La Mort est de votre côté, profitez-en un max ! [Legyatt]

Les jours ont défilé, devenant des semaines puis quelques mois. La rentrée à l’université s’est faite mais étonnamment, Clint semble s’en détacher. Oh il donne toujours ses cours, mais il devient plus impatient de faire les TD, de jouer aux petits chimistes dans un coin que de s’occuper de grands ados bébêtes qui mettent dangereusement sa patience à rude épreuve.

Sa patience, d’ailleurs, semble être désormais réduite à peau de chagrin. Au début, il s’est dit que c’est à cause du médecin, des examens. C’est fatiguant. Et puis finalement, il trouve que ses nerfs sont surtout à fleur de peau. Quand il n’a plus envie de faire quelque chose, alors qu’avant il patientait gentiment, maintenant il se tire.

Bon, ça complique le suivi médical. Les examens poussés ont montré le traumatisme crânien ne pouvait pas être la cause de sa perte de mémoire. Apparemment, c’est pas localisé dans la même zone. Du coup, il voit un… un… Putain, le nom ne veut pas sortir parce qu’il vit ça comme une honte.

Alors qu’il n’est pas du genre à se confier, il doit parler à un parfait inconnu. D’un passé qu’il ignore. C’est totalement affreux.
Ses relations avec Julia changent sensiblement aussi. Il a l’impression surtout d’être un menteur et une espèce de fraude ambulante. Il ne lui ment pas mais ne parvient absolument pas à lui dire ce qu’il se passe. Alors il l’évite autant qu’il peut.
Idem pour Legence. Bon, cela dit, là c’est vachement plus facile parce qu’il est en convalescence. Et Clint ne s’en plaint pas parce que… parce que… parce que voilà. Y a pas de raison particulière. Mais il n’a pas besoin de se justifier n’est ce pas ?

Pas plus qu’il n’a à se justifier parce qu’il a envoyé un SMS lui demandant de venir à la fac pour 17h, juste à la fin de ses cours. Il fait ce qu’il veut après tout.
Cela dit, clairement, il affiche une nervosité rare pendant les deux dernières heures de cours qu’il donne, s’agaçant quand les étudiants s’endorment, les houspillant si l’exposé est mauvais. Ça ne lui ressemble pas des masses mais c’est pas sa faute si le temps avance au ralenti et qu’en même temps ça va beaucoup trop vite pour lui.

En tout cas, à 16h58, il fait dégager la salle avec une brusquerie telle que tous les étudiants se sont volatilisés dans la seconde. Ça c’est une bonne chose de faite.

Legence n'avait jamais réellement fréquenté l'université ; c'était pas faute d'avoir voulu. Avant de se retrouver avec Ashley préado et Oscar enfant sur les bras, il voulait se lancer dans des études de philosophie à la fac.
Ouais, de philosophie. Il avait dû abandonner pour s'occuper de sa sœur & de son frère, et c'était un regret bien caché de son passé. Il ne savait même pas si Wyatt lui-même était au courant – enfin s'il avait été, aujourd'hui, il ne s'en rappelait plus donc c'était la même chose. Il franchit les portes de la fac suivi d'un regard curieux par une bande d'étudiants fumant sur le parvis, qui se demandaient sans doute qui était ce type sapé comme s'il sortait d'un défilé de mode.
Hypérion avait grogné et râlé mais avait fini par admettre que sa rate allait beaucoup mieux et que le risque de rupture était écarté au vu du temps qui était passé. Leg trouvait que depuis que Kirill avait foutu le camp vers l'Antarctique – pour couler un baleinier japonais d'après ce qu'il avait compris... – Hyp était vraiment de sale humeur.
Il l'évitait hormis pour les examens médicaux, conséquemment.

« Attend-moi là, Martin. »

La très bonne imitation de GI Joe que constituait Martin lui jeta un regard lourd de sens en coin, et Legence haussa des épaules ; si quelqu'un venait l'assassiner à la fac c'est que la BDT elle-même n'aurait pas pu sauver sa peau.
Il fallait savoir accepter de vivre les risques, aussi... Il franchit quelques couloirs, demanda son chemin, et à l'heure tapante, passa le pas de porte de la salle de classe de Clint.

Ça faisait vraiment bizarre de voir son, hm, presque son fiancé en fait, dans ce genre de circonstances. Ça dissonait totalement avec tout ce qu'était Wyatt. Et c'était à chaque fois un peu blessant – ce qui expliquait que Leg n'ait pas vraiment insisté pour le voir, dernièrement.

« Salut... tu as besoin de moi ? »

Ok, il est nerveux. Il pianote nerveusement sur son bureau en l'attendant. Et puis il grille une cigarette aussi. Qu'il écrase sur son bureau, sans autre forme de politesse, en se rappelant qu'il pourrait bien déclencher l'alarme incendie de ce putain de bâtiment.

À l'extérieur, c'est une série de vieux bâtiments historiques mais l'intérieur est plutôt bien rénové et mis aux normes. Enfin ça dépend des départements. Mais en chimie, faut pas trop déconner. Surtout que dans les Balkans, les apprentis chimistes manquent pas. Donc faut prévenir tout type d' « incident » comme ils disent.

Oh Clint est pas sourd. Il a entendu les pas dans le couloir. Des pas qui lui sont plus ou moins familiers. Ce qui est sûr, c'est que ça lui parle assez pour qu'il sache que c'est pas un collègue ou un étudiant qui traine dans les couloirs. Clint fait pourtant mine d'être occupé sur son ordinateur et sursaute même en entendant sa voix. Hum. Il a même pas besoin de faire semblant.
C'est d'un ridicule rare quand même.
Il prend un bref instant avant de relever ses yeux sur Legence. Des yeux fatigués par trop de boulot qu'il s'impose et des insomnies fréquentes et violentes. Et il a une barbe bien fournie et plus si bien entretenue. De toute évidence, la fatigue le rend moins sensible à son apparence et il a un vague air de clodo habillé en prof.

Hey salut !
Ça va ?

Clint tente de répondre par lui-même à la question en détaillant Leg de la tête aux pieds.

Hummmm.

Et puis il se rappelle qu'il vient de lui poser une question alors il marmonne un truc dans sa barbe. Avant de se reprendre.

Ouai. Si on veut. T'as combien de temps à m'accorder ?

