis heureuse de te voir ! Je suis contente que tu aies pu sortir, je m'ennuyais tellement, on va pouvoir se tenir compagnie au moins ! J'ai préparé du thé, tu en veux un ?" Ah oui, ça c'est Aleksandra. La femme de mon père, enceinte de deux mois de plus que Nina, autant dire jusqu'aux yeux. Bon, elle attend une fille mais Jelenko ne laisserait quand même pas sa chère épouse se faire kidnapper ou tuer. Alors, il n'a rien trouvé de mieux que de la mettre à l'abri ici. Parce que la maison est vraiment bien sécurisée. Oops désolé chérie, je crois que j'avais oublié de te prévenir. C'est ce que signifie ma légère grimace à peine repentante en fait.

​Malgré la mauvaise humeur évidente de Slavenko, je ne suis pas mécontente de rentrer à la maison. Je commençais à sérieusement tourner en rond dans la chambre d'hôpital, les allées et venues des infirmières me rendaient folle et je désespérais de rentrer chez nous un jour. ​L'hématome est presque entièrement résorbé, les contractions se sont beaucoup calmées, et la gynécologue était plutôt optimiste quant à la suite de la grossesse. Pour ne pas que ce soit trop difficile psychologiquement, j'ai des objectifs par paliers. Le premier étant de sortir du risque de prématurité extrême en tenant bon jusqu'au 5 septembre. Bien-sûr dans le meilleur des cas, il faut tenir jusqu'à mi-novembre pour que tous les risques soient écartés. Mais chaque palier augmente les chances de survie de Tomas. Ce qui est certain en tout cas, c'est que sans être coincée en fauteuil roulant jusqu'au terme, j'ai intérêt à me tenir extrêmement tranquille jusqu'au 5. Pour la suite, j'y penserais en temps voulus. Autant dire que la petite crise de jalousie de mon mari, que je trouve extrêmement déplacée d'ailleurs, est le cadet de mes soucis en ce moment.

​On pénètre dans la maison qui s'est transformée en véritable forteresse et je fronce les sourcils, un peu mal à l'aise. J'étais partante pour les caméras qui visaient à rassurer mon mari, moins pour les six hommes qui vont vivre avec moi jusqu'à ce que la menace soit écartée. J'avais finalement plus d'intimité à l'hôpital ! Je m'apprête à ouvrir la bouche pour parler mais suis coupée dans mon élan par la voix stridente d'Aleksandra, qui me fait sursauter. J'écarquille les yeux, complètement interdite. Elle est là, en train d'évoluer dans ma maison comme si c'était chez elle, tellement à l'aise que j'imagine qu'elle est arrivée depuis quelques jours. Le fait que je sois diminuée, coincée dans un fauteuil roulant, rend la situation encore plus désagréable. Je balbutie un « Oh, euh, oui, s'il te plaît. » pour qu'elle s'éloigne, et mon regard lance des éclairs à Slavenko dès que sa belle-mère à le dos tourné. Je gronde tout bas : « ​C'est une plaisanterie ? C'est quoi ce bordel ? »

Si j'avais prévenu Nina, elle m'aurait tapé un scandale et je ne suis même pas sur que j'aurais eu gain de cause. Devant le fait accompli, elle va râler c'est certain, mais au moins, elle est en sécurité et c'est tout ce qui compte. Peut-être entre-t-il en ligne de compte le fait que je suis contrarié et que je lui en veux de son mensonge. Plusieurs fois nous avons croisé Aleksa aux soirées tigrovi et elle m'a laissé être amical avec lui. Je me sens trahi, bafoué et j'ai la rancune mesquine.

Etre entouré de deux femmes enceintes ne va cependant pas être une sinécure pour moi. Déjà je suis là à triturer mon paquet de clopes sans pouvoir fumer. Je fais mine de me diriger vers la terrasse quand Nina m'arrête d'une phrase grondante. Je hausse les épaules en esquivant son regard. "Tant que Camenko n'a pas plus d'infos, on ne sait pas si c'est toi ou elle qui était visé. On a hyper sécurisé la baraque, autant que vous en profitiez toutes les deux." J'ai un rictus ironique "Jelenko a pensé que c'était une bonne idée quand j'ai fait mettre des vitres à l'épreuve des balles et qu'Aleska a installé les détecteurs de mouvements" BIM, voilà le nom honni lâché. On va encore dire que je suis excessif mais je ne crois pas.

Je hausse les épaules "On va devoir cohabiter quelques temps, jusqu'à ce qu'on sache plus et qu'on règle l'affaire." Alors, moi non plus ça ne me réjouit pas de vivre avec Aleksandra. Je trouve cette fille futile et inutile, mais parfois j'ai le sentiment que ce n'est qu'un masque. Parfois je surprends un regard d'une froideur glaçante, ou est-ce que je me fais des films ? Je deviens paranoïaque. Bon ok encore plus que mon naturel survivaliste, c'est bon ça, pas la peine de faire la remarque. Il est plus probable que la petite princesse qu'elle était ne sache pas dans quelle famille elle s'embarquait en épousant Jelenko. Elle doit déchanter surtout depuis qu'elle attend un garçon et que mon père se tape toutes les putes du QG. Et en plus Nina attend un garçon. On le sait à présent, la désillusion doit être rude.

