Had to lose my way to know which road to take - Yuna

12 Juin 2019

Y’a cette fatigue persistante qui ne me quitte plus et j’ai la tête dans un étau chaque seconde passée à réfléchir pourquoi je devrais être aussi asthénié. Je n’ai trouvé aucune réponse de moi-même bien qu’internet ait été une grande source de conneries lues sur les cancers les plus répandus et les maladies sexuellement transmissibles qui me foutent les jetons. Je crois être en bonne santé, j’ai toujours mis des préservatifs -ou presque- et j’ai jamais utilisé la même aiguille que n’importe qui à l’époque où je me piquais encore. Alors, en regardant mes mains et les petits points blancs nacrés sur ma peau causés par les injections et repensant aux articles sur le VIH lus plus tôt sur mon smartphone, j’ai finis par prendre un rendez-vous auprès d’un médecin à l’hôpital à qui j’ai dû expliquer tout mon passif ainsi que mon mode de vie plus ou moins sain. Je peux compter sur les doigts de la main le nombre de fois où je me suis pointé chez le toubib avec une demande bien particulière et j’avoue que cette fois-ci me fait bien plus flipper que les autre.


J’ai vaguement expliqué à Nina pourquoi j’avais été consulter et elle a bien évidemment accepté de m’accompagner pour récupérer les résultats tant attendus de la prise de sang faite quelques jours plus tôt. Nous nous sommes rejoint à l’hôpital quelques minutes avant l’heure fatidique et nous attendons, assis l’un à côté de l’autre, alors que l’une de mes jambes tressaute sans cesse à force de stresser pour ces putains de résultats. Fermé, la tension qui stagne en moi est vraiment palpable et d'ailleurs, Nina peut certainement se rendre compte de l'état dans lequel je suis.

Je déteste les hôpitaux, leurs murs blancs et froids, puis les odeurs d’éther et l’air trop aseptisée qui me ramène à des souvenirs douloureux. Pourtant, je sais bien que cette fois il est nécessaire que je sois ici parce que j’ai le pressentiment glauque qu’un truc cloche chez moi et que je pourrais pas m’en sortir seul sans l’aide d’un professionnel.

Jusqu’à ce que je rentre dans le bureau et que le médecin m’annonce que je souffre d’une hépatite C chronique, je ne pensais pas du tout à ce genre de problème. Je m’attendais à une MST, peut-être même deux, mais ça, jamais je ne l’aurais imaginé de moi-même. D’ailleurs, en ressortant du bureau, je suis complètement paumé, autant que Nina semble l’être. De toute façon, qu’est-ce que tu veux savoir d’autre ? Je crois que la “C” est moins grave que les autres, alors t’en fais pas Nina. Puis t’as entendu, 20% de cirrhose, c’est pas grand chose, je vais prendre les cachetons qu’ils me disent de prendre et ça va aller. La biopsie est dans huit jours, on verra bien à ce moment-là mais t’inquiète pas, si j’avais quelque chose de grave, j’le sentirais. Je me sens juste fatigué, rien de plus. J’essaie d’être rassurant pour Nina qui me communique involontairement son état de stress et on se dirige vers la sortie. Une fois dehors, je m’arrête et sors mon paquet de cigarette de la poche interne de ma veste, tends machinalement ce dernier à la brune en me rétractant aussitôt, repensant à l’être qui est en train de pousser en elle. Ah non, merde. Je finis par allumer la cancéreuse, inhalant sa fumée salvatrice avec une rapidité sans pareille, un regard pensif sur le parking qui gît devant nous. T’sais Nina, faut bien mourir de quelque chose et si j’crève d’un cancer je l’aurais cherché toute ma vie. Mais t’inquiète pas, ça se déclare pas comme ça et puis si j’ai bien compris, y’a plusieurs étape avant d’y arriver et j’crois que j’ai bien fait de consulter, ça a été pris à temps à mon avis. Je parle comme si j’y connaissais quelque chose alors que je ne sais même pas réellement si le foie se situe à gauche ou à droite, je fronce les sourcils en crachant la fumée de ma cigarette expéditivement. Allez, viens. Ma cigarette à moitié consumée se retrouve un peu trop tôt dans le cendrier mais le goût du tabac qui tapisse mon palais me refroidit brusquement quand je pense au mot cancer et j’emboîte le pas de Nina pour retourner à la voiture. Installé côté passager je me mets à regarder par la vitre, pensif, le front plissé d’inquiétude que j’essaie néanmoins de dissimuler. Faut qu’on s’arrête à la pharmacie. Que j’ajoute presque las de la situation de merde dans laquelle je me retrouve.