Pussycat, qui se tenait bien plus droit maintenant qu'il n'avait plus la promesse d'une rupture d'organe et d'une hémorragie interne éclair, observa Wy... Clint, bon sang, qui à ce moment-là ressemblait foutrement au mec qu'il avait rejoint dans le Bronx après un accrochage avec les mexicains de Vegas.
Quelle pitié qu'il ne se rappelle de rien, parce qu'il constituait dans la vie – étrange, dérangée et un rien hystérique il faut le dire – de Legence une bonne idée de refuge. Il avait dû réajuster son petit monde avec cette histoire d'amnésie, et essayait de ne pas en tenir rigueur à Clint qui après tout n'y était pour pas grand-chose dans tout ça.
Il se fendit d'un sourire :

« Ouais, mieux, je suis guéri et le doc me menace plus de mort. »

Sauf quand il se tortillait pour une prise de sang, à vrai dire, mais Hypérion avait la menace de mort très facile aussi, et surtout quand son mec était parti faire des conneries au bout du monde sur une plaque de glace.
Il arqua un sourcil au son émis par Clint qui le détaillait, ne commenta pas, et jeta un coup d'oeil à sa montre Longines, qu'il trouvait un rien trop européenne, mais bon, c'était un cadeau d'affaires.

« Une heure et demie, mais ça peut être plus si tu as besoin... Qu'est-ce qu'il faut faire ? »

Pas faire péter des trucs, espérait-il, parce que Deirdre était repartie aux USA sans doute roucouler avec sa femme, pff, et Slavo était sans doute occupé.
Bon sans compter qu'amnésique ou pas, il ne tenait pas à mettre dans la même pièce Clint et Slavenko.

Content que tu ailles mieux.

Un mince sourire se dessine à travers sa barbe mal entretenue et il affiche un air plus soulagé qu'il ne devrait l'être pour un parfait inconnu.

En tout cas t'as quand même meilleure mine qu'au salon de thé.

Rien que d'y penser, ça lui retourne le cœur. C'était vraiment pas beau à voir et le sentiment de colère qu'il avait ressenti à ce moment-là revient d'un seul coup pour le submerger. Et il déteste ça. Toutes ces putains d'émotions qu'il se prend dans la gueule depuis des semaines, c'est vraiment la merde. Avec toute la meilleure volonté du monde, il se ressaisit, comme il a appris à le faire. Gérer sa respiration, se concentrer sur l'idée d'être calme... Voilà. Ça va mieux.

Ça devrait suffire, t'en fais pas.

En vrai, il n'en sait rien mais il saura s'en contenter. De toute façon, passer trop de temps sur un truc lui fout un mal de crâne pas possible depuis ces derniers mois. Il a l'impression que sa mémoire demande qu'à revenir et tout raser sur son passage. En vrai, c'est comme si deux personnalités en lui s'affrontait et ça lui fout une trouille pas possible.

Il attrape son manteau qu'il enfile et ferme avec toutes les précautions de rigueur. Malgré sa tignasse, il enfile aussi un bonnet et rajoute en prime à son accoutrement une paire de gants.

C'est pas que je sois frileux...

Non. À peine. Emmitoufflé sous une épaisse couche de fringues, Clint attrape son portefeuille et ses clefs et ferme la porte de sa classe, prenant la peine de consciencieusement la verrouiller. Les cours sont terminés et le gardien passera tout vérifier, mais on ne sait jamais. Y a assez de matos ici pour faire de grosses conneries.

On peut y aller à pieds si tu te sens de marcher un peu. C'est pas loin.

Il lui jette un coup d'oeil vaguement inquiet. Il est guéri mais est ce qu'il est en forme hein ? La question mérite d'être posée. Mais il prend garde à ne pas la formuler. Il ne sait absolument pas comment parler à Legence et ça l'agace de plus en plus.

Leg eut un sourire doux à la réflexion de Clint, touché, puis rit :

« C'était difficile de faire pire, j'avais la tête d'un déterré. »

En fait il se sentait très exactement comme un déterré à ce moment-là, du coup ça tombait plutôt bien...

« Et toi ça va ? »

Voyant que le prof – Wyatt, prof, il s'en remettait pas – se rhabillait, il enfila de nouveau ses gants. Ça n'était pas qu'il était frileux, c'était qu'il était originaire de Vegas donc : d'un désert. La rigueur de l'hiver serbe était donc particulièrement dure à endurer pour lui. Il sourit :

« Bah t'es né à Vegas comme moi. Ça m'étonne pas. Il pèle dans ce putain de pays, c'est pas croyable. »

Il se sentait un peu nerveux, tout en suivant Clint, parce qu'il refusait manifestement de répondre à sa question, ou l'ignorait, ou... Est-ce qu'un trauma crânien affectait les capacités conversationnelles ? Le médecin chez qui il avait emmené son ex lui avait expliqué plein de trucs, mais entre les mots compliqués et l'accent de l'est à couper au couteau, Leg n'en avait pas retenu la moitié.

« Tu commences à m'inquiéter, on va où ? Je veux bien marcher. »

Un moment de silence finit par être brisé par la réponse de Clint.

Ça va. Enfin un peu compliqué mais je gère.

Pas du tout. Il ne gère pas du tout. C'est une catastrophe totale qu'il apprend juste à masquer. Faire illusion devient une espèce de sport intérieur extrêmement désagréable et qui crée une sorte de tension permanente en lui.

Pas trop le choix de toute manière.

Il lui adresse un sourire qu'il veut rassurant, espérant sincèrement que ça marche. Il a déjà assez de monde sur son dos qui s'inquiète pour lui. Il n'a pas envie de rajouter quelqu'un. Surtout pas lui.

C'est vrai que... Vegas.

Comme si Vegas était une réponse appropriée à tout.

J'ai fait des recherches du coup sur la ville. J'avais envie d'y aller mais ma... Lenny – trop difficile de parler de sœur dans son cas – m'a déconseillé d'y aller. Elle m'a dit que vu nos liens – il se racle la gorge de gêne – c'était trop dangereux.

Il se rattrape, se disant qu'il risquait de le faire culpabiliser pour rien.

Mais c'est pas grave. De toute manière, il semblerait que si je rentre un jour au pays, j'irai en prison donc bon. Ça me tente pas particulièrement comme expérience.

De ses séances, il a eu quelques bribes de sensations, des sortes de souvenirs. Il se voit s'arrêter à chaque porte. Sa vie réglée comme du papier à musique. Un réveil à heure fixe, quelque soit le jour. Des menus préparés à l'avance. Des gestes quasi mécaniques. De ses habitudes courantes depuis l'accident, ce ne sont en fait que des réminiscences de ses conneries passées. Parfait. Cool hein.


Mais c'est vrai qu'il fait particulièrement froid je trouve. Même sans être de Vegas, toute personne normalement constituée doit trouver ça absolument abominable.
T'inquiéter ?