Je sens la colère bouillonner des mes veines parce qu'il refuse même de me regarder en face lorsqu'il me répond. J'ai bien compris qu'il était au courant, elle ne serait pas là si ce n'était pas le cas, mais je réalise que le fait qu'il ne m'en ait pas parlé était absolument volontaire de sa part, calculé. Il a très longtemps prétendu, quand on était encore à New-York, qu'il n'était pas comme son père et son oncle, qu'il ne voulait pas être comme eux. Mais sous les airs de grande brute qu'il se donne, Slavenko sait parfaitement manipuler son monde quand ça l'arrange. « Et tu n'as pas jugé utile de me prévenir ?! Cette fille vit toute seule chez nous depuis combien de temps ? » Moi aussi je me sens trahie, presque violée dans mon intimité ! Elle est là, à jouer les parfaites femmes d'intérieur dans cette cuisine que j'ai à peine utilisé depuis notre emménagement. Pour un peu je ne serais pas surprise qu'elle ait pris notre chambre ! Est-il nécessaire de préciser que je ne supporte pas d'être mise dans le même panier que cette femme, sous prétexte que nous sommes toutes les deux enceintes d'un Drazavic au même moment ? Je n'ai rien à voir avec elle. Je sais très bien qu'elle n'est pas aveugle, elle se contente juste de fermer les yeux pour ne pas faire de vagues. Si j'avais le moindre doute au sujet de Slavenko, si la moindre rumeur parvenait à mes oreilles au sujet d'une quelconque infidélité, j'aurais quitté le pays avant même qu'il ait eu le temps d'ouvrir la bouche pour s'expliquer. C'est ça je crois, la différence majeure entre les autres femmes de Tigrovi et moi.

Je n'ai pas le temps de lui répondre, Aleksandra revient avec une tasse de thé que je dois récupérer dans un sourire factice. Je suis déjà agacée, et présentement en train d'analyser toutes les issues parce que je songe à me tailler en douce. Ce qu'il y a de bien, c'est que c'est moi qui ai commandité l'installation des dispositifs de sécurité, je sais exactement comment les désactiver. Je me lève, abandonnant le fauteuil roulant qui m'a rendue folle à la seconde où j'ai vu Slavenko entrer avec dans ma chambre d'hôpital, et je m'apprête à suivre mon mari sur la terrasse quand Aleksandra m'interpelle. « Mon Dieu ça a du être tellement dur de rester à l'hôpital ! Le bébé va bien ? Raconte-moi tout ! »

Je hausse un sourcil au mécontentement de Nina "Toute seule ? Y a six Tigrovi en permanence qui gardent la baraque. Ça fait deux jours qu'elle est ici. Il fallait installer les vitres." Et avec le va-et-vient des ouvriers, hors de question de la laisser au milieu du fourbi. Je ne vois pas où est le problème si ce n'est supporter Aleksandra, mais elle est gentille. Un peu trop sans doute, ce qui la rend légèrement exaspérante parce que je n'oublie pas qu'elle remplace ma mère. Moi aussi elle m'agace. "Elle occupe la chambre d'amis. On a la place" Nina voulait pouvoir recevoir, mais j'me doute bien qu'elle pensait pas à ma famille fusse la famille élargie, la pièce rapportée.

Je pars fumer sur la terrasse, bien content d'échapper à la jeune femme que mon père a épousé. Je trouvais que j'avais visé jeune avec Nina, mais que dire de lui ? Je me demande toujours comment ces deux là on pu se trouver ? Est-ce elle qui a flashé sur lui ou l'inverse ? Est-ce arrangé ? Il y a un mystère autour de cette union. Est-ce juste le désir de mon père d'avoir un nouveau fils, auquel cas pour l'instant c'est un échec !

Ça fait une semaine qu'on patauge dans la semoule avec cette histoire. On a du se débarrasser des trois capturés après en avoir tiré tout ce qu'on pouvait. J'attends des nouvelles de Drisna sous peu et Camenko cherche de son côté. Serait-il content que ce soit Aleksandra qui soit visée ? Je n'en suis pas si sur depuis qu'on sait qu'elle attend une fille. Ça contrarie tellement mon père que mon demi-frère doit être ravi. Au talkie-walkie je fais rapidement le point avec les hommes en poste.  Tout est calme. Pourtant, ça ne me rassure pas. Ne dit-on pas le calme avant la tempête ?

« C'est pas une question de place ! » Je grommelle, avant d'être attrapée au vol par l'intruse. Le problème c'est qu'il ne m'a pas prévenue, qu'il a fait ça dans mon dos, sans me demander mon avis et sans m'en informer. Et je sais pertinemment qu'il l'a fait par pur esprit de vengeance ! J'ai eu beau lui répéter que je ne savais pas qu'Aleska était un Tigrovi, il n'a rien voulu entendre. Quant au fait que j'aurais dû le prévenir, je n'ai jamais trouvé le bon moment pour aborder le sujet, et je n'en voyais pas l'intérêt. Quand je pense qu'il a du se taper toutes les putes du QG et que je dois les croiser à chaque fois que je me pointe là-bas, je le trouve pas gêné de me chier une pendule pour un type avec lequel j'ai couché une fois !

J'ai tout juste le temps de poser mes fesses sur le canapé, suivie de trop près par Aleksandra, que les deux hommes postés sur la terrasse commencent à s'agiter. Je me redresse instinctivement, à l'affût, cherchant de la main une arme fictive puisque je n'en ai pas sur moi. Je n'ai pourtant pas l'impression qu'on soit attaqués, aucune des alarmes ne s'est déclenchée. Je ne comprends pas ce qu'ils disent parce qu'ils parlent trop vite pour moi, mais je perçois le nom de Jelenko et Aleksandra aussi puisqu'elle se lève d'un bond en demandant aux autres ce qu'il se passe.

De la terrasse, j'envoie un sms à Camenko, sur un ton bref et intérieurement plein d'auto-dérision même si ça ne se voit pas à la lecture. Je suis pas un adepte des smileys même si je fais des efforts pour Nina.