Je soupire longuement quand Nina s’entête, me demandant si je me suis renseigné. Quand tu te piques tu connais forcément quelques conséquences Nina. Alors oui, j’en sais quelques trucs. J’suis p’t’être con, mais ça je le sais. Je ne suis pas Einstein, c’est sûr, mais mon passif m’a fait apprendre quelques trucs de ce genre-là et dans le milieu dans lequel j’ai évolué, j’ai souvent vu des gars malades par la drogue, les injections et tout ce qui allait avec. Non, je sais pas en quoi ça consiste. Mais au pire, ils me le diront bien assez tôt. Tu crois pas ? Je préfère ne pas y penser pour le moment puisque j’ai entendu ce nom là seulement quand on parlait de cancer et cette idée me fout les boules.


L’air frais me fait du bien, remet en ordre quelque peu mes idées dérangées et quand je “finis” ma clope, on se met en chemin pour la voiture. De toute manière, je sais que je vivrais pas vieux et puis j’ai pas envie d’être vieux d’ailleurs. Si c’est pour être assisté, se faire dessus et devoir avoir quelqu’un pour s’occuper de toi, vaut mieux mourir. Nan mais Nina, je dis pas que je vais crever de ça mais même quand y’a que 1% de risque, je préfère y réfléchir, au moins, t’es un peu moins choqué quand on te l’annonce. Tu comprends ? Je m’assis à ses côtés, pensif, silencieux, puis tourne la tête juste au moment où elle me promet que ça ira. Je sais que ça va aller. Puis, je sais que tu seras avec moi, donc ça me fait un peu moins peur. Je relativise, Nina moins, mais je sais que ce sont ses hormones qui la mettent dans cet état et que si ça avait été en temps normal, peut-être qu’elle aurait sous-réagi contrairement à aujourd’hui. La fille qui m’a recousu, elle est interne en chirurgie, je suis censé la revoir dans pas longtemps alors je lui demanderais pour tout ça… C’est certain qu’Elsie en connaît un rayon sur tout ce genre de maladie et si je dois m’inquiéter, je le ferais quand elle m’aura expliqué en détail en quoi consiste la biopsie, les traitements et tout ce qui va avec, puis jaugerais en fonction de ses explications.

Je vois bien que Nina est légèrement vexée. Je le remarque à son expression et au fait qu’elle ne me réponde pas. Je sais qu’elle a longtemps souffert de la drogue elle aussi mais je dois bien admettre que j’ai peut-être été un peu trop incisif juste avant. Je soupire. Tu le serais quand même Nina, dis pas n’importe quoi. On vit pas pour se dire qu’on va mourir, c’est comme ça. Je ne suis ni philosophe ni psychologue mais pour ça, je suis sûr de moi.

On entre dans la voiture, tous les deux blasés et ça se ressent réellement à l’ambiance qui règne dans l’habitacle. Je te dis juste ce que je pense Nina. Je n’ose pas parler plus, l’impression que si je continue, je risque vraiment d’exploser. La fatigue me met dans un état inhabituel, particulièrement irritable. Nan, ça va, j’ai pas faim là. Je regarde la fenêtre sans cesse, les mâchoires serrées et rumine tout ce que le médecin a dit. J’adore Nina mais à son expression et sa manière de parler, je ne retrouve pas vraiment le soutien que j’attendais d’elle. Je capitule quand même, trop attaché à notre relation pour m’embrouiller avec la brune. Désolé… Je t’ai même pas demandé si toi ça allait… -Je soupire encore- Et puis si t’as faim, on peut quand même aller manger. Elle mange pour deux maintenant et l’espace d’un instant, j’avais oublié ce détail. Je me mets à la regarder et regrette immédiatement mon comportement. Ca… Ca se passe bien, la grossesse ? Je suis loin d’être très attentionné envers Nina mais je m’inquiète quand même pour elle, n’oubliant pas qu’elle est sûrement la femme la plus précieuse dans ma vie, avec Maggie.