Clint se stoppe brusquement dans le couloir, interloqué. Comment ça inquiet ?

Mais pourquoi ?

La lumière fuse enfin et il a un rire bref et franchement amusé.

Mais non. Pas du tout. Pardon. Un... exercice à faire. Pour mon médecin. Je dois « essayer de me réapproprier qui j'étais. »

il fait les crochets avec ses doigts pour illustrer la citation.

En gros, je dois redécouvrir Wyatt.

Ça lui fait bizarre de prononcer son propre prénom. Son médecin a commencé à l'appeler de son vrai prénom et même s'il est familier à ses oreilles, il a du mal à réagir quand il l'appelle comme ça.

Habitué aux mensonges – c'était obligatoire quand on exerçait son métier – Legence le débusqua sans problème dans les paroles de Clint, décida d'être sympa et de laisser couler, de ne rien dire, le laissant se cacher dans des paroles qui n'avaient rien de vrai. Il se doutait que ça n'était pas la meilleure des manières de gérer toute cette situation merdique, mais à ce moment précis il était un peu perdu sur le mode d'emploi.
Et triste.
Et chamboulé.
Alors il se taisait, comme ça n'arrivait que peu souvent, et c'était très bien comme ça, c'était un peu moins triste et chamboulant. Il acquiesça prudemment, d'un geste de tête silencieux ; il n'y avait effectivement pas le choix...

« Oh c'est euh... bien. Tu peux me demander si tu veux. »

Il n'avait sans doute pas voulu parce qu'il ne voulait pas du point de vue de Leg : ça se comprenait. Il eut un rire sec :

« Pour une fois je suis d'accord avec elle. Très dangereux, il y a pas mal de monde qui cherche à m'écraser là-bas. »

ça n'était pas pour rien qu'il avait foutu le camp aussi loin et dans un pays aussi peu ouvert d'esprit – une douleur fantôme claqua dans son abdomen à cette pensée-là. Il laissa couler les considérations météorologiques, marqua le même arrêt que Clint, sourcils froncés.

« Je ne comprends rien à ces trucs psychologiques. »

Legence n'avait d'ailleurs jamais approché de psy – dommage, il avait bien des choses à raconter. Mais il eut un pétillement dans l'oeil à l'idée de retrouver Wyatt ; lui ça l'aurait bien arrangé, pour dire les choses avec un euphémisme.
Il avait de plus en plus besoin que son mec redevienne son mec – mais ça bien sûr il le gardait pour lui, et ne l'avait signalé à personne...
D'ailleurs depuis la mort de Rotschild qui avait acquis sa confiance au fil des années, il ne se confiait plus à grand-monde. Il fit un signe de main à Martin, qui leur emboîta le pas de sa démarche assurée mais un peu raide de mec qui allait bien trop à la salle.

« Mon nouveau garde du corps », expliqua-t-il rapidement à Clint. « ça consiste en quoi ton exercice ? »

La sortie de Legence fait rire Clint. Pour de vrai. Il le comprend parfaitement.

Pareil pour moi. J'fais ce qu'il demande et je pige que dalle en vrai. Mais je fais ce qu'il... faut.

« falloir ». C'est un peu son problème. Depuis toutes ces semaines, il se demande s'il fait ça parce que c'est une quasi nécessité, que vivre sans savoir est tout simplement une torture alors qu'aujourd'hui il a quasiment toutes les clefs pour comprendre. Ou s'il le fait parce qu'il en a envie. Et là encore, il y a un autre souci. Son souci se trouve à côté de lui et il ne voit pas comment formuler, ne serait-ce qu'à lui-même, le trouble qui l'habite depuis que leurs chemins se sont croisés. Enfin recroisés. Franchement, il n'assume absolument pas. Et d'ailleurs y a un voyant rouge qui clignote dans sa tête alors qu'il regarde Legence. Ça clignote assez fort pour qu'il reprenne le chemin comme si de rien n'était, hâtant simplement un peu plus le pas.
Il n'est pas pressé d'en finir mais il sent que ses nerfs vont être mis à rude épreuve pendant les quatre-vingt-dix prochaines minutes.

Les voilà qui passent devant un gars. Clint ne s'en préoccupe qu'en le voyant avancer comme eux et il sent que son instinct lui dit qu'il y a un danger. Normalement, il n'a pas ce genre de réflexe. Et alors qu'il se demande s'il doit lui foutre un pain et partir en courant, Leg sauve in extremis la situation.
Immédiatement, Clint se détend et affiche un sourire poli, petit signe de la main qui va bien.

Salut !
Alors le truc consiste à me réapproprier des aspects de mon ancienne personnalité. Et ensuite choisir ce que je préfère. Avant, maintenant, ou un mélange des deux.
Ça nécessite quelqu'un qui connait...

Il allait dire Wyatt mais Wyatt c'est lui. C'est con, même si des petites choses reviennent naturellement. Par exemple, en voyant tous les composés pour faire une drogue de qualité, il a eu une putain d'envie de se faire un rail. Pas sa plus grande fierté, mais ça, clairement, c'est un gros morceau de son ancienne vie. Ou encore sa capacité à insulter Lenny, même si c'est par Facetime.

Qui me connait donc. Pour me corriger.
Donc je sens que potentiellement, on va faire un truc que t'aime.

Un coup d'oeil en coin, à regarder la façon dont il est attifé.

Du shopping. Je dois élaborer la garde-robe que j'imagine avoir été la mienne et tu corriges.
Et à la fin, je dois avoir au moins une tenue à la Wyatt en main. Une sorte de jeu de rôle quoi. Enfin une étape.
J'ai quand même droit à un indice. Comme on est pas loin d'une rue commerçante, tu peux m'indiquer dans quel genre de boutique j'allais.

Martin grogna quelque chose qui ressemblait à une salutation, s'attirant un sourcil arqué de la part de Leg ; son employeur ne comprenait résolument pas que Martin soit aussi peu efficient en communication – en tout cas la non-violente parce que pour fendre des crânes il y avait du monde.
Un animal aussi résolument politique que Leg ne pouvait pas comprendre grand-chose à la psyché de quelqu'un comme Martin, cela dit.
Pussycat eut un hochement de tête qui était la personnification d'un geste voulant dire « je ne comprends strictement rien mais vas-y continue » à l'histoire de réappropriation de qui était Wyatt et de choix...
Se dit que s'il choisissait Clint il allait lui briser le cœur et danser dessus encore pire que lorsqu'il avait été – de nouveau – condamné à de très longues années de prison juste avant que Leg ne foute le camp des USA...
Et eut un sourire qui lui demandait pas mal d'efforts et qui traduisait une certaine nervosité. La situation était parfaitement irréelle.