Je suis prêt à faire beaucoup de choses pour protéger Nina et notre enfant, même contre son gré. Je suis prêt à lui mentir par omission s'il le faut et aussi à vivre sous le même toi que ma belle-mère. Belle-mère ! Non mais quelle ironie, elle a presque la moitié de mon âge, nom de dieu ! Pourtant, elle porte ma future petite sœur, celle qui jouera avec mon fils. Je ne peux quand même pas la laisser crever. Au talkie, on m'avertir que mon père arrive. "ouvrez le portail." Je prends les devants pour rentrer et traverser le salon. Quand Aleksandra bondit pour m'interroger, je passe devant elle en répliquant sèchement. "mon père est là." Du coin de l’œil, je la vois se tordre les mains avec une grande nervosité, elle est en train de lisser sa robe quand j'arrive à la porte d'entrée pour faire entrer mon père.

Je l'accueille d'une accolade virile et on échange des salutation d'usage. "Salut fils, ta femme est rentrée." "Oui salut papa, on vient juste d'arriver, Aleksandra est avec Nina dans le salon."
Tandis qu'il me précède au salon, je m'assure que le portail et la porte sont fermées, et que les hommes sont à leurs postes - déformation professionnelle.

Quand c'est fait mon père a du saluer les femmes et il est en train de demander à Nina si son petit fils va bien. Je ne peux pas m'empêcher de sourire à cette scène qui fait en un instant de mon père un grand-père. Je le sens concerné par cette naissance, presque plus que pour celle de sa propre fille et l'instant d'après, constatant la pâleur d'Aleksandra, je suis mal à l'aise autant que fier, je l'admets. Je ne suis pas un psychopathe, je ne cesse de le dire à tout le monde, et le fait d'être content que mon père s’intéresse à ma vie, ma famille, me gêne parce qu'il se désintéresse déjà de ma future sœur, comme il l'a fait avec Saskia. Ces derniers temps, me reviennent souvent en mémoire des flash oubliés de mon enfance, au tout début à Sarajevo, quand j'aidais encore ma mère. Tout ça est très perturbant et je n'aime pas être perturbé par des émotions intempestives. Je déteste ça, en plus ça se mêle à l'inquiétude, l'angoisse et le fait que je sois contrarié, voire furieux à cause de Nina et Aleksa. "J'te sers un verre papa ?" M'attendant à une réponse positive, je vais chercher des verres dans la cuisine, et la vodka au congélateur.

La journée ne pouvait pas plus mal se passer. Je suis déjà passablement sur les nerfs, j'ai passé des jours enfermée dans une chambre d'hôpital, et quand j'attendais avec tant d'impatience de rentrer chez moi, il faut que j'y trouve Aleksandra et Jelenko ! Bordel de merde. Je ne me suis pas levée, je devrais de toute façon être allongée et je suis assise sur le canapé, je ne serais pas surprise que Slavenko vienne m'engueuler étant donné que c'est plus ou moins la seule chose qu'il fait en ce moment. Du coin de l'oeil, j'observe les retrouvailles très brèves entre Aleksandra et son mari, qui la regarde à peine. Sa femme devrait accoucher dans un mois environ, et il la traite comme une pestiférée sous prétexte que le sexe de l'enfant n'est pas celui qu'il espérait. La façon dont Jelenko vit la grossesse de sa femme ne le rend que plus détestable à mes yeux.

Il me rejoint dans le salon, suivi de près par Aleksandra qui ne sait soudain plus où se mettre, et tend une main vers mon ventre sans le toucher pour prendre des nouvelles de Tomas. Je reprends mon thé et le sirote tout en expliquant vaguement qu'il faut surtout que je me repose. Cela dit merde, je serais pas contre une vodka. Trop tendue pour encore penser à prendre des pincettes, je demande de but en blanc : « Vous avez du nouveau ? »

Dans la cuisine, je prends mon temps, peu pressé de retourner dans l'arène du salon. J'échange quelques sms avec mon frère et finit par en sourire avant de soupirer tout bas et me décider à revenir au salon avec mes verres et ma bouteille. Je sers les shots, en donne un à mon père et on trinque rapidement. Picolons me bons, ça résoudra nos problèmes, au moins un temps. A la question de Nina, c'est moi qui répond. "Camenko vient de me dire que ça avance les croates. C'est tout ce qu'il a bien voulu me révélé par sms. Je lui fais confiance. Et Drisna cherche de son côté, on devrait avoir des news dans le courant de semaines." Mon père prend la parole à son tour daignant parler anglais, peut-être parce que je l'ai fait avant, en m'adressant à Nina "Les russes n'étaient que des mercenaires. Ils ont débarqué il y a un mois à peine. On essaye de faire le lien avec des arrivées suspectes juste avant ou après."   "Je vais aller titiller gentiment du Saranovic...on sait jamais." Mon père me regarde longuement sur le point de dire quelque chose, puis se ravise et hoche la tête.

Il s'est assis à la gauche de Nina - laissant Aleksandra se poser dans le fauteuil près de lui - et sourit à son ventre, avant de me regarder. "Ton fils est déjà solide en tout cas, en voilà une épreuve pour un p'tit gars qui n'est même pas encore né." A la droite de ma femme, je lève les yeux en un regard confiant , elle a beau être fâchée, je sais qu'elle prends soin de notre enfant et je ne l'en aime que d'autant plus, même quand moi aussi je suis fâché ! Oui, tout va bien se passer.   Je remue, vaguement mal à l'aise et me ressers un verre ainsi qu'à mon père. "Et toi Aleksandra, c'est bientôt le terme, pas trop...nerveuse." Humm pas terrible comme tentative de faire la conversation, la jeune femme pâlit, fait mine de sourire, elle doit penser que je remue le couteau dans la plaie et je bafouille. "Nina a hâte que ça se termine alors..." Alekandra répond, le ton un peu acide "Moi aussi."