Le désespoir m’a longtemps assaillie de coups et je me suis longtemps laissé abattre par ce qu’il me semblait à l’époque si tragique. Néanmoins, contrairement à Nina, je n’ai jamais voulu mettre fin à mes jours, bien qu’ils aient été très souvent difficiles à vivre et qu’ils me faisaient souffrir, j’ai toujours eu le rebond nécessaire pour éviter de me laisser sombrer. Malgré ma personnalité quelque peu renfrognée, difficile à vivre et toujours d’apparence de mauvaise humeur, je garde en moi un positivisme qui me permet, entre autre, de garder la tête hors de l’eau et ce, une grande partie aussi pour Nina.

Je grimace à l’annonce de la brune, moralisateur, je réponds: Eh, va pas falloir que tu te laisses crever de faim Ninette. On repassera pour le surnom mais je sais pertinemment qu’une femme enceinte doit ingurgiter deux fois plus de nourriture et bien que Nina soit enceinte, je ne vois pas le moindre gramme en plus sur son corps frêle; c’est la vie de son enfant qui est en jeu et je ne voudrais pas ramasser à la petite cuillère une Nina venant de perdre son bébé par mauvais soin. Un soupir léger passe mes lèvres. Ca ne se passe pas mal n’est pas une réponse qui me convient mais je ne dis rien volontairement, je m’efforcerais d’être un peu plus présent pour elle, pour la surveiller et tout ce qui va avec, tant pis.

Je tourne le visage vers la jeune femme quand vient l’idée de la piscine et ça doit faire des mois que je n’ai pas barboté dans l’eau, je dirais même plus d’un an. Je ne suis pas un grand fan des piscines municipales, je préfère de loin me baigner dans une eau alguée à la propreté douteuse mais maintenant, ici, à Sarajevo, je ne sais même pas si un lac existe. Ouais carrément, mais j’ai pas de maillot, ça fait rien ? Me baigner en boxer ne me dérange pas, ceci dit.

On arrive rapidement chez elle et quand on passe la porte d’entrée, je suis de nouveau surpris de la beauté de leur maison, presque même jaloux de la grandeur des lieux mais je suis heureux pour Nina, elle le mérite et je crois qu’il n’y a que son bonheur qui m’importe désormais. Ca y’est, tu t’es habituée maintenant ? Tu te plais ici ? On se voit un peu moins souvent comme elle n’habite plus en centre-ville mais on garde toujours le contact et j’essaie de garder les liens qui nous unissent. Vous avez déjà fait quelque chose pour la chambre du bébé ? Que je demande, curieux. Je dois être aussi excité que le père de voir naître le fruit de leur progéniture, sans déconner. Même si ça sera un ou une Drazavic, je n’en reste pas moins le “tonton” et cette idée, qui m’aurait rebuté avant, me plaît étrangement, maintenant.

J’ai un soupir aux mots de Nina. Ouais j’imagine, laisse moi m’inquiéter un peu pour toi quand même. Le contraire me ferais vraiment chier, me laisserait de côté et remettrait en cause mon utilité. Je ne dirais pas que je ne vie que pour Nina mais c’en est presque le cas et je crois que je serais ébranlé de voir quelque chose clocher chez elle sans pouvoir intervenir un minimum. C’est la raison pour laquelle je suis si proche de Nina même quand on ne se voit pas tous les jours.