« Eh ben. Tu voulais jamais faire du shopping avec moi. »

Il faut dire qu'ils avaient des goûts radicalement opposés... et des budgets, aussi. Legence eut un geste gracieux, alors que Martin reprenait son poste de surveillance, le regard se posant régulièrement sur la silhouette longiligne de son patron.

« Alors vas-y je t'en prie, je... te laisse commencer. »

Son sourire s'était un peu figé à l'expression « jeu de rôle », et il essayait vraiment de se raisonner en se disant qu'il ne pouvait pas se sentir blessé par tout et n'importe quoi, comme ça.
C'était difficile.
C'était vraiment la chose la plus difficile qu'il ait eu à affronter ces dernières années.

Jamais ? Oh ! Mais merde. Bon, après, il sait comment il s'habillait quand même. Enfin, il l'espère. De ce que Legence mais surtout Lenny lui a dit, Clint a imaginé plein de styles différents. Franchement, pendant un bon moment, il a même pensé qu'il s'habillait comme un truc italien, un parrain là. Genre borsalino et tout. Et puis son instinct lui a crié tout sauf ça. Cela dit, depuis, il a un léger tremblement nerveux à l'oeil à chaque fois qu'il entend la fameuse musique du Parrain. Y a un truc bizarre en lien avec les ritals. Bref.

Il suit Leg qui finit par lui indiquer une boutique. Et c'est absolument pas ce qu'il a pu imaginer. Après son accident, quand il a acheté sa garde-robe, il y a réfléchi. Et rien ne lui est venu. Il s'est contenté de prendre comme référence son mentor, parce que c'était pas mal. Et avec cet exercice... Non. Vraiment. Pas ça.

Ah. Ok. Allons y.

Il a du mal à cacher une pointe de déception. Toutes ces fringues ont l'air au mieux quelque conque, au pire sorti du caddie d'un clochard. Il a même peur, en rentrant, que l'odeur aille avec. Mais non.
Autant pour lui. Les trous aux genoux sont volontaires. Hé bé !

Look casual donc ? Hum ! Intéressant.

Il plaque un sourire pincé sur ses lèvres, sans oser regarder Legence, en se disant que ça devait peut-être être pénible de voir une forme de rejet de ce qu'il a pu être. Allez. Un effort.

Alors voyons... J'imagine que. Non, j'aime pas le rouge. Et certainement pas le rose. Brrrr.

Clint lance cette fois un regard lourd d'angoisse à Legence.

Non. Pitié. Dis moi que je portais pas ce genre de couleur ?!
Bleu, noir, gris, c'est bien. Mais tous ces trucs de hippies !

Et voilà qu'il ressent soudain une forme de panique qui monte et qu'il ravale comme il peut pour ne pas faire un malaise comme il avait fait il y a plusieurs semaines. Ça va aller. Au pire, il choisira de rester Clint. C'est rien ça. C'est pas bien important.

Il poursuit son exploration des rayons, montrant tour à tour des vêtements qui lui semblent convenir à la personnalité très... Brute (dans tous les sens du terme) de Wyatt. Sans jamais être convaincu. Finalement, il pose une question qui lui brûle les lèvres :

Mais... on a des points communs toi et moi ?
Enfin... T'es classe et lui, enfin moi... Voilà quoi. Et puis apparemment, j'ai fait surtout marcher mes poings alors que tu gères un business. J'ai l'impression qu'il y a rien qui colle. Ni qui aille d'ailleurs.
Sans jugement hein. Je veux juste comprendre ce qui, enfin... comment. Je sais pas. Truc d'aimants qui s'attirent on dirait.

Et ça n'a pas l'air super sain de son point de vue. Vraiment pas sain même.

Pussy haussa des sourcils en entendant un mot dans la bouche de Clint que Wyatt n'aurait jamais pensé à retenir ; casual, sérieusement ? … Il hocha de la tête, assuré – il s'était tapé Wyatt depuis le milieu de son adolescence, il connaissait ses goûts à force ! – et le laissa errer dans les rayons sans faire la moindre remarque.
Putain, il lui fallait une clope, genre, maintenant. Legence trouvait ça très dur et très stressant d'espérer, c'était pas quelque chose qu'il faisait d'habitude et il se sentait parfaitement perdu sur la marche à suivre.

« Non... tu n'étais pas très couleurs. »

Heureusement la vendeuse ne panait pas un mot d'anglais et vu les fringues de Legence elle n'osa pas s'approcher d'eux. La situation resta donc... gentiment bizarre.
Il finit par pincer les lèvres avec à peu près la même expression que si Clint l'avait giflé. Ok, maintenant il fallait qu'il sorte fumer, c'était plus seulement une question d'envie.

« Ecoute... »

Il ne retint pas un soupir.

« Non. Il y a un jugement de ta part et c'est juste... » Blessant. « Je suis crevé, je veux bien t'aider, mais là c'est un peu beaucoup pour moi. Je reviens je vais fumer une cigarette. »

Et essayer de penser à autre chose pendant cinq minutes que son foutu ex-fiancé qui n'arrêtait pas de se retrouver dans des emmerdes pas possibles.
Planté devant les portes mal isolées du magasin, une clope trop chère allumée entre les doigts, Leg demanda des nouvelles à son jeune frère via des messages cryptées, comme ça il s'inquiétait de quelqu'un d'autre que de Wyatt.

Clint est totalement pris au dépourvu par la tournure des évènements. Loin de lui la pensée de vouloir juger. Sincèrement. Mais il comprend que Legence puisse penser autrement. Et quelque chose lui dit que s'il le prend si mal c'est peut-être aussi parce qu'il ne réagit pas normalement. Enfin. Il ne réagit pas comme Wyatt mais comme Clint. Et ça, malheureusement, même s'il travaille dessus, il ne peut pas faire davantage pour le moment.

Aussi, il le laisse filer. Il continue à sélectionner des fringues au hasard, content de ne pas « être très couleurs ». C'est bien ça.
Après avoir choisi une pile de fringues conséquentes, il réalise que Leg n'est toujours pas revenu. Alors il s'inquiète. Peut-être bien qu'il s'est tiré. Que c'est juste trop pour lui.
Un court instant d'hésitation passe, où il se demande si c'est bien raisonnable d'aller voir s'il est dehors et puis merde. Il a voulu le faire venir, faut assumer les conséquences de cette décision et aller au bout des choses.
Après avoir gratifié la vendeuse d'un « je reviens » dans un serbe convenable mais absolument pas aimable – du coup il fait parfaitement couleur locale – Clint sort et trouve Leg contre les portes de la boutique, sans clope, mais un téléphone à la main. Ah.
Il recule d'un pas. Puis... Merde hein. Il a dit qu'il allait au bout du truc.