Le thé, brûlant, me donne chaud, ce qui n'était pas nécessaire parce qu'il fait déjà une chaleur infernale dans la maison. On aurait dû penser à faire installer la climatisation, je crois que ça n'aurait pas été de trop, mais je sais déjà qu'il est impensable de faire venir quelqu'un d'extérieur au Klan pour l'instant, alors je garde ma remarque pour moi. « Camenko a récupéré les fichiers de l'agence ? J'avais la liste détaillée de tous les invités du gala, de tous les employés mais aussi de toutes les personnes qui ont bossé avec nous de près ou de loin. » Je suis sûre qu'il n'aura pas attendu que je la lui donne pour se la procurer s'il en a eu besoin, mais j'aimerais autant qu'on prétende qu'il essaie au moins de passer par moi avant de fouiller de son côté dans mes affaires.

A la remarque de Jelenko, je baisse les yeux sur mon ventre et pose une main protectrice dessus, une ombre passant dans mon regard. La culpabilité me ronge toujours cruellement depuis la fusillade, et le comportement de Slavenko, ultra-distant depuis quelques jours, ne fait rien pour m'aider à me sentir mieux. Je m'en veux terriblement d'avoir mis mon fils en danger, j'ai la sensation de n'être pas parvenue à le protéger, de le faire déjà souffrir alors qu'il devrait être à l'abri, au chaud dans le creux de mon ventre. Ce que Jelenko énonce avec une fierté déplacée dans la voix m'est seulement un coup de poignard qui souligne mon incapacité à prendre soin de mon bébé.

Je reste muette un instant, un peu pâle, mais face au malaise évident d'Aleksandra j'essaie de relancer la conversation... Comme on attend qu'une femme le fasse, je suppose. « Les préparatifs sont terminés, sa chambre est prête ? »

Je rassure Nina qui semble inquiète de la progression de nos investigations. je peux la comprendre, normalement, elle aurait aider à hacker tous les systèmes de la terre, mais au fond de son lit, à attendre, tout à été confié aux soins de mon frère. Moi j'ai l'habitude d'attendre durant cette période où le Renseignement agit avant que les soldats ne se déploient, ça marche toujours comme ça pour les missions d'importance, rien de nouveau. "Oui, il a tout récupéré, ne t'en fait pas, srce." Le mot doux m'échappe malgré la présence de mon père. Je suis toujours beaucoup moins démonstratif devant lui, il faut dire que lui même est très distant avec sa femme, ça me semblerait incongru de me coller à Nina.

Si je vois bien une ombre sur le visage de Nina, je ne parviens pas du tout à l’interpréter car je ne la mets pas en cause pour le risque encouru par notre fils. La cause est clairement externe, et matérialisée par des russes et des croates sortis de nulle part. Je suis reconnaissant à Nina de s'intéresser à Aleksandra, et celle ci semble se reprendre, ravalant sa détresse. "oui tout est prêt, la chambre et même ma valise pour la clinique." Elle pose sa main sur son ventre dans un geste si semblable à celui de Nina que ça me fait bizarre. Pourquoi mon père n'éprouve-t-il pas la même fierté que moi pour mon enfant à venir. Est-il aussi distant avec ma mère et avec la mère de Camenko ?

Après quelques minutes, mon père prend congé. Je ne l'invite pas à rester pour la nuit, s'il avait voulu le faire, il me l'aurait signifié. Il claque la bise à Nina, avant d'embrasser sa femme sur le front. Celle-ci l'accompagne à la porte et je reste en retrait avec Nina à regarder la silhouette de la trop jeune femme se presser contre mon père. Un instant fugace, je vois la silhouette de ma mère, plus petite. Je soupire et me tourne vers Nina n'osant pas commenté quoique ce soit sur le couple qu'on a sous les yeux, je balance tout autre chose, passant du coq à l'âne. "Je bosse ce soir, meeting politique."

Les Tigrovi se préparent pour un nouveau combat, notre maison a été transformée en véritable bunker, et je dois rester aussi immobile que possible tandis que tout le monde s'active. Le fauteuil roulant dans l'entrée me nargue un peu plus et je suis déjà à deux doigts de péter les plombs. Plus que tout, j'appréhende le verdict des médecins. Je ne sais pas comment je réagirais s'ils m'annonçaient que je dois finalement rester alitée jusqu'au terme, je ne suis pas sûre d'en être capable quand je songe déjà aux moyens de me tirer d'ici sans être vue. La présence des Tigrovi aux quatre coins de la maison ne fait qu'attiser mon esprit de contradiction, mais aussi le besoin que je ressens de me prouver ce que je vaux. Je ne supporte pas de me sentir ainsi diminuée, interdite en plus de tout cambriolage, et j'ai depuis peu l'impression que cette grossesse nous éloigne, Slavenko et moi. C'est en tout cas au moins vrai sur le plan charnel et c'est difficilement supportable. Je n'aimais déjà pas beaucoup être enceinte avant, autant dire que maintenant c'est de la pure torture.