Ouais, ok. En boxer, ça m’va. Ca sera loin d’être la première fois qu’elle me voit en sous-vêtements, de toute façon. J’observe leur maison, jalousement quelque part mais cache ce sentiment bien profondément en moi afin que Nina n’en perçoive rien. J’pense qu’il faut un peu de temps mais franchement, t’auras pas vraiment de mal à t’y faire. J’ai un léger sourire quand je regarde par la baie vitrée et que je vois cette piscine qui me fait de l’oeil, alors qu’il fait très chaud. Comment ne pas se faire à ça ? Ouais c’est sûr que vous avez le temps maintenant. Et au fait, vous en êtes où justement pour le mariage ? Ce mot-là m’écorche vraiment la bouche, ça me fait mal d’admettre que ça me fait littéralement chier de voir Nina se remarier avec ce type. Une fois passe encore, mais deux… Je soupire intérieurement et sans signal de la part de Nina qui commence à ouvrir la porte qui mène à la piscine, je me déshabille pour me mettre en boxer, sans pudeur, comme d’habitude. Va te mettre en maillot, je t’attends dans l’eau. Je me permets de m’avancer dehors et d’entrer dans la piscine en attendant que Nina revienne.

Je me souviens des moments passés ensemble à New-York, ceux qui nous laissaient seuls pour nous deux et les instants difficiles partagés entre elle et moi. C’était parfois très dur de voir Nina souffrir mais c’était infiniment satisfaisant de la voir sourire quand j’avais appris à apprivoiser ses émotions. On a fini par se soutenir l’un l’autre d’une manière complètement charnelle et j’avais l’impression de donner à la brune tout ce qu’elle n’avait pas eu durant des années, j’en étais fier. Malheureusement, j’ai toujours gardé en tête que ce ne serait pas éternel et j’avais raison de ne pas me faire trop d’illusion puisque quelques semaines plus tard, Nina m’annonçait qu’elle partait pour Sarajevo. Une partie de moi s’est effondrée et je ne lui ais jamais montré, je n’ai jamais fait transparaître la douleur que ça a été de la perdre à nouveau. J’ai eu du mal à admettre qu’elle serait plus heureuse comme ça mais je me rends compte que moi, j’aurais jamais pu lui apporter ce que le slave lui apporte et que c’est finalement mieux comme ça. Je me contente d’être heureux pour elle même si mon instinct me crie que c’est absurde.

L’organisatrice ? Je fronce les sourcils parce que je ne comprends pas bien pourquoi Nina s’éloigne tant de son mariage ou en tout cas, elle en a l’air de s’en éloigner par la manière qu’elle a de parler et justement, de ne pas en parler. Traditionnel ? Donc vous vous remariez à l’église ? Attends, il est quoi lui déjà ? Je ne me suis jamais intéressé à ça, la religion est loin d’être un sujet qui m’intéresse et même si notre grand-mère est très pieuse, ce n’est pas du tout mon cas. D’ailleurs, si y’avait un Dieu qui existait, je crois pas que j’aurais eu une vie aussi merdique !

On se retrouve près de la piscine, au bord de laquelle je me suis déjà assis. Bah… Pas grand chose. La routine. Ca fait un moment que j’ai pas vu Maggy, puis je connais personne ici à part toi et quelques types qui habitent dans le même immeuble que moi. Je passe la plupart de mon temps à traîner, essayer de m’habituer à ici même si ça fait six mois que je suis là et… Ah, je bois des coups avec les filles aussi des fois. -Je souris légèrement à Nina- Entre tout ça, j’essaie de pas replonger, c’est difficile. A New-York j’avais tout un tas de trucs pour me distraire, je connaissais du monde et j’pouvais plus ou moins penser à autre chose. Ici, je suis la plupart du temps seul et c’est là que ça revient des fois… J’ai envie de lui dire qu’elle me manque même si elle est tout près de moi mais je me ravise en ravalant ma salive et en me disant que de toute façon, elle ne pourrait pas y faire grand chose. J’ai baissé la tête et je regarde l’eau onduler contre mes jambes déjà immergées.

La manière dont Nina me répond est assez étrange et je me demande si elle est réellement heureuse de se remarier dans ces conditions qui ont l’air de la brider plus qu’autre chose. Je ne pose pas plus de question, me permet seulement d’hocher la tête de bas en haut en signe de compréhension. Je crois bien connaître Nina maintenant et je sais à quel point elle s’écrase pour le serbe et cette idée me déplaît vraiment. Si Nina fait énormément de concessions, pas sûr que ce soit le cas de Slavenko et même si je n’y connais rien aux couples, je crois que quand ça marche comme ça, y’a un gros déséquilibre qui ne peut pas faire fonctionner la relation.