Leg ? J'ai fait des choix. Tu viens me dire si ça me ressemble ?

Et sinon, il en sera quitte pour lui désigner des fringues à porter. C'est pour sa prochaine séance. Être son lui du passé. Hum. Pas sûr de tout comprendre, une fois encore mais bon.
mais quand même. Venir comme ça balancer un truc anodin comme s'il parlait météo, même lui il réalise que c'est pitoyable.

Au lieu de rentrer dans la boutique, il fait un pas pour se mettre à hauteur de son ex fiancé. Ou fiancé. Allez savoir.

Je te promets qu'il n'y avait pas de jugement. J'essaye juste de comprendre. J'ai l'impression d'être un gosse de 4 ans à toujours demander « pourquoi » pour tout ce que je découvre en ce moment. Je déteste ça.
J'aimerais simplement comprendre du coup ce qui.

Il est incapable de finir la phrase. Soit il la met au passé et ça ferait beaucoup de peine à Leg, il en a conscience. Soit il la met au présent mais il n'est pas prêt à se le dire, alors moins à le formuler à voix haute. C'est pas faute d'en avoir envie hein. Mais non. Il ne peut pas. Ça ne marche pas comme ça.
En revanche, il fait un truc que même lui n'aurait jamais cru faire. Il tend la main vers Leg.

Allez. Viens s'il te plait.

Dehors dans le froid de l’hiver serbe, Legence put calmer à loisir sa déception brûlante et un relent de colère qu’il savait parfaitement injuste mais qu’il était très dur de ne pas ressentir.
Heureusement Oscar greffé à son téléphone au même titre que son frère aîné aida en répondant aux messages limite mère poule de Legence.
Il releva le regard, les doigts glacés et la cigarette depuis très longtemps finie, sur Clint qui venait le chercher pour finir son exercice.
Il considéra très sérieusement l’option de se barrer en expliquant que c’était trop compliqué pour lui, tout ça, et qu’il ne pouvait pas aider.

Mais Clint eut la bonne idée de s’avancer vers lui et l’acier du regard de Pussy ploya un peu comme il l’avait toujours fait quand il s’agissait de Wyatt, finalement.

« Okay. Allons-y », fit-il en esquissant un geste pour lui effleurer la main, sans la prendre suite à l’avertissement d’une douleur cuisante dans le ventre.

Il avait bien retenu la leçon. En franchissant la porte, passant devant Clint, il expliqua :

« T’étais patron à NY. Plusieurs pharmacies. »

Et avec un clin d’oeil, il disparut dans le magasin pour s’intéresser à la sélection de vêtements.

Les doigts de Leg effleurent les siens et il a comme une petite décharge électrique. Pas de l'électricité statique mais... ça lui retourne le ventre et de façon beaucoup trop plaisante pour qu'il n'en soit pas complètement retourné. C'est simple, il reste figé, comme foudroyé sur place, la main pendant dans le vide en attendant le déluge.

Finalement, alors que Legence lui parle, il revient à la réalité, bougeant brusquement, de façon presque violente. Clint rentre en trombe dans le magasin, le traversant avec un air de combattant se lançant sur le ring, n'hésitant pas à bousculer un pauvre gars sur son passage, qui ne demandait absolument rien. Ni excuse, ni geste pour demander pardon. Rien.

Aahhhh. Un patron. Pas mal.
De suite ça claque quoi. Patron. Une chaine de pharmacies.

C'est bizarre. Ça semble irréel.
Et il a largué tout ça - et la prison, certes - pour rejoindre Legence. Impossible de savoir s'il est admiratif ou dépité de tant de connerie. Un peu des deux. Mais l'idée est plaisante. Cela dit, alors qu'il rentre dans la cabine d'essayage débordant de fringues qu'il n'apprécie que modérément, il tilte, la main sur le rideau.

Une pharmacie ? Alors que je n'ai pas fait d'études ? Et que je suis juste une sorte d'apprenti chimiste ?

Ça colle pas. Ça semble absolument pas légal du tout pour être honnête. Et même s'il sait qu'il a fait de la prison, même s'il comprend que du coup, il a fait des choses sérieuses, ça lui semble assez énorme. Du genre à se dire qu'il aurait dû prendre perpétuité ou au moins un long, looong moment à l'ombre. Ça ne fait pas plaisir à l'honnête citoyen qu'il s'efforce d'être depuis deux ans maintenant.

Il tire le rideau avec une petite appréhension et prend au hasard un pantalon et un haut. L'avantage des trucs sélectionnés, c'est que c'est tellement basique et informe, donc ça se marie à tout. Il ressort avec un jean à la con, un trou à un genou – ce qui le perturbe totalement – et un pull qui semble avoir été tricoté pour un géant. Les manches couvrent largement ses mains.
Un soupir un peu dépité et il tire le rideau, se dévoilant avec un air penaud.

Alors ? Ça fait mec de Vegas libéré sur parole ?

Le ton et le sourire sont pince sans rire. Il prend l'option d'en rire plutôt qu'en pleurer. Et puis il y met du sien autant qu'il peut, de peur que Leg se tire pour de bon.

Si Pussy remarqua l'effet qu'il avait produit sur Clint, il n'en montra rien, affichant un sourire sec à l'égard de la vendeuse qui le regardait avec attention. Elle détourna le regard avec une telle vivacité qu'elle trahissait s'être sentie prise en défaut.
Clint entra de nouveau dans le magasin en trombe, très Wyatt en fait dans les mouvements, et la protestation de la personne qu'il avait bousculée ne l'arrêta pas le moins du monde. Leg posa un regard métallique-et-amusé sur lui, toujours content quand l'ancienne personnalité dure de son ex refaisait surface, et hocha de la tête :

« Hmhm, patron. »

Evidemment, il n'était pas si con, et taupa quasiment immédiatement le problème qu'il y avait entre être patron de pharmacie et ne pas avoir fait d'études.
Legence s'appuya nonchalamment sur la paroi d'une cabine d'essayage, sans la faire plier malgré la mauvaise qualité du contreplaqué grâce à son poids plume.

« T'en demandes trop, là. Désolé de te l'annoncer comme ça mais t'étais très loin du citoyen modèle, c'est pour ça que tu as voulu te lancer en politique et franchement sans tes conneries t'aurais sans doute été élu. »

Legence ne voyait aucun souci entre ces deux états de faits. Il n'avait jamais rien croisé d'autre que des politiques corrompus, lui.
Il se matta les ongles en attendant que Clint se change, et releva le regard seulement à sa question, étouffant presque avec succès un rire.

« … pas vraiment. A Vegas ton libéré sur parole aurait un costard, de préférence de marque italienne. Je peux ? »

Il fouilla dans les fringues pour trouver un sweat qui correspondrait mieux à ce que portait son ex, quand ils habitaient dans le Bronx – autant dire des millénaires en arrière, à ce qu'il semblait à Legence.

« Le jeans par contre est pas mal... Tiens essaie ça. »

Il lui tendit un sweat logoté d'une phrase menaçant de mort les innocents passants si Clint n'avait pas pris son café avant qu'on lui parle, un truc fort à la mode ces derniers temps. (Le logo, pas la menace de mort.)

Se lancer en politique ?
La machoire de Clint semble vouloir soudain se décrocher. Alors là, il a peut-être bien mérité d'être amnésique. Genre, retour de bâton karmique ou une connerie du genre. Qu'est ce qu'un mec avec un casier long comme non plus un bras, mais deux bras et deux jambes peut bien vouloir faire en politique ? Non mais franchement ?
Au moins, ici il est tranquille. Personne ne sait trop quelle est sa nationalité, on lui fiche la paix. Mais du coup, il fait profil bas pour en surtout pas se faire remarquer.
C'est quel genre de gars ce Wyatt pour assumer son casier et aller tête haute se lancer en politique ? Un fou, surement. Mais en même temps, il est un peu admiratif et... Fier. Après tout. C'était son choix à lui. Un choix qu'il ne ferait pas aujourd'hui. Ni ici. Mais c'est plutôt cool en réalité.

Ah. Zut.

Penaud, il réalise que sa blague a fait un flop. Au temps pour lui.
Il attrape ce que Leg lui tend et bouge la main juste pour sentir la chaleur de ses doigts sans les toucher. L'effet tout à l'heure lui a suffit. Il grommelle un « merci » en se grondant d'être aussi con, avant de passer le sweat directement, sans passer par la cabine essayage.
À travers le miroir il lit le message et hausse les sourcils. Il lâche une exclamation narquoise.

Au final, je ne suis même pas surpris tiens.
J'me vois bien menacer les gens. Surtout avec cette barbe. Ça fait son petit effet. Tout à l'heure un étudiant a dit une connerie, j'ai froncé les sourcils et il s'est excusé quasiment en tremblant.

Et avec une certaine honte, il doit avouer que ça lui a fait plaisir. Oh non. Pas de faire peur. C'est juste que l'étudiant en question est un petit con. C'est tout. Promis.

Ah mais j'ai pris un truc un peu similaire ! Attends !

Il retire le sweat et le tshirt qu'il avait essayé, restant torse nu dans la cabine ouverte pour choisir un autre tshirt où il y a écrit, en russe, un truc à la gloire de Poutine qui a un air fabuleusement flippant.

Ça ?

Il note pour lui que, quand même, apparemment, son ancien look est un rien clodo et glauque. Rien de surprenant face au personnage.

Et y a ça.

Il montre un hoodie gris foncé, avec juste un numéro écrit sur l'épaule, c'est tout. Basique au possible.

Marrant. Le style fait un rien... je sais pas comment le qualifier. À la fois chiant et psychopathe.

Et au fond de lui, il trouve que le deuxième attribut raisonne plaisamment. Au point d'avoir un sourire, qui, sans qu'il s'en rende compte, reflète assez bien cette idée. C'est terriblement perturbant.

« Typique », répondit distraitement Pussy qui fouillait dans les fringues pour chercher ce qui pouvait bien ressembler à Wyatt le plus possible là-dedans.

Il était un peu désemparé de voir que peu de choses correspondaient, comme si Clint avait pris des trucs au hasard sans savoir ce qu'il faisait.
En fait c'était probablement ce qu'il s'était passé, et Leg ne put s'empêcher de se dire que ette idée du psy allait faire plus de mal que de bien au final... Il décida de serrer les dents et puisqu'il avait les deux mains dedans, de continuer de creuser.
Il acquiesça au rapide récit de Clint.

« Oui, ça te ressemble pas mal, à l'époque tu terrorisais plutôt tes employés que des étudiants... D'ailleurs t'aurais jamais eu la patience d'être prof. »

Il se décala pour laisser passer Clint qui voulait lui montrer un vêtement, sans pour autant s'écarter franchement ; des deux ça n'était pas lui qui était gêné par la proximité de l'autre, c'était clair. Au contraire, il en profitait le temps que Clint soit bien luné, parce que le contact de Wyatt lui manquait.
Le regard noisette souligné de cette impression d'acier détailla le torse de Clint, le comparant à celui de son mec, à l'époque ; rien à faire putain c'était le même gars. Oui ça paraissait con mais ça avait quelque chose d'étonnant tellement ils étaient différents.

« Ah, oui, ça peut marcher ça. Surtout avec Poutine dessus d'ailleurs. Quoique t'étais tellement provoc t'aurais ptêt même pris Trump. »

Il répondit au sourire incertain du prof, sans chercher à savoir ce que ça contenait.

« Ce putain de psy me donne trop d'espoir, et on parle même pas. Secret médical, tout ça, j'ai rien le droit de savoir, forcément.
Est-ce qu'il parle avec... je sais plus son nom ? »

Legence avait bien fait exprès d'oublier le nom de la meuf à qui Clint s'était promis, et omettait tout aussi soigneusement de vocaliser leur lien. Oui c'était mesquin, et oui ça lui faisait du bien.

Il y a des choses qui ont changé et Clint a du mal à ne pas se dire que c'est pour le mieux. Prof, c'est une bonne position. Il a un bon salaire, il vit confortablement. Et puis pas de problème avec la justice. Même s'il retrouve un jour la mémoire, il espère sincèrement qu'il restera dans le droit chemin. Après tout, c'est une vie simple et calme qu'il mène et qui devrait faire envie à tout le monde, en particulier à un malfrat.

Son regard se pose sur Leg, en se demandant si c'est une vie qu'il affectionnerait. Une moue. Pas certain en vrai. Alors lui ? Est ce que ça ne le ferait pas flipper au final ? Si... Surement. Aïe.

J'aime bien être prof. Parler de chimie toute la journée, c'est plutôt cool.
Je veux dire... Même quand je me souviendrai, je continuerai sûrement.
Mais ça signifie pas que je ne ferai que ça.

Là présentement, il sait que non. Mais Wyatt aura peut-être d'autres projets. Parce que ce genre de gars, comme Leg, là, ils sauront s'arrêter que quand ils seront entre quatre planches à la réflexion.
Alors c'est ambitieux d'avoir parlé au futur et non au conditionnel mais il voit bien l'air dépité de Legence devant ses choix.

Peut-être que le psy m'a fait faire l'exercice trop tôt.
Il pensait que ça m'aiderait mais c'est juste totalement nébuleux pour moi.
Après c'est... Chouette.

Non. Mais il continue à aller sur les traces d'un passé et il ne veut pas se précipiter parce qu'il est effrayant.

Trump ?
Je vote républicain ?

Ok, alors déjà, il imagine pas Wyatt voter. Mais Républicain ? Ouai, non. Limite ça serait logique. Pas trop d'interventions, c'est sûrement préférable avec son business. Mais c'est pas très gayfriendly quoi.

Hum. J'suppose que je m'en fous ? Que les gens soient...

Il suspend sa réflexion à haute voix en voyant la vendeuse s'approcher et pincer les lèvres de contrariété en voyant tous les habits qu'il va falloir ranger. Mais Clint les lui donne avec une indifférence crasse. Une fois qu'elle est éloignée, il peut reprendre.

Amicaux avec...

IL se contentera de faire un signe de l'index les désignant tous les deux. Alors qu'il réalise que Legence n'est sûrement pas le seul homme avec qui il ait couché et qu'un bloc glacé descende dans son estomac.
Ah.

Non. Elle a son propre psy.

Correction. Julia voulait une thérapie de couple mais il a dit non.

Elle fulmine d'être mise à l'écart, que je change, que je ne lui parle pas de ce que j'apprends et de la distance qu'il y a de plus en plus entre nous. En fait, elle voulait qu'on y aille ensemble mais j'ai déjà assez d'un psy hein.

Ce qu'il ne dit pas à Julia, c'est que quelqu'un peut venir si Clint l'y invite. Et il ne l'a pas fait pour Leg juste parce qu'il était en convalescence et parce que ça le fait flipper.
Il s'approche simplement de lui, assez pour que le bras de Leg touche son torse floqué d'un Poutine enragé :

Tu veux venir ? J'aimerais bien si c'est pas trop difficile à supporter pour toi.

Il a envie de lui dire de garder espoir mais il franchirait une ligne invisible. Et il n'est absolument pas prêt.

Legence essaya, vraiment, de ne pas avoir l'air trop perplexe aux paroles de Clint : parler de chimie toute la journée c'était cool ? … Eh bien, eh bien, si le psy se chargeait de lui donner de l'espoir heureusement son patient s'occupait de tout réduire à néant.
Il eut un sourire tout de même parce que Clint semblait persuadé qu'il parviendrait à se souvenir malgré les exercices à tout le moins étranges que lui faisait faire son psy...

« Tu verras bien ce que tu veux faire à ce moment-là. »

Leg eut un rire discret à la question du prof, qui semblait sinon se rappeler au moins être au courant des prises de vues politiques.

« Disons que d'habitude, c'est toi qui cogne le plus fort donc t'en as grosso modo rien à foutre de ce que les autres pensent.
Ça t'a toujours réussi.
La seule qui te faisait peur c'était Lucrezia... »

Il eut un « mmh » pensif :

« Je sais pas pourquoi moi je l'aime bien. »

Il hocha de la tête aux nouvelles données par Clint à propos de Julia, et c'était pas bien, mais il était satisfait qu'elle vive mal tout ça et soit mise à l'écart.
Non vraiment, penser comme ça n'allait faire que lui attirer des soucis de karma – fort heureusement il n'y croyait pas.
Il posa un regard sérieux sur Clint :

« Sérieusement ? Ouais, bien sûr, si ça peut t'être utile... »

Lucrezia… Quoique sa mémoire soit plus que défaillante, ce simple nom semble faire descendre un bloc de glace dans son estomac. Il se fige un instant et s’il s’était regardé dans le miroir, il aurait vu qu’il a légèrement pâli à l’évocation de ce prénom. Un tic nerveux agite sa joue et il passe avec un geste d’agacement la main dessus.
Dans sa barbe, sans même s’en rendre compte, il répond avec une sorte de furie panique :

Ah non. Pas elle hein. Tout sauf elle. Folle furieuse là, avec Cesare, c’est bon.

Il cille légèrement, avant de se redresser, totalement incrédule.

C’est. C’est qui ça Cesare ?

Il ferme les yeux, il se concentre avant de se rappeler un truc. Un truc con, aucun rapport précis avec son quotidien – ce qui l’intéresse quand même beaucoup plus qu’une simple anecdote - :

Oh putain. On était à son mariage à Cesare. Elle était là. En rouge, toujours en rouge. A New York. Et y avait… Elle. Et un cardinal aussi. Et… Ouai. Samuel c’est ça ?

Son visage se fend d’un sourire fier. Ses yeux brillent alors qu’il fout une grande claque dans le dos de Leg :

T’as vu ! J’me suis souvenu d’un truc.
C’est qui Samuel d’ailleurs ?

L’idée est… Familière. Agréable. Mais l’espèce de souvenir qu’il avait semble s’effacer soudain. Il se souvient d’un peu de la fête mais c’est tout. Le reste retourne dans son brouillard trop épais et Clint a un grommellement de frustration. C'était si bien parti pourtant.

Tu vois. J’ai besoin de toi. Ça revient quand t’es là.

Soudain, il se rappelle qu’il lui a probablement décollé un poumon alors Clint s’inquiète enfin, tapotant doucement son dos, avant de faire des ronds avec la main.

Heu ça va aller ? J’y ai pas été trop fort ? Désolé. J’étais content et…

La réaction qu'il eut à l'évocation de Lucrezia, c'était tout à fait Wyatt, et il paraissait se rappeler vaguement de quelques trucs. Parfait, Lucrezia était plus mémorable que lui-même, se dit Legence, en fronçant du nez d'un air écoeuré – un peu comme si on lui avait foutu un porno hétéro sous les yeux.
Il hocha de la tête :

« Ouais, Samuel, c't'un pote. »

Il encaissa la claque dans le dos presque stoïquement, faisant volter Martin sur ses talons en émettant une protestation aiguë. Heureusement, le garde du corps avait une assez bonne compréhension des événements et n'intervint pas de façon musclée, ce qui aurait sans doute traumatisé à vie les vendeuses.

« ça va... Heureusement que j'risque plus une hémorragie, hein ? »

Il lissa son costume, haussa des épaules :

« Si tu veux je viendrai. Allez amène-toi j'te paie les fringues, elles te vont bien. »

Clint lâche un presque gloussement un peu amusé mais surtout très désolé. Il s'en veut et en même temps, il a l'impression d'être sur un petit nuage pendant un moment. Après la retombée émotionnelle, il réalise qu'il a vécu là un petit exploit. Bien sûr, il tente vaillamment de le cacher. Il ne sourit pas trop, fait mine d'être très concentré sur ce que Legence lui dit mais non. Il se raccroche à ses bouts de souvenirs comme à une bouée de naufrage. Il se souvient. C'était un fragment d'une journée mais c'est plus que deux années de galère et de migraine.

Les fringues sont retirées, présentées à la vendeuse qui semble désapprouver un choix bien trop miteux par rapport à son austère tenue de professeur.
Dans sa bonne humeur, Clint réalise soudain que ça n'est pas partagé par tout le monde. S'il a oublié la présence du garde du corps – des mecs qui tirent la gueule avec un air menaçant, y a que ça dans ce pays, ça ne l'émeut plus trop – la tête de Legence se révèle assez révélatrice d'une contrariété qu'il identifie après un moment de réflexion. Pas besoin d'être sorti de West Point pour comprendre qu'il ne voit que le mauvais côté du souvenir. Des noms qui lui viennent et rien sur eux.

Viens. J'vais mettre ces fringues maintenant.

Il retourne à la cabine, expliquant dans un serbe potable ce qu'il compte faire. La vendeuse hausse les épaules. Elle aura de toute manière sa com donc elle s'en fout.
Pendant que Clint se change, il réfléchit vite à comment dire un truc pour lui faire plaisir.

Tu sais, je me souviens de toi au mariage aussi hein. Tu... Tu faisais un truc avec une petite cuillère non ?

Il glisse sa tête hors de la cabine, réalisant que Leg est à côté à l'attendre. Putain. Il fait sa mauvaise tête et ça l'énerve. Clint ignore d'où ça sort mais il a envie de le secouer. Il veut pas profiter de la bonne nouvelle. Tout n'est pas perdu. D'un coup, il attrape sa manche, l'attirant dans la cabine. Tête à tête. Legence est beaucoup, beaucoup trop proche mais c'est lui qui l'a voulu non ? Complètement, même s'il a une trouille de tous les diables.
Clint se râcle la gorge, se redresse en maudissant le fait que Leg soit un peu plus grand que lui et que dans ces conditions, se soit... intimidant. Oh et puis merde. L'autre se serait pas privé de ce qu'il a compris.
Alors voilà. Il se rapproche. Ses lèvres sont juste là, à un centimètre. Il peut essayer. Il peut le faire. Juste pour voir. C'est rien du tout non ? Et son cœur n'a aucune raison de claquer maintenant voyons.

« Hm ? Oh, si tu veux », fit Legence, un peu saoulé et un peu fatigué maintenant, dans un entre-deux qui ne lui ressemblait pas et le fatiguait lui-même.

Il tenta bien de sourire à Clint mais apparemment le mensonge ne prit pas, et leva le nez avec curiosité de son putain de téléphone où il s'était de nouveau réfugié quand son ex tenta d'attirer son attention. S'il commençait à ne plus savoir mentir ça allait poser de sérieux problèmes par la suite. Il eut un geste de dénégation.

« Non. On était juste à table avec des gens très fermés d'esprit que je me suis amusé à provoquer en leur faisant bien comprendre qu'on était ensemble. »

Puisqu'à l'époque Wyatt n'avait pas de mémoire défaillante et peur d'une seule chose : de Lucrezia de Rossi. Ah, bonne époque, il ne pensait pas la regretter si fort – surtout avec le nombre d'affaires qui s'étaient cassées la gueule en peu de temps, le laissant quasiment sur la paille sans le Pussybox lancé en partenariat avec Slavenko.
Il se mordit toutefois la langue : le thérapeute lui avait bien dit de ne pas trop induire de mémoire chez Clint...
Legence se laissa attirer dans la cabine ; si Clint n'avait pas la brusquerie de son ex, il restait toutefois plus musclé que lui ne le serait jamais, et il ne servait à rien de résister.
Il n'avait pas envie de résister.
Clint s'approcha, surveillé par le regard noisette-et-métallique de Pussy, comme s'il était une sorte de proie appétissante et pile en train de le provoquer.
Il n'y tint pas et s'avança pour l'embrasser.

Il est peu trop tard maintenant pour se mentir. Il y a pensé quelques fois à ce baiser. Il savait pas trop à quoi s’attendre à ce sujet d’ailleurs. Il avait pensé ça sûrement un peu comme avec Julia. Un truc léger et doux, sans prise de tête et puis un rien… mécanique ?
En tout cas, il a pas pensé une seule seconde que Leg allait céder en premier et que ça serait « comme ça ». oh, au début c’était juste un effleurement et puis au bout de quelques secondes, il a craqué. Il a plaqué ce mec trop grand et qui détonne à peu près partout où il va, contre la paroi de la cabine qui émet une protestation.
Il ne faut pas très longtemps à Clint pour approfondir le baiser avec un désir complètement incontrôlable. C’est comme si un verrou avait sauté dans un coin de sa tête.
Un instant plus tard, pourtant, Clint se recule, essoufflé et regarde Leg qui a les cheveux en bataille. Ah. Apparemment ses mains ont fait leur propre vie. Il les fixe d’ailleurs étonné, le temps de récupérer une respiration décente.
Il hésite un peu à relever les yeux. Il se contente d’un rire incrédule.

Whow… C’est… c’est toujours comme ça ?

Allez savoir ce qu’il trouve dans les yeux de Leg quand il daigne enfin le regarder. Mais ça suffit en tout cas pour qu’il l’attrape de nouveau et que cette fois, ce soit lui qui l’embrasse. Lui il est déjà torse nu et Legence est bien trop habillé. Rien à foutre de la nana, rien à foutre du garde du corps. Il Ses mains virent déjà la veste, tentent de déboutonner la chemise. Et puis il essaye de se justifier, juste au cas où il ne serait pas trop d’accord pour faire ça dans une boutique. Ou s'il se demandait pourquoi Clint faisait ça.

J’ai envie de toi. Depuis que je t’ai vu chez moi. Je pense à toi tout le temps. Putain. C’est pas normal ça.

Ce qui n’empêche pas Clint de recommencer à l’embrasser de façon bien plus insistante. Comme un aveu. Tant pis pour Julia, pour sa vie tranquille, pour ce qu’il a pu s’imaginer depuis deux ans. Il s’en fout.

T’as dix secondes pour virer la chemise sinon je la fous en lambeaux.