Je suis moi aussi perdue dans la contemplation du couple étrange que forment Jelenko et sa nouvelle femme quand Slavenko balance la bombe qui m'achève. Il me connaît trop bien pour que j'ai l'espoir, même fugace, de masquer l'affolement qui m'envahit aussitôt. Ce soir ? Je viens tout juste d'être autorisée à rentrer et je pensais, naïvement, qu'on pourrait passer la soirée ensemble. Notre première soirée tous les deux depuis trop longtemps. J'étais loin d'imaginer qu'Aleksandra serait de la partie. Je me mords la langue pour ne pas lui demander de se faire remplacer. Il l'aurait peut être fait, dans une autre vie, quand nous étions à New-York et que sa famille n'épiait pas ses moindres faits et gestes, quand il songeait encore qu'un moment volé avec moi était plus important qu'une mission pour le Klan. Je ravale tout, suppliques et reproches mêlés, en hochant la tête. D'accord. Je vais aller m'allonger. Je ne suis de toute façon autorisée à rien d'autre.

A l’hôpital, je me suis arrangé pour venir tous les soirs et dormir près de Nina dans ce fichu lit qui m'a niqué l'épaule à force de me tasser sur le coté. Mais j'ai aussi des obligations de boulot et je ne peux pas toujours remettre au lendemain, surtout quand le planning est imposé. Ce soir les ponts de notre parti se réunissent, alors c'est normal que j'y sois. Je sais bien que Nina aurait préféré que je puisse rester, mais vu qu'elle ne me fait pas de reproches, je crois qu'elle comprend que ce n'est pas possible. "Ok zlato. Je vais faire un truc à manger et je te l'apporterais."

Quand Aleksandra revient, elle a les yeux vaguement rouges. "Nina est partie de se reposer, tu devrais aussi t'allonger, je m'occupe de la cuisine ce midi." "Toi ? Mais non ! Je vais le faire" Je ris de son ébahissement, mais je ne suis pas décidé à lui laisser les commande de la cuisine ce midi. "hé tu crois que je ne sais pas cuisiner ? T'en fait pas, je me lancerais dans rien de compliqué. " Elle insiste encore un peu avant de céder face à mon entêtement tout Drazavic. Après avoir consulté le frigo et les placards, je vais donc faire quelques courses pour acheter quelques ingrédients manquants. Quand je reviens, je m'attelle à préparer le plat simple que j'ai prévu. Ça a le mérite de m'occuper les mains.

Une heure plus tard que Nina soit allée s'allonger, je lui apporte un plateau repas composé d'une salade de légumes cuits, avec une légère sauce vinaigrée, de la semoule, et de la roulade de jambon blanc. Le tout avec un yaourt et un verre de jus d'orange ainsi que de l'eau. J'ai piqué la recette dans le livre de grossesse de Nina, au chapitre que doit manger une femme enceinte. Il faut dire que y a tellement de truc qu'elle peut pas bouffer que ça me rend dingue. En poussant la porte avec les fesses, je souffle pas trop fort au cas où elle dormirait "hey srce moje, tu dors ?"

Je n'ai certainement pas sommeil puisque je passe mon temps allongée depuis plusieurs jours, mais je sais que notre chambre est le seul endroit où je pourrais trouver un semblant d'intimité. Il y a des caméras qui, de l'extérieur, en filment la fenêtre, mais en tirant les rideaux ou en fermant les volets je devrais être tranquille. Je vais encore passer pour une enfant capricieuse, mais tout le monde se doute bien que ce n'est pas du tout comme ça que j'imaginais cette grossesse. J'ai rêvé durant des années de ces quelques mois, j'avais fini par me faire une raison c'est vrai mais quand Slavenko est revenu sur sa décision, je me suis naïvement surprise à penser à autre chose. Ce sont nos derniers mois seuls tous les deux, et j'avais dans l'idée qu'on profiterait de ce temps-là pour se retrouver, pour se rapprocher, pour faire des projets avec l'enfant à naître mais aussi pour prendre du temps rien que pour nous. C'était sans compter sur l'implication de tous les instants que lui demandent les Tigrovi, et sur le fait que notre maison serait prise d'assaut par toute une équipe de surveillance.

A défaut de planifier mon évasion, parce que quoiqu'on en dise je tiens quand même à la survie de mon fils, je fais ce que je semble faire de mieux depuis que je suis enceinte (ceux qui diront que c'était déjà le cas avant devraient se méfier) : je pleure un bon coup. Je renifle en me frottant les yeux quand la porte s'ouvre sur Slavenko, et je me redresse aussitôt dans le lit, secouant la tête. « Non, non. » J'essuie les restes de larmes sur mes joues, en sachant pertinemment qu'il n'est pas aveugle, et j'avise le plateau qu'il apporte, très garni comme toujours. Je tente maladroitement de détourner son attention, notamment en évitant son regard. « Ça tombe bien je mourais de faim. Merci Slavo. Tu ne manges pas, toi ? »

Je m'assieds sur le lit près de Nina en faisant attention de ne pas créer un tsunami de matelas qui renverserait le plateau. Ses yeux humides ne me trompent pas non plus que sa mine chiffonnée. Très sincèrement, je comprends sa contrariété. Je ne supporterais pas de rester allongé comme ça, surtout sans être blessé ou malade. Elle doit simplement attendre et ce n’est pas la tâche la plus sympa du monde. Je baisse les yeux sur son assiette bien remplie. “Je crois que j’en ai fait beaucoup trop pour toi, je t’aiderais, sinon je mangerais un sandwich tout à l’heure, je n’ai pas très faim maintenant.” la vodka m’a sans doute tenu lieu de repas, ainsi qu’une bonne dose de stress et d’énervement. D’habitude, je ne rechigne pas à manger sans faim, mais cette fois, je passe mon tour

Je la laisse commencer à manger avant d’attaquer la conversation délicate qui reste en suspens entre nous, dans cette pièce lourde de non-dits.“Ecoute, je sais que la situation n’est pas idéale mais c’est temporaire. D’ici peu, tu pourras bouger à ta guise srce moje, je suis sur que lundi, la gyneco dira que c’est rentré dans l’ordre.”
Quant à la menace qui pèse, j’ai confiance en mon frère et au pire, on assurera la protection de Nina - ce qu’elle détestera aussi j’en suis certain. Je n’ai malheureusement pas de solution idéale, je ne suis pas magicien. Je retiens un soupir, je prends sur moi pour essayer d’être le plus compréhensif possible, on sait tous que l’empathie c’est pas mon point fort, mais que ne ferais-je pour Nina ! “Est-ce que ça va aller srce ?”

Contrairement à Slavenko, mon appétit est revenu depuis quelques jours, mais j'ai surtout envie de me gaver de sucre. Je sais déjà qu'il désapprouverait, de même que les médecins d'ailleurs, aussi je m'efforce de leur laisser la main sur mon alimentation. Autant que j'en suis capable, en tout cas. J'ai eu le temps de lire à outrance durant mon séjour à la clinique, et j'ai bien compris que l'alimentation était d'une importance capitale dans le développement du bébé. Je ne suis pas sûre que me nourrir exclusivement de glaces lui serait bénéfique. Je demande malgré tout dans une moue boudeuse : « On n'a pas du chocolat dans les placards ? » Je ne me souviens même plus de la dernière fois que j'ai fait les courses, c'est dire.

Pour une fois, je crois que j'aurais préféré qu'il fasse l'autruche comme à son habitude, parce que le simple fait d'en parler me donne de nouveau envie de pleurer. Je repose ma fourchette pour essuyer rapidement mes yeux embués de larmes. Depuis notre dernière grosse dispute, j'ai pris la résolution de toujours opter pour l'honnêteté, du moins autant que possible. Quand je garde mon ressenti pour moi, ça finit toujours par nous exploser violemment à la gueule quelques temps plus tard, j'aimerais éviter cette fois. Alors je secoue la tête. « Je sais pas... Je sais pas. J'ai pas envie d'être ici, je deviens folle à tourner en rond, et même si les médecins disent que je peux marcher qu'est-ce que je vais faire si je ne peux pas sortir d'ici ? J'ai pas envie de vivre avec Aleksandra. On devrait être en train de préparer l'arrivée de ton fils, pas de se préparer pour la guerre ! » Oh je sais bien qu'il n'est en rien responsable, seulement je suis en train de craquer.

“Je suis sur que je peux trouver du chocolat quelque part srce. Ici ou à la supérette !” Si elle en a besoin pour remonter un peu son moral, je ne suis pas non plus un bourreau ! J’irais lui chercher ça mais je suis persuadé qu’en fouinant dans les placards, je devrais bien trouver une tablette survivante.

Il paraît que je dois communiquer et je m’y efforce avec mon mauvais timing et ma maladresse habituelle, éléphant dans un magasin de porcelaine. je grimace à la petite voix défaite de Nina “je sais bien srce, moi aussi je préfèrerais faire la salle de bain du haut plutôt que faire poser des vitres blindées…” Mais nécessité fait loi et les priorités ont radicalement changé. “Pour Aleksandra, ce ne sera que quelques jours, Papa lui fait préparer une résidence secondaire, il avait besoin d‘un peu de temps pour les aménagements. Ici, l’avantage c’est qu’on peut vous surveiller toutes les deux et qu’on est proche du QG, si jamais ils tentent à nouveau quoique ce soit.” le fameux ils dont on aimerait bien qu’il ne soit plus anonyme. “J’ai pas non plus envie que la situation s’éternise.” J’aimerais sincèrement retrouver ma liberté d’action sans me ronger les sangs pour Nina et le bébé.

Je me penche pour enlever mes rangers, dénouant patiemment les lacets pour pouvoir les ôter et mieux m’installer sur le lit, jambes allongées et dos collé à ma tête de lit et ses coussins. J’ai l’après-midi à passer avec Nina avant d’aller au meeting. “est-ce qu’il y a des choses que tu voudrais pour t’occuper ?”

J'étouffe un sanglot dans un hoquet douloureux quand il mentionne la salle de bain du haut, à laquelle je ne pensais même plus ! Je réalise soudain qu'elle ne sera peut-être pas prête pour l'arrivée de notre bébé et ça m'angoisse furieusement. En plus de ça, si les choses ne s'arrangent pas d'ici le mois de décembre, qu'est-ce que ça signifie ? Que notre enfant va faire son entrée dans le monde dans une maison ultra-surveillée, sans avoir droit au moindre repos ? Ce n'est pas quelque chose que je suis prête à envisager, il vaudrait mieux que la menace soit éliminée bien avant l'accouchement parce qu'autrement je risque de réfléchir à nouveau à sa proposition d'aller à NY.

« C'est pas normal que ça prenne si longtemps... » J'ai toujours été habituée à ce que mon mari règle tous nos problèmes en un temps record, avec l'efficacité d'un bulldozer, sans souci pour les éventuels dommages collatéraux. Attendre pour agir ça ne lui ressemble pas et même si je comprends bien que c'est nécessaire, c'est difficile pour moi de me faire à cette idée. « Je pensais qu'on pourrait passer du temps tous les deux... Avant que le bébé arrive. » Et j'espère qu'il comprend que les quelques heures qu'on va passer enfermés ici ne comptent pas, comme celles qu'on a passées à l'hôpital. « On n'est même pas partis en voyage de noces... » Et maintenant, j'ai peur que ce ne soit plus jamais possible. Je ne crois pas qu'on m'autorise à prendre l'avion avant l'accouchement vu les complications actuelles, et une fois que le bébé sera là, je ne sais pas en qui j'aurais suffisamment confiance pour le laisser à garder une semaine. Surtout si petit ! Ça repousse notre prochaine escapade à l'année prochaine, et ça me fend le cœur.

Je suis profondément déprimée, ce qui a tendance à me couper l'appétit comme on le sait, et je repousse mon plateau en l'ayant à peine touché. Le cœur au bord des lèvres, je secoue négativement la tête. « Non, je vois pas ce que je pourrais faire de plus... »

Zut, je crois bien que je ne fais qu'empirer les choses et j’en éprouve une angoisse qui m’oppresse. Je ne suis pas doué pour parler à Nina, ni à une femme enceinte, alors une Nina enceinte, c’est la cata. Je hausse un sourcil, contrarié moi aussi de la situation et des remarques de Nina.  “Ca fait seulement une semaine…” Pour une situation aussi complexe, je ne trouve pas que ça soit long. Si on savait qui sont nos adversaires, ce serait réglé. Le problème est de les identifier et à ce jeu là je ne suis pas le meilleur qui soit. Sarajevo ce n’est pas le bronx, ici il y a tellement de mafia qui s’entremêlent que c’est difficile de démêler les fils.

Quand Nina me dit passer du temps tous les deux, je suis à peu près sur de mal comprendre sa phrase. Parce que présentement, je suis allongé à côté d’elle. Donc, si ce n’est pas passer du temps ensemble, je ne sais pas ce que c’est ! Oh oui, je sais, elle m’a déjà fait la leçon là dessus, les voyages, nos weekend, nos bulles à nous deux. Malheureusement tout est compromis par la situation, aussi bien la menace que le risque de perdre le bébé. Je ne pense pas y être pour grand chose et surtout, je n’ai pas de solution miracle. je ne peux que lui assurer, espérant   “Je sais, ce sera pour plus tard le voyage de noces, zlato”  

Comme elle cesse de manger, je la gronde un peu “essaye au moins de manger un peu moj andjeo, j’irais te chercher du chocolat après, et même de la glace au chocolat si ça te fait plaisir ?”

Je crois que comme souvent, ce qui'm agace c'est de constater que ce qui me peine ne semble pas le déranger. Je ne parle pas nécessairement de prendre l'avion pour aller au bout du monde. Je parle seulement de temps pour nous, d'instants hors du quotidien qui trop souvent nous happe et ne nous permet pas autre chose que de partager un repas entre deux missions. Il y a désormais bien trop de monde chez nous pour que ce soit possible. Pour le voyage de noces, en revanche, je suis bien plus triste encore parce que je suis certaine qu'il va tout simplement l'oublier ! Tomas va arriver, et on sera trop occupés par le bébé pour y penser encore. On ne partira jamais en voyage de noces, on ne fêtera jamais nos anniversaires de mariage, quant aux mensuversaires qu'on pouvait fêter avant, je n'en parle même pas ! J'ai l'impression que ma vie m'échappe, notre mariage encore plus, et je me sens impuissante à rattraper la situation. Je fronce les sourcils, et je cherche gravement son regard. « Promets-le moi, Slavenko. » Je ne sais pas ce que valent encore ses promesses mais je suis désespérée au point de tenter le coup.

Je soupire, avise de nouveau le repas d'un œil peu avenant. Il s'est pourtant donné du mal pour me préparer à manger, alors je tente une diversion. « J'ai besoin d'un câlin là, tout de suite, je mangerais après, c'est promis. » Je sais pertinemment pourquoi il est si peu tactile, lui qui d'ordinaire est ultra-collant. Il est en mode militaire depuis la fusillade, et la maison grouille de Tigrovi, d'autant que son père vient de passer ! Autant dire que je ne suis pas prête de retrouver mon mari.

Moi je me dis que la situation pourrait être pire. Elle aurait pu être blessée - je n'ose pensé à pire - ou perdre le bébé. Je sais qu'on avance sur l'enquête, et que Nina est en sécurité autant que possible. Nous sommes mariés, avec une maison et chacun un boulot respectif qui nous plait. Objectivement, je crois que ça pourrait être plus catastrophique que d'avoir repoussé un voyage de noces. Mais Nina n'a jamais la même vision des choses que moi. Sa phrase me touche parce qu'elle témoigne de son manque de confiance en moi. Je ravale l'amertume qui découle de ce constat pour lui assurer docilement "Bien sur, srce, je te le promets."

"Un câlin ? Ok..." Je prends le plateau pour le mettre sur la table de chevet, de façon à ne pas renverser son jus de fruit, et je me câle contre les coussins en ouvrant les bras pour l'inviter à y prendre place. "Viens là mon ange." Je la ramène contre mon torse, la pressant délicatement. J'embrasse ses cheveux, son front, relève son menton pour trouver sa bouche que je bécote doucement. "Je sais que c'est pas marrant Nina, mais ça va s'arranger. C'est une question de patience. Tu le sais bien. " Je crois comprendre qu'elle m'en veut d'être libre de mes mouvements quand elle est prisonnière et à ça non plus je n'ai pas de solution.

Il accepte ma requête comme on accède au caprice d'une femme enceinte, mais je n'ai pas attendu de l'être pour réclamer son contact. On a toujours été très tactiles l'un avec l'autre, au point que c'en était maladif parfois, et je ne suis pas encore remise de cette addiction. Je ne suis pas certaine de vouloir en sortir, pour être tout à fait honnête. J'attends qu'il s'installe pour venir me blottir contre lui, échappant un long soupir quand ses bras se referment autour de moi. Slavenko n'est pas doué pour communiquer, il m'a toujours bien mieux rassurée avec des gestes qu'avec des mots. Je laisse ma bouche fondre contre la sienne, nos souffles se mêler jusqu'à ce que ma rancœur disparaisse tout à fait. « Je sais, oui... Mais ça ne rend pas les choses plus faciles pour autant... » Peut-être le serait-ce si j'avais une deadline, mais pour l'instant ce n'est pas le cas. Mon avenir et ma liberté reposent sur des inconnues. Je ne sais pas quand est-ce que les personnes qui nous en veulent seront mises hors d'état de nuire, et je ne sais pas non plus quand est-ce que la menace d'accouchement prématuré ou de fausse-couche sera écartée. Le pire étant que les deux ne sont pas liés, et résoudre l'un ne résoudra pas nécessairement l'autre.

Je me laisse aller un peu plus contre son corps, et ma main qui n'est pas coincée entre nous se glisse sous son tee-shirt, en quête du contact de sa peau. Je soupire de le sentir frémir, pose mon front contre le sien en fermant les yeux. « Tu me manques... » Et non, je ne parle pas de sa présence ou de partir en week-end avec lui, pas cette fois. Mais comme j'ai compris qu'il ne savait pas lire entre les lignes, j'ajoute un ton plus bas, comme si je craignais d'être entendue : « J'ai envie de toi. »

Son aveu bas m'électrise, hérissant mes poils en chair de poule. Pourtant je ne bouge pas, laissant passer plusieurs secondes pour que mon cœur sert de battre aussi sourdement. Ça fait une semaine que j'évite de penser au sexe - sans rire- et je parviens très bien à bloquer ma libido quand il faut. Et là je crois qu'il faut. J'ai trop de crainte envers le bébé et le risque de le perdre pour ne pas que la raison me bride. Nina m’apparaît de jour en jour comme un écrin précieux et inviolable contenant une chose si fragile que le moindre choc pourrait briser. "Srce...ja volim te...Tu me manques aussi, mais je ne pense pas que ce soit très conseillé, humm ? " J'ai toujours eu l'amour plutôt brutal, surtout quand je suis en manque, j'aurais trop peur de vrillé pour risquer le coup.

Je soupire, revenant à la conversation initiale. "Je ne sais pas quoi faire pour que ce soit plus facile pour toi Nina. J'ai besoin de te savoir en sécurité pour pouvoir mener cette enquête. Est-ce que tu veux que je demande à Camenko de te contacter ? Tes talents en hacking seront surement utile." Et on voit le GROS effort que je fais en prenant le risque qu'elle travaille avec Aleska si jamais elle doit aider Cam. De toute façon, je tuerais ce Tigrovi plus tard. Je me débrouillerais pour qu'on ne me soupçonne pas (trop).

Je ne lui ai pas dit que la gynéco m'avait formellement interdit tout rapport sexuel jusqu'à résorption de l'hématome. Ils ne seront de nouveau autorisés que lorsque je pourrais marcher, une fois que l'alitement ne sera plus nécessaire. Je sais déjà que je n'enfreindrais pas cette règle, je ne supporterais pas de mettre le bébé en danger sous prétexte que je n'ai pas su étouffer mes envies. Mais ça ne change rien au fait que j'ai besoin de le dire, j'ai besoin qu'il le sache pour qu'on partage le même tourment. « Non, je sais... »

Un soupir me monte dans la gorge et je bloque ma respiration quelques secondes, enfouissant mon visage dans le creux de son cou. Mon esprit est déjà trop embrumé de pensées bien peu chastes quand il fait cette proposition que j'attendais pourtant. Je ferais n'importe quoi pour me rendre utile, pour ne pas être seulement la demoiselle en détresse qu'il faut sauver. « J'aimerais bien... Je suis sûre que je peux aider. » Mais déjà ma bouche dérive, du nez je repousse le col de son tee-shirt pour glisser mes lèvres un peu plus bas sur sa peau. J'ai toujours pris énormément de plaisir à lui en donner, et je ne vois pas pourquoi ma privation devrait être la sienne. Je suis privée de plaisir jusqu'à nouvel ordre, mais lui ne risque rien. Ma main s'est déplacée, glissant de son torse vers le bas de son ventre, jusqu'à son entrejambe que j'empaume fermement. Je l'appelle tout bas, d'une voix déjà plus rauque : « Moja duša... »

Elle n'a pas besoin de me le dire, je ne suis pas con au point de ne pas comprendre que le sexe est interdit, et même si c'était juste déconseillé, je ne prendrais pas non plus le risque. Je suis prudent à l'excès concernant cette grossesse. Si je cédais à mes pulsions et qu'o perdait le bébé, je ne me pardonnerais pas et Nina non plus ne me le pardonnerait pas !

"Je lui en parlerais, ok? Toute aide est bienvenue, et tu sais que j'ai confiance en toi moj andjeo" C'est la plus douée des hackeuses, j'en suis persuadé. Je bloque ma respiration quand la bouche de Nina se perd sur ma gorge. Un frisson parcourt mon échine quand sa main glisse plus bas. Elle se pose sur moi et j'étouffe un grognement. Je récupère sa main de la mienne "Non, srce..." Il est évident que mon traître de corps a réagi au quart de tour, mais ça m'agace et me perturbe et je n'ai pas envie de sexe pour le sexe. "Je t'assure que c'est pas la peine zlato, on attendra qu'on puisse faire ça tous les deux, je préfère. Molim te." Je ne sais pas si elle comprend ce que je veux dire.