Je ne dis pas que je suis complètement seul parce que ça serait mentir. Y’a toujours quelques personnes qui sont prêtes à sortir avec moi mais je n’arrive décemment pas à m’intégrer ici, peut-être aussi parce que la plupart du temps les gens ne parlent pas bien l’anglais. Si, je m’entends bien avec les mecs de l’agence, les filles aussi d’ailleurs mais c’est différent, c’est le boulot tu vois. Ouais, je pensais aussi m’inscrire à une salle de sport, peut-être faire de la boxe, ça me détendrait aussi. Tu connais une bonne salle ? Le problème réside aussi peut-être dans le fait que je me méfie souvent des gens et que pour accorder ma confiance, il m’en faut beaucoup. On en vient à parler de l’addiction qu’on avait tous les deux et j’ai comme un goût amer au fond de la gorge quand j’en parle, c’est toujours difficile. Ouais, c’est exactement ça… Quand t’es repartie l’année dernière, j’ai rechuté. J’ai passé des semaines à me shooter, j’étais un vrai déchet. Puis pour une fois, j’ai décidé de pas me laisser abattre, j’ai vu un médecin et une psy, je me suis laissé faire, tu sais qu’avec moi c’était pas gagné. Au départ, c’était prévu que j’aille en cure mais vu comme la première s’était passée, la psy a préféré me laisser libre et bizarrement, j’avais encore plus de pression que si j’avais été enfermé. Cette femme a été géniale. Je regarde l’eau qui brille et qui ondule devant moi, l’air dur et froid. Ca a été rapide avant que je ne décide de partir des Etats-Unis et c’est aussi grâce à cette psy que je me suis lancé à venir à Sarajevo, sincèrement convaincue que changer de décor ne pourrait que me faire du bien. Elle avait raison. Nina ne le sait pas parce qu’on n’avait plus beaucoup de contact quand elle est partie de NY, j’avais pas le cœur à lui parler à ce moment-là, c’était très dur. Je prends plus que des zolpidem et du valium quand ça va pas. Je conclus. Tu voudrais sortir où ? On devrait se faire un bon restaurant, t’en dis quoi ?

La perspective de faire de la boxe m’ayant traversé l’esprit, j’ai l’impression maintenant qu’elle en est devenu un besoin vital et honnêtement, même si je sais donner des coups, je ne suis pas sûr de parvenir à boxer correctement mais ce défouloir sera certainement bien plus bénéfique que je ne le pense. «Ouais, c’est sûr que tu pourras pas t’y mettre maintenant mais on pourra y aller ensemble, ensuite.» Mon regard tombe automatiquement sur le ventre de la brune, ondulant sous les litres d’eau de la piscine mais visible en transparence et intérieurement, je me demande comment ça risque d’être quand son bébé sera sorti de son étuve. Est-ce qu’on sera toujours aussi proche et est-ce que Slavenko n’interfèrera pas justement trop entre nous ? J’ai un soupir inaudible à ce questionnement et je m’enfonce ensuite dans l’eau pour pouvoir me rafraîchir efficacement.

«Je sais que j’aurais pu t’appeler mais j’avais pas envie de t’emmerder avec ça et puis t’avais d’autres choses à faire. Bref. Je m’en suis sorti tout seul et c’est pas plus mal, j’avais pas envie d’être un poids supplémentaire pour toi.» J’ai toujours cherché à préserver Nina. Du slave, du monde, de tout. J’ai failli, parfois, mais j’ai toujours eu cette inquiétude là pour elle et il m’est arrivé, quelques fois, d’éviter de me plaindre pour ne pas qu’elle ait ça de plus à subir.

«Ca fait sans exagérer au moins dix ans que je suis pas allé au cinéma. On aura qu’à regarder ce qu’il y a en ce moment.» Je lui souris légèrement tout en me calant contre une des parois de la piscine et ça me fait un bien fou de me laisser porter quelque peu par l’eau chlorée. Ca aussi, ça faisait des années que je n’avais pas fait. «Le bowling je t’aurais dit oui si j’étais doué mais franchement, c’est pas du tout mon truc. Puis toi, t’es pas censé porter des choses lourdes.»

Il y a un an, on était tous les deux paumés à NY, ne sachant pas quoi faire de notre vie. Nina avait perdu Slavenko, j’avais perdu Eden et il n’y avait que lorsqu’on était ensemble qu’on retrouvait nos enveloppes corporelles telles qu’elles étaient avant de se retrouver seuls. On était réciproquement nos repères et je regrette ce temps-là, quand on allait vers notre ascension, vers la guérison des blessures qui suintaient encore la tristesse. Nina est toujours mon repère mais je ne suis plus le sien et c’en est immuablement douloureux.

Ouais, c’est sûr qu’avec ma grande sociabilité je vais me faire plein de potes. J’ironise mais c’est à peu près vrai, je ne suis pas sociable pour un sou, à part si quelqu’un vient me parler, peut-être alors qu’il y a une chance pour qu’on fasse connaissance mais en règle générale je me mets dans mon coin et fait ce que j’ai à faire sans regarder personne. Un rire s’échappe de ma bouche. De l’aquagym ? Le truc des vieilles ménagères… J’plaisante, mais ouais c’est cool que vous ayez une piscine, franchement, elle est sympa. Le genre de truc que je ne pourrais jamais me payer et d’ailleurs, je me demande si c’est le come with me qui rapporte autant ou si c’est le boulot de son mec. Qu’est ce qu’il fait déjà ? Couillon à plein temps je crois...

Nan Nina, je sais que je t’aurais pas emmerdé plus que ça mais pour une fois dans ma vie fallait que je me débrouille tout seul. J’ai toujours eu besoin de quelqu’un pour m’aider, pour me conseiller et c’est bon, j’ai quasiment trente piges, faut que je me prenne en main moi-même maintenant. C’est la vision que j’ai des choses. J’ai arrêté d’être un adolescent et un jeune adulte bête comme un manche.

Merde ! Tu sais, des fois j’oublie qu’on est en Bosnie… Je pensais même plus à ça. Bof, ça doit être comme partout, ils doivent bien passer des films en VO des fois, nan ? Je suis pas sûr d’avoir envie de regarder un dessin-animé... Je ris un peu en fronçant les sourcils. Ouais, y’a même souvent des trucs pour diriger la boule… M’enfin je suis pas sûr que ce soit hyper drôle pour toi, pour le coup ! Un restau et un film ça sera déjà pas mal.

Quand je me remémore les circonstances dans lesquelles j’ai rencontré Nina il y a maintenant quelques années (d’ailleurs je ne saurais plus dire quand est-ce que c’était exactement), je me rappelle surtout de nos situations respectives et je suis bien content que cette époque soit révolue. C’était la drogue qui nous liait à ce moment-là, notre point commun le plus évident et je ne suis pas sûr d’être très fier de ce dernier fait. C’est vrai ça, j’me demande comment on a pu s’entendre vu ton caractère. Je la taquine encore un peu parce que ça me fait rire et j’ai l’impression que ça l’amuse aussi. Putain c’est vrai ça, tu vas devenir grosse… Ca va faire vraiment bizarre. J’ai toujours eu l’habitude de voir Nina d’une maigreur sans pareille et je me demande si être enceinte lui ira bien.

Je sais Nina mais c’était une manière d’évoluer, tu vois ? Comme quand tu commences à aller à la boulangerie tout seul quand t’es petit. Tu comprends ce que je veux dire ? J’avais besoin de ça pour en finir complètement et aidé par la psy, je m’en suis finalement sorti, c’était le principal.

Je fais quelques brasses dans la piscine et finis par plonger la tête la première, longer toute la profondeur du bassin et remonter d’un coup en passant mes mains contre mon visage et rejetant mes cheveux négligés en arrière. Vous partez en vacances cet été